En 1937, il était un cabaret, à Saint-Martin-de-Boscherville, où une tenue correcte n'était pas exigée. Du moins sur scène. Après des soirées peu habillées, tous les artistes finirent au trou.

A l'audience du 23 mars 1937, présidée par M. Bosquet, on parla beaucoup de Saint-Martin-de-Boscherville au tribunal correctionnel de Rouen. Non point de son abbaye et de sa remarquable salle capitulaire qui méritaient pourtant bien des éloges. Mais de ce café où se déroulaient de chaudes soirées. Si chaudes qu'il fallut prononcer le huis-clos sur une partie des débats, le temps de faire apparaître la vérité toute nue.

On jugeait ce jour-là trois affaires pour le prix d'une. Car elles se déroulèrent dans le même périmètre. Les deux premières portaient sur des vols, la troisième était celle dite des "Nudistes de Boscherville", un intitulé qui excita la plume du chroniqueur judiciaire du Journal de Rouen. Cet attentat à la pudeur allécha jusqu'à la rédaction de Détective, le grand hebdomadaire fait-diversier lancé depuis peu par Gallimard et dirigé par les très sérieux frères Kessel.

Premier procès : la débitante du café en question s'avance à la barre. Elle est entendue au sujet de la disparition de vêtements ayant appartenu à ses serveuses. Brillamment assistée de Maître Le Crosnier, la prévenue est lavée de tout soupçon. Mais sa joie sera éphémère...
Dans le second procès, c'est l'ancien garde-champêtre de Saint-Martin qui joue les plaignants. En se portant partie civile, il accuse Mado, une demoiselle de la maison, de lui avoir fait les poches pour s'emparer des 1.200 F que contenait son portefeuille. Maître Charlier, avoué, dépeint avec réalisme le désarroi du retraité ainsi dépouillé de sa pension : la tenancière écope cette fois de six mois de prison et 100 F d'amende pour complicité. Quant à Mado, la principale accusée, elle prend trois mois et 25 F. Un troisième larron, Albin, est puni d'un assortiment de ces deux peines : six mois d'emprisonnement, 25 F d'amende.

De l'art ou du cochon ?


Restait la dernière affaire, la plus croustillante : les "Nudistes de Boscherville". Que s'est-il passé ? Le huis-clos jette un voile pudique sur les détails. Mais on les devine dans le compte-rendu des journalistes. Manifestement, c'était toute l'année l'été de la Saint-Martin, à Boscherville. Dans des tenues plus que légères, Mado et ses consœurs échevelées, Nénette et Lulu, se livraient dans une arrière-salle de l'établissement à des chorégraphies dont le caractère artistique laissera de marbre la magistrature. Ces trois charmantes personnes étaient spécialisées, nous dit-on, dans "la danse de l'ours". Enigmatique. Elles étaient en tout cas rejointes sur scène par trois plantigrades, le mari de la limonadière, le sieur Albin déjà cité et le garde-champêtre honoraire dans un rôle ne nécessitant pas l'apprentissage de longues répliques mais de simples aptitudes physiques. La veste du fonctionnaire municipal étant restée sur le dossier d'une chaise pour les besoins de la mise-en-scène, c'est à cette occasion qu'elle fut délestée du portefeuille qu'elle contenait. Du coup, notre policier rural était à la fois victime et coupable, plaignant et prévenu, spectateur et acteur...

Quand le huis-clos fut enfin levé pour laisser place à une audience publique, la chambre de justice se remplit de nouveau et, le silence revenu, les condamnations tombèrent. Pas de jaloux, défendu par Me Thomas, le chef d'établissement partagea avec son épouse exactement la même peine : six mois d'embastillement et 100 F d'amende. Albin en fut quitte pour deux mois et 50 F, Nénette et Lulu quatre mois et 25 F, Mado deux mois et 25 F. Puis la confusion des peines fut prononcée pour les artistes gratifiés déjà d'une première condamnation. Restait l'ancien garde-champêtre défendu par Me Meyer. C'est lui qui s'en tira le mieux : deux mois avec sursis.

Tout ce monde se retira avec des mines contrites que seule put cacher Lulu, venue au tribunal le visage dissimulé par une voilette. Allez savoir pourquoi. A Boscherville, tout accessoire lui semblait superflu pour masquer des parties bien plus intimes de son anatomie.


Sources

Journal de Rouen, 24 mars 1937, p. 4.
Détective, 22 avril 1937.