Le 9 mars 1734, cet enfant de Duclair convole en justes noces à Rouen. En justes noces ? Vite dit ! Car le père du marié n'est pas le bon. Le vrai, lui, portera l'affaire en justice. Et la justice sera terrible...


Abraham-Nicolas Renoult est né à Duclair, le 9 juillet 1713. Il était le fruit d’Abraham Renoult et d’Anne Bouvier. On n'en saura pas plus sur cette naissance. Le registre de cette année-là a disparu...

A 19 ans, on retrouve Abraham-Nicolas à Rouen. Et le voilà père d'un enfant conçu « dans le péché ». Son auguste père rentre alors dans une rage folle. Pour, 300 pistoles, il se débarrasse de la petite fille née hors mariage en graissant la patte au trésorier des Pauvres de l’hôpital général. Nous sommes le 29 mars 1732. Manifestement, les rapports entre père et fils sont détestables...

Exactement deux ans plus tard, le 9 mars 1734, en l’église Saint-Vivien de Rouen,  notre jeune dévergondé épouse Marie Langlois, de cinq ans son aînée. La mère de l’enfant naturel ? Qui sait. En tout cas,  François-Philippe Dué, le curé qui officie ce jour là, va s’en mordre les doigts. Car ce mariage est truqué. Oui, truqué...

Un faux père

Oh ! on a bien reçu l’acte de naissance de l’époux dûment paraphé par le curé de Duclair. Celui aussi de Marie Langlois, née le 30 avril 1710 en la paroisse Saint-Laurent de Rouen. Bref, les papiers sont en règle et les témoins de cette noce ordinaire ont bonne figure. Regardez, vous avez là Adrien Doutreleau, Nicolas Delagrave, Pierre-François Langlois, le frère de la mariée, Marie Leprieur, sa veuve de maman. Et puis, et puis, il y a le père de l’époux, celui qui signe maintenant d'une croix. Seulement voilà : ce dernier est un usurpateur…

L'acte de mariage litigieux


Le dit jour neuf de mars, après les fiançailles & la publication d'un ban canoniquement fait en cette église sans opposition, vue la dispense de deux bans accordée par M. l'abbé Bridelle, vicaire général de Monseigneur Nicolas de Saulx-Tavannes, archevêque de Rouen en bonne et due forme, je, François Philippe Dué, prêtre sous-vicaire de cette paroisse ai conjoint en mariage Abraham Nicolas renout, âgé de 22 ans, fils d'Abraham et d'Anne Bouvier d'une part & Marie Langlois, âgée de 27 ans, fille de feu Pierre & de Marie Le Prieur, d'autre part, tous deux de cette paroisse, présence de Monsieur de la Grave & de Monsieur Doutreleau, demeurant rue de la Marecoie, de la mère de la mariée, de Pierre François Langlois, frère et du père du marié, lesquels témoins nous ont attesté du domicile des dites parties depuis le temps porté par la déclaration du roy de l'an 1697, se soumettant aux peines portées en cas de fausseté, ce qu'ils ont signé.
Abraham Nicolas Renout, Marie Langlois, la marque + d'Abraham Renout, Marie le Prieur veuve de Pierre Langlois, Delagrave, Adrian Doutreleau, Pierre François Langlois, François Philippe Dué, prêtre.


Un père impitoyable

Quand le vrai père de l'époux apprend ce mariage, il porte aussitôt l’affaire en justice. Contre tous les protagonistes de cette cérémonie. Prêtre y compris. Il demande notamment 2.000 livres de dommages et intérêt.
Prison. Interrogatoires. Saisie du registre des mariages. Procès...
Le jugement est enfin rendu le 2 septembre 1737. Terrible. Seuls Doutreleau et Delagrave s’en tirent à bon compte. Déjà élargis et assignés à résidence, ils sont déchargés de toute poursuite. Quant au curé, il écope d’un simple rappel à l’ordre. En revanche, les époux litigieux, le frère et la mère de la mariée sont passibles de deux amendes : 2 livres pour le roi, 200 pour le plaignant. On est loin des 2.000 réclamés par Abraham Renoult. Mais il y a pire.

Condamné aux galères


Tous quatre sont condamnés à neuf années de bannissement hors de la Province. Et cette sanction est lourde. Elle voue souvent à l'errance.
Rien encore à côté de celle qui frappe le faux père du marié. D’abord ses biens sont confisqués au profit du roi ou des seigneurs dont ils dépendent. Si jamais ils n’allaient pas au monarque, on prélève d’ores et déjà 50 livres au profit de Sa Majesté.
L'usurpateur devra aussi faire amende honorable. Au portail de l'église, en chemise et pied nu, portant dans chaque main un cierge, il se mettra à genoux pour dire la formule précisée dans le jugement et demander pardon à Dieu, à la société et aux hommes.
Enfin et surtout, notre imposteur est condamné à « servir le roy comme forçat aux galères à perpétuité. » Autant le condamner à mort. Un homme sur deux en réchappe. Au fer rouge, on lui imprimera sur la peau les trois lettres d’infamie : GAL. Puis il prendra la direction de Marseille…

Belle justice que celle de Louis XV ! Pour une histoire d’amour... En prononçant ces peines sévères, le Parlement de Rouen appliquait à la lettre un édit datant du mois de mai 1687 légiférant en matière de faux. Cette affaire allait être ensuite citée en exemple dans les traités de justice criminelle.

Que sont-ils devenus ?

Mais allez, rassurez-vous. Cette condamnation fut prononcée par contumace et simplement affichée au carrefour de la Croix-de-Pierre. Le couple illégitime, le frère de la mariée et surtout le faux père de l’époux ne répondirent jamais aux convocations placardées aux quatre coins de la ville. Il leur fallut vivre dans la clandestinité. Ou prendre la poudre d'escampette...

Le « Bien aimé » finira par abolir le service des galères le 28 septembre 1748. Onze ans après cette affaire. Les 4.000 forçats furent alors dirigés qui vers Toulon, qui vers Brest où des bagnes, des travaux portuaires les attendaient.

Mais au fait, comment s’appelait notre faux-témoin condamné aux galères ? Le jugement répète inlassablement "celui qui s'est dit le père d'Abraham-Nicolas Renoult". Seul l'intitulé donne un nom. Et c'est exactement le même que celui du marié : Abraham-Nicolas Renoult. S'il ne s'agit d'une erreur du scribe, alors, c'est donc un oncle, voire même le parrain du jeune garçon.



Quant aux autres acteurs de ce drame, aucune trace dans les relevés généalogiques de Seine-Maritime. Aucune ! Encore moins de la petite fille qui valait 300 pistoles…

Laurent QUEVILLY.

Epilogue

A force de chercher, nous avons retrouvé la trace d'Abraham Nicolas-Renoult. Il s'était réfugié dans le Loiret. Six ans après sa condamnation, c'est à Orléans qu'il épousa, le 6 mai 1743, Marie-Anne Dubié. Veuf de Marie Langlois, il est dit de la paroisse de Saint-Pierre-Ensentelée qui était l'une des composantes de la ville. Quant à la mariée, elle est fille d'Etienne Dubié et de feue Marie-Anne Crochet. Des zones d'ombre demeurent. Renoult a-t-il eu descendance, quel fut le sort de ses complices, les circonstances de la mort de Marie... Aux généalogistes de boucler l'enquête...


Merci à Xavier Guyot, président de l'association du Loiret Généalogique, pour son aide précieuse et enthousiaste.


Bibliographie : Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, Philippe Antoine Merlin, 1826 ; Recueil des édits, déclarations, lettres-patentes, arrêts et réglements du Roi, 1774.




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