Le Passé que l’on a voulu oublier !


Histoire d’une mort annoncée !


Par Pierre Valeri


En 2013, Pierre Valeri publiait un livre sur la destruction de la clouterie Mustad. Fermée en 1992, condamnée à la démolition en 2006, le combat du comité de défense et une pétition n'y pourront rien : l'usine sera gommée du paysage. Elle avait pourtant fait la prospérité de la cité et pouvait être reconvertie.  Pierre Valeri a bien voulu nous adresser le tapuscrit de son ouvrage. Extraits...

Pourquoi un livre sur la mort annoncée de la clouterie Mustad de Duclair ?

Pourquoi revenir sur un moment tragique de l’histoire industrielle d’une cité qui doit à cette industrie sa prospérité passée ? Une aubaine historique apportée par des norvégiens qui ont remonté le cours de la Seine quelques mille ans après leurs ancêtres les Vikings !

Le Courrier cauchois en son temps a relayé le combat de Pierre Valeri ainsi que Paris-Normandie.

Quand je me suis intéressé à cette friche industrielle du 19ème siècle, j’étais bien loin d’imaginer l’étrange destin que me réservait ma curiosité de citoyen. Je vivais à Duclair depuis quelques années et mes activités professionnelles ne me permettaient pas de suivre le déroulement de la vie duclairoise ; Puis vint la préretraite et une reconversion totale de mon mode de vie. C’est ainsi que la lecture d’un livre passionnant écrit par Paul Bonmartel* sur l’histoire industrielle de Duclair Yainville Le Trait me fit découvrir l’intérêt architectural de la clouterie qui était encore sur pieds, immense étendue d’ateliers aux belles modénatures de briques déjà envahie depuis quelques années par les herbes folles. C’était en 1999.

La Municipalité recommençait à s’intéresser au devenir de cette friche. Un conflit de huit années allait débuter contre un projet de démolition aveugle qui faisait fi d’une réutilisation possible d’éléments architecturaux symboliques de l’architecture industrielle du 19ème. Je découvrais au fil du temps l’impossibilité de me faire entendre en qualité de citoyen électeur dans une petite commune ! Jusqu’à me faire interpeler lors de cérémonie de vœux et dans le journal communal sans pouvoir avoir un droit de réponse ! Quel exemple de démocratie !


Photo prise du clocher de l'église Saint-Denis par Albert Vallet, en 1952.

Pourquoi démolir quand on peut réutiliser ? Pourquoi décider, sans étude préalable, une démolition ? Pourquoi ne pas associer la population à une réflexion sur l’avenir d’un patrimoine proche du centre ville qui influencera l’évolution de la ville ?

Ce questionnement se heurtât à un mur de certitude aveugle des élus. Quelques citoyens venaient mettre en doute leurs statuts de décideurs à la science infuse ? C’était inacceptable !

Ce combat que j’engageais seul au départ, fut rapidement soutenu par un certain nombre de citoyens qui vinrent me rejoindre ; parmi eux Pierre Lewensztjn, un autre Duclairois engagé qui fut une cheville ouvrière solide et qui disparût avant de voir la fin tragique de cette histoire.

Je dédie cet ouvrage en premier lieu à sa mémoire mais aussi à tous ceux qui intervinrent dans cette affaire pour tenter de sauvegarder la mémoire du patrimoine industrielle, notamment l’AMHI (Association du Musée de l’Homme et de l’industrie de Hte Normandie) et son Président Alain Alexandre qui ne ménageât jamais ses efforts ni les moyens de l’Association.

Ce recueil veut être un témoignage de la lutte contre le pouvoir absolu des élus qui ne veulent pas écouter, dialoguer et tenir compte des idées formulées par les citoyens de leur ville. Des élus prêts à tout et même à diffuser des contre vérités pour déstabiliser et dénigrer les opposants à leurs projets. Il veut aussi témoigner de l’histoire oubliée de cette époque industrielle ou l’architecture des usines, belle et harmonieuse, représentait le travail de compagnons et maitres d’œuvre chevronnés et reconnus. Combien d’œuvres d’art industrielles, ignorées des historiens,  disparaissent à jamais faute d’intérêts portés par les décideurs élus! Ce récit représente le droit de réponse refusé à plusieurs reprises par l’édile de la Commune qui, au mépris de la loi, s’est instauré censeur des idées défendues par plus de 400 citoyens.

