C'est un fait divers banal : la femme du boucher de Duclair est accusée d'avoir volé du coton sous les halles. Banal, mais le procès nous en dit long sur le déroulement d'un marché avant la Révolution.

 
Le mardi 6 mai 1777 est un nouveau jour de marché à Duclair. Seulement, dans la nuit, sous les halles, quelqu'un a pénétré par effraction dans la réserve du sieur Lamant, le receveur des droits et coutumes préposé aux poids. Et on a volé un dépôt de coton dans le local qu'il occupe. Un sac sera retrouvé chez la femme Viel, l'épouse du boucher. Celle-ci aura des explications bien emberlificotées.

Le plan du bourg de Duclair copié en 1778 sur un plan de Pierre Delavigne, arpetenteur à Jumièges, établi en 1670. On voit les quatre bâtiments, dont trois parallèles, formant les halles. A l'angle de la place on a fait figurer un arbre. Vers les quais se distingue un petit escalier qui existe toujours.

Quatre jours plus tard, le 10 mai, Lamant porte plainte. Avec le sieur Neufville pour avocat, un homme qui exerce aussi le métier de barbier chirurgien, il écrit à Michel François Dinaumare, le receveur de l'abbé de Jumièges qui est aussi le Haut-Justicier de la baronnie mais manifestement absent. Du coup, on s'adresse aussi à son lieutenant, le sieur Raimboult..

Lamant nous explique qu'il occupe sous la halle une portion de bâtiment au bout de laquelle le surplus sert au dépôt des grains et autres marchandises apportés de la campagne pendant la semaine pour y être vendus les jours de marché. "Des marchands de coton, explique-t-il, auxquels il serait à charge de remporter chaque fois ce qui leur en reste à vendre, les déposent également dans cette réserve.
Il est arrivé que quelqu'un instruit de ces dépôts et qui, sans doute, connaît le local, profitant de l'obscurité de la nuit du cinq au six de ce mois et de l'instant où chacun était abandonné au sommeil, à pratiqué à la muraille en argile et vis à vis des verouils qui fermaient la porte qui ouvre sous les halles deux ouvertures assez grandes pour y passer le bras et à ce moyen été venu à bout de lever les volets qui étaient derrière les verouils et s'est par là procuré l'ouverture de la porte.
La porte ouverte, on y est entré et on en a emporté tout le coton qui était reposté dans différentes poches appartenant à trois différents particuliers et qui réunies ensemble ainsi que l'ont déclaré les marchands peuvent peser cent livres.
On en a également enlevé deux sacs qui renfermaient de l'avoine et on a répandu l'avoine par terre.
Le suppliant n'en a été instruit que le matin et à l'instant où il était prêt de vaquer à ses occupations. Consterné et abattu, il a fait tous ses efforts pour faire connaître le vol qui lui était fait. Il a mis sur pied différentes personnes pour avoir connaissance des auteurs mais toutes ses recherches et ses efforts ont été sans fruit.

Cependant, sur les trois heures après-midi, il a été instruit que dans la maison d'un particulier, il y avait partie de la marchandise volée de déposée.

Ce particulier de Duclair, qui n'ignorait pas le vol et les efforts que faisait le suppliant pour en connaître les auteurs et recouvrer sa marchandise a cependant gardé le silence et n'a donné au suppliant aucune connaissance de la partie qu'il en avait chez lui.
Comme il est fort intéressant pour le suppliant de connaître les auteurs du vol et de savoir par quel moyen ce particulier est parvenu à avoir chez lui partie des marchandises volées, il a l'honneur de vous donner la présente requête...
Un horsain

Le particulier, boucher de son état,  chez qui la poche est retrouvée, c'est Adrien Viel, un horsain. Né à Routot en 1715, il s'est marié là-bas en 1746 avec Marie Madeleine Angélique Decaux, de huit ans sa cadette, native de Duclair, fille de Pierre Decaux et Marie Marais. A Duclair, le couple a aussitôt deux fils, Adrien et Pierre. Durant l'enquête, les soupçons semblent épargner le père Viel. Il n'apparaît pas dans les dépositions. En revanche, sa femme et l'un de ses fils sont dans le colimateur...



L'audition des premiers témoins



La requête acceptée, une information judiciaire lancée et Joret, le procureur fiscal, juge l'affaire suffisamment grave pour être jugée. Les conclusions de Joret : la femme d'Adrien Viel a transporté chez elle une poche de coton pesant 16 livres et faisant partie des marchandises volées à Lamant.
Le 13 mai, de premiers témoins cités par l'accusation sont entendus par le lieutenant Jacques-Romain Raimboult, assisté de Hucher, le greffier. 
Nous sommes en la salle d'audience, au rez-de-chaussée des halles, près de la prison...


