A la Révolution, le département de la Seine-Inférieure fut créé par la loi du 15 février 1790 et fut divisé en sept districts. Celui de Caubebec eut alors à livrer une rude bataille à Yvetot...


Ancienne   capitale  du   pays  de  Caux,  siège  d’un  bailliage,  d’une   élection,  d’une subdélégation  et  d’un  grenier  à  sel,  Caudebec  glorifiait  la  situation  heureuse  de  la  ville,  la salubrité  de  l’air  qu’on  y  respirait,  son  passé,  la  beauté  de  son  église ;  vantait  les  grandes routes  qui  la  traversaient,  le  voisinage  d’une  grande  rivière,  son  commerce ;  et,  par  dessus tout, faisait valoir la grande facilité pour elle d’exercer une surveillance active et constante sur la  forêt  de   Brotonne,   « bien   national  d’une   valeur   capitale   de  30 millions »  et  d’une contenance de plus de 14,000 arpents, qui servait à l’approvisionnement de Rouen.

L'ancien royaume d'Yvetot

S’il  ne  jouissait  pas  du  site  enchanteur  et  des  beautés  architecturales  de  Caudebec, Yvetot avait, par contre, un passé historique qui méritait bien quelque considération ; il avait, de plus, chose à ne pas négliger, l’appréciable avantage d’être le point central du district, où aboutissaient toutes les grandes routes, celles de Paris au Havre et à Caudebec notamment ; sa population était trois fois plus forte que celle de Caudebec ; c’était par Yvetot que se faisait le transport des grains du Havre à destination de Paris ; c’était d’Yvetot encore que partaient « la grande poste aux lettres » et la poste aux chevaux pour le Havre et « les côtes adjacentes», voire même pour Caudebec.

Des  deux  rivales,  Yvetot  fut  la  première  à  revendiquer  le  chef-lieu  du  district.  Une assemblée  générale,  composée  du  corps  municipal  et  électoral d’Yvetot et des députés des paroisses « formant le comité de subsistance et de sûreté de l’arrondissement », se réunit, le 7 décembre  1789,  en  l’hôtel  de  la  municipalité et décida que l’Assemblée nationale  serait sollicitée « de choisir Yvetot pour le chef-lieu d’un district » : il n’était personne d’ailleurs, connaissant la position de la ville, qui ne convînt «qu’il devait être plutôt à Yvetot... pour la plus  grande  commodité  de  tous  les habitants  du  district.»

Caudebec gagne


Cette  demande  ne  fut  point accueillie.  L’Assemblée  nationale,  en  effet,  ne  se  montra  pas  disposée  à  ressusciter,  même d’une façon fort anodine pour les libertés publiques, le légendaire royaume d’Yvetot; car, sur le rapport de Gossin et par suite de l’intervention de Thouret, elle attribua le district à Caudebec   dans   son   décret   du   3 février   1790   qui   portait   organisation   provisoire   du département de la Seine-Inférieure.
Dans  une  nouvelle  réunion  « de  la  municipalité  et  du  conseil  général »,  –  celle  du
7 juillet  1790,  –  le  procureur  de  la  commune,  Vieillot,  fit  observer  que  le  décret  précité stipulait,  entre  autres  choses,  « que  les  villes  de  Fécamp,  d’Eu  et  Aumale  présenteraient,  à l’assemblée   des   électeurs   du   département   leurs   réclamations,   et   que   les   électeurs proposeraient  à  l’Assemblée  nationale  les  changements  ou  modifications  qu’ils  jugeraient convenables » : de la réclamation d’Yvetot il n’était pas question. et il était visible que c’était « un oubli commis dans la rédaction du décret ». Aussi proposa-t-il de faire porter la demande d’Yvetot  à  l’assemblée  des  électeurs  du  département,  « aux  fins  de  lui  faire  accorder  par l’Assemblée  nationale  le  chef-lieu  du  district »,  et  de  le  faire  participer  au  bénéfice  de  « la répartition  des  établissements  qui  seront  déterminés  par  la  Constitution »,  dont, Caudebec voulait l’exclure « sous le prétexte qu’Yvetot n’est point ville ».

