Par Laurent Quevilly

Au XIXe siècle, La Mailleraye est la figure de proue des chantiers navals. Mais à Jumièges, Yainville ou encore Duclair, les rives de la Seine vibrent aussi sous les marteaux des charpentiers de marine. Inventaire chez l'un d'entre eux...




 Jean Baptiste Noël Midrier, charpentier et calfat, était né à Canteleu le 24 juin 1772 de Noël Alexis et Marie Madeleine Cornillard. La famille vivait de la Seine. Son père avait été maître toîlier et pêcheur.

Midrier s'établit comme constructeur à Dieppedalle où on le voit dépecer le navire Les Amis Réunis en 1823, radouber le Hazart en 1828... Après quoi, durant deux ans, il se fait maître au cabotage sur le Fort-Constant. Son frère prend ensuite la relève sur le navire.
Au chantier Midrier de Dieppedalle est lancé en 1826 une gribane de 54 tonneaux pour le compte du constructeur. Il la revend en mars 1827 alors que le capitaine Colombel la mène au petit cabotage.

Son jeune frère avait, comme lui, embrassé le métier de charpentier de navire et son chantier se trouvait à Rouen, 19, avenue du Mont-Riboudet. Mais celui-ci s'était séparé de sa femme en 1829 et ses biens furent mis en vente trois ans plus tard. Ils consistaient en un vaste terrain bâti de deux maisons, d'un grand hangar, de deux cales en charpente pour monter les navires en chantier et d'une cale d'abattage montée sur pilotis et ayant 20 m de long sur la rivière. D'autres bâtiments complétaient le tout, dont une conciergerie. Ce fut la famille Hubert, qui possédait déjà un chantier à proximité , qui s'en rendit propriétaire.
Après cette vente, le frère de Midrier s'établit au Croisset. Les Midrier, d'ailleurs, n'étaient pas dans le besoin et avaient hérité de leurs devanciers nombre de fermes et maisons sises tant à Canteleu qu'au Val-de-la-Haye, berceau de la famille. Prénommé Jean Baptiste Nicolas, ce Midrier mourra à Canteleu le 14 août 1841.

Jean Baptiste Noël Midrier ne fit pas mieux que son frère sur le plan sentimental. En 1833, il se sépara de Julie Hedde après trois années de mariage. A cette époque, son chantier était établi au hameau de Dieppedalle, sur la commune de Canteleu, où sont lancés de nombreux navires. Midrier aurait vécu aussi avec une Marie Angélique Jouan. Bref, il vint s'installer sur le quai de Duclair comme constructeur de navires. Il y a attesté en 1840 quand trois terrains sont mis en vente au Bouillon, entre la route et la Seine et pouvant "faire usage de chantier", précise-t-on. Cette même année 1840 est lancé à Duclair le Clémence, navire de pêche jaugeant un tonneau pour le compte du sieur Testu, du Mesnil-sous-Jumièges. Midrier ne lancera guère de nouveaux navires. Il semblerait qu'il se soit consacré à la réparation navale mais aussi à la pêche car en septembre 1841, on le voit embarquer à bord du Bienfaisant, armé à la navigation intérieure...