Jean Dessieux, receveur des aides de Duclerc, y demeurant, âgé de 40 ans.

Dépose que le six de ce présent mois, il a entendu dire dans le public que la serre de Lamant avait été ouverte et volée, qu'il a aussi vu la fracture par où la porte avait été ouverte : qu'il a entendu dire aussi le même jour qu'il y avait un sac chez la femme du nommé Viel, boucher à Duclerc, qu'il a été chez elle ; qu'il y a vu le dit sac qui est marqué six et huit, qu'il était rempli en partie de coton ou de laine et qu'il pouvait peser 15 à 16 livres : que la dite Viel lui a dit qu'elle l'avait trouvé à son étal sous la halle que ne sachant à qui il appartenait, elle l'avait apporté en sa maison et qu'en le prenant, elle l'avait déclaré à plusieurs personnes qui s'étaient trouvées présentes.

Pierre Le Chandelier, marchand, demeurant à Duclerc, âgé de 23 ans.

Dépose que des faits contenus dans la dite plainte, il a seulement connaissance que la mardi six du présent mois, sur les quatre heures après midi, il vit beaucoup de monde assemblé à la porte de la femme Viel, boucher en ce bourg, parmi lesquels était Lamant qui dit à la dite femme en partant : je vous laisse une poche marquée 89 que vous me représenterez toutes fois et quante ; que le dit exposant vit la dite poche qui était ficelée et liée et fit observer que le dit chiffre pouvait également maquer 68 ; qu'il entendi dire que les objets contenus dans la dite poche pouvaient peser 15 ou 16 livres.

NDLR : Le personnage de Chandelier apparaît dans le livre Le baron de Vastey. Chandelier s'installa à Port-au-Prince quelques années après cette affaire et il perdit tout son avoir dans l'incendie de la capitale de Saint-Domingue. Il s'installa cependant à Léogane et revint à Rouen en 1788 vendre un terrain qu'il possédait à Duclair. On perd ensuite sa trace. A-t-il été emporté par la révolution haïtienne ?

Alexandre-Joseph d'Hervilly, âgé de 28 ans, employé dans les aides, demeurant au bourg de Duclerc.

Dépose que toute la connaissance qu'il a des faits de l'apointement est que le dit jour, six du présent mois, sur les quatre heures après midi, étant entré chez Adrien Viel, boucher en ce bourg, avec son confrère pour l'exercice de ses fonctions, il y trouva Lamant et plusieurs autres particuliers ; que le dit Lamant dit à la femme Viel qu'il laissait une poche à sa charge et garde pour la lui représenter toutes fois et quantes ; que la dite poche contenait environ 15 à 16 livres de laine ou de coton, ce que le déposant a remarqué parce qu'elle fut ouverte en sa présence et qu'elle était marquée d'un chiffre faiant le nombre 88 ou 69 (!).

Jacques Houyé, âgé de 38 ans, employé dans les fermes du Roy, demeurant au bourg de Duclerc.

Dépose qu'il n'a d'autre connaissance des faits contenus en la dite plainte... qu'il y a aujourd'hui huit jours, sur les quatre ou cinq heures après midi, il entra chez le nommé Viel, boucher en ce bourg où était le plaintif et d'autres personnes, que le dit plaintif leur fit remarquer une poche marquée du numéro 68 ou 89 et dans laquelle de la laine de coton pesant 16 livres que la dite poche ? Laquelle poche fut d'abord portée au greffe pour y être mise en dépôt et ensuite chez le nommé Hardy, geolier où la cavalerie de maréchaussée y a apposé un cachet et la laissèrent à la charge et garde pour la représenter toutes fois et quante.

Jean-Baptiste Bourbet, âgé de 33 ans, employé dans les fermes du Roy, demeurant à Duclerc.

Dépose qu'il n'a d'autres connaissances des faits de la dite plainte sinon que, mardi dernier six du présent mois, il a été chez la femme Viel en ce bourg avec le dit Lamant plaintif où sont pareillement venus deux cavaliers de maréchaussée ; qu'il s'y trouva une poche contenant 16 livres de coton ou laine ; que les dits cavaliers l'apportèrent d'abord au greffe pour la déposer ensuite à la prison où elle a été remise entre les mains de geolier après que les cavaliers y eurent apposé leur cachet ; que lorsque le déposant était chez la femme Viel elle déclara qu'elle aurait trouvé la dite poche à l'étal où elle était sous la halle et qu'en la prenant elle avait dit n'y connaissait rien et qu'elle la rendrait à ceux qui la demanderait.

Etienne Petit, âgé de 52 ans, demeurant à Duclerc.