Yvetot insiste


Le Conseil général de la commune, que d’aussi bonnes raisons n’avaient pu convaincre, refusa de suivre son procureur ; car, à la pluralité des voix, il déclara « qu’il n’y avait lieu à délibérer ». Dans une lettre adressée le 17 juillet à l’Assemblée nationale et renvoyée le 28 à l’assemblée du département, Vieillot marqua tout son dépit de cette décision et dénonça, en termes énergiques qui témoignaient de sa part d’une fière indépendance, la conduite du corps municipal allant à rencontre des intérêts vitaux de la ville, et encore son refus, en violation de l’article 24 du décret du 10 décembre 1789 sur la constitution des municipalités, d’accueillir une  requête,  qui  lui  fut  présentée  le  13 juillet,  signée  de  plus  de  150 citoyens  actifs  et demandant  que  la  commune  soit  convoquée  en  assemblée  générale pour  délibérer  sur  la proposition que lui, procureur, avait faite à la séance du 7 juillet.
Le dernier mot n’était pas dit encore sur cette question. Yvetot ne pouvait pardonner à Caudebec la préférence  que lui avait accordée l’Assemblée nationale.  Il en résulta entre les
deux  villes  d’assez  vifs  ressentiments  qui  n’eurent  plus  tard  que  trop  d’occasions de  se manifester. Une supplique de la commune d’Yerville à la Convention pour obtenir le transfert du  chef-lieu  du  district  de  Caudebec  à  Yvetot,  raviva  la  lutte.  

Et Caudebec se défend

La  Société  populaire  et républicaine  de  Caudebec  entra  en  lice  et  rédigea  une  adresse  que  son  président  Larré transmit,  le  26 brumaire  an  II,  au  président  de  la  Convention  en  l’accompagnant  de  cette lettre :

» Citoyen Représentant,

»  La  Société  populaire  de  Caudebec  qui  vient  de  s’épurer  au  creuset  du  plus  pur républicanisme, te fait passer un mémoire dont l’objet intéressant mérite d’être mis sous les yeux de la Convention nationale et la mettra en garde contre les intrigues qu’on met en usage pour  priver  cette  commune  de  l’établissement  des corps administratifs. Je te prie, citoyen Président, de présenter ce mémoire à la Convention afin qu’elle en ordonne le renvoi à son Comité de division. »

Cette  adresse  nous  semble  assez  intéressante,  en  effet,  pour  être  reproduite  dans  ce
travail, malgré sa longueur. En voici la teneur :

«Adresse  de  la  Société  populaire  et  républicaine  de  Caudebec  à  la  Convention nationale, sur la demande en translation du chef-lieu de district de Caudebec à Yvetot, formée par la commune d’Yerville. 

« Du quartidi de la 3e décade de brumaire de l’an second de la République française une et indivisible :

« Citoyens Représentants,

« L’Assemblée  constituante,  avant  de  procéder  à  la  division  du  territoire  français  en
départements et districts,  s’occupa spécialement des moyens de se procurer lesrenseignements  les  plus  certains  sur les  avantages et sur les  inconvénients  qui  pourraient résulter pour les administrés de la fixation du chef-lieu dans telle ou telle commune. Pour y parvenir, elle chargea les députés de chaque ci-devant province de lui présenter, sur cet objet, les  rapports  les  plus  détaillés.  Ces  travaux  furent  basés  sur  l’intérêt  général,  et  les  motifs d’intérêt particulier furent constamment écartés lorsqu’ils ne se trouvèrent pas confondus avec ceux   d’intérêt   public.   Aussi   ne   s’est-il   élevé,  sur   cette   opération   importante,   aucune réclamation relative ni aux personnes ni aux choses administrées.

