Un jour, l'abbé Prévost, curé de Jumièges, découvrit un précieux manuscrit. Il nous renseigne sur les rites de l'abbaye. Le Dr Guéroult le feuillette pour nous...

Un registre des « vestures et professions » de la communauté gemmétique, manuscrit petit in-folio, relié en parchemin, échappé par miracle aux tourmentes révolutionnaires, a été retrouvé, il y a quelques années, par M. le curé de Jumiéges.

Anciennement déposé au chapitre abbatial, ce manuscrit, rédigé partie en français, partie en latin, et dont plusieurs feuilles font défaut, comprend seulement de 1670 à 1715.

Sa compulsion est néanmoins fructueuse, en ce qu'elle renseigne sur certains rites de l'ordre de saint Benoît.

Voici les formules sommairement résumées.

Après être resté pendant quinze jours, à l'abbaye, dans la pratique des exercices de la règle et avoir pris connaissance de ses clauses, l'aspirant, s'il persévérait dans la résolution de suivre la vie monastique, demandait avec instances réitérées au prieur de l'admettre à la probation.

Pendant le saint sacrifice de la messe, il recevait du R. P. prieur, avec les prières et cérémonies accoutumées, devant tout le couvent et quelques personnes du dehors, l'habit de novice, cérémonie que précédait, la veille, le lavement des pieds et la remise du petit scapulaire (1), en présence du chapitre. 

(1) C'est lors de l'admission à la première probation que le scapulaire était remis au postulant, avec la tunique et la ceinture. — Le novice était revêtu solennellement de la cueillie, ou manteau à capuchon, qui se mettait par-dessus la robe.

Un acte constatant l'état civil du récipiendaire et la date de sa prise d'habit, était consigné sur le registre capitulaire, puis paraphé par le postulant ; signaient ensuite le prieur, le sous-prieur, deux anciens « seniores, » le scribe et les laïques assistants.

Vers le quatrième ou le cinquième mois, le novice subissait l'épreuve du scrutin (ballotatio) ; refusé : « Demissus erat ad suos. »

Un an et un jour d'épreuve aprobatio accomplis, il adressait au prieur une supplique, devant tous les membres conventuellement assemblés au chapitre, et, en présence d'étrangers appelés comme témoins, il sollicitait l'avantage d'être reçu à la profession solennelle.

Lecture préalablement faite de la règle, des vêtements séculiers et cénobitiques lui étaient offerts ; on l'engageait à choisir, tandis qu'il en était encore libre.

Après avoir déclaré son intention formelle d'embrasser la vie monastique dans la Congrégation, il se rendait, avec les religieux, à l'église, où, après l'offertoire de la messe, se tenant au bas des degrés du grand autel, il devait lire à haute, claire et intelligible voix, la formule des vœux, écrite et signée de sa main sur une feuille qu'il plaçait sur l'autel, après l'avoir marquée du signe de la croix et l'avoir fait contresigner au moins par deux témoins laïques.

En ce moment, on revêtait le novice, avec le cérémonial et les rites usités, des habits bénits de profès.

En foi de quoi l'acte, dressé par le secrétaire, était signé -j- par le nouveau frère et par les témoins.

« Propositio casuum ante professionem.