Que ces lignes constituent un élément de réflexion pour les futurs défenseurs de patrimoine et les Elus.

Histoire du patrimoine industriel de Duclair Yainville Le Trait 1891 -1992 (Conception et saisie des textes de l’ouvrage : Paul Bonmartel ; imprimé par Bersoult, Luneray S. Mme).


Pourquoi Mustad à Duclair ?

Après la guerre de 1870, la France exsangue décrète le blocus des produits venant de l’étranger. Clarin Mustad, norvégien fabricant de clous pour le ferrage des chevaux, se souvient de ses ancêtres les Vikings remontant la Seine mille ans auparavant et trouve le site de Duclair adapté à la construction d’une usine pour contourner ainsi  le blocus économique. En effet, le terrain est desservi par la voie ferrée, la Seine  et l’Austreberthe, cette dernière lui permettant la production d’une énergie gratuite.
L’histoire de cette usine est détaillée dans le livre de Paul Bonmartel «  Histoire du patrimoine industriel de Duclair Yainville Le Trait 1891 -1992» (Conception et saisie des textes de l’ouvrage : Paul Bonmartel ; imprimé par Bersoult, Luneray S. Mme).


Résumé de l’épopée Mustad

Dans sa description faite en 1999, le service régional de l’inventaire de Hte Normandie note :
 
«  Cette usine de quincaillerie, spécialisée dans la fabrication de clous pour ferrer les chevaux, est fondée en 1891 par Clarin Mustad, industriel norvégien. Les machines et la matière première sont importées de Norvège par bateau, pour cela l'usine possède son propre quai de chargement sur la Seine. 


L'activité arrêtée momentanément en avril 1893, après l'incendie de la salle des machines et de l'atelier d'affilage, reprend en 1894. La fabrication de clous en acier extra-doux est réalisée par forgeage à froid. Cette technique mise au point par Clarin Mustad est brevetée en 1908. Pour en préserver le secret ce dernier organise la production au sein de son usine selon un processus de fabrication extrêmement fragmenté. Cette obsession se traduit également dans l'architecture de l’usine : les ateliers sont compartimentés et pourvus de baies surélevées.
Par ailleurs, un engagement au secret est signé, à l'embauche, par chaque employé. En 1901, une cité ouvrière est édifiée aux abords de l'usine. A partir de 1910, la fabrication de vis à étoile est adjointe à celle des clous. En 1911, une turbine hydraulique de 75 ch. est installée dans l'usine…..
Dès 1920, l’usine utilise l’énergie électrique produite par la centrale de Yainville, de ce fait la chaufferie et la cheminée d’usine construites peu avant cette date resteront inutilisées. En 1939, l’usine produit 19 000 kg de clous par mois. Durant l’entre-deux guerre, la chute du marché des clous pour ferrer les chevaux se répercute sur la production.
Une diversification s’impose : on développe alors la fabrication de petites pièces métalliques courantes (autres clous, boulons, vis, rondelles...). En 1983, la société Mustad représente 90% du marché français du clou, mais les 300 tonnes produites annuellement n’occupent plus que 12 ouvriers. L’usine ferme en 1987, les bâtiments sont repris par la société Seprom Fixation jusqu' en 1989, puis par le groupe Mercier jusqu' en 1992. Ceux-ci sont aujourd’hui désaffectés et menacés de destruction ».

Ce résumé permet de mettre en évidence les aspects particuliers et innovants de la démarche de Mustad :
Techniquement : la protection des secrets de fabrications et une architecture adaptée à la protection de ces secrets.
Humainement : la construction dès 1901 de logements pour le personnel ; plus tard, ces logements seront cédés au personnel à des prix très avantageux ; dès 1927 une semaine de congés payés est accordée ; les conditions de travail en avance sur leur temps ont fait qu’au moment des grèves de 1936, le personnel n’avait pas l’intention de suivre le mouvement. Il est de notoriété publique que Mustad a contribué au bien être de ses ouvriers et à la prospérité de la commune de Duclair pendant près d’un siècle.
Sur le plan de l’architecture, les façades en briques aux fenêtres en ogives donnant l’aspect de cathédrale étaient d’une modénature agréable adaptée au cadre de la ville.