Les chantiers du coin



Jusqu'à la fin du XIXe siècle, des chantiers sont signalés à Duclair ou encore Yainville où se rencontrent quelques maîtres voiliers. Certains sont très artisanaux comme celui du sieur Foutrel, à Jumièges, mort en 1818. Les plus importants seront à Villequier et Guerbaville-La Mailleraye, avec les Rivette, Bataille, Esnault, ou encore Fiquet à Villequier où les charpentiers avaient leur confrérie de Sainte-Barbe. Mais le saint patron de la profession est en réalité saint Joseph...
En 1810, Louis Turpin, marchand de bois et constructeur, fait faillite à Guerbaville.
En août 1825, Charles-Joseph Bataille fils aîné est lui aussi failli et le marchand de bois Vauquelin nommé syndic. Mais la corporation croit encore en son avenir alors que les bateaux en fer font leurs essais de machine entre Villequier et Le Trait et que la Seine s'empanache de fumée. C'est que les navires en bois restent plus économiques. A la Mailleraye, les chantiers Pouchin vont lancer foule d'unités. Jusqu'à 900 tonneaux ! Et après eux les chantiers Lefranc qui ne s'éteindront qu'avec le XIXe siècle.
Le lundi 21 mai  1821 eu lieu la vente de la Flore-Victoire, gribane dépendant de la succession de Michel Léguillon, en son vivant marchand de bois demeurant à Duclair, amarrée à Rouen près de l'abreuvoir du Mont-Riboudet, attachée au port de La Mailleraye, jaugeant 56 tonneaux . La coque a 50 pieds de long, de l'éperon à l'étambot et 16 pieds 10 pouces dans sa plus grande largeur avec sa pompe, son mât et ses haubans et un mât de flècle, une vergue sèche, un beaupré, une beaume et un cornichon.
Article du voilier : une brigantine, triquette, foque, pafic, flèche en cul et trois prélars.
Article du cordier : un cable de 6 pouces et 60 brasses, un caâble de 6 id. et 60 id., haussière, grélin, petit grélin, plusieurs bouts de cordes et amarres.
Article du forgeron. Une ancre de 150 kg, une de 140, une à jet de 25 kg.
Article du clafat. Une chaudière à brai, seille à goudron, gonne à goudron, hache, serpe, deux fers à calfat, trois épissoirs, deux grattes, une vadronille, mailloche, chaloupe garnie de sa ceinture, son gouvernail et nombre d'autres objets.

Sur place, la matière première ne manque pas. Ainsi, en 1836, Me Langrenay, le notaire de Duclair met en vente sur la ferme de Damont, tenue par Robert Pécot, à Epinay, 890 arbres sur pieds "étant sur les fossés de la masure de ladite ferme, essences de chêne, orme, frène et hètre propres à la bâtisse et à la construction de navires..." 


L'inventaire


Son frère mourut à Canteleu en 1841. Midrier, quant à lui fut déclaré ad patres 1er novembre 1843 à Duclair, selon l'inscription maritime. Une erreur de deux ans. En réalité, il est décédé le 30 septembre 1845, à 4h de l'après-midi, dans son chantier de Duclair, au lieu-dit du Bouillon. Maître Amable Delaunay, greffier du juge Paix et Jacques-Marie Mouchel, syndic de la Marine, allèrent déclarer le décès en mairie le lendemain matin.

Maître Delaunay procéda,
le 19 novembre 1845, à la vente des biens du défunt. Ils consistaient surtout en foule d'outils nécessaires à la constuction de navires : poulies, anneaux, crochets, grelins, connasses et vis de gouvernail, crémaillères, ciseaux, tarières, tenailles, limes et râpes, villebrequins et mèches, rabots et varlopes, moufles avec leurs poulies, crocs, hâches, grattoirs, boulons, clés à vis, bouvets, soufflet de forge, boulets en fonte, voiles, établis, garans, cordes, gouvernails, scies, meules, fourneau, chaudières, chaînes en fer, thilles, chèvre, tréteaux, pinces.

On mit aussi en vente des objets de navigation tels que bacs et bachots, une grande quantité de bois de tous genres et de toutes formes propres à la construction, une barque, des brouettes, chevalets, barils, du goudron, des futailles, pavés, briques...

Une maison flottante


Restaient les hangars et la maison où logeait le défunt, laquelle était "assise sur bateau" et divisée en plusieurs chambres et cuisines. Là, on trouva une batterie d'ustensiles, vaisselle, couches, matelas, lits de plumes, traversins, oreillers, couvertures, contrepointes, poêle, tables, chaises, glaces, chaudières, marmites et des habits d'homme...

Après la disparition de Midrier, de nombreux navires furent encore construits à Duclair. Et dans les environs...


Laurent QUEVILLY.

SOURCES


Journal de Rouen

La Seine, mémoire d'un fleuve.
Archives du quartier maritime de Rouen.