Le 11 novembre 1892 mourut à Duclair Pierre Gournay. Mais tout le monde dans le canton ne l'appelait que par cet étrange surnom : l'homme à la soupière. Explication...

C'était à l'Exposition rétrospective de Rouen, en 1884, sur le Champ de Mars. Durant les quatre mois que dura cet événement, un homme se tenait presque toujours en permanence devant la vitrine qui renfermait une antique soupière joliment décorée. Si bien qu'on avait fini par l'appeler « l'homme à la soupière ». Un journal illustré de la capitale normande en avait même fait une caricature.

L'entrée de l'exposition

Il est vrai que ce personnage était devenu l'une des curiosités mêmes de l'exposition. Avec son pantalon tombant sur les talons, son habit à larges basques, son gilet à ramages sur lequel battaient les gros maillons de la chaîne en or de sa montre et puis l'épingle si voyante de sa cravate. Avec sa vieille redingote, plaisantaient les moqueurs, on aurait pu faire un pot-au-feu qui aurait satisfait les plus fins gourmets, tellement elle était grasse.

De longs cheveux blancs jaillissaient d'un chapeau mou à larges bords et notre individu affectait de profonds saluts à qui déniait s'arrêter pour admirer sa soupière. Aussitôt, il vous la présentait comme ayant été peinte par Bernard de Palissy lui-même et l'évaluait à la somme fantastique d'une soixantaine de mille francs. Les œuvres de Palissy connaissaient alors un formidable regain d'intérêt. De nombreux artistes, tant en France qu'à l'étranger imitaient son talent  et il circulait foule de contrefaçons qui faisaient la fortune des faussaires. Le moindre fragment de poterie retrouvé lui était aussitôt attribué. Mais à Rouen, dans les travées du salon, les spécialistes au coup d'œil avisé dataient la soupière de Gournay tout au plus du XVIIIe siècle, soit tout de même deux siècles après que le génial inventeur ait brûlé ses meubles pour cuire ses émaux. Alors, on ramenait les évaluations hardies du Duclairois à six ou sept cent francs, plateau compris. Ce qui était déjà un joli denier.

A Duclair, notre original était connu à dix lieues à la ronde.  Sa soupière, répétait-il à l'envi, était si vieille qu'il ne savait plus de quel siècle elle était. Quand il mourut, l'ouverture de son testament stupéfia sa famille : il léguait sa fameuse pièce de collection au musée de Cluny. Son directeur, Alfred Darcel, demeurait comme par hasard au Manoir Dupont, à Anneville-sur-Seine. Faut-il y voir un rapprochement ? Toujours est-il que que d'autres dispositions testamentaires froissaient aussi ses proches qui décidèrent aussitôt de contester tour cela en justice. On ne sait comment se termina cette affaire ni où se trouve aujourd'hui la vaisselle de l'homme à la soupière.

NB : En 1841 mourut à Duclair Jacques Gournay, âgé de 82 ans et célibataire. Il était originaire de Saint-Germain-d'Ectot. L'un de ses neveux, Gilles Gournay, 46 ans, était alors marchand faïencier au 77 de la rue Grand-Pont, à Rouen. Une piste...




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