« Ce fut en résultance de ces principes sensés que Caudebec fut désigné pour chef-lieu d’un des sept districts du département de la Seine-Inférieure, malgré les efforts multipliés des députés de la commune d’Yvetot pour le faire placer dans son enceinte.

« Les législateurs considérèrent la centralité, la  conservation active  et prochaine de la forêt de Brotonne et la surveillance immédiate sur la rivière de Seine.

« Quoique Dieppe, Gournay et Montivilliers offrent la preuve que quelquefois la règle de la centralité, tout utile qu’elle est aux personnes et aux choses administrées, a fléchi devant ces  localités  et,  les  convenances  particulières,  ce  fut  un  des  motifs  qui  déterminèrent  la préférence en faveur de Caudebec. En effet, à l’inspection de la carte, on verra que Caudebec se  trouve,  pour  ainsi  dire,  au  centre  de  son  arrondissement,  par  la  position  de  la  forêt  de Brotonne et des quatre paroisses placées entre elle et la rivière, pour établir de quel intérêt il était pour les administrés de ce district, pour ceux des départements environnants et pour le domaine  national,  que  le  chef-lieu  fût  fixé  à  Caudebec.  Il  faut  rendre  compte  des  motifs impérieux  qui  déterminèrent  l’Assemblée  constituante  à  encadrer  ces  deux  objets  dans  son arrondissement.

« D’abord,  il  lui  parut  essentiel  de  mettre  la  forêt  de  Brotonne,  qui  offre  une  valeur capitale  de  près  de  vingt-quatre  millions,  sous  la  surveillance  immédiate  et  prochaine  de l’administration  du  district.  Ce  but  n’aurait  pu  être  atteint  si  elle  eût  été  comprise  dans l’arrondissement de celui de Pont-Audemer, dont elle est éloignée de plus de six lieues dans ses  deux  extrémités,  tandis  qu’elle  ne  l’est  que  de  trois  de  Caudebec  dans  la  plus  grande distance. Il ne lui parut pas moins intéressant de conserver cet objet reconnu d’une importance majeure, dans l’arrondissement du département de la Seine-Inférieure, et avec d’autant plus de raison qu’il concourait à l’approvisionnement du chauffage de la ville de Rouen.

« Elle se rapporta ensuite, à l’égard des quatre paroisses, à des temps plus reculés ; et il résulta,  des  renseignements  qu’elle  se  procura,  qu’originairement  elles  étaient  attachées  à Pont-Audemer sous le rapport judiciaire et des contributions, mais que les collecteurs, obligés de passer la forêt pour aller dans cette ville, furent volés, et que, le fisc en ayant souffert, le gouvernement se porta à les unir à Caudebec pour les tailles, vingtièmes, droits d’aides, etc., de manière que leurs habitants, n’étant plus appelés à Pont-Audemer que pour les procédures, vinrent à Caudebec pour la vente et l’achat des denrées et pour le payement des contributions. 

» Elle pesa encore de quelle importance il était pour Paris que les transports de blés et farines  qui  se  font  par  la  rivière,  du  Havre  en  cette  ville,  dont  les  habitants  ont  des  droits sacrés à la reconnaissance de tous les Français, pussent être protégés par la surveillance active d’une  administration  de  district ;  elle  pensa  que  cette  surveillance  ne  pouvait  être  mieux secondée que par ces mêmes citoyens qui, en 1789, dans un temps de pénurie égale à celle que nous éprouvons en ce moment, avaient négligé leurs propres besoins pour favoriser ces transports, et les défendre avec avantage contre les entreprises des malveillants.

» Quoique ces motifs purement d’intérêt général eussent été suffisants pour déterminer les  législateurs  à  préférer  Caudebec  à  Yvetot  pour  la  fixation  du  chef-lieu  de  district,  ils crurent   néanmoins   devoir   prendre   en   considération   les   convenances   et   les   localités particulières qui, par leurs rapports, tenaient essentiellement à l’intérêt public.