Dépose que le mardi six du présent mois, sur les quatre heures du matins, ils s'aperçurent que la serre dont il est question avait été ouverte, ayant remarqué les trous qui avaient été faits à côté de la porte qui était ouverte : qu'il regarda à l'entrée et vit quantité d'avoine épandue dans la dite serre ; que l'après-midi, sur les quatre heures, la femme de Jean Decaux et celle de Cadet Vatier l'appelèrent pour lui dire que la femme avait emporté chez elle une poche qu'elles croyaient contenir de la laine afin qu'il en avertit le dit Lamant, qu'aussitôt il fut averti, le dit Lamant et tous deux ensemble furent chez la dite femme Viel qui leur montra la dite poche et leur dit qu'elle avait été trouvée le matin par son fils entre son étal et celui de la nommée Leclerc ; qu'elle l'avait emportée chez elle en disant à ceux qui étaient présents qu'elle la rendrait aux personnes qui la demanderaient.

François Goubert, âgé de 55 ans, journalier demeurant en la commune de Saint-Paër.

Dépose que le six du présent mois, étant arrivé en ce bourg de Duclair, à environ quatre heures du matin, il fut un des premiers qui s'aperçurent du vol, ayant remarqué les deux trous faits à côté de la porte de la serre et que la dite porte était ouverte ; qu'ayant regardé dans la dite serre, il vit la quantité d'environ deux sacs d'avoine qui était répandue ; qu'il alla avec le nommé Petit et Hébert qui étaient les premiers arrivés sous la halle comme lui avertir le dit Lamant, plaintif, qu'il revinrent tous les quatre à la serre et que le dit Lamant leur dit qu'on avait volé toute la laine qui était déposée.


NDLR : François Goubert fut maître de la confrérie du Saint-Rosaire, à Saint-Paër.

Romain Hébert, âgé de 34 ans, journalier, demeurant en la paroisse de Sainte-Marguerite.

Dépose que mardi dernier, six du présent mois, étant arrivé au bourg de Duclerc sur les quatre heures du matin avec le nommé Etienne Petit et François Goubert, ils s'aperçurent que la serre en question avait été volée, ayant remarqué la porte ouverte et deux trous faits à la muraille à côté d'icelle ; qu'ayant regardé dans la dite serre, il vit une grande quantité d'avoine répandue dans la dite serre ; qu'il alla avec les deux susnommés en avertir Lamant, plaintif, qui revint aussitôt avec eux à la dite serre et qu'il dit en y entrant qu'on avait volé la laine et coton qui y aient été déposés, que lui, déposant, alla ensuite à son ouvrage.

L'interrogatoire de la femme Viel


Après plusieurs convocations, la femme Viel fut entendue le 1er juillet. Elle dit se nommer Marie Madeleine Angélique Decaux, âgée d'environ 53 ans, femme d'Adrien Viel, demeurant en ce bourg et paroisse de Duclair.

Où était elle le mardi six mai à six heures du matin ? Couchée dans son lit jusqu'à huit heures et demie car elle était incommodée. Elle n'est sortie de chez elle que pour entendre la grand messe et il était environ neuf heures et demie quand elle est arrivée à son étal vendre et débiter de la viande à ceux qui lui en demanderaient.
Oui, elle a entendu parler du vol avant de sortir de chez elle. C'est son fils qui le lui a dit. De quoi Lamant avait-il été volé ? ça, elle ne l'a pas su et n'en a rien demandé.

Son mari, son fils sont-ils arrivés avant elle aux halles ? Elle avait peu de viande à vendre ce jour-là et seul son fils était arrivé avant elle. Non, on n'avait pas encore trouvé de poche remplie de marchandises à son arrivée. Mais elle la découvrit presque aussitôt, à moitié pleine et ficelée par le haut, là, entre son étal et celui de la femme Leclerc, bouchère à Blacqueville. Comme elle gênait, son fils la rapprocha du pied. Puis il demanda au père Tabouret qui occupait une partie de son étal si cette poche n'était pas à lui.

— Non.
— Eh bien si quelqu'un nous la demande, nous la lui donnerons.

Personne n'étant venu la réclamer, a trois heures de l'après-midi, la femme Viel informa trois ou quatre femmes et marchandes présentes qu'elle emportait la poche chez elle.

— Si quelque'un se plaint, il n'aura qu'à venir la chercher.

De chez elle, elle se rendit ensuite chez le sieur Leclerc, aubergiste, et demanda au garçon d'écurie si la dame Leclerc, la bouchère de Blacqueville, était encore là afin de lui demander si cette poche ne lui appartenait pas. Le garçon lui répondit qu'elle était partie. Revenant à son étal, elle rencontre Lamant qui lui dit :

— Madame Viel, on dit que vous avez trouvé une poche.
— Oui, je l'ai trouvée. Et comme j'étais chargée de différents objets, la femme de Charles Sellier l'a portée avec moi jusqu'à la maison Venez, je vais vous la remettre.