« Anno Domini... die... mensis... etc.... In monasterio sancti « Pétri Gemmeticensis, ordinis sancti Benedicti, congregationis « sancti Mauri, R. P. prior N... ejusdem monasterii, accersito « in capitulum Fr. N... brevi professionem emissuro, propo« suit, in prœsentià duorum senior'um et mei scribae Capituli « praedicti monasterii, ac etiam sufficienter exposuit octo casus « professionem irritantes, contentos in declarationibus in cap. « 8. reg.num. quarto (i), cum protestatione quœ ibidem habe« tur, videlicet : quod si aliquando in aliquo illorùm respondisse « falsum convictus fuerit, eo ipso expelletur etiam post emissam « professionem: quamhoc casu riullum et irritam esse decla« ravit. Insuperque illi proposuit : quod si aliquid difficul« tatis post emissam professionem circà constitutiones, regimen « aut personas congregationis, vel etiam circà interiorem « animae suse statum quoquo modo habuerit, judicio ac deci« sione eorum patrum congregationis, ad quos per proprium « Superiorem, Visitatorem aut R. P. Superiorem Generalem « remittetur, acquiescere tenebitur, juxtà decretorum ejusdem « congregationis. Ac iis prœmissis propositionibus, ab eodem « qusesivit : num ulli impedimentorum in suprà dictis casibus « contentorum sit obnoxius, et num suprà positas omnes « conditiones acceptet iisque sese subjiciat :

« Qui quidem prœdictus frater N... sic rogatus respondit : a Se nulli horum impedimentorum obnoxium esse et se per« omnes praedictas conditiones acceptare, iisque animo lubenti 

« sese subjicere. In quorum fidem, hune praesentem actum,

« jussu ejusdem R. P. prions a me scribâ capituli confectum

« etabeodem Fr. N... atque ab ipso R. P. priore et duobus

« senioribus subsignatum ipse subsignavi, die et anno quibus

« suprà. —N...— Fr. N... Fr. N... prior.— Fr. N... subprior.

« FF. N... seniores. — Fr. N... scriba. »

Dr Guéroult

(1) Voici quelles étaient les questions que le supérieur devait, adresser au candidat, en présence des sénieurs (ou anciens) et du secrétaire du chapitre .

1° Quel était son âge. Le postulant devait présenter un acte de baptême authentique.

2° S'il a spontanément choisi l'état monastique, sans qu'aucune violence ou séduction l'y ait contraint.

3° S'il n'a déjà fait profession dans un ordre quelconque, surtout dans un ordre mendiant, et si, dans ce dernier cas, il est muni d'une dispense légitimement obtenue du souverain pontife.

4° S'il n'est lié par le mariage; si son épouse a consenti à son entrée en religion; si elle-même s'est retirée du monde.

5° S'il n'a contracté quelque dette qu'il soit impuissant à payer.

6° S'il a des comptes à rendre, soit au public, soit aux particuliers.

7° S'il est atteint d'épilepsie ou de maladie contagieuse.

8° S'il n'a point été condamné ou seulement appelé en justice comme coupable de quelque crime.

APPENDIX.


Nous avons cru que nos lecteurs pourraient trouver quelque intérêt à voir ici complétées, d'après les règles et constitutions de l'illustre Congrégation de Saint-Maur, les indications recueillies dans le Registre des Vestures.

Dans chaque maison de probation, on mettait tout d'abord entre les mains des candidats la règle de saint Benoît et les constitutions particulières de la Congrégation, afin qu'ils pussent à leur aise les connaître et s'en pénétrer.

Cependant, ils poursuivaient le cours de leurs études. Un des religieux, remplissant les fonctions et la charge de délateur, devait veiller à ce que chacun d'eux, selon sa capacité, s'appliquât, pendant le temps de sa première probation à l'étude des principes des langues latine et française, voire même grecque et hébraïque; il devait leur apprendre à bien lire et à bien parler, leur inculquer les éléments de là géographie, de la chronologie et de l'histoire. Ils devaient cependant s'adonner au travail des mains, à de pieuses lectures, à connaître les rubriques du Bréviaire, le chant et les cérémonies.

Après six mois, le supérieur,, qui devait conférer souvent à leur sujet avec le maître des novices, interrogeait le chapitre sur les défauts qu'on remarquait en eux, etils étaient avertis des observations faites à leur occasion.

Cette première épreuve durait un an, et le seul général de la Congrégation pouvait abréger ce temps, encore ne lé poùvait-il que de six mois tout ,au plus, ce qui lui permettait de faire entrer ensemble au noviciat les candidats de la première année, vers le commencement de l'année scolaire.

