Caudebec-en-Caux 1940-1944
Par Alain HUON.
En
1938, la tension monte en
Europe, même si les diplomates se veulent rassurants.
Cependant, le
lundi 8 août de cette même année, on
procède à Caudebec-en-Caux,
à un exercice de défense passive en
présence de M. le Préfet de
la Seine-Inférieure. Des consignes strictes sont
rappelées,
notamment en cas de couvre-feu pour que toutes les lumières,
y
compris sur les cours intérieures, soient
occultées.
Hélas,
les illusions pacifiques
tombent totalement quand, le 1er septembre 1939, l'Allemagne attaque
la Pologne. La France et l'Angleterre, selon les alliances
internationales, et qui n'ont pas bougé quand la
Tchécoslovaquie
fut envahie, sont cette fois-ci obligées de
réagir. Et le 2
septembre, M. Jourdain, employé à l'imprimerie
Lemoine mais surtout
sacristain, sonne le tocsin aux cloches de l'église de
Caudebec pour
appeler à la mobilisation générale.

De
nombreuses mesures sont prises
dans la ville, comme la formation d'un comité de
défense passive
chargé d'organiser et de pratiquer des secours en cas
d'attaque, de
veiller à l'occultation des lumières, de
préparer des abris en cas
de bombardement, etc. Les grandes peurs de la Première
Guerre
mondiale ressurgissent et les élèves vont
bientôt tous être
équipés d'un masque à gaz et font
régulièrement des exercices
d'évacuation derrière les sacs de sable qui
barricadent le préau.
Le journal local Le Pilote passe de 4 à
2 pages. Un comité
se met en place pour rassembler des propriétaires de
voitures et des
chauffeurs, pour assurer le transport des permissionnaires entre
Caudebec-en-Caux et la gare d'Yvetot.
Un
autre comité, cette fois-ci
cantonal et un des tout premier du département, est
institué pour
organiser une entraide aux combattants par l'envoi de colis contenant
vêtements et nourriture, financés par des
quêtes, des dons et des
spectacles caritatifs. Au 30 décembre 1939, 435 colis ont
déjà été
envoyés. Il faut dire que le maire de Caudebec, M. Maurice
Collet,
est un ancien combattant de la Première Guerre mondiale en
qualité
d'aviateur.
Un
détachement de DCA (Défense
contre avion) est présent à Caudebec, dont une
batterie proche de
l'usine d'aviation SNCAN (ex-Latham). Les propriétaires de
chevaux,
mules et mulets doivent faire recenser leurs animaux. Le recensement
est aussi obligatoire pour les possesseurs de gros stocks
alimentaires et pour les possesseurs d'appareil de radio. On lance
des appels pour la récupération des chiffons, des
cartons et des
métaux. C'est aussi la réquisition des moyens
émetteurs de radio.
Et la Perle du Val de Seine est très concernée :
depuis moins d'un
an, Radio Normandie a déménagé de
Fécamp aux studios de
l'actuelle mairie de Caudebec, reliée par câble
à l'émetteur de
Louvetot. Un investissement très important pour quelques
mois
seulement d'utilisation.
Des
détachements anglais
arrivent en 1940, et logent aux Capucins, à la
Martinière (château
à l'entrée de Villequier en venant de Caudebec),
et sous tente.

