La route suit les méandres de la Seine, que nous dominons à gauche et nous apercevons bientôt les hautes tours de Jumièges... Mercredi 27 août 1924, visite de la société historique et archéologique de l’Orne.

 Après les formalités nécessaires pour pénétrer dans le parc de Mme Lepel-Cointet, nous nous avançons vers l'ancienne église de l'abbaye et un de nos collègues, M. Louis-Marie Michon, ancien élève de l'Ecole des Chartes, bibliothécaire à la bibliothèque Sainte-Geneviève, nous donne les trèsintéressants et très documentés renseignements, d’après lesquels j'ai rédigé les notes qu'on va lire (1). 
(1) M. Michon prépare en ce moment une monographie de Jumièges.

JUMIÈGES


Les coteaux de Jumièges
enferment de leurs bois la Seine aux longs détours ;
de l'antique abbaye, on aperçoit les tours,
et bientôt le manoir des royales amours,
Charles, tant de fois heureux de sa tendresse,
porta les pas légers d'une amoureuse ivresse.

GUTTINGUER.


Venez avec nous dans le plus magnifique monastère de la Normandie, l'abbaye de Jumièges (2) si célèbre par la science de ses docteurs, par la science deson grand historien, Guillaume de Jumièges. Jumièges, ainsi nommée, disent les uns, parce que les religieux gémissaient tout le jour, ainsi nommée,disent les autres, du mot Gemma, pierre précieuse, car l'abbaye de Jumièges brillait de l'éclat du diamant, parmi les monastères du monde chrétien, Jumièges est une presqu'île de la Seine, entre Rouen et Caudebec. Saint Filbert en fut le premier fondateur ; dignitaire de la cour de Charlemagne, il abandonna le monde pour se vouer à lacharité et à la solitude. Ayant rencontré sur le rivage de la Seine les ruines d'un château romain, brûlé par les barbares, il s'y fixa et y construisit troiséglises, l'une en forme de croix, dédiée à la sainte Vierge, la seconde au nord, à saint Denis ou saint Germain ; la troisième au midi, dédiée à saint Pierre.
Il ne tarda pas à grouper autour de lui un nombre important de religieux, auxquels il fit embrasser la règle de Saint-Benoît. Les peuples de la Neustriebénissaient ces nouveaux venus qui leur donnaient l'exemple de toutes les vertus humbles et fortes.

 (2) Le couvent des religieux de Jumièges : d'azur à une croix d'or cantonnée de quatre clefs d'argent.

Dès ce temps, l'abbaye mérita le nom de Jumièges l'aumônier, qui lui a été conservé. Après la mort de saint Filbert, en 682, saint Aicadre le remplaça.L'abbaye à ce moment était dans une très grande prospérité : elle comprenait, dit-on, neuf-cents religieux, quinze-cents serviteurs. Au point de vueintellectuel, elle était devenue le centre le plus influent de la culture en Neustrie. Ses revenus étaient importants, par suite des terres considérables dontles rois de France lui avaient fait don. 


Sous l'abbatiat de Landric, septième abbé, Tassillon de Bavière, et son fils Théodon vinrent se retirer à Jumièges, après avoir été dépouillés de leur Etatpar Charlemagne. A leur mort, ils furent enterrés dans le chapitre ; en 934, lors de la restauration de celui-ci, ils furent placés dans le choeur. Sans doute faut-il voir l'origine de la légende des énervés.

 Vers le XIIIe siècle, un tombeau leur fut élevé, qui consacra une légende accréditée depuis plus de deux cents ans.

L'histoire de l'abbaye aux IXe et Xe siècles est mal connue.
C'est l'époque des premières invasions normandes. L'abbaye abandonnée par ses habitants, qui se retirèrent à Aspres, près de Cambrai, fut pillée de fonden comble et incendiée. Elle resta abandonnée pendant plus de soixante-quinze ans, jusqu'au traité de Saint-Clair-sur-Epte en 911. En l'an 926,Beaudouin et Gondouin, deux anciens moines de Jumièges, y revinrent et s'y installèrent. En 928, Guillaume Longue-Epée les y découvrit par hasard, enchassant. Il les prit sous sa protection, et réédifia partiellement le monastère.