Avec le sieur Cousin, Lamant l'accompagne chez elle. Là, on trouve la poche sur une chaise et on la laisse là, près de la boîte de l'horloge située à la porte de la cuisine. Après quoi ils s'en allèrent sans rien lui dire.
Un quart d'heure après, les commis aux aides arrivent chez elle et lui demandent si elle n'avait point de viande de resté. Non. Et les voilà qui fouillent ses appartements. Une demi-heure plus tard débarquent deux cavaliers de maréchaussée qui lui demandent si elle n'a pas trouvé une poche.

— La voilà Messieurs !

Ils la prennent et la chargent sur le dos d'une petit garçon qui la portent d'abord au greffe et ensuite à la prison où elle les accompagne, Il fut écrit quelque chose qu'elle signa. La femme Viel évoquera encore une mémoire défaillante, niera farouchement avoir commis un acte similaire à Pavilly quelques années auparavant. Elle avait en effet partagé l'étal d'un nommé Loquin qui, partant de là, avait oublié une poche de coton. On l'accuse de l'avoir emportée avec elle à Duclair. Sa version est totalement différente. Elle a remis cette poche au cabaretier pour la faire crier à qui appartiendrait. Elle a su que, depuis, la poche avait été remise à Loquin. Par qui ? Elle l'ignore.
Pourquoi n'a-t-elle pas remis celle de Lamant entre les mains d'une personne publique ? C'est qu'elle habite sur le lieu et n'a pas cru devoir la déposer ailleurs.
Bref, ses explications ne sont guère convaincantes et son avocat, Me Barois, devra faire montre de talent. 


Neufville contre-attaque


Au vu de ces réponses, l'avocat Neufville écrivit au bailli le 19 juillet 1777 pour démonter un à un les arguments avancés par la femme Viel.

Le sieur Lamant à qui les auteurs du vol sont inconnus et qui ne nous a donné sa plainte et demandé permission de faire informer que dans le dessin d'en avoir révélation a pris le parti de se faire délivrer expédition de l'interrogatoire prêté par la femme Viel pour se convaincre de quelle façon cette femme justifie sa conduite. Il est bien à plaindre dans la circonstance présente, il se plaît à croire la femme Viel innocente mais son interrogatoire présente des contradictions si frappantes qu'il ne peut se refuser à des doutes et c'est par l'analyse de ses réponses aux interrogations qui lui ont été faites que vous demeurerez convaincu de la foi qu'elles méritent.

La vérité ne craint pas la lumière, ce n'est que par elle que l'on se justifie, le mensonge, tôt ou tard, se dévoile et tous les moyens qu'il a suggérés dégénèrent en crime quand, une fois, ils sont démontrés faux.

La femme Viel, après avoir entendu la lecture des interrogations qui lui ont été faites et de ses réponses, a dit que ses réponses contiennent vérité, a déclaré persister et n'y vouloir rien changer, a-t-elle bien déclaré la vérité, le contraire ne sera pas difficile à démontrer...

"Elle était debout avant 8h et demie !"

Cette femme dit dans sa réponse au second interrogatoire que le mardi 6 mai elle est restée dans son lit jusqu'à 8 heures et demie du matin parce qu'elle était incommodée. Dans sa réponse au troisième, elle dit qu'au sortir de chez elle, elle a été entendre la grande messe et qu'il était environ 9 heures et demie lorsqu'elle est venue à son étal. Il ne sera pas difficile de démentir la femme Viel sur ses réponses puisque le sieur Lamant est en état de faire demeurer constant qu'à 7 heures et demi du matin, elle a pris chez un particulier du lieu un livre pour aller à la messe, que la messe à laquelle elle a assisté était finie à 8 heures. Il est donc faux, ainsi que cette femme le dit dans sa réponse, qu'à 8 heures et demie elle était encore couchée.

Par sa réponse au quatrième interrogatoire, elle avoue qu'avant de sortir de chez elle, elle n'ignorait pas le vol qui avait été fait au sieur Lamant et qu'elle l'avait appris de son fils.


Par sa réponse au cinquième interrogatoire, elle avoue que son fils était à son étal avant qu'elle y arrivât.

"Mais qui a trouvé la poche. Elle ? Son fils ?"

Par sa réponse au sixième, la femme Viel dit que le 6 mai dernier, quand elle arrive à son étal et celui de la femme Leclerc, bouchère à Bacqueville, laquelle poche excédait un peu sur le bord du chemin, ce qui fit qu'elle la remontra avec son pied, la fit remarquer à son fils qui la poussa avec son pied plus près de son étal et qui demanda au père Tabouret qui occupait une partie de son étal si cette poche n'était pas à lui, lequel lui ayant répondu que non, le dit Viel fils lui dit :

— Eh bien, si quelqu'un vous la demande, vous le lui rendrez.

