Le plus célèbre d'entre tous est le sieur Castagne, l'homme aux cent exploits . Mais Duclair compte encore une belle blochette de sauveteurs. Inventaire...

Le 23 février 1896, vers 5 h du soir, la dame Goimbault tombe soudain dans la Seine, profonde en cet endroit. Entraînée par le courant, ne sachant pas nager, elle va infailliblement périr. Quand Victor-Gaston Roussel, tailleur de pierres, âgé de 17 ans et qui travaillait près de là, entendant ses cris de détresse, accourut, se jeta à l'eau tout habillé. Le récit de l'Académie de Rouen...

Victor-Gaston Roussel est à Duclair, le 17 vrier 1878. Son père, tailleur de pierres chez M. Collet, est un de ces ouvriers consciencieux, dont le travail assidu et la conduite exemplaire écartent du foyer les trop dures privations et lasouffrance. La pensée des siens a toujours soutenu ses bras. L'aîné de ses trois garçons, Victor, avant de quitter les ailes sa mère, savait, déjà répondre à son amour, par l'obéissance et l'affection.

A l'école, qu'il fréquenta de bonne heure, il se montre bien soumis et studieux; il y est très aimé de ses camarades. s'attachent les enfants, se trouve toujours la bonté. Dans les graves différends, qui parfois s'élevaient dans les jeux,lorsque les grands écoliers de douze ans, amis de procédés que ne suggère pas l'amitié fraternelle, entreprenaient de trancher net les litiges, en recourant, tout comme des princes, à la raison du plus fort, Victor Roussel couvrait les plus jeunes de sa généreuse protection. On eût dit un preux chevalier, tout dévoué à la défense des faibles et des petits. Son maître l'avait en grande estime ; aujourd'hui il l'admire, et « considère comme un honneur, nous écrit-il, de l'avoir eu pour élève. »

Au sortir de l'école, Victor embrassa la profession de son père. Les promesses de son excellente nature ne se sont point démenties ; il est resté lui-même, c'est-à-dire affectueux envers ses parents et soumis à leur autorité. Laborieux, il ne raccourcit jamais sa tâche ; il l'allonge quelquefois. Le dimanche, il fait deux parts de sa journée; l'une, il la consacre à ses devoirs religieux, l'autre à la promenade avec ses parents, sa grande soeur et ses deux petits frères. Telle est sa compagnie, et il s'y plaît tant qu'il n'en désire pas d'autre.
En retraçant fidèlement là vérité, je crois rêver de l'idéal de la famille ouvrière et chrétienne.

Le pays natal de Victor s'étend derrière la légère courbe que trace, au fond de la presqu'île de Berville, la rive droite de la Seine. Cette courbe gracieuse a été rompue par un long quai rectiligne projeté sur la rivière. A l'extrémité du quai, à droite, une échelle ou escalier en bois, sans rampe, plonge ses dernières marches dans la Seine, à marée haute ; c'est là que les habitants du voisinage ont accoutumé de puiser de l'eau.
Cent mètres plus bas, l'Austreberthe se précipite en bru
yantes cascades dans le fleuve, dont elle trouble les eaux avantd'y confondre tranquillement les siennes. Le courant longe le quai, mais à peine a-t-il dépassé l'échelle,qu'il déviebrusquement à gauche, y rencontre un courant contraire déterminé par la chute de l'Austreberthe,est violemment ramenésous le choc vers la rive qui àson tour le rejette en arrière, de sorte que ces obstacles successifs lui font décrire un cercledans lequel tourbillonnent de rapides remous. Cet endroit, vous le voyez, est extrêmement dangereux.

Entre l'échelle et l'Austreberthe, la berge de la Seine et la grande route de Duclair à Caudebec-en- Caux, s'élève, à vingtmètres du quai, une petite maison blanche, d'apparence assez coquette. habitée par M. Goimbault, receveur descontributions. Contre cette demeure est adossé un hangar sous lequel travaillent parfois les tailleurs de pierre.

