Abraham-Nicolas Renoult est né à Duclair, le 9 juillet 1713. Il était le fruit d’Abraham Renoult et d’Anne Bouvier. On n'en saura pas plus sur cette naissance. Le registre de cette année-là a disparu...
A 19 ans, on retrouve Abraham-Nicolas à Rouen. Et le voilà père d'un enfant conçu « dans le péché ». Son auguste père rentre alors dans une rage folle. Pour, 300 pistoles, il se débarrasse de la petite fille née hors mariage en graissant la patte au trésorier des Pauvres de l’hôpital général. Nous sommes le 29 mars 1732. Manifestement, les rapports entre père et fils sont détestables...
Un faux père
Oh ! on a bien reçu l’acte de naissance de l’époux dûment paraphé par le curé de Duclair. Celui aussi de Marie Langlois, née le 30 avril 1710 en la paroisse Saint-Laurent de Rouen. Bref, les papiers sont en règle et les témoins de cette noce ordinaire ont bonne figure. Regardez, vous avez là Adrien Doutreleau, Nicolas Delagrave, Pierre-François Langlois, le frère de la mariée, Marie Leprieur, sa veuve de maman. Et puis, et puis, il y a le père de l’époux, celui qui signe maintenant d'une croix. Seulement voilà : ce dernier est un usurpateur…
Abraham Nicolas Renout, Marie Langlois, la marque + d'Abraham Renout, Marie le Prieur veuve de Pierre Langlois, Delagrave, Adrian Doutreleau, Pierre François Langlois, François Philippe Dué, prêtre.
Un père impitoyable
Quand le vrai père de l'époux apprend ce mariage, il porte aussitôt l’affaire en justice. Contre tous les protagonistes de cette cérémonie. Prêtre y compris. Il demande notamment 2.000 livres de dommages et intérêt.
Prison. Interrogatoires. Saisie du registre des mariages. Procès... Le jugement est enfin rendu le 2 septembre 1737. Terrible. Seuls Doutreleau et Delagrave s’en tirent à bon compte. Déjà élargis et assignés à résidence, ils sont déchargés de toute poursuite. Quant au curé, il écope d’un simple rappel à l’ordre. En revanche, les époux litigieux, le frère et la mère de la mariée sont passibles de deux amendes : 2 livres pour le roi, 200 pour le plaignant. On est loin des 2.000 réclamés par Abraham Renoult. Mais il y a pire.
Condamné aux galères

Rien encore à côté de celle qui frappe le faux père du marié. D’abord ses biens sont confisqués au profit du roi ou des seigneurs dont ils dépendent. Si jamais ils n’allaient pas au monarque, on prélève d’ores et déjà 50 livres au profit de Sa Majesté.
L'usurpateur devra aussi faire amende honorable. Au portail de l'église, en chemise et pied nu, portant dans chaque main un cierge, il se mettra à genoux pour dire la formule précisée dans le jugement et demander pardon à Dieu, à la société et aux hommes.
Enfin et surtout, notre imposteur est condamné à « servir le roy comme forçat aux galères à perpétuité. » Autant le condamner à mort. Un homme sur deux en réchappe. Au fer rouge, on lui imprimera sur la peau les trois lettres d’infamie : GAL. Puis il prendra la direction de Marseille…
Belle justice que celle de Louis XV ! Pour une histoire d’amour... En prononçant ces peines sévères, le Parlement de Rouen appliquait à la lettre un édit datant du mois de mai 1687 légiférant en matière de faux. Cette affaire allait être ensuite citée en exemple dans les traités de justice criminelle.
Que sont-ils devenus ?
Mais allez, rassurez-vous. Cette condamnation fut prononcée par contumace et simplement affichée au carrefour de la Croix-de-Pierre. Le couple illégitime, le frère de la mariée et surtout le faux père de l’époux ne répondirent jamais aux convocations placardées aux quatre coins de la ville. Il leur fallut vivre dans la clandestinité. Ou prendre la poudre d'escampette...
Le « Bien aimé » finira par abolir le service des galères le 28 septembre 1748. Onze ans après cette affaire. Les 4.000 forçats furent alors dirigés qui vers Toulon, qui vers Brest où des bagnes, des travaux portuaires les attendaient.
Mais au fait, comment s’appelait notre faux-témoin condamné aux galères ? Le jugement répète inlassablement "celui qui s'est dit le père d'Abraham-Nicolas Renoult". Seul l'intitulé donne un nom. Et c'est exactement le même que celui du marié : Abraham-Nicolas Renoult. S'il ne s'agit d'une erreur du scribe, alors, c'est donc un oncle, voire même le parrain du jeune garçon.
A force de chercher, nous avons
retrouvé la trace d'Abraham Nicolas-Renoult. Il
s'était réfugié dans le Loiret. Six
ans après sa condamnation, c'est à
Orléans qu'il épousa, le 6 mai 1743, Marie-Anne
Dubié. Veuf de Marie Langlois, il est dit de la paroisse de
Saint-Pierre-Ensentelée qui était l'une des
composantes de la ville. Quant à la mariée, elle
est fille d'Etienne Dubié et de feue Marie-Anne Crochet. Des
zones d'ombre demeurent. Renoult a-t-il eu descendance, quel fut le
sort de ses complices, les circonstances de la mort de Marie... Aux
généalogistes de boucler l'enquête...
Merci
à
Xavier Guyot, président de l'association du Loiret
Généalogique, pour son aide précieuse
et enthousiaste.
Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, Philippe Antoine Merlin, 1826
Recueil
des édits,
déclarations, lettres-patentes, arrêts et
réglements du Roi, 1774.