De cette réponse, il s'en suivrait que c'est la femme Viel qui, à plus de 9 h du matin, a trouvé sous son étal la première la poche en question et qui l'a fait, à cette heure apercevoir à son fils.

Eh bien encore une fois ce fait est faux puisque le sieur Lamand est en état de faire demeurer constant en réponse que le fils Viel a dit que c'était lui-même qui l'avait trouvé à 6h du matin. Si ce fait est une fois prouvé, quelle foi méritent les autres réponses de la femme Viel !


"Personne n'a vu la poche à l'étal !"

Cette poche, suivant ce que dit cette femme, était entre son étal et celui de la femme Leclerc et sur le bord du chemin qui sépare et divise les deux étaux. Elle était donc visible et facile à voir. Cependant, le sieur Lamand est encore en état de prouver que des personnes qui ont été à l'étal de la femme Viel avant qu'elle y fut arrivée, puisqu'elle dit y être arrivée qu'à 9h et demie du matin, n'y ont rien aperçu, qu'elle n'a même pas été aperçue sous l'étal de la femme Leclerc ni aux approches ni par elle ni par leur domestique, par quelle voie y est-elle donc parvenue ? Pourquoi ces contradictions, c'est ce que la suite pourra démontrer.

Interrogée ce que la répondante, c'est à dire la femme Viel et son fils, ont fait de la dite poche et si personne n'est venu la réclamer, c'est le septième interrogatoire, elle répond que personne n'ayant réclamé la dite poche, environ sur les trois heures après midi, étant prête à quitter son étal pour retourner chez elle, elle dit trois à trois ou quatre femmes alors présentes et par trois fois qu'elle allait emporter la dite poche chez elle et que si quelqu'un s'en plaignait, il n'avait qu'à venir la demander, qu'elle la rendrait ainsi qu'elle l'avait trouvée et que comme elle était chargée de différents objets, la femme de Charles Cellier, boucher, prit la dite poche et la déposa chez elle, répondante, et que de suite fut chez le sieur Leclerc, aubergiste, et demanda à son garçon d'écurie si la femme Leclerc, bouchère à Blacqueville, était partie pour savoir si la dite poche ne lui appartenait pas, à quoi le dit garçon répondit qu'elle était partie, que, revenant, elle rencontra Lamand.

— Madame Viel, on dit que vous avez trouvé une poche...

 à quoi elle répondit

— Oui, je l'ai trouvée, venez avec moi, je vais vous la remettre,

Que le dit Lamand, accompagné du nommé Cousin, furent avec elle, répondante, à sa maison, dénoncèrent la dite poche et la reconnurent et la laissèrent sur une chaise où il l'avaient trouvée auprès de la "boëtte" de l'horloge qui est placée près de la porte de la cuisine. Après quoi, ils s'en furent sans lui rien dire, qu'environ un quart d'heure après, les commis aux aides vinrent chez elle et demandèrent si elle n'avait pas de viande de resté, qu'elle répondit non et nonobstant quoi, ils fouillèrent et cherchèrent dans tous ses appartements, qu'environ une demi-heure après survinrent deux cavaliers de maréchaussée qui lui demandèrent si elle n'avait pas trouvé une poche, à quoi elle dit Messieurs, la voilà, qu'ils la prirent, la chargèrent sur le dos d'une petit garçon qui la porta d'abord au greffe ensuite à la prison où là, elle, femme Viel, se trouva, qu'il fut écrit quelque chose qu'elle signa sur l'interpellation qui lui en fut faite et revint chez elle.


Cette réponse est volumineuse et c'est dans son volume que la femme Viel cherche à cacher la vérité. C'est dans l'extension qui lui a plu donner qu'elle croit trouver la justification de sa conduite, mais je vais, Monsieur, vous remettre sous les yeux les faits tels qu'ils se sont passés à ce sujet.

Le sieur Lamand, d'après la perte qu'il avait faite, redoublait ses recherches. Il fut averti sur les 3h après midi qu'il y avait chez la femme Viel une proche présumée contenir de la laine. Il se rend aussitôt chez elle, accompagné du nommé Cousin, la reconnaît pour faire partie des objets volés, fait défense à la femme Viel de s'en dessaisir et se retira pour se consulter sur le parti qu'il avait à prendre.
Un instant après, y retourne mais se fut étonné de trouver la porte fermée. Il avisa sur les moyens de la faire ouvrir. Montant dans le bourg une demi-heure après avoir reconnu la poche, il vit la femme Viel qui sortait de chez le sieur Leclerc pour s'informer si la femme Leclerc, bouchère, était partie et pour savoir si cette poche ne lui appartenait pas. Les faits sont là et ce ne sera point par ces petits subterfuges que la femme Veil viendra à bout de justifier sa conduite.