Victor y travaillait dans la soirée du 23 février ; le froid était intense; cinq heures venaient de sonner. Victor était libre deretourner à sa chère maison, mais il n'aime pas remettre au lendemain, même sa journée finie, l'ouvrage qu'il peutterminer le soir. Bien protégé par d'épais vêtements contre la rigueur de la température, enveloppé jusqu'aux pieds dansune blouse blanche que gonflait la bise, la tête couverte d'une lourde toque, il achevait de polir un marbre, quand un bruitconfus vint frapper ses oreilles. Ce n'était pas le moment d'accueillir les distractions ; du reste, Victor, sous le hangar, neles accueille jamais. Cependant le bruit vague devient plus perçant, plus net,
et le jeune ouvrier distingue ces cris.: « Au secours, au secours. » A l'instant même le grattoir lui tombe des mains ; il s'élance sur la berge et aperçoit, au bas de l'escalier, une tête qui émerge de la Seine et des bras qui s'agitent ; il vole à l'échelle, et dans le costume que vous savez, avec une pleine connaissance du danger qu'il va courir, mais sans hésitation aucune, il se jette dans le fleuve.

Son père l'avait suivi jusqu'aux premières marches, aussi rapidement que le lui permettaient les pesants sabots de bois qui enserraient ses pieds. La place et la . grande route étaient alors désertes; seul, à l'autre extrémité du quai, un charbonnier débarquait sa marchandise ; il ne pouvait rien voir, et il n'avait rien entendu.
A l'agitation du père Roussel, il comprit qu'un accident était arrivé. Une rumeur subite se répandit dans le voisinage, et quelques instants après, une centaine de personnes étaient rassemblées auprès de l'échelle, d'où était tombée la dame de la petite maison blanche.
Heureusement, dans sa chute, l'air enflant ses vêtements l'avait empêchée de couler à fond ; mais elle s'enfonçait peu à peu, et elle était entraînée à douze mètres de la rive, quand Victor l'atteignit.

On sait que les naufragés, éperdus en face de la mort, tentent toujours, par instinct, de s'attacher à leurs sauveteurs, qu'ils exposent ainsi au danger de périr avec eux. C'est ce qui arriva. Mme Goimbault saisit Victor par la tête, paralysa, ses mouvements, et tous deux disparurent dans le courant, profond de trente pieds. Un frisson agita les spectateurs. Tout près du théâtre de ce triste événement flottaient d'énormes glaçons. Il était à craindre que portés par les remous, vers la berge, ils n'en recouvrissent les abords, comme une dalle recouvre un tombeau. Tandis que dans l'émoi et la confusion des esprits, on commençait à discuter vainement sur les moyens de sauvetage, le père Roussel écoutait son coeur et se lançait dans la rivière. Déjà il était entré dans le courant, il approchait de l'endroit où tous les témoins de ce drame, anxieux, tenaient leurs regards attachés, quand Victor reparut. Victor avait réussi à se dégager, sous les eaux, des étreintes de Mme Goimbault, mais il ne l'avait pas abandonnée et il la ramenait avec lui. Le père Roussel rassuré à cette vue, et craignant d'ailleurs de diminuer le mérite de son fils, en s'associant à son acte de dévouement, regagna l'échelle ; mais debout sur la dernière marche, il se tenait tout prêt à intervenir de nouveau, si son concours devenait nécessaire.

Afin de prévenir un second accident, qui sans doute eût été fatal, Victor, avec un sang-froid admirable dans un si grand danger, prend ses mesures, saisit la dame par les épaules, la maintient écartée de la longueur de ses bras, se renverse dans le fleuve et ne disposant, pour tout moyen de natation, que de ses pieds, il déploie toute son énergie, lutte héroïquement contre le courant et les remous, les traverse et attire lentement, devant lui, sur la rive, Mme Goimbault à demi-asphyxiée; lui-même était à bout de forces. Les péripéties du sauvetage avaient duré environ dix minutes.