» Ils comparèrent le commerce de la commune d’Yvetot, porté par un de ses députés à cinquante  millions,  et  dont  les  profits  incalculables  comportaient  un  avantage  considérable, avec  l’état  de  dénuement  où  se  trouvait  Caudebec  privé  de  ses  établissements  publics. L’égalité  étant  la  base  de  la  Révolution,  ils  ne  voulurent  pas  accumuler  dans  Yvetot  les avantages du commerce et ceux de l’administration, et plonger Caudebec dans une sorte de nullité ;  ils  voulurent,  au  contraire,  que  les  avantages  et  les  charges  de  la  société  fussent répandus proportionnellement sur le sol de la République.

»  D’autres  motifs,  non  moins  déterminants  sans  doute,  tel  que  la  surveillance  sur  les bois des ci-devant maisons religieuses de Jumièges et de Saint-Wandrille devenus nationaux, tel  que  l’éloignement  considérable  qui  se  serait  trouvé  entre  le  chef-lieu,  s’il  eût  été  fixé  à Yvetot,  et  Lillebonne,  Duclair,  Le  Mesnil-Jumièges,  Villequier  et  autres,  tel  que  le  défaut d’eau qui se fait sentir à Yvetot, objet que l’on doit considérer comme de première nécessité dans les établissements publics, comme maison d’arrêt et de détention, prisons, etc., tel enfin que les édifices publics déjà existants à Caudebec dont la construction avait occasionné une dépense considérable aux administrés, militèrent avec tant de force en faveur de la commune de  Caudebec  que  tous  les  soins  que  se  donnèrent  les  députés  d’Yvetot  furent  vains  et infructueux.

» Qui eût pu croire qu’une décision portée sur des considérations aussi étroitement unies avec l’intérêt des administrés ne serait pas respectée par une commune de cet arrondissement, excitée  sans  doute  par  la  malveillance  ?  Qui  eût  pu  croire  que,  pour  parvenir  à  priver Caudebec de sa seule ressource, on n’eût pas craint de tromper la religion d’un fonctionnaire public  au  point  de  lui  faire  un  rapport  faux  et  calomnieux  sur  l’esprit  public  et  sur  les intentions tant des administrateurs du district, que des citoyens de Caudebec, et de représenter ceux d’Yvetot comme menacés par cette seule raison qu’ils étaient patriotes ?

» Cependant, une note insérée au n° 84 de l’Indicateur politique, rédigé à Rouen, est la preuve  du  second  fait ;  et,  à  l’égard  du  premier,  la  Société  populaire  et  républicaine  de Caudebec   sait   que   celle   d’Yerville   renouvelle   aujourd’hui   cette   demande   jugée   par l’Assemblée  constituante  si  contraire  au  bien  général.  La  pétition  relative  à  cet  objet  a  été consignée dans un de vos Bulletins.

» Vous ne vous ressouvenez donc plus, habitants d’Yerville, que la commune d’Yvetot prima sous l’ancien régime par ses privilèges odieux, et que le long exercice d’une franchise onéreuse fit souvent regretter à ses concitoyens de l’avoir pour voisine ? Mais vous prétendez en vain, sous le règne de l’égalité et au mépris des principes consacrés en son nom, cumuler dans  Yvetot  tous  les  avantages  pour  en  frustrer  les  habitants  de  Caudebec.  Si  les  députés d’Yvetot  ont  échoué  dans  n  temps  où  la  liberté  n’était  encore  qu’au  berceau,  combien  ne devez-vous  pas  redouter  de  voir  proscrire  votre  pétition,  aujourd’hui  que  cette  liberté, marchant de front avec l’égalité, terrasse et anéantit toutes prétentions privilégiaires.