Il était bien plus naturel pour elle qui dit elle avait trouvé cette poche à 9h et demie du matin de s'informer à la femme Leclerc, voisine, si cette poche ne lui appartenait pas avant que de l'emporter chez selle plutôt que d'aller s'en informer à 4h après midi et après que cette poche ait été reconnue par le sieur Lamand qui en faisait la recherche...

Sur la remontrance qui lui a été faite que le vol de coton fait au suppliant ayant été rendu public dans le bourg, il était bien plus naturel pour elle de penser que cette poche lui appartenait et qu'il était de son devoir de la lui indiquer et de lui en donner connaissance.


Cette femme s'excuse sur l'infidélité de sa mémoire et dit qu'elle ne se rappelle point du vol qui avait été fait au sieur Lamand. Elle le savait avant de sortir, le bruit s'en perpétuait dans le bourg. Cependant, dit-elle, n'y fit point d'attention, sa mémoire, toute infidèle qu'elle est, ne trahit pas point ses intérêts et la conséquence la plus juste que l'on puisse tirer de cette réponse, c'est qu'elle voulait en éviter la réclamation puisque, supposant qu'elle n'aie pas su à qui elle appartenait, elle devait la faire crier ou la faire afficher et en cas qu'elle ne fut pas réclamée la déposer dans les mains de quelques personnes publiques, pourquoi ne l'a-t-elle pas fait, que c'est le sieur Lamand lui-même qui s'est chargé de crier ou d'afficher ce qui est perdu ou trouvé lui averti, c'était en …. la réclamation. Voilà l'instruction la plus naturelle que l'on puisse tirer de sa réponse.

Déjà impliquée à Pavilly...

Vous avez sans doute été informé, Monsieur, qu'il y a trois ou quatre ans, cette femme eut une contestation avec un nommé Loquin pour une partie de coton dont elle s'était indûment saisie, vous l'avez interrogée sur ce fait, voilà la réponse qu'elle en donne.

Elle répond quelle se rappelle que dans ce temps, étant à vendre de la viande sous la halle de Pavilly, elle trouva sous son étal, auprès de ses paniers, une pochette dans laquelle il y avait environ vingt livres et demie de laine, qu'elle la porta chez le cabaretier où était son cheval à qui elle dit qu'il n'avait qu'à la faire faire crier au prochain marché et la remettre à ceux à qui elle appartiendrait, qu'elle a appris depuis qu'elle avait été réclamée, ne sait pas qui et qu'il n'y a eu à cet égard aucune contestation.


Ce fait paraît étrange au sieur Lamand, cependant il a voulu s'assurer si sa réponse est conforme à la vérité et par les instructions qu'il a prise, il ne se montre pas un seul mot de vrai.

La femme Viel n'a point d'étal à Pavilly. Le sieur Loquin est marchand de coton et y en tient un à l'année. La femme Viel y était ce jour à vendre de la viande, il faisait mauvais temps, la Viel exposée à la pluie lui demanda la permission de se mettre sous son étal. Le sieur Loquin le lui permit. L'heure du marché passée, vint celle de la halle. Loquin fut acheter du grain et fut quelque temps absent. La femme Viel, pendant son absence, part et emporte avec elle la poche de laine de Loquin et apporta le tout à Duclair. Cette poche n'a point été criée, elle n'en a donné connaissance à personne, et ce ne fut que, environ un mois après que, sur les plaintes et le recherches que faisait Loquin, des femmes qui avaient vu la femme Viel l'emporter en instruisirent Loquin qui, après avoir réprimandé la femme Viel, se ressaisit à Duclair de sa poche et de sa laine.

Voilà la vérité du fait, est-elle semblable et telle que la rapporte la femme Viel ? Non, sans doute, sa réponse comme les autres ne sont que le fruit de l'illusion et n'étant qu'à sa justification, c'est à vous de juger, Monsieur, si c'est par ces moyens qu'elle peut y parvenir.

Si on lui demande pourquoi elle n'a pas mis dans les mains d'une personne publique la poche qu'elle dit avoir trouvée, elle répond qu'elle n'a pas cru devoir le faire.
Le suppliant espère que lors du jugement, Monsieur, vous penserez autrement. Mais avant tout pour convaincre de plus en plus votre justice et faire demeurer constant les faits tels qu'il les a exposés dans la présente et pour combattre pour autant qu'il en connaît les réponses de la femme Viel et prouver que son fils a dit que c'était lui-même qui avait trouvé la poche en question à 6h du matin, que la mère à 8h avait entendu la messe et quà 7h et demi elle avait été vue dans le bourg, qu'il n'a rien été vu sous son étal ni aux approches par des personnes qui y étaient avant son arrivée...