En 945, l'abbaye subit de nouveaux ravages. Elle est entièrement dévastée par les troupes de Raoul Tourte, gouverneur de Normandie. Deux tours seules,dit l'histoire, échappent à la destruction : elles sont rachetées par le clerc Clément. Sont-ce celles que nous voyons aujourd'hui ?
Guillaume de Jumièges l'affirme ; mais l'examen de ces tours ne permet pas de les faire remonter jusqu'à l'an 935. Il s'agit donc de l'église Saint-Pierre,dont il reste le porche, la base des deux tours, avec les escaliers intérieurs, et les deux premières travées du mur nord de la nef.

Le
XIe siècle fut témoin d'un relâchement général, dans la discipline ecclésiastique. Pour y remédier, le duc Richard appella à Jumièges le grandréformateur, Guillaume de Vulpiano, puis Thierry. Celui-ci voulut rebâtir l'église Notre-Dame. Les bases et la façade seraient de 1020. En 1037, RobertChampart, depuis, évêque de Londres, puis archevêque de Cantorbery, continua les travaux. Le choeur fut terminé en 1052. L'église fut achevée en1066 et consacrée
en 1067 par saint Maurille, archevêque de Rouen. C'est la seule date certaine que nous avions, concernant cettepériode.
Cette séance solennelle, à laquelle assistèrent Guillaume le Conquérant et toute sa cour, fut l'occasion de grandes largesses, faites à l'abbaye, aux écoles etau peuple.

Le XIIe siècle fut troublé par des guerres qui eurent lieu sous Robert Courte-Heusse, jusqu'à l'entrée de Geoffroy Plantagenet à Rouen, en 1144. A cettepériode correspond une grande indigence matérielle et morale pour l'abbaye.
L'ordre ne fut rétabli, avec la prospérité, que par Roger du Bec.

Le XIIe siècle se signala surtout par les oeuvres de l'abbé Alexandre, auteur de manuscrits et d'ouvrages précieux, aujourd'hui à la Bibliothèque de Rouen.En 1208, Robert Poulain, archevêque de Rouen, fit construire l'infirmerie et la chapelle. En 1251, eut lieu la dédicace d'un nouvel autel à l'égliseSaint-Pierre. En 1257, fut faite la dédicace de l'autel de 'infirmerie.

 

 En 1278, le maître-autel de la grande église fut remplacé. La dédicace en fut faite par Guy du Merle, évêque de Lisieux. En 1325, furent commencéspar l'abbé Mathieu Cornet, cinquantième abbé, les travaux du choeur gothique. L'an 1332 vit le début de la reconstruction de Saint-Pierre, dont unepartie fut désaffectée quelques années plus tard, par Guillaume VII dit le Jeune, cinquante septième abbé, pour être transformée en vestibule, avec unebliothèque au-dessus. 

C'est pour le monastère l'époque d'une grande prospérité ; celle-ci ne devait pas tarder à être troublée par l'occupation anglaise et par la guerre de Centans. Tout le diocèse de Rouen est mis à sac, l'abbaye est abandonnée jusqu'en 1421.

En 1409, l'abbé Simon du Bosc reçoit la mitre des mains du pape Alexandre V. En 1434, les paysans se révoltent et marchent contre l'abbaye ; lesmoines s'enfuient à Rouen, et restent dans une situation très précaire jusqu'au moment les armées de Charles VII s'emparent de cette ville.. Le roivint lui-même à Jumièges et s'y rencontra avec Agnès Sorel. Au milieu des luttes intestines, et des guerres civiles, l'infortuné souverain put filer àJumièges quelques belles journées d'oisiveté et d'amour. La dame de Beauté était aimée à la cour de France des plus magnifiques seigneurs. Le ducd'Orléans, Charles de Bourbon, l'illustre et beau Dunois, le brave Potron de Xaintrailles, la trouvaient de bon conseil, de noble caractère, pleine de respect pour la reine. L'inimitié du Dauphin lui valut une mort rapide, due sans doute au poison. A ses derniers moments, elle montra beaucoup dedévotion et de repentir. Son coeur et ses entrailles furent, selon sa volonté, déposés à Jumièges. Son corps fut porté à Loches et placé dans le choeur de la collégiale. On lui éleva dans les deux endroits un mausolée de même forme.

