Les deux poilus instituteurs


Cent ans après leur mort, Duclair ne les a pas oubliés. Ces deux instituteurs tombés durant la Grande guerre ont de nouveau leur plaque commémorative au fronton de l'école. Et puis quelques mois après l'inauguration, rebondissement !...



L'ancienne école photographiée pour les éditions Liocourt


Ils s'appelaient Alphonse Anouilh et Maurice Stingre. Tous deux étaient instituteurs à Duclair et tombèrent au champ d'honneur durant la Grande guerre. Longtemps, deux salles de classe portèrent leur nom. Et puis, le temps passa, gommant leur mémoire... C'est pour réparer cet oubli qu'à la demande de l'UNC, la Ville de Duclair a offert une nouvelle plaque commémorative. Celle-ci a été inaugurée officiellement le vendredi 16 octobre 2016 à l'école élémentaire André-Malraux en présence des anciens combattants mais aussi de tous les élèves. Voici quel fut le discours de Gérard Marcilloux, le président de l'UNC.



M. Marcilloux ici aux côté du maire de Duclair et de Marceau Déchamps.


"Nous sommes réunis ici aujourd’hui, vendredi 16 octobre 2015, pour réparer un oubli. En effet, dans l’ancien groupe scolaire rue Jules-Ferry, il existait deux plaques posées au-dessus des portes d’entrée de deux classes afin d’honorer la mémoire de deux enseignants morts pour la France, durant la Grande Guerre de 1914 – 1918.
Lors du déménagement de l’établissement, les plaques ont disparu. Le temps passant sur les mémoires les noms de ces enseignants avaient été oubliés. Heureusement les manifestations autour du centenaire le la Première Guerre mondiale, ont fait remonter à la surface des souvenirs chez les anciens de Duclair. Les recherches effectuées par M. Patrick Sorel, historien local, ont permis de retrouver la trace de ces disparus.

"Aujourd’hui, nous inaugurons une nouvelle plaque offerte par la ville de Duclair et la section des Anciens Combattants. Les enfants vont procéder à la découverte de la plaque. Nous voulons honorer ici d’une manière permanente :

"Alphonse Anouilh , né en 1894, décédé en 1915. Natif d’un petit village de l’Ariège, Surba, il fut nommé instituteur à Duclair à l’âge de 19 ans. Il fut appelé pour la Guerre en septembre 1914. Sergent au 143e Régiment d’infanterie, il décéda le 23 mars 1915 à l’hôpital de Châlons-sur-Marne des suites d’une blessure à la tête. Il fut cité à l’ordre de l’Armée et décoré de la Médaille militaire avec la mention « Blessé une première fois, a rejoint le front à peine guéri. A été remarquable d’entrain et de bravoure en chargeant à la tête de ses hommes. A été gravement blessé à la tête »

"Maurice Stingre né en 1895, tué en 1916. Il était fils d’un verrier de Pîtres, ville dans laquelle il naquit. À l’âge également de 19 ans, il remplaça Alphonse Anouilh en 1914. Il était entré à l’Ecole normale de Rouen en Octobre 1911. Il fut appelé en 1915. Il fut nommé sergent au 405e Régiment d’infanterie. Déjà signalé pour blessures, il sera tué à Verdun le 24 juin 1916.

"Ces deux soldats ont leur nom gravé sur les monuments aux morts de leur ville de naissance, Surba dans l’Ariège et Pîtres dans l’Eure. Leurs noms se rangent à côté de ceux des 1 400 000 morts français de la Grande Guerre dont des milliers d’enseignants.



Deux enfants ont dévoilé la plaque, encadrés par les anciens combattants et le Rappel de Duclair.


En se tournant vers les enfants) : Ils avaient choisi de consacrer leur vie à instruire de jeunes enfants comme vous, pour leur donner l’instruction indispensable à l’exercice de la liberté et de la citoyenneté, pour leur offrir les moyens d’affronter dignement la vie.

"Alors qu’ils se battaient pour la France, la mort a brutalement mit un terme à leur belle vocation. Ils avaient tous les deux 21 ans ! Chers enfants, accordez-leur une petite pensée quand vous passerez devant cette plaque et travaillez bien en respectant vos maîtres, c’est le meilleur hommage que vous leur rendrez.

"En leur honneur nous allons observer une minute de silence.



Photo Valérie Quevaine
(photo sous licence Creative CommonsCC BY-NC-SA 3.0 FR)

"Nous remercions la Municipalité de Duclair, M. Fontaine Directeur de l’École, l’ensemble du corps enseignant, MM. Bazire et Loos représentant les anciens combattants de Pitres, l’ensemble des anciens combattants et civils présents, ( notre porte-drapeau, les musiciens du Rappel de Duclair) de nous avoir accompagnés pour cette commémoration."




Photo Valérie Quevaine (photo sous licence Creative CommonsCC BY-NC-SA 3.0 FR)




Nouveaux éléments concernant Alphonse Anouilh

Instituteur de Duclair mort à la guerre le 6 avril 1915


Par Marceau Déchamps

Le hasard, la curiosité d’un ancien combattant et les moyens de recherche offerts par l’Internet, ont permis d’apporter un nouvel éclairage émouvant sur l’histoire d’Aphonse Anouilh et de l’école primaire de Duclair. Ainsi à des centaines de kilomètres de distance, entre l’Ariège, la Haute-Garonne, la Seine-Maritime, des liens ses sont créés pour enrichir la mémoire de notre pays.