Et de rappeler encore une fois que le coton du sieur Loquin n'a point été crié à Pavilly et qu'il a été apporté à Duclair par le femme Viel des mains duquel Loquin s'étant ressaisi un mois après

De nouveaux témoins


Une nouvelle série d'auditions eut lieu le 22 juillet suivant.

Anne Vivier, âgée de 53 ans, femme de Jacques Leclerc, marchand boucher demeurant à Blacqueville.

Dépose qu'elle n'a autre connaissance du vol dont il s'agit qu'elle en avait entenu parler dans le public et le jour même qu'il a été fait, c'est à dire le six mai dernier ; que le dit jour, elle est arrivée à Duclerc sur les sept heures et demie du matin ; qu'elle est restée à son étal sous la halle du dit lieu jusqu'à trois heures après midi, lequel étal est séparé de celui de la femme Viel par un autre étal ; qu'elle n'a vu ni ne lui a été fait remarquer par qui que ce soit une poche sous l'étal de la femme Viel et qu'elle ne lui en a aucunement parlé ; observe qu'elle n'a vu la dite femme Viel à son étal le dit jour que sur les neuf heures du matin et croit qu'elle n'y resta pas longtemps.

Jacques Varin, âgé de 35 ans, demeurant aux Vieux.

Dépose qu'il n'a d'autre connaissance du vol dont il s'agit que d'en avoir entendu parler dans le public ; que le six mai dernier, dans la matinée, sans se rappeler précisément l'heure sinon que c'était après le petit marché, il fut sous la halle de Duclec à l'étal du nommé Viel et s'arrêta à plaisanter avec le fils de la femme Viel et autre pendant environ un quart d'heure, qu'il ne vit point de poche près ni dessous l'étal de la dite Viel et qu'il n'en fut point informé, que la femme Viel n'était point à son étal en ce moment.

Alexandre Dupré, âgé de 30 ans, garçon boucher demeurant à Blacqueville.

Dépose que le six mai dernier, il est arrivé à Duclerc à son étal à cinq ou six heures du matin ; qu'il apprit aussitôt le vol fait à Lamant ; qu'il resta à son étal jusqu'à midi ; qu'environ sur les huit heures, il vit le fils Viel à son étal qui parlait à différents particuliers ; que le déposant n'aperçut dessous l'étal ni auprès de l'étal du dit Viel aucune poche ; que le dit Viel ne lui en parla point et qu'il ne vit point ce jour la dite femme Viel à son étal.

Marie-Madeleine Hébert, femme d'Alexandre Damanne, âgée de 44 ans, journalière demeurant à Duclerc.

Dépose que le six mai dernier, lors du petit marché de Duclerc, elle apprit que la serre de Lamant avait été forcée et qu'on avait volé des marchandises ; qu'elle fut à la dite serre et y vit en effet un trou par lequel elle passa son bras ; après quoi, elle s'en fut à son travail ; qu'elle ne connaît point les auteurs du vol, mais que le soir, en s'en retournant chez elle sur les six heures du soir, elle rencontra le fils Viel qui lui dit qu'en arrivant à son étal à six heures du matin, il avait trouvé une poche près de son étal et que comme elle lui nuisait il l'avait repoussée avec son pied, ; qu'il avait demandé à un nommé Tabouret si elle n'était point à lui ; que Tabouret lui ayant répondu que non, le dit Viel avait laissé la dite poche là où il l'avait repoussée.

Alexandre Damanne, âgé de 46 ans, journalier demeurant en la paroisse de Duclerc.

Dépose que le jour où il a entendu dire dans le public que la serre de Lamant avait été volée dans la nuit précédente et en retournant chez lui sur les cinq à six heures du soir, il rencontra le fils Viel, boucher à Duclec, qui lui dit que le même jour, à environ six heures du matin, il avait trouvé auprès de son étal, sous la halle, une pouche près de son étal qu'il avait repoussée avec son pied parce qu'elle le nuisait ; qu'il a demandé au père Tabouret, son voisin, si la poche lui appartenait, parce quoi lui ayant répondu que non, le dit Viel l'avait laissée où il l'avait repoussée.

NDLR : Alexandre Damanne est mort deux ans plus tard. Les témoins furent Pierre Damanne, huilier, et Denos Gorin, clerc. Son fils, prénommé Alexandre comme lui, épousera Marie-Madeleine Lefrance en 1785.

Noël Loquin, âgé de 42 ans, marchand de laine et bladier demeurant à Blacqueville.

