Déserté depuis de lustres, il ressemblait au château du Capitaine Fracasse. En 1902, le château du Bellay fut livré aux démolisseurs. Son histoire...

Par l'abbé du Faye, curé d'Hénouville




Sur la lisière de la forêt de Roumare, autrefois célèbre par les chasses qu'y faisaient les ducs de Normandie, à quelques pas de cette chaîne de coteaux qui forment les hauteurs d'Hénouville, et d'où la vue, dominant la Seine, embrasse un magnifique panorama chanté par le grand Corneille (1), s'élève le château du Bellay, dont la construction remonte au règne de Louis XIII. De l'avis des hommes compétents, c'est un intéressant spécimen de cette époque.

(1) Corneille a chanté le presbytère d'Hénouville et la charmante hospitalité qu'il y recevait de l'abbé Legendre, le savant curé de ce village. La pastorale de notre grand tragique forme une plaquette devenue fort rare. Elle est intitulée: Le presbytère d'Hénouville à Tyrcis et a été imprimée à Rouen, chez Jean Le Boullenger, en 1642. La bibliothèque publique de Rouen possède cette curieuse pièce de vers, de douze pages in-4°, et qui est devenue à peu près introuvable. L'extrême rareté de cette pièce aura sans doute déterminé quelque amateur à la réimprimer, car on nous signale une toute récente édition qui aurait eu lieu à Paris, chez Hachette, en 1864. — Nous croyons que le vieux presbytère d'Hénouville, qui abrita le grand Corneille et l'excellent abbé Legendre, existe encore. En 1857, nous avons lu, sur une pierre de sa grande porte, le chiffre de 1632.

Inhabitée depuis nombre d'années, livrée au plus complet abandon, cette charmante demeure d'un grand seigneur du XVIIe siècle, est un exemple de ces étranges vicissitudes de fortune auxquelles semblent fatalement voués les édifices comme les hommes ; car de ces vastes salles, de ces brillants appartements qu'animaient autrefois de nobles hôtes, le fermier a fait autant de greniers pour serrer ses grains, sonfourrage, voire même ses instruments aratoires.

Toutefois, malgré les outrages qu'il a subits et dont les résultats ont été plus rapidement désastreux par le fait des hommes que par l'action du temps, le Bellay, avec son toit élevé, ses épis historiés, ses cheminées à frontons circulaires, ses mansardes surmontées de pots à fleurs, sa façade de brique rouge alternée de panneaux de pierre, le Bellay, disons-nous, a conservé un aspect imposant. Aussi était-il un but de promenade pour les excursionnistes amis des arts. Plus d'un artiste en possède un croquis dans son album ; plus d'un  photographe est venu là dresser son objectif.



Deux choses attiraient encore l'attention dans l'intérieur : une cheminée d'un cachet tout particulier et un carrelage à petits pavés émaillés.

Ceux-là donc qui ont souci de nos gloires locales et qui ont à coeur la conservation de ces types du passé, apprendront avec peine l'arrêt de destruction qui vient d'être prononcé contre le Bellay.

Avant que le marteau démolisseur n'ait accompli son oeuvre, hâtons-nous de convier ceux qui ne connaissaient pas le château du Bellay à venir le visiter. Nous croyons aussi le moment opportun pour faire connaître le nom des divers propriétaires qui l'ont occupé.

Disons d'abord que ce fut vers 1630 qu'il fut construit par Jean du Resnel, conseiller du roi et contrôleur du ses finance en la généralité de Rouen. Il passa ensuite entre les mains de Nicolas du Resnel, conseiller aux requêtes, en 1696 et du président de Fumechon, en 1726.

En 1737, il devint la propriété de Jacques-Henry Du Tôt, seigneur-marquis de Varneville, Saint-Ouen-du-Breuil, Bertrimont, Beautot, Vassonville, Neuville, Brametot, Autigny, Vénestanville, le Plessis, comme ayant épousé noble dame Louise de Formont, veuve de M. le président de Fumechon, laquelle jouit à titre de douaire de la seigneurie du Bellay.

En 1741, ce joli castel fut possédé et habité par Jean-François du Resnel, abbé de Sept-Fontaines, membre de l'Académie française et de celle des Inscriptions et Belles-Lettres, connu dans le monde littéraire par une traduction des Essais sur la critique et sur l'Homme, de Pope.

L'abbé du Resnel était aussi un prédicateur distingué. On cite, parmi ses discours, un panégyrique de saint Louis. Né à Rouen en 1692, le célèbre abbé mourut à Paris en 1761.

N.D.L.R. Certains avancent que l'abbé n'aurait pas été propriétaire du château mais simplement de terres dont il avait hérité dans le village.

Toutefois, il faut qu'il ait aliéné le Bellay avant sa mort, car nous trouvons comme propriétaire de ce château en 1750, Jean-Hyacinthe-Alexandre Vaultier, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, seigneur de la Granderie, seigneur et patron d'Imbleville, de Bolmare et des Perrois. Enfin, en 1790, le propriétaire est M. Vaultier de la Granderie, chevalier, seigneur de l'Ouraille, président au Parlement, ancien officier au régiment Dauphin-infanterie.

Nous nous arrêtons à cette date, et nous ajoutons que la chapelle de Saint-Jean, dont fait mention Toussaint Duplessis à l'article Hénouville  était celle du château du Bellay. Elle était en titre en 1647. Elle fut visitée, en 1717, par Mgr d'Aubigné, et nous avons retrouvé, aux archives départementales, le procès-verbal d'inspection dans le Registre de ses visites.

En terminant, témoignons tous nos regrets de voir disparaître cette noble demeure, qu'il eût été si facile de conserver et de restaurer.

Comme symptôme précurseur de sa destruction prochaine, le Bellay vient de voir tomber, sous la hache les magnifiques tilleuls deux fois séculaires qui l'entouraient et qui lui faisaient une si splendide parure. Bientôt il sera dit de lui ce que l'on dit aujourd'hui de son contemporain, le château de la Mailleraye : C'était là qu'il n'est plus. 

La façade latérale

Oui, sur ce sol livré désormais à la charrue, la tradition dira que là vécut tout un passé ; que là se rattachaient ces souvenirs qui forment l'histoire d'un village ; que là s'agitèrent ces existences dont les noms ont jeté quelque éclat dans l'administration, l'armée, la magistrature, le clergé, les lettres; que là se dressait le château jadis l'honneur, la gloire, la Providence du pays. Plus rien bientôt! pas même une pierre peut-être pour rappeler à la génération future le souvenir du Bellay !

L'abbé FAYE.
curé d'Hénouville.

Revue de Normandie, 1867

ANNEXE




Circulaire relative au château du Bellay. — M. le Président donne enfin lecture d'un avis obligeant envoyé par M. Pigache, entrepreneur à Saint-Pierre-de-Varengeville, au sujet de la démolition imminente de cette imposante construction. La mesure étant un procédé à encourager, M. Le Verdier est d'avis d'insérer cette lettre au procès-verbal. La voici :
« Ayant acheté, à démolir, le château du Bellay construit à Hénouville vers 1630, j'ai l'honneur de vous informer que, croyant être agréable aux architectes et aux artistes, je me propose d'échafauder la façade principale de ce château pour permettre les relevés graphiques et photographiques des sculptures, moulures et profils des lucarnes, croisées, portes et cheminées.
A l'intérieur, il existe encore des portes, lambris et balustres d'escalier.
Ces relevés pourront être faits du 25 décembre au 5 janvier 1902. »


Société des Antiquaires de Normandie

Qui possède d'autres représentations du Bellay, d'autres anecdotes ?...




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