« Citoyens Représentants, si des considérations de patriotisme pouvaient ajouter encore à tous les motifs d’intérêt général précités, que de traits la commune de Caudebec n’aurait-elle pas   en   sa   faveur,   que   de   preuves   qui,   intéressant   la   chose   publique,   démontrent   un attachement inviolable aux principes de la liberté et de l’égalité et un républicanisme franc et pur,  n’aurait-elle  pas  à  alléguer !  Elle  vous  dirait  que  sa  Société  populaire  s’est  établie  à l’époque  où  les  Prussiens  étaient  dans  les  plaines  de  Châlons  et  menaçaient  Paris ;  qu’elle députa  à  Rouen  deux  de  ses  membres  pour  assister  aux  obsèques  de  Le  Pelletier ;  qu’elle passa  à  l’ordre  du  jour  sur  l’arrêté  pris  par  le  département  de  la  Seine-Inférieure  sur  les journées des 31 mai, 1er et 2 juin derniers. Elle vous dirait, cette commune, que les magistrats qui  la  représentent,  vous  félicitèrent,  ainsi  que  la  commune  de  Paris,  sur  ces  journées mémorables,  et  qu’un  extrait  de  leur  adresse  fut  inséré  dans  le  Bulletin  de  vos  séances ; qu’elle fut la première commune de la République qui eût conçu et fait exécuter le projet de rendre  à  Marat  des  honneurs  funèbres.  Cette  cérémonie  eut  lieu  le  23 juillet  dernier  (vieux style) et avait été arrêtée en assemblée primaire le 21 ; qu’elle fut la première du département qui ait fait exécuter les décrets contre les gens suspects et les étrangers, et notamment contre les Anglais, sur la seule insertion au Bulletin ; cette commune vous dirait encore que, sur une population   d’environ   2,800   âmes dont   350   seulement   en   état   de   porter   les   armes, 180 défenseurs  sont  aux  frontières ;  que,  lors  de  la  levée  pour  la  Vendée,  à  la  voix  des commissaires nommés par l’administration du district, dont la surveillance active sur tous les objets qui intéressent le bien public, et surtout la célérité dans l’exécution des lois démontrent évidemment   le   patriotisme,  quarante   citoyens,   tous   domiciliés   dans   son   enceinte, s’engagèrent.

« Jugez, citoyens Représentants, si, avec de pareils titres, on peut disputer avec avantage aux habitants de Caudebec un établissement qu’il a paru à l’Assemblée constituante si utile à l’intérêt général d’accorder à cette commune.

« Indépendamment  des  bruits  qui  se  répandent,  la  Société  populaire  de  Caudebec  se portera  difficilement  à  penser  qu’Yvetot  conçoive  le  projet  de  solliciter  l’établissement  du chef-lieu de district dans son enceinte. « Cette commune, toujours mue par un patriotisme pur et désintéressé, respectera sans doute les motifs puissants et toujours impérieux d’intérêt public qui l’ont fixé à Caudebec en 1789. Mais si, stimulée par un égoïsme local, elle était tentée de faire valoir de nouveau les moyens futiles et usés qu’elle employa  en vain auprès de l’Assemblée constituante ; si, par une  pétition  qu’elle  vous  adresserait  à  l’insu  de  la  commune  de  Caudebec,  elle  essayait  de ravir à cette ville un établissement qui, appelant tour à tour dans son enceinte tous les citoyens du  district,  contribue  efficacement  à  l’alimenter,  alors,  Représentants,  la  commune  de Caudebec, pleine de confiance en votre intégrité, ose espérer que vous ne statueriez pas sur cette pétition sans la lui avoir fait communiquer.

« Les membres composant le comité de correspondance et commissaires de la Société populaire de Caudebec, chef-lieu de district.

GUÉRET, NEUFVILLE, LANDRYOT».