Le froid rigoureux de la température, qu'une brume glaciale rendait encore plus pénétrant, transit le jeune homme dans le trajet de la Seine à sa demeure. Le lendemain il se reposa, parce que c'était dimanche, et dès le lundi, il finissait, sous le hangar, son travail interrompu ; toutefois les symptômes d'une grave maladie s'étant bientôt annoncés, il dut laisser, pendant huit jours, la scie et le ciseau, afin de soigner sa santé.

Quant à une récompense de sa belle action, qui avait mis deux fois ses jours en grand péril, il n'y songea point. Dans sa pensée il n'avait fait simplement que ce que tout le monde aurait fait, ce qu'il ferait encore, si une-occasion venait à se présenter. Du reste, sa récompense, ne la  trouvait-il pas déjà, et plus ample qu'il n'aurait pu l'imaginer, dans les félicitations de ses compatriotes, dans l'expression de la vive reconnaissance de la famille Goimbault et surtout dans la joie de son âme !

Tout cela ne satisfit pas M. le Commissaire de l'inscription maritime ; il sollicita et obtint du Ministère de la Marine, en faveur de Victor, une médaille d'argent de seconde classe.

Vous aussi, Messieurs, vous avez porté vos regards sur cet excellent jeune homme de dix-sept ans; son remarquable sauvetage, accompli en des circonstances si difficiles, si périlleuses, si émouvantes, ont excité votre admiration ; vous l'avez jugé au-dessus de tout éloge, et vous êtes heureux de décerner à Victor Roussel la plus haute récompense dont dispose l'Académie, le prix Dumanoir.

Roussel reçut aussi un prix fondé par M. et Mme Le Maire, en souvenir de leur fille unique, Gabrielle, décédée prématurément. Il consistait en une médaille d'argent et une somme de 50 francs portée sur un livret de caisse d'épargne.

Bien d'autres sauveteurs


Maçon à Duclair, Napoléon Champagne avait déjà plusieurs actes de bravoure à son actif. En avril 1842, le sieur Lépagnol, sous-lieutenant, était occupé à lester de blocs de pierres un navire anglais mouillé face l'Anerie. Quand, passant sur la planche d'embarquement, il tombe avec sa brouette à la Seine. Napoléon Champagne se jette alors à l'eau et ramène à bord Lépagnol sain et sauf.

 La Presse, 3 février 1864 : On nous signale la belle conduite du sieur Capron, retraité des douanes, employé au bateau messager de Duclair à Rouen. Ces jours derniers, a Duclair, deux personnes, montées dans une barque, risquaient d'être atteintes par le vapeur le Neptune, qu'elles n'avaient pas aperçu, et s'étaient jetées dans la Seine, lorsque le sieur Capron s'est précipité à leur secours et a eu le bonheur de les ramener saines et sauves sur la rive. Le sieur Capron a déjà reçu deux médailles pour pour faits de sauvetage.

Auguste Lefebvre, sergent des sapeurs-pompiers de Duclair, fut décoré en janvier 1870 pour son attitude au cours de plusieurs incendies de 1830 à 1869.

Pierre Alexandre Edouard Grain, préposé des Douanes, plongea tout habillé dans la Seine, le 3 juin 1870, pour sauver un enfant de la noyade. Il fut décoré.

Albert Lécuyer fut décoré le 15 juillet 1881 : il s'est distingué dans deux circonstances, notamment en portant secours à un homme qui se noyait.

Apprenti épicier à Duclair, René Buquet, 14 ans, sauva de la noyade un enfant le 28 septembre 1904. En 1906, René Buquet obtient le 2e prix Gabrielle Le Merre.

Le 25 décembre 1915, Bataille, au moyen d’un ligne Brunel sauve un matelot nommé Watman.

Le 20 juin 1928, Hautot fut sauvé au moyen d’un ligne Brunel par le brigadier Buttel, le sous-brigadier Magré et le préposé Contremoulins.




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