Lors des journées du Patrimoine de 2007, le président fondateur du Centre d’Histoire Social, Jean-Pierre Engelhard présente le moteur Mustad. Il a été conçu sans soupape à Duclair en 1912 et a équipé des véhicules aujourd'hui au musée des Arts et Métiers d'Oslo. Au même moment, des bulldozers écrasent jusqu'à la dernière brique l'usine Mustad. (Photo: Jean-Claude Quevilly).

De cette aventure industrielle, une série de photos reçues en 2000 d’un descendant des fondateurs, Monsieur Christian Mustad, permet de comprendre la vie de ces centaines d’ouvriers et ouvrières. Ces photos témoignent de l’ambiance de cette usine, des modes vestimentaires de l’époque, les visages expriment la fierté devant l’objectif du  photographe, fierté de vivre un travail qui les valorisent, de participer à  la fabrication  d’un produit unique : le clou pour ferrer  les chevaux.
Ateliers, bureaux, palefreniers, groupes de femmes et  d’hommes, dirigeants, ouvriers, tout est mémorisé, même les aménagements qui sont en cours ; Ces photos, probablement datées des années 1910-1920, laissent à penser que les dirigeants de l’entreprise avaient un attachement certain pour leur personnels. Dommage que les archives de Norvège aient été détruites lors du déménagement de 1975 (selon le courrier de Monsieur Christian Mustad).     

La fin de l’activité de cette usine a, bien sûr, été un drame social qu’il faut comprendre. Elle correspond à la disparition du cheval dans les activités agricoles (remplacé par le tracteur) et à une reconversion d’activités mal gérée. Cela a engendré auprès des victimes réduites au chômage, un sentiment de rancœur envers les dirigeants. Ce sentiment était encore perceptible en 1999  quand les décisions sur devenir de la friche se sont posées. Le Comité de Défense du Patrimoine l’a bien ressenti lors du lancement de la pétition pour la conservation des témoins de l’architecture industrielle. Il était bien difficile pour certains de faire la part du ressenti social, de leur perte d’emploi, avec la démarche de préservation de témoins architecturaux de leurs lieux de travail. C’est ainsi que le 1er adjoint de la municipalité de Duclair pouvait déclarer, en évoquant la cheminée lors d’une cérémonie de vœux, qu’il «  fallait détruire le symbole phallique des industriels du 19ème siècle » !
Dès ce moment, le ton était donné, la conservation du patrimoine compromise et le rejet de la mémoire de cette vie ouvrière, scellé !


LA LONGUE SOMNOLENCE

La fermeture

« En 1983, la société Mustad représente 90% du marché français du clou, mais les 300 tonnes produites annuellement n’occupent plus que 12 ouvriers.  L’usine ferme en 1987, les bâtiments sont repris par la société Seprom Fixation jusqu' en 1989, puis par le groupe Mercier jusqu' en 1992. »*
Cette succession d’entreprises repreneuses d’activités diverses sur des périodes courtes présage une fin  programmée comme nous le voyons encore de nos jours pour dégraisser les effectifs et faire porter la responsabilité de l’échec sur une entreprise «  prête- nom » afin de conserver une « virginité » à l’entreprise principale. Il faut noter d’ailleurs que la suite des évènements démontre ce stratagème. Nous verrons dans la suite de ce récit que les Elus et les Collectivité emploieront le plus souvent le nom de Seprom
C’est ainsi que cette usine s’éteint, entre dans l’oubli, envahie par la végétation, source de squattes, taguée et vandalisée.
Même certaines archives jonchent le sol des bureaux ; quelques machines et équipements rejoignent l’Eco Musée de Darnétal (les chantiers du Patrimoine) sous la responsabilité d’un ancien de Duclair, Jean Pierre Engelhard...

*service régional de l’inventaire de Hte Normandie 1999





La suite de cet ouvrage décrit par le menu les différentes étapes d'une mort annoncée et le combat de ses opposants. Tiré à 200 exemplaires, la chance vous mettra peut-être en sa présence sur des sites comme Ebay, Rakuten ou Delcampe. N'hésitez pas une seconde...



L'usine en 2000 avant sa destruction (D.R./Coll. Jean-Claude Quevilly).

Le lieu est aujourd'hui le parc des eaux mêlées. Seul un bâtiment abritant une petite turbine au confluent de la Seine et de l'Austreberthe subiste de ce site industriel.
En 2024, avec Jocelyne Hubert, Pierre Valeri mène un autre combat : réhabiliter l'ancienne usine Costil de Pont-Audemer...





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