Dépose que le six mai dernier, arrivant en ce bourg à dix heures du matin, il apprit que la serre de Lamant avait été volée ; que comme son étal est proche de la serre, il aperçut l'effraction faite à la serre, mais n'en connaît point les auteurs ; n'a point vu de poche auprès de l'étal de la femme Viel et n'apprit point alors qu'elle en avait trouvée une ;

qu'il y a environ trois ou quatre ans, étant au marché de Pavilly vers les Rois, le déposant était étalé pour vendre sa marchandise, la femme Viel qui était à côté de lui, voyant le déposant dans le moment de quitter sa place pour aller au marché au blé, l'engagea à lui garder, ce qu'il fit et, en s'en allant, ayant oublié une poche dans laquelle il y avait environ deux ou trois livres de coton, une corde pour lier ses poches et une sangle, il resta au marché au blé jusqu'à la fin de la halle sans faire attention à qu'il avait laissé à son étal ;

Après quoi, il s'en fut chez lui, qu'aussitôt arrivé, ne retrouvant plus ses objets ci-dessus, il dit à sa femme qu'il les avait oubliés à son étal ; que le marché suivant, il retourna à Pavilly, s'informera aux coutumiers et à d'autres particuliers si on n'aurait point trouvé ce qu'il avait perdu et si par hasard on ne leur aurait remise aux mains ; que lui ayant répondu que non, il regarda d'abord tous ces objets perdus ;

Que quinze jours ou trois semaines après, le déposant étant au bourg au marché et faisant des informations à différentes personnes pour savoir si elle n'avaient point entendu parler de la perte qu'il avait faite, la femme Viel qui était alors à son étal fit signe au déposant et l'appela en lui disant si vous voulez me payer un coup d'eau de vie, je vous donnerai ce que vous avez perdu, à quoi le déposant lui répondit si quelqu'un devait payer le coup d'eau de vie ce serait vous en parlant de la dite femme Viel pour la récompense de vous avoir cédé ma place et vous avoir fait plaisir ;
qu'aussitôt et après ces explications, la femme Viel ou son fils, sans se rappeler lequel des deux, furent chercher le paquet et le remirent au déposant, se rappelle qu'il dit à la femme Viel qu'elle aurait pu se dispenser d'emporter son paquet, parce qu'elle ne devait pas ignorer qu'il lui appartenait, l'ayant trouvé à la place qu'il lui avait laissé et le remettre aux coutumiers de Pavilly pour le lui remettre, ne se souvient point de la réponse qui lui a été donnée à cet égard.


Noël Fillatre, âgé de 48 ans, marchand mercier demeurant à Limesy.

Dépose qu'il était à Duclerc le jour suivant la nuit que le vol dont il s'agit a été fait, il n'a aucune connaissance du dit vol que d'en avoir entendu parler dans le public et avoir vu les trous faits à la dite serre, observe qu'il est préposé à Pavilly pour faire le service de. crier, que d'puis l'année 1768 qu'il est employé à ces fonctions, il n'a été requis en aucun temps pour la femme Viel de faire aucune criée pour elle.

Jean Morel, âgé de 32 ans, marchand demeurant à Saint-Paër.

Dépose qu'il a vu l'effraction faite à la serre de Lamant mais n'a point connaissance des auteurs du vol, n'a aucune connaissance pareillement que la femme Viel ait trouvé une poche.

Jean Lasnière, âgé de 26 ans, toilier demeurant à Sainte-Marguerite.

Dépose que le six dernier, il a vu l'effraction faite à la dite serre mais n'a aucune connaissance des auteurs du vol ; que le même jour, sur les six heures du soir, il rencontra le fils Viel dans la côte du Rouvray qui lui dit qu'étant à son étal sur les six heures du matin, il avait trouvé une poche dans laquelle il y avait quelque chose sans dire quoi ; qu'il l'avait poussée contre son chouquet, que ne sachant à qui appartenait cette dite poche, il demanda au nommé Tabouret, son voisin, si ce n'était pas à lui, que le dit Tabouret avait répondu que non, qu'en conséquence il avait laissé la dite poche sous son étal.

Epilogue


On ne saura pas si une condamnation fut prononcée. Le dossier ne contient rien de plus. Mais il y a manifestement des contradictions troublantes entre les déclarations de la mère et du fils. Et puis il y a l'épisode de Pavilly... Ce qui fut retrouvé chez les Viel pesait quinze livres, or le vol portait en tout sur cent. Qu'est devenu le gros de la marchandise ?
Quatre ans plus tard, en 1781, c'est le boucher Viel qui donne le signal d'une émeute à Duclair et dont il est également question dans le livre Le Baron de Vastey. Ce jour-là, la foule envahit la commune pâture du Catel qu'avait fait enclôre pour son compte Pierre-Valentin Vastey, le feudiste de l'abbé de Jumièges.
En l'an II, Pierre Viel est encore sur la scellette. Il est soupçonné de fraude et de vente de viande avariée aux conscrits casernés à Jumièges.

Numérisation et transcription : Jean-Yves MARCHAND.
Transcription et rédaction : Laurent QUEVILLY.



Sources

Archives départementales de la Seine-Mariitime, cote 199BP55.

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