Riposte d'Yvetot

Dans sa séance du 25 brumaire (15 novembre 1793), le Conseil général de la commune de Caudebec avait attesté « la vérité de tous les faits » mentionnés dans le mémoire précité, et donné l’adhésion la plus entière à son objet, demandant à la Convention  « de le renvoyer à son Comité de division pour le prendre dans la plus grande considération ».
La  Société  montagnarde  des  Sans-Culotte  d’Yvetot  ne  demeura  pas  en  reste.  Très  en faveur auprès de la Société des amis de la liberté et de l’égalité de Paris, dont l’influence était  grande  alors,  elle  ne  manqua  pas  de  mettre  à  profit  cette  influence  pour  enlever  à Caudebec  son  titre  de  chef-lieu  qu’il  n’avait  obtenu  que  « parce  qu’il  était  le  siège  d’un bailliage, rempli de juges, conseillers élus, avocats et procureurs » et  « pour alimenter cette classe de robinocratie, dangereuse dans notre révolution »
Ce fut entre les deux Sociétés un actif échange de correspondances, dans lesquelles celle d’Yvetot  accabla  de  ses  railleries  et  de  ses  sarcasmes  la  vieille  capitale  du  pays  de  Caux.
Caudebec y est dépeint « comme infecté de l’esprit de modérantisme, feuillantisme et même de   fédéralisme »,  et   comparé   à   un   bourbier,   à   « un   marais   qui   ne   peut   produire   de patriotisme »  et  qu’il  est  de  toute  urgence  d’assainir ;  les  habitants  sont  de  faux-frères « capables de faire passer des grains dans la Vendée par la rivière de Seine qui baigne leurs murs ». Yvetot, au contraire, « est une montagne où l’on peut marcher à pied sec ». On voit, dans  ces  expressions,  une  allusion  à  la  situation  topographique  de  Caudebec,  reine  de  la Vallée, et d’Yvetot, souveraine de la Montagne, dont elle avait pris le nom.

La  Société  populaire  d’Yvetot,  avec  l’appui  du  Club  des  Jacobins  de  Paris,  porta  le différend devant le Comité de division de la Convention : « les motifs d’incivisme qu’elle a de presque la généralité des habitants de Caudebec, disait-elle dans sa pétition, suffisent pour que la Convention nationale prenne sa demande en considération » et place enfin les greniers d’abondance et l’administration du district à Yvetot, « au milieu des francs Montagnards ».

Transfert à Yvetot

Cette pétition est du 25 brumaire an II (15 novembre 1793). Le 29, sur le rapport de Siblot, organe du Comité de division qui s’était unanimement prononcé pour Yvetot, la Convention nationale décidait que le chef-lieu du district fixé à Caudebec serait provisoirement transféré à Yvetot. Caudebec allait apprendre à ses dépens que ce qui dure le plus longtemps, en France, c’est le provisoire.

Les  Caudebecais  n’acceptèrent  point  sans  protester  cette  décision  qui  les  lésait  si gravement dans leurs intérêts les plus chers et enrayait le développement des forces vives du pays. Les intrigues redoublèrent alors. La première émotion passée, le Conseil général de la commune, la Société populaire, les paroisses intéressées à voir reporter à Caudedec le siège de l’administration du district, adressèrent à la Convention pétitions sur pétitions. A ces pétitions, Yvetot répondit par d’autres pétitions ; aux protestations des communes en faveur de Caudebec, il opposa d’autres protestations de communes, et en bien plus grand nombre, car il n’avait pas manqué de créer un fort mouvement d’opinion en sa faveur dans la partie du district environnante, et s’était assuré l’adhésion des assemblées municipales ou des sociétés populaires de près de trente paroisses.

L’opinion de la Convention était faite d’ailleurs,  et Caudebec  allait voir ses dernières espérances définitivement ruinées. Le 23 prairial an II (11 juin 1794), en effet, la Convention nationale,  « après avoir  entendu son Comité de  division sur la demande  de la  commune de Caudebec, tendant à ravoir dans son sein le chef-lieu de district transféré à Yvetot », passait à l’ordre du jour et décrétait « que le chef-lieu de district restera définitivement à Yvetot ».



SOURCES

Archives départementales de la Seine-Maritime :