L'homme venait des Vieux, près de Duclair, où il était l'associé de Baudouin. En 1865, son suicide et celui de sa compagne firent les choux gras en Bretagne...

La population de St-Brieuc vient d'être vivement impressionnée par la nouvelle d'un double suicide, accompli, parait-il, avec une étonnante résolution.
Un monsieur, âgé d’environ 60 ans, et une femme, plus jeune de quelques années, étaient descendus de puis le 3 courant dans un des premiers hôtels de notre ville. On les servait dans leur chambre, et, le 4 au soir, ils commandaient un dîner plus délicat que de coutume.
Hier, à une heure déjà avancée, aucun bruit ne se faisant entendre et aucune voix ne répondant a des appels réitérés, le propriétaire crut devoir pénétrer dans l’appartement, et fit enfoncer la porte.
L'homme, d'un extérieur et d’un costume assez distingués, était mort assis dans un fauteuil auprès du foyer. La femme, qui appartenait à une condition moins élevée, était également sans vie, étendue sur un des lits. Tous deux avaient les mains crispées, mais le visage très calme.
M. le commissaire de police, puis, bientôt après, M. le juge d’instruction Daniel et MM. les substituts du procureur impérial se sont rendus sur les lieux, accompagnés de M. le docteur Le Moine. Sur une table on a trouvé deux pistolets placés près d’un papeir blanc, sur lequel était écrit : « chargé à balle ». A côté, quelques lignes, nettement tracées an crayon, annonçaient que cette double mort était volontaire et déterminaient l’emploi d’une somme de 233 fr. laissée aussi sur la table. Les frais d’hôtel et d’inhumation couverts, le surplus doit être donné aux pauvres. Ces deux malheureux expriment la confiance qu ils ont dans la miséricorde de Dieu.

La mort paraissait remonter à huit ou dix heures, et tout fait présumer qu’elle est le résultat de l’ingestion d’un poison violent. Une fiole ayant contenu du laudanum, et presque vide, était sur la cheminée, ainsi que deux verres à vin au fond desquels on a découvert quelques cristaux dont la nature n’ett pas encore connue. Une autre fiole, à moitié pleine d'une substance profondément altérée par le feu, a été retrouvée dans les cendres du foyer. On s’est assuré aussi que de nombreux papiers avaient été brûlés.

D’où venaient ces étrangers? Quelle pouvait être la cause de cette commune pensée de désespoir qui les a conduits à un double suicide ? Tout est obscur encore dans cette affaire. Quelques notes d'hôtel ont fait connaître qu'ils avaient voyagé en Normandie et s’étaient arrêtes notamment à Honfleur et Granville, dans la dernière quinzaine de décembre. D’ailleurs tout démontre qu'ils avaient pris un soin extrême pour dissimuler leur nom. Le linge de corps avait été démarqué et aucun papier n’a été laissé intact. Cependant, un fragment de lettre de commerce ferait supposer que l’homme aurait été le gérant associé d’un M. Baudouin, fabricant de produits chimiques, à Les Vieux (Duclair) Normandie. Les deux cadavres ont été transportés dans la soirée à l'hôpital.


Le journal L'opinion nationale se fera plus précis :


II s’est trouvé de passage en cette ville un inspecteur d’une compagnie d'assurances contre l’incendie, qui a reconnu le monsieur pour l’avoir vu, en 1846, à la tête d'une fabrique de produits chimiques à Les Vieux (Duclair), arrondissement de Rouen. Il était alors coassocié d'un sieur B... Son nom serait Justin Ayat
On ne connait pas le nom de la femme qui l’accompagnait.
La justice avant procédé à une information qui a démontré que la mort de ces deux malheureux était volontaire, leurs corps ont été transportés à l’hospice, où ils ont été photographiés par ordre de M. le maire.

Les traits de la femme, qui avait pu être bien, exprimaient une certaine douceur; ceux de l’homme étaient gros et d’une grande vulgarité. Sa face était remarquable par la dépression extraordinaire du front, large et fuyant en arrière. L’ensemble de ses traits indiquait un homme aux appétits matériels, un viveur selon l’expression commune.

On pense généralement que le monsieur, à la suite de mauvaises affaires, serait venu, loin de son pays, mettre fin à une existence qu'il ne pouvait plus continuer dans ces conditions, et que sa compagne, qui s'était annoncée comme sa servante, à l'hôtel, se voyant vieille et sans ressource, n’aurait pas voulu lui survivre et aurait consenti à partager son sort. Leurs corps ont été inhumés dans le cimetière de Saint-Brieuc.

NOTA BENE


En 1853, un un incendie éclata dans un moulin à huile situé à Varengeville, section des Vieux, appartenant à Auguste Baudouin, propriétaire à Saint-Paër et exploité alors par M. Casanave, négociant à Rouen.


SOURCE

L'Armorique, repris par le Journal de la ville de Saint-Quentin et de l’arrondissement, 13 janvier 1865