Le tombeau édifié à Jumièges, dit M. Deshayes, dans son Histoire de Jumièges, était placé dans la grande église au milieu de la chapelle de la Vierge. Ilétait de marbre noir et élevé d'environ trois pieds au-dessus du pavé. Jadis, il était surmonté d'une statue de marbre blanc qui représentait Agnès àgenoux, tenant entre ses mains un coeur, qu'elle offrait à la Vierge pour la supplier de la réconcilier avec Dieu. Deux petits anges tenaient un carreau surlequel elle reposait sa tête ; deux agneaux étaient couchés à ses pieds. Autour du cénotaphe, on lisait en lettres d'or :

« Cy gist damoiselle Agnès de Sorel, en son vivant dame de Beauté, Rocherie, etc., piteuse envers toutes gens, et qui largement donnait son bien auxéglises et aux pauvres, laquelle trépassa le 9e jour de Février 1449. Priez Dieu pour le repos de l'âme d'elle. Amen. »


La statue fut détruite par les Calvinistes au XVIe siècle. Le monument lui même fut saccagé dès le début de la  Révolution. Les débris en furent dispersés,et le marbre qui le recouvrait fit partie pendant bien des années du balcon d'une maison, sise rue Saint-Maur, à Rouen. Il a été rendu à sa premièredestination en 1838 et est aujourd'hui au musée lapidaire.

Le tombeau des Enervés ne fut pas plus respecté. 


En 1472, Louis et Jacques d'Amboise, soixante-deuxième et soixante-troisième abbés, commendataires, laissèrent le désordre pénétrer dans l'abbaye.

Au xvie siècle, en 1515, la réforme de Chezal Benoît est introduite dans le monastère, non sans de grandes résistances, par Philippe de Luxembourg,soixante-cinquième abbé. Il fait construire un vaste dortoir au midi de Saint-Pierre.
En 1530, il est remplacé par l'abbé François de Fontenay. Celui-ci fait construire un cloître, dont il ne reste rien, et donne à l'abbaye quatorze calices devermeil. Il fait faire des réparations à l'église Notre-Dame, aux tours et aux voûtes du choeur.

En 1532, l'abbé Gabriel Le Veneur décharge la tour d'une haute et lourde flèche, en plomb, haute de soixante-six mètres, qui menaçait de s'effondrer.

En 1562, l'abbaye est pillée par les Protestants de Caudebec.

Au XVIIe siècle, l'histoire est mal connue faute de documents. C'est à cette époque que furent reconstruits les murs de clôture, et les caves. En 1648, lelogis abbatial, abandonné depuis plus de cinquante ans, est démoli, ainsi que la chapelle Sainte-Madeleine. En 1671, est achevé le manoir abbatial actuel,habité par Mme Lepel-Cointet. En 1663, une nouvelle bibliothèque est construite, au sud du porche de l'église Notre-Dame.

En 1666, une grosse cloche nommmée Marie est placée dans le clocher. Elle fut transportée en 1809 à l'église Saint-Ouen de Rouen. De 1688 à 1692,des réparations sont effectuées à la nef de Notre-Dame. On fait de fausses voûtes.

  En 1701, Jacques Bayeux, architecte rouennais, édifie un grand dortoir de quarante-neuf cellules. En 1789, il ne reste plus à Jumièges que seize religieux qui prêtent serment à la Constitution civile du clergé. Le 29 novembre 1790, le maire adresse une demande au directoire de Caudebec, pour que l'abbayesoit conservée. Par arrêté de celui-ci, en septembre 1791, Notre-Dame de Jumièges est proposée comme église paroissiale au curé de Jumièges. Celui-cila refuse. Les curés des paroisses voisines sont alors invités à venir prendre dans l'abbaye ce qui peut leur convenir.

L'église servit une dernière fois au culte en février 1793, pour le départ des volontaires.

Le 13 août 1793, le logis abbatial fut acheté par Michel Ebran et l'année suivante, quatre bâtiments de l'abbaye et la grande porte furent mis en ventepour être démolis.

En 1796, le logis abbatial fut acquis par Pierre Lecuyer, receveur des domaines nationaux ; on lui donna tout le reste par-dessus le marché pour le prixde quarante-mille six-cents livres.

