Histoire monumentale de
Caudebec-en-Caux
Abbé Adalbert
Maurice, curé de Fresquiennes.
Manuscrit non publié, rédigé vers
1940, après de nombreuses recherches effectuées
dans les années 1930 dans les archives de la commune de
Caudebec, détruites en juin 1940.
Archives départementales de la Seine-Maritime, cote 1F29.
Transcription établie par
Frédéric Marchais, avril 2024.
La
Levrière (rue
de la Vicomté).
La Levrière, quelquefois la Levrette,
est un logis qui remonte au XIVe siècle et qui servit
primitivement d’hôtellerie. Elle ne
reçut point que des clients. Un jour, soit au
siège des Anglais (anciennes archives de la famille Rondel)
soit plutôt à celui du duc de Parme, elle essuya
une rafale d’obus ! On peut encore en voir la preuve puisque
l’un des projectiles qui ébranlèrent sa
façade et y resta longtemps coincé, a
été conservé au musée de la
ville (Georges Rondel, Guide
de Caudebec et ses environs p. 74).
La Levrière a affronté le temps comme elle avait
su tenir bon sous les bombardements. Aussi devons-nous
féliciter ses propriétaires actuels pour la
restauration de bon goût qu’ils ont entreprise ces
années-ci.
Caudebec-en-Caux, rue de la Vicomté, état avant
1940. Façade de la Levrière. La plaque en laque
émaillée blanche indiquait
l’emplacement des boulets dont l’abbé
Maurice fait mention.
C’est
par la faisance (sic) d’une rente de 13 sols et
d’un chapon dus à l’abbaye de
Saint-Wandrille que nous connaissons l’ancienneté
de la Levrière car elle était payée
par ses propriétaires. En 1430, Vincent Lamangnan vendait
à Hebert Morel cette rente affectée sur « un manoir assis en
ladite ville de Caudebec ou pend l’enseigne de la
Levrière, jointe d’un costé aux murs et
fossés de la dite ville joignant la porte de Rouen
». Le 2 décembre 1431 Hebert Morel
par acquisition sur René Bénard, qui avait
épousé une des petites filles de Thomas Dedun,
devenait l’unique propriétaire. En 1437,
c’était Robert Berengier qui faisait la rente, la
rétrocédant à Jehan Houel. Le 13
février 1441, nouvelle rétrocession au profit de
Geoffroy Falaise curé de Saint-Martine-de-Petitville qui
dès le lendemain s’en dessaisissait en faveur de
messire Regnaut le Jeune, curé de Caudebec. Ce dernier, en
1442, la revendait à Guillaume Berangier, curé
des chapelles. En 1542, la Levrière appartenait aux
héritiers de Gilles Dedun et ces héritiers,
prouvent les comptes des trésoriers, étaient
Claude et Pierre Dedun. En 1573, il appartenait à Jehan
Dedun. A la date du 7 mai 1590 il consistait en un ténement « de certaines maisons
et fonds de terre estant en plusieurs corps de logis proche la porte de
Rouen, où pend pour enseigne la Levrière,
à présent bornée d’un
costé et d’un bout les murailles de la ville,
l’autre costé la rue et le pavement du roy
».
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Cadastre
de Caudebec-en-Caux 1808. Archives dépt_PC_3P4_4_7
Localisation de la Levrière.
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L’hôtellerie qui appartenait alors à
Marion Gohon, veuve de Claude Dedun bourgeois de Caudebec, tutrice des
enfants de Jehan Dedun son fils devait 40 sols de rente à
l’église. Le 23 octobre 1599 nous voyons « Dedun fils et
héritier de Jehan Dedun en son vivant bourgeois et
hostellier de la maison de la Levrette » concéder
quelques droits à son voisin Martin de Pymont, ecuyer
conseiller au présidial. En 1631, il semble bien que le
logis avait cessé de servir d’auberge car le 7 mai
de cette année-là Thomas Dedun, fils et
héritier de Jean Dedun, fils de Claude se
déclarait propriétaire de la même
maison «
où pendait anciennement pour enseigne la
Levrière ».