Quand,
le 10 mai 1940,
l'Allemagne lance sa grande offensive à l'Ouest, envahissant
les
Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg puis la France, c'est le
début
d'un exode où des millions de personnes vont fuir
l'arrivée de
l'ennemi, avec une grande peur et en essayant de sauver quelques
affaires selon le moyen de transport dont elles disposent. Notre
département est sur la route du Sud-Ouest et l'affluence ne
cesse
d'augmenter avec les réfugiés du nord de la
France, puis du nord du
département. Caudebec-en-Caux, entre autre, est bien connue
pour son
bac, car il faut bien franchir cet obstacle naturel que
représente
la Seine. Alors que Rouen tombe le 9 juin et que se referme la poche
de Veules-les Roses - Saint-Valery-en-Caux, des milliers de voitures
automobiles mais aussi hippomobiles veulent passer le bac. La
priorité est donnée aux militaires
français et anglais en
retraite. Un bac sur deux leur est réservé.
En
l'absence de toute directive
officielle, le 8 juin 1940, M. Collet, maire, ordonne
l'évacuation
de Caudebec, dont une bonne partie se fera dans la nuit du 8 au 9.
À
partir du 9, le bac, qui fonctionne jour et nuit, ne prend plus les
véhicules civils : sur la route de l'exil tout le monde doit
alors
abandonner ce qu'il avait essayé de sauver dans son moyen de
transport et traverser la Seine en piéton. Des
kilomètres de
véhicules, garés parfois en double file, sont
donc dans
l'impuissance de gagner le fleuve. Pour ajouter à la peur
collective, il fait nuit en plein jour : tous les
dépôts d'essence
et d'huiles, toutes les raffineries ont été mis
en feu pour que les
stocks ne tombent pas à l'ennemi. C'est le cas à
la Standard de La
Mailleraye, à la PEN de Villequier, aux raffineries de
Notre-Dame-de-Gravenchon et du sud du Havre.
Les Caudebecquais sont
partis
Le
dimanche 9 juin, à 7 h 45,
les cloches appellent à la messe pour la dernière
fois avant 1942.
L'abbé Cotelle, curé de Caudebec, dit sa messe de
8 heures devant
huit personnes. Puis il décide d'annuler les autres
cérémonies et
ferme les portes de l'église. Elles ne rouvriront qu'avec
l'arrivée
de son successeur, l'abbé Lefay, le 23 mars 1941,
l'abbé Cotelle
étant décédé le 24
septembre 1940. Quand Robert Thuillier, le
jeune fils de la ferme du Marais apporte sa livraison de lait, il
arrive dans une ville vide ; les Caudebecquais sont partis. Ce 9
juin, il faut aussi évacuer les malades de
l'hôpital-hospice. Des
volontaires, dont l'abbé Cotelle, vont transporter les
malades et
les vieillards jusqu'à Bourneville.
La
guerre est présente avec des
survols d'avions à la croix gammée qui attaquent
les routes où se
trouvent des militaires au milieu des civils. Les bacs de Seine sont
une cible stratégique pour empêcher la retraite.
Celui de Caudebec
est attaqué le 8 et le 9 sans dégât.
Mais les bombardiers
reviennent le lundi 10 très tôt le matin et
lâchent leurs
munitions plus au-dessus de la ville. Elle s'enflamme par endroit. Le
feu redouble avec les bombardements de l'après-midi, puis
encore du
lendemain 11 juin.
Le
Vieux-Caudebec, comme disent
les amoureux de vieilles maisons, c'est une ville qui a
poussé
serrée dans ses anciennes fortifications : les rues sont
étroites,
les immeubles, dont la plupart sont en bois, avec un style normand
qui a fait sa réputation, sont proches les uns des autres,
et
souvent communiquent entre eux par le grenier. Si on rajoute des
centaines de voitures abandonnées un peu partout, avec leur
réservoir d'essence et leurs pneus, avec leurs affaires
à
l'intérieur abandonnées et souvent un matelas sur
la galerie, on
comprend mieux pourquoi l'incendie de Caudebec a pris de telles
proportions et a duré plusieurs jours.
Un camion de munitions
explose
Les
Caudebecquais sont comme les
autres, ils partent comme ils peuvent, en emportant leur
priorité.
Nombreux sont ceux qui partent à pied, voire avec une
brouette, un
landau ou mieux, un vélo (un partira avec un vélo
non réparé avec
une seul pédale). Si certains essayent de sauver quelques
objets de
valeur, d'autres préfèrent la valeur
sentimentale. La grand-mère
de M. Caron partira avec une valise de photos « en
travaillant on pourra toujours se racheter des choses mais jamais les
souvenirs ! ». M. Gilbert Soudais
emmènera entre autre son
violon, un autre sauvera dans sa brouette les cadeaux de la communion
récente de sa fille.

À
partir du 10 juin, il y a trop
de piétons et même les vélos sont
interdits de bac. Un camion de
munitions explose et des soldats français sont
tués. Un artificier
militaire est présent sur le bac depuis plusieurs semaines
avec
l'ordre de le faire sauter, même s'il y a du monde dessus, si
les
Allemands arrivent. Le mardi 11 au soir, le bac n° 7
est
accosté à l'appontement rive gauche et les
charges explosives le
coulent. Le mercredi matin entre 5 et 6 heures, les ennemis
sont
à Caudebec, leurs véhicules bloqués
par les voitures civiles
abandonnées et parfois carbonisées. Le bilan est
lourd pour
Caudebec, si aimée des touristes et des artistes
d'avant-guerre. Sur
610 immeubles, 435 sont sinistrés dont 349
détruits complètement.
500 familles sont sinistrées. Il n'y a pas de victimes
caudebecquaises, mais malheureusement dans les
réfugiés, 14
personnes venues de la Somme dans un chariot "à gerbes"
furent tuées près du cimetière, trois
autres sur les routes, huit
dans la côte de Saint-Arnoult. Il sera retrouvé
aussi deux vieilles
dames abandonnées dont une décèdera
vite, et un cadavre de bébé
abandonné. Plusieurs chevaux périrent aussi dans
les flammes
(certains n'étaient pas dételés).
Pillages
L'église
n'ayant pas reçu de
bombe directement est toujours debout. Des échafaudages en
bois
recouvraient une partie de l'extérieur qui va du grand
portail ouest
jusqu'au clocher. Le feu dû au bombardement va donc se
propager très
facilement autour du clocher. Les toitures du
bas-côté sud vont
brûler ainsi que les supports de cloches qui vont fondre
partiellement et surtout tomber au pied du clocher dans un grand
fracas. Une grande partie du bronze sera cachée simplement
dans un
tas de gravats en face l'église pour éviter que
les Allemands ne le
récupèrent. À l'intérieur,
des chaises et des confessionnaux ont
brûlé et de nombreux débris de pierre
éclatée et de verre
jonchent le sol. Les plus beaux vitraux ont été
démontés en 1938
pour restauration et sont dans les caves du château de Niort.
L'eau
de pluie passe en différents endroits entre les pierres et
inonde
les dalles. L'église ne rouvrira qu'au printemps 1941. En
attendant
les offices ont lieu à la chapelle de
l'hospice-hôpital.

Le
17 juin, M. l'abbé Deschamps,
curé de Saint-Arnoult, visite Caudebec, et la
décrit ainsi : « En
ruines, ville morte, trois habitants sont restés, chevaux
morts,
puanteur, autos brûlées
pêle-mêle. Le presbytère et trois
écoles
libres incendiées, l'église est très
grandement endommagée et les
cloches ont fondu. Pillage d'autos abandonnées. Pillage
aussi des
maisons et châteaux du coin comme celui de la Guerche. Ai vu
passer
deux charrettes remplies de matelas et autres objets provenant de
pillage ». On peut rajouter qu'une
épaisse couche de
poussière noire recouvre le sol.
Alain HUON.
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