En 1797, un banquier de Paris, nommé Capron, racheta la terre et la morcela. En 1802, les deux églises et le bâtiment monastique sont acquis parLefort, marchand de bois à Canteleu, pour en tirer profit. Il fait sauter le choeur, une partie de la tour lanterne s'écroule, les matériaux sont pillés ouvendus, et pendant plus de vingt ans, servent de carrière pour toutes les constructions du pays.

En 1824, M. Caumont hérite de l'abbaye : il arrête la destruction, et fait désormais son possible pour sauver ce qui reste des ruines.


En 1854. M. Eric Lepel-Cointet se rend acquéreur de Jumièges, et y fait d'importants travaux de consolidation. C'est ainsi que furent découverts dans lemur ouest du cellier, un curieux type de fenêtres trilobées du XIIee siècle, d'un exemple unique en Normandie et, dans l'église Saint-Pierre, deux travéesdu Xe siècle, qui sont la fraction la plus ancienne des ruines.

Au printemps de 1908, les voûtes des tribunes du premier et du second étage ont été reconstruites avec les anciens matériaux.

Avant sa dévastation, l'abbaye se composait d'un mur d'enceinte qui avait un développement immense, et auquel s'adossaient des bâtiments de service de tous genres. L'intérieur ressemblait à une petite ville ; l'entrée principale donnait accès dans une cour se présentait, à droite, un grand bâtimentnommé le vieux Charles VII, parce que le roi y logea. C'était qu'on recevait les visiteurs. D'un côté se trouvait l'infirmerie, de l'autre la bibliothèque ; àl'extrême-gauche, le portail et les deux tours majestueuses de l'église, placée sous l'invocation de Notre-Dame. Derrière ces bâtiments venaient deuxcours et un cloître. Le long des cours régnaient les dortoirs et les réfectoires, puis un jardin et une autre église plus petite, nommée Saint-Pierre. Endehors de la grande enceinte, au nord-est, se trouvait la maison abbatiale qui avait son jardin et son entrée à part.
Au sud s'étendait un vaste enclos.

Si, après ce coup d'oeil d'ensemble, pour lequel j'ai puisé des renseignements dans le Monasticon Gallicanum, nous voulons arriver à l'étude archéologique du monument, nous examinerons successivement l'église Notre-Dame, puis l'église Saint-Pierre ; nous donnerons un coup d'oeil sur le passage de Charles VII, la salle capitulaire, le cloître, la porte d'entrée, et enfin le reste des bâtiments monastiques.

Dans l'église Notre-Dame, on peut distinguer deux périodes de construction bien distinctes, les parties datant de l'époque romane et les parties de stylegothique.


A la première appartiennent une petite partie du transept et du choeur, la nef et les collatéraux, les tours et le porche.

A la seconde, la majeure partie du choeur et les murs antérieurs des collatéraux.

Nous avons la largeur exacte du transept par l'écartement des deux piles de croisée nord-ouest et sud-est, portant encore un des quatre grands arcs deplein cintre sur lesquels s'élevait la tour lanterne. Ce transept était surmonté d'une tribune qui en occupait entièrement les bras. C'est un plan fort rareen Normandie. Il avait sans doute pour but d'accroître le nombre de places réservées aux religieux, et de laisser la nef disponible pour les fidèles.Notre-Dame, en effet, a servi longtemps d'église paroissiale. Extérieurement, le transept était très simple. Celui du nord est presque entièrement détruit.On voit qu'au deuxième étage, il existait une galerie de circulation, comme à Saint-Etienne et à la Trinité de Caen, et à l'ancienne abbaye de Bernay. Sur la croisée, s'élevait une magnifique tour, dont le pan ouest seul a subsisté. Elle avait deux étages, éclairés de huit et douze fenêtres. La flèche romane,tout en pierre, était excessivement lourde et menaçait de s'effondrer : aussi fut-elle descendue en 1557, et la tour resta sans flèche jusqu'à la Révolution.