Il y eut un partage en 1633. Les héritiers Dedun vendaient
le 1er mai 1637, par devant les notaires de Caudebec la
moitié du ténement à Gervais Dedun
(Not. Caud. Reg.17 Fol. 56). Beuriot, avocat, occupait cette partie. Le
17 juin 1647 par devant Manchon et Colas notaires au Châtelet de Paris,
Louis Paulmier, bourgeois de Paris, rue des Blancs-Manteaux, vendait
à Michelle Rufignat, veuve de Jean Roussel, marchand
orfèvre, la moitié de la maison de la
Levrière attenant à l’est à
la porte et muraille de la ville. Le 9 octobre 1670 la veuve de Jean
Roussel par contrat passé encore au Châtelet revendait la
même portion à Jean Lamperière,
chapelier, qui avait épousé Jeanne Roger. Leurs
fils, Louis Lamperière revendait le 26 févier
1691 (idem reg.86). Il s’agissait « d’un
corps de logis appliqué à une boutique sur le
devant, une petite estage derrière, deux chambres et grenier
dessus avec un autre petit corps de logis acosté des lieux
susdéclarés estant à main gauche du
costé du mur de cloture de cette ville en entrant dans la
cour de la grande maison nommée la Levrière qui
consiste en une chambre et un petit grenier ».
Suivent plusieurs autres portions «
ainsi que la porte charretière et allée », le tout vendu 1360 livres à Jean
Leblond cordonnier déjà en possession de la
grande maison de la Levrière par héritage de son
père, Gervais Lebond (il semble bien que la partie de la
Levrière qui devait 13 sols et un chapon de rente
à l’abbaye appartenait en 1697 à
René Besnard car c’st lui qui fut
obligé de la payer en 1742, Anne Doutreleau sa veuve. Rentes sur Caudebec, fonds de
l’abbaye de Saint-Wandrille, Archives
départementales).
Nous voyons le 25 aout 1738, Charlotte
Lethuillier, fille de défunt J-B Lethuillier et de
Françoise Boutin, cohéritière en la
succession de Louise Dedun, son aïeule maternelle, vendre ses
droits sur la Levrière à François
Paillas, tanneur à Caudebec. Par ailleurs, le 27
octobre 1747, Charles Ménicher, journalier à
Caudebec, fils de Jacques et de Catherine Lefebvre, vendait
à Jacques Fontaine, menuisier, une portion du
tènement primitif, à savoir une petite place
contenant 20 pieds sur 18 avec un cellier. Le même
Ménicher, alors compagnon cordonnier, vendait le 11 mai
1756, par devant Ebran, à Georges Rondel, marchand
vinaigrier à Caudebec, «
une boutique donnant sur la rue de la Cohue, cuisine
derrière, deux chambres à feu, étant
l’une sur l’autre, occupée par le
vendeur et Guyard, de plus une petite place vide de 5 pieds sur 12
joignant la dite cuisine à prendre depuis la maison dudit
acquéreur jusqu’au sieur Paillas étant
sous la galerie de communication qui va de la grande montée
du corps de logis nommé La Levrière ».
Il
s’agit de la portion sud. De leur côté,
les Leblond vendaient aussi leurs parts. Le 2 mars 1754 Jacques et Jean
Leblond, frères, fils et héritiers de Jean
Leblond, maitres cordonniers à Caudebec, vendaient par
devant Ebran, notaire, à Nicolas Duval, boucher à
Cliponville, un cabinet situé dans la cour de la
Levrière et le 21 mai 1756, au sieur Rondel une petite place
vide. Le 3 mai 1757, moyennant 5 sols de rente, ils vendaient
à Jacques Fontaine menuisier, déjà
mentionné,
« deux petits corps de logis attenant l’un
à l’autre avec un jardin à la place
duquel était anciennement édifiée une
maison, le tout situé dans l’enclos de la cour du
corps de logis vulgairement nommé la Levrière
à prendre du côté gauche en entrant
dans la cour et aller jusqu’au mur de la ville qui est le
long du quay vis-à-vis de l’endroit où
sont construites les latrines communes de la ville par-dessus le quay
».
Caudebec-en-Caux,
rue de la Vicomté, état avant 1940. Porte
intérieure de la Levrière, voir description infra
par l’abbé Maurice.