Comme il devait y'avoir deux maisons de noviciat par province bénédictine, on n'admettait dans.l'une d'elles que ceux qui avaient accompli leur premier temps de probation.

C'est alors seulement qu'avec les cérémonies précédemment indiquées, les postulants prenaient le titre et l'habit dé novices;ils étaient dès-lors soumis à tous les exercices de la règle cénobitique. Qn leur donnait un maître qui, après avoir brillé dans le cours de ses études (èxpleto cum laude studiorum cùrriculo), se distinguât également par sa vertu et sa régularité : seules les études sacrées étaient .alors unies à un travail manuel. 

Après le quatrième et le huitième mois, le candidat était-proposé aux observations du chapitre; vers la fin du dixième, le supérieur du monastère, ainsi que le sous-prieur, faisaient part de leurs remarques au supérieur général de toute la Congrégation,, lequel, d'après l'avis des sénieurs ses assistants, décidait si le novice devait ou non être soumis à l'acceptation du chapitre.

Cette acceptation avait lieu par scrutin'secret, après que chaque membre de la Communauté avait de vive voix exposé son opinion sur la requête écrite par le récipiendaire. Il fallait, pour être admis, que celui-ci réunît les deux tiers des suffrages. Ne prenaient point part au vote ceux qui n'avaient point habite le monastère de deux à quatre mois en même temps que le novice.

Si ses études n'étaient point achevées, le prof 'es les poursuivait-. Nul ne pouvait commencer son cours de théologie avant d'avoir fait profession; mais préalablement il avait dû recommencer sa rliétorique et sa philosophie, car les Bénédictins paraissaient croire peu à l'application sérieuse des jeunes étudiants qui fréquentaient les collèges d'alors ; ceux dont le cours d'humanités était tout à fait achevé, avant qu'ils eussent atteint j l'âge «de la profession, devaient s'appliquer spécialement à l'histoire ecclésiastique et à l'étude du grec et de l'hébreu.

Le professeur de rhétorique devait s'appliquer moins à donner des préceptes qu'à faire saisir les exemples : il les choisissait surtout dans les Pères de l'Eglise dont la latinité était réputée la plus pure, tels que Lactance, saint Cyprien, les Epitres de saint Jérôme. Il y joignait Cicéron (De Officiis et Discours), Virgile (Gëorgiques), Horace (Artpoétique)', nos meilleurs orateurs et écrivains français.Les jeunes scolastiques s'appliquaient moins à la composition qu'à l'analyse et à la traduction. 

Le cours de philosophie demandait deux années entières. Dans la première, à la logique était jointe l'étude des mathématiques, de'la géométrie et de la physique générale 

Dans la seconde, la physique spéciale, l'étude du calendrier et des principes d'histoire naturelle marchaient de pair avec la métaphysique.

Puis venait la théologie, dont le cours réclamait trois ans. Tous les samedis, des thèses devaient être soutenues, en présence de tous les Pères, par les jeunes étudiants ; aussitôt que l'étude d'un traité théologique ou d'une des parties de la philosophie était achevée, tous étaient examinés sur ce traité, pendant une demi-heure en présence de tout le couvent.

Enfin, le visiteur faisait examiner |chacun d'eux, en sa présence, par deux anciens professeurs spécialement appelés pour cet office. Une année, consacrée à l'étude approfondie de la théologie morale et à de pieux exercices, devait encore précéder la réception du sacerdoce. Pendant l'année qui suivait cette dernière, promotion, les prêtres recevaient de nouvelles leçons, soit de droit-canon, soit de grec ou -d'hébreu, et c'est seulement alors qu'on les répartissait en différents monastères dans lesquels ils trouvaient toujours des professeurs capables de leur apprendre les principes de la critique littéraire et de leur inspirer cet amour de l'antiquité qui rendit si fameuse la Congrégation de Saint-Maur.

SOURCES

Revue de Normandie, 1869