Du choeur gothique, il ne subsiste que deux chapelles rayonnantes du XIVe siècle. Tous les vestiges du choeur roman ont disparu. Le plan en a étéretrouvé en 1905 par M. Martin du Gard ; il comprenait une abside circulaire précédée d'un choeur à deux travées, avec collatéraux correspondants, etdeux absidioles sur les faces est du transept. La nef et les collatéraux sont la partie la moins ruinée.
Le collatéral nord possède encore ses voûtes et les principaux éléments de sa tribune. Le collatéral sud est presque entièrement détruit. On y remarquehuit travées dont les piles alternent avec les colonnes isolées ; ce qui a donné lieu à des hypothèses diverses sur lesquelles nous ne nous appesantironspas. A chaque double travée correspondaient deux travées collatérales. Le mur latéral du bas-côté sud a disparu : celui du nord reste seul ; le bas estroman, le haut du XIVe siècle.


En ce qui concerne les tours, le texte de Guillaume de Jumièges prétend qu'elles ont été sauvées en 945 du pillage de Raoul Tourte, par le clerc Clémentqui les racheta. Il ne pouvait s'agir que de celles de Saint-Pierre. L'oeuvre basse qui subsiste est du début du XIe siècle ; le reste a disparu.
Les tours actuelles de Notre-Dame sont postérieures. Les tours des monastères répondaient à un triple but ; elles étaient à la fois des clochers, des toursde défense, et un signe extérieur de l'importance de l'abbaye. Celles de Jumièges mesuraient quarante-six mètres de hauteur. Elles
étaient composées de quatre étages d'assises irrégulières ; les deux premiers, carrés, les deux du haut, octogonaux, mais de hauteurs différentes. Ellesfurent, en effet, construites au cours de six ou sept campagnes successives. Le premier étage construit fut le premier étage de la tour nord (1014-1028) ;le dernier fut le quatrième étage de la même tour de 1020 à 1080.

Les flèches tombèrent de 1830 à 1856. Il y avait neuf cloches. La plus grosse est maintenant à Saint-Ouen de Rouen.


Le porche est situé entre les deux tours, et comprend un rez-de-chaussée avec deux étages superposés. Un arc de plein-cintre légèrement surbaissé portépar deux doubles colonnes faisait partie de la façade primitive. On peut distinguer, dans ce porche, quatre états différents :

   1er état, en 1052, à la mort de Robert Champart, le choeur existait, la nef était inachevée. Il existait un porche primitif.

2e état, 1067 : la nef vient s'appuyer contre le porche et les tours ; mais la tribune du porche est plus basse que les tribunes collatérales, ce quinécessite la création d'un escalier et amène la suppression des baies géminées, qui sont remplacées par deux nouvelles baies hautes.

    
3e état : la façade est remaniée, vers la fin du XIIe siècle ; le mur est avancé de 2 m. 80, tandis que le pignon reste à l'ancien alignement. On yperce trois arcades, au deuxième étage, et trois fenêtres au premier étage.
 

Enfin le 4e état, très postérieur, de 1690 ou 1700, amène dans le porche la disposition actuelle.

Les parties de l'époque gothique se trouvent dans le choeur : il n'en reste que deux chapelles en mauvais état ; mais en 1325, quand fut commencé lechoeur gothique, qui fut achevé vers le milieu du XIVe siècle, le choeur roman existait encore. D'abord, on procéda à des remaniements
du transept nord, de la chapelle de la Vierge, puis on travailla au transept sud, et on procéda enfin à l'adjonction d'un déambulatoire et de chapellesrayonnantes. Celles de Saint-Jean et de Saint-Michel subsistent seules. La chapelle absidiale, datant de 1350, était dédiée à saint Denis ; elle a étédétruite, et seuls les dessins d'Hyacinthe Langlois peuvent nous en donner un aperçu.

Les derniers remaniements importants datent du XIVVe siècle. En 1688, la nef fut recouverte de nouveau en charpente et disparut sous un plafondsimulant une voûte.
La haute colonne fut piochée et remplacée par une colonne flanquée de deux minces colonnettes. De deux en deux, on encastra des chapiteaux,formant console, dans la muraille,
pour voûter la nef ; ces chapiteaux existaient encore en 1821.

En 1704, « la charpente était éloignée de plus de deux pieds de la tour du choeur et penchée du côté du portail », le pignon de façade dût donc êtrerefait, c'est celui qui existe aujourd'hui.