Ce corps de logis était alors
occupé par Rondel, Crevel, Piednoël, la veuve
Simon, et la veuve Clément. à Georges Rondel comme le prouve
un état des découvertes des mouvances du roy,
vicomté de Caudebec (Archives de la Seine Maritime C 2918). Le 5 septembre 1781 par devant Busquet notaire, Maire-Madeleine
… (partie illisible).
Il est précisé que celle-ci avait son
entrée à côté de la grande
porte de Rouen et qu’elle consistait en une vieille porte
attachée au mur de la ville. Finalement par contrats
d’achat successifs passés les 18 novembre 1781, 18
avril 1785, et 18 avril 1805 Delanos parait avoir réuni dans
ses mains toute la portion sud de la Levrière. Delanos
revendit le tout à Jacques Quertier, taillandier
à Caudebec, par contrats successifs les 13 août 1807, 16
octobre 1808 et 13 janvier 1811 et par devant Pecuchet le 23
décembre 1811. Questier se rendit le 31 mai 1828
acquéreur de la portion du mur de la ville qui bornait au
sud la Lerière. Il avait tout intérêt
à faire l’entrée de sa maison sur le
quai car il était conducteur des Ponts et
Chaussées. Le 12 juin 1839 par devant Daverton notaire, il
vendit son ténement de la Levrière à
Isidore Rondel qui déjà, à
l’ouest occupait une partie du tènement primitif.
Ce Rondel s’était déjà rendu
acquéreur le 1er septembre 1805 par contrat passé
devant Jullien notaire, d’une partie des anciennes latrines
de la ville qui occupaient 5m20 de la façade. Saulnier
raconte dans son Essai sur Caudebec p. 115 que M. Rondel
négociant propriétaire de la Levrière,
se plaisait à montrer deux endroits où il avait
trouvé des boulets ceux-là même qui
furent déposés au musée de la ville.
Les boulets proviennent à coup sûr des
différents sièges que Caudebec subit pendant les
guerres de la Ligue en 1589 à 1592.
M. René Ouvray, gendre et héritier de M. Rondel
conserve plusieurs photographies de la Levrière.
C’était un logis en bois à deux
étages à encorbellements qui dans son ensemble
paraît appartenir au XVIe siècle. Au
rez-de-chaussée, il y avait trois portes dont une
à deux battants au centre. Le premier étage
était éclairé de quatre
fenêtres dont trois groupées, même
nombre de fenêtres au deuxième étage,
au grenier une haute lucarne. L’intérieur
richement décoré de pinacles gothiques, au centre
deux griffons soutiennent un écusson. Dans les panneaux du
dessus de la porte deux personnages habillés à la
grecque, à droite une femme, mains jointes, à
gauche un ange tenant une espèce de corne
d’abondance, au-dessus des têtes une sorte
d’auréole. Entre deux, un vase avec un lys ; il
semblerait qu’il s’agisse d’une
Annonciation. Le style est celui de la Renaissance. Dans une salle on
voit au plafond des poutres, le tout peint et
décoré de guirlandes, une cheminée
massive de forme carrée, ses décorations en
relief est ornée de peintures représentant des
branches portants plusieurs écussons.
La famille Rondel,
dernier propriétaire de la Levrière,
était originaire de Rouen. C’était une
famille de vinaigriers. Le 19 septembre 1735 Nicolas Georges Rondel,
demeurant paroisse Saint-André-hors-la-Porte-Cauchoise, était
reçu maitre. En 1750 c’était un autre
Georges Rondel, son fils. C’était chez sa veuve
qu’en 1777 se trouvait le coffre de la communauté
des vinaigriers de Caudebec.
N.B. : les photos illustrant cet article ont été
aimablement transmises par Alain Huon, président des
Cartophiles caudebecquais, ancien photographe. Elles lui avaient
été confiées par Sylvain Caron ancien
épicier à Caudebec qui possédait
d’autres documents sur les vinaigriers de la ville. Les
mêmes photos sont conservées dans les collections
des amis du Vieux Caudebec. Les photos dont l’abbé
Maurice fait mention sont certainement les mêmes et
proviennent donc de l’ancien fonds des archives de la famille
Rondel évacué à Paris après
le décès de Georges Rondel, ce qui a permis de
les sauver de l’incendie de 1940.
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