Voici les faits :

Monsieur Jean-François Vidal habite Roquesérière, un petit village de Haute-Garonne. Il est le président de la section locale des anciens combattants UNC. Il aime fréquenter les vide-greniers de son département et du département voisin, le Tarn. À la fin de l’année 2023, il décide d’explorer les lettres contenues dans une boite en carton qu’il avait rangée dans un coin après l’avoir acquise dans un de ces vide-greniers (il ne se souvient plus où et quand).

Il découvre alors une lettre, datée d’avril 1915, d’une dame Anouilh qui écrit à sa fille en évoquant le décès à la guerre de son fils Alphonse.

Monsieur Vidal est intrigué par l’évocation de cette mort et lance une recherche sur internet. Il découvre alors, sur le site Le journal de Duclair (http://jumieges.free.fr) un article évoquant la cérémonie de pose d’une plaque mémorielle à l’école primaire, sur laquelle figurent les deux noms des instituteurs, Maurice Stingre et Alphonse Anouilh morts à la Grande Guerre de 14-18.

Il écrit donc au maire de Duclair, en janvier 2024, en joignant une copie de la lettre de Madame Anouilh, reproduite ci-dessous1 :

« Le 30 avril 1915,

Chère fille

Je fais réponse à ta lettre qui m’a fait plaisir. Quand à la neuvaine je ne la fais pas dire, cela a me fait trop de peine, J’ai donné une messe, et après la guerre nous le ferons quand tout le monde y sera. Tu remercieras bien Mme Cormière de la lettre qu’il m’a envoyée. Le pauvre Alphonse a été bien regretté de tout le monde. J’avais déjà vu sur la dépêche qu’il avait la médaille.

Catherine m’a envoyé une barrique de vin.

François ne m’a pas écrit. Je pense qu’il doit être en bonne santé ; j’en ai eu des nouvelles par Marinette. Je n’ai pas encore eu d’allocation. Les gendarmes sont venus faire une enquête, et je pense qu’on ne tardera pas à me la donner.

Les voisins vous envoient bien le bonjour.

Jeanne du Mérot envoie un gros baiser à Blanche et Rose.

Rien plus de nouveau à vous dire pour le moment. Reçois de ta mère et de ton neveu un gros baiser ainsi qu’aux petites.

M. Anouilh »

Page supplémentaire jointe à la lettre :


« Victor a écrit au directeur de Duclair ; il a rendu la réponse.

En vous accusant réception de votre lettre du 18 avril dernier, je tiens à vous dire que j’ai conservé le meilleur souvenir de M. Anouilh et de son passage à l’école de Duclair. Ses excellentes dispositions pédagogiques s’alliaient fort bien avec son caractère aimable et sérieux tout à la fois. Il était aimé de ses élèves c’est le plus bel éloge que l’on puisse faire du maitre. D’autre part il avait su s’attirer de sympathiques relations, et il n’avait que des amis. Personnellement, je l’estimais beaucoup et la nouvelle de la fin de cette jeune vie pleine de promesse m’a d’abord ému et peiné. Mais cette mort prématurée aussi glorieuse que patriotique est tellement belle qu’elle laisse bientôt plus place qu’à l’admiration. Elle est aussi une splendide leçon pour ceux auxquels il avait voué sa vie. Elle est encore un exemple. Son nom est désormais au livre d’or de l’enseignement. Il est le troisième maitre de l’école sous ma direction depuis 4 ans qui ait donné sa vie pour la défense de la Patrie depuis le début de la guerre.

Avec mes bien sincères condoléances pour la famille à laquelle je vous prie de les transmettre, veuillez croire Monsieur à mes plus empressées civilités.

C’est le double de la lettre qu’il a envoyé à Victor. Tu aurais bien pu venir une huitaine de jours pour te reposer et ça m’aurait fait plaisir de te voir depuis plus de 9 mois que nous sommes en souffrances. La santé est bonne et je désire qu’il en soit de même pour vous tous. Tu m’écriras pour me donner des nouvelles d’Antonin. Les petites doivent grandir et doivent être sages. Jean reste avec moi, il est assez raisonnable. »

Cette lettre qui témoigne de la tristesse résignée de la maman et de la chaleur des relations familiales est un document important pour l’histoire de la commune de Duclair. On apprend ainsi qu’Alphonse Anouilh est le troisième instituteur décédé au mois d’avril 1915. Or, Maurice Stingre, le deuxième instituteur connu de nous, disparaitra à Verdun en juin 1916. Il reste donc deux instituteurs dont nous ignorons l’identité et les circonstances des décès. Voilà un sujet de recherches qui pourra intéresser les historiens locaux.

Marceau DÉCHAMPS.

Le 21/02/2024

1 Quelques fautes et coquilles ont été corrigées.

Sources

Valérie Quevaine, Marceau Déchamps. discours de Gérard Marcilloux, président de l'UNC.

NB: les noms d'Alphonse Anouilh (1894-1915) et Maurice Stingre (1895-1916) sont bien-sûr évoqués dans "14-18 dans le canton de Duclair", le livre de Laurent Quevilly paru chez BoD.
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