Sur l'église Saint-Pierre, nous avons fort peu de documents, les fouilles n'ayant fourni aucun renseignement. Elle est au nord-est de Notre-Dame et on yaccède par une galerie qui existe encore. On peut voir que les murs de la nef portaient deux travées romanes et trois travées gothiques. Le triforium estcomposé d'un arc de plein cintre divisé en deux parties. Le reste de l'église était gothique.

En 1828, le choeur s'écroula. Tout l'ensemble a été dégagé par M. Lepel-Cointel de 1855 à 1860.

Vers 1330, la partie la plus ancienne fut partiellement désaffectée et convertie en vestibule ; au-dessus fut édifiée une bibliothèque. Elle resta dans cetétat jusqu'à la fin du XVIIIIe siècle ; le tombeau des Enervés était placé dans le choeur.

Le passage dit de Charles VII faisait communiquer le transept de l'église Notre-Dame, avec la première travée du bas-côté nord de Saint-Pierre qui fut àpartir de 1330, la seule entrée de Saint-Pierre. La tradition attribue à une donation de Charles VII la construction de ce passage,
vers 1450. C'est un couloir peu élevé, voûté d'ogive et composé de deux travées ectangulaires.

La salle capitulaire est située entre Notre-Dame et Saint-Pierre. Elle présente deux constructions distinctes : l'hémicycle et la salle capitulaireproprement dite. L'hémicycle
est voûté en cul-de-four, il date peut-être du début du XIIe siècle. La salle capitulaire est un carré de dix mètres voûté d'ogives ; au-dessus de cette salle,au XIVe siècle, on avait construit un étage.

Le cloître occupait un emplacement de trente mètres sur quarante-cinq. La galerie nord était adossée au collatéral sud de Notre-Dame, la galerie ouestau cellier, la galerie sud au dortoir, la galerie est au vestibule.

On connaît l'existence de quatre cloîtres successifs, dont il ne reste rien. Le premier, de la fondation au VIIIe ou IXe siècle, le second, de la restaurationde Guillaume Longue-Epée au Xe siècle, le troisième contemporain des remaniements de Saint-Pierre au XIVe siècle. Le dernier fut contruit en 1530sous la direction de l'abbé François de Fontenay ; sa disparition est restée mystérieuse ; on prétend qu'il aurait été acheté, au début du XIXe siècle, par un
Anglais, à M. Lefort et emporté en Angleterre.

Toutes les recherches pour le retrouver sont demeurées sans résultat. Il ne nous en reste qu'une perspective dans le Monasticon, des dessins de Fragonarddans l'ouvrage de Nodier et Taylor, et des croquis de Hyacinthe Langlois à la bibliothèque de Rouen.

La porte d'entrée existe encore ; elle a été défigurée en 1860 par l'adjonction d'un bâtiment de service.

Nous n'entrerons pas dans le détail de la description des bâtiments monastiques et des autres constructions ; sous une partie des plus anciens bâtiments,des souterrains subsistent.

Nous nous dirigeons vers le logis abbatial, qui n'est pas celui du début du monastère. Celui-ci se trouvait à l'extrémité du dortoir construit en 1516. Acôté s'élevait une chapelle dédiée à sainte Madeleine. Elle fut détruite en 1668.
Le manoir actuel a été construit de 1668 à 1671. Il comporte deux belles façades, des terrasses, un perron, et des jardins à la française. C'est la résidence de Mme Lepel-Cointet, veuve de l'ancien agent de change, propriétaire de Jumièges.

Sur le devant de l'église, à quelques trente mètres, l'ancien puits du monastère donne encore de l'eau. Enfin, dans une partie des communs aménagéespécialement, le musée constitué par M. Lepel-Cointet. Il renferme le tombeau des Enervés, le tombeau d'Agnès Sorel et une foule de vestiges ou dedébris provenant des ruines, des meubles, des armures, des tableaux, des étoffes, des épis du Pré d'Auge, des tapisseries des Gobelins, etc.

M. le Président remercie M. Michon de sa très intéressante communication, si précise et si documentée.

Les autos pendant ce temps ont fait demi-tour, sur la petite place de Jumièges. Nous franchissons l'élégante grille du parc de Mme Lepel-Cointet et nousremontons en voiture pour gagner Saint-Wandrille que nous allons encore visiter avant d'aller déjeuner à Caudebec.





SOURCES

Bulletin de la Société historique et archéologique de l'Orne.