Note sur Dom Guillaume Picheré

Maître de Musique de l’Abbaye royale de Fécamp
Durant quarante ans (décembre 1750-Pâques 1790).

Daniel Piollet


Ayant acquis récemment en vente publique un recueil de Te Deum de différents auteurs, nous nous sommes intéressés au copiste qui a signé certaines œuvres avec le monogramme F.G.P. et l’une d’elles avec le nom complet Fr. Guill. Picheré. Les recherches sur la Toile nous ont vite dirigé vers l’article intitulé Les derniers moines de Jumiège, dans ce journal en ligne, puis vers la source majeure d’informations sur l’abbaye de Fécamp publiée pour son XIIIe centenaire1 où ont été puisées l’essentiel des informations sur Dom Picheré. L’article sur les moines de Jumiège reprend en particulier l’interrogation figurant dans la notice consacrée à celui-ci au tome III2 :

Mais le Bec est fermé le lundi 8 octobre 1792. Où Dom Picheré, qui est maintenant âgé de près de 75 ans, va-t-il se rendre ? Nous ne l’avons pas trouvé ». […] Dom Chaussey signale qu’il vivait à Brienne, arrondissement de Mâcon, canton de Cuisery (Saône-et-Loire), en septembre 1794.

Cette dernière affirmation repose sur une erreur de lecture : Brienne pour Brionne: en effet, si on se reporte au texte de Don Chaussey3, celui-ci écrit « Dom Picheré était à Brionne en Fructidot an II ». Et on trouve en effet son acte de décès4, daté du 13 Germinal an IV [2 avril 1796], dans les registres d’état civil de cette ville, située à 7 km du Bec-Hellouin. C’est donc là que Dom Picheré a choisi de finir ses jours après avoir quitté l’abbaye.

Acte de décès, Brionne

Il est aussi intéressant de consulter son acte de baptême5 :


Acte de baptème, Vendôme, paroisse Saint-Martin

Ce treize février mil sept cent dix huit a été par moy vicaire soussigné baptisé Guillaume fils né ce jourd’huy du légitime mariage de Toussain Picheré, marchand gantier et Anne Beaucier son épouse, le parrain est Augustin Picheré la marraine Catherine Beaucier, fille de Guillaume Beaucier chirurgien juré et de Marie Butin sous signés
Catherine Beaussien Picheré Noury prêtre.

Mais venons-en aux copies de Dom Picheré. Le recueil est un in folio (35 x 25 cm) avec reliure de l’époque en veau brun marbré, dos orné avec le titre TE DEUM DA VARII AUTORES, contenant 190 pages de musique manuscrite notée. À l’intérieur du plat supérieur est collé le sommaire manuscrit de la main de Dom Picheré :

  1. Te Deum à grands chœurs de cinq voix et symphonie en sol maj.par Renoult.

  2. Domine Salvum en fa majeur à 5 voix grand chœur et symphonie par Renoult.

  3. Te Deum en mi♮maj à 4 voix et symphonie trompettes et timballes par Bordier.

  4. Domine Salvum en mi ♮ maj 4 voix, symphonie trompettes et timballes par Bordier.

  5. Te Deum en re majeur à cinq voix violon et basse par Savart.

  6. Te Deum en re majeur à 5 voix violon et basse par N.

Le Te Deum, hymne latin de la liturgie chrétienne, devint au XVIIème siècle, sous l’influence de Lully, un motet qui prit une signification politique, pour célébrer des évènements extraordinaires, sacres, naissances des enfants de France, victoires militaires, guérison du souverain, noces de princes et de princesses du sang etc. Il pouvait aussi être joué dans des circonstances profanes comme le Concert spirituel de Paris. Au XVIIIème siècle on trouve très fréquemment dans les comptes rendus de la presse mention de Te Deum composés et dirigés par les maitres de musique, à la Sainte chapelle du Palais, à Notre Dame, à la Chapelle royale et dans quantité d’autre lieux de culte prestigieux, mais rares sont ceux qui ont survécu, cette musique de circonstance, qui n’était généralement pas éditée, a le plus souvent été perdue.

Le Domine salvum fac Regem, est aussi un motet qui servait de facto d’hymne national sous l’Ancien régime et était particulier à la liturgie française, étant exécuté comme prière pour le roi de France, un peu comme le God save the King l’est encore en Angleterre6pour son souverain.

Il est possible d’identifier certains auteurs : Renoult pourrait avoir été maître de musique de la cathédrale de Chartres où une famille de ce nom a exercé divers fonctions musicales7. Nicolas Savart fut maitre de musique de la cathédrales de Saint-Malo, de cathédrale Sainte Croix d’Orléans en 1772, de la cathédrale Saint-Pierre de Troy à partir de 1776, enfin à Tournais de 1784 à 1796, où les seules quatre œuvres subsistantes de cet auteur sont conservées. Enfin Louis Charles Bordier (ca 1699, 1764) est connu pour avoir été le maître de musique de l’église des Saints Innocents à Paris qui était réputée pour la qualité de sa maîtrise. On sait peu de choses de sa biographie, mais il a laissé des cantates, des psaumes, douze messes imprimées en 1770, des airs à boire, un traité de composition très apprécié qui fut réédité après sa mort : Nouvelle Méthode de Musique par Mr Bordier Maitre de Musique des SS Innocents. Maitre réputé, il eut de nombreux élèves et ses œuvres furent fréquemment jouées au Concert spirituel.

Particulièrement interessant pour notre sujet est son recueil manuscrit de psaumes conservé à la Bibliothèque nationale8. C’est un volume pratiquement identique à celui des Te Deum, même dimensions, même reliure, même écriture, avec à l’intérieur du plat supérieur une table semblable.

Chaque psaume, sauf le premier, est signé avec le monogramme F.G.P du copiste que nous pouvons maintenant identifier comme le Frère Guillaume Picheré.

Dans notre manuscrit comme dans celui de la Bibliothèque nationale, on remarquer à la fin de chaque copie un décompte précis du nombre de mesures, suggérant que ce travail de copiste était rémunéré. On peut donc se poser la question, pour le moment sans réponse, si Dom Picheré exerçait, parallèlement à celui de maitre de musique, le métier de copiste, très répandu à son époque chez les musiciens, ou bien si ces copies manuscrites étaient destinées à la bibliothèque de la maitrise de l’Abbaye royale de Fécamp et rémunérées par le chapitre.

L’inventaire révolutionnaire des biens de l’abbaye9 contient en effet un court passage concernant la maitrise et notamment la bibliothèque de celle-ci:

Dans la maîtrise, trouvé une basse, une contrebasse, un clavessin, deux tables, un alto, quatre viollons, un serpent, un basson, une basse de violle, douze chaises, dans huit armoires grandes et petites trouvé beaucoup de musique d’église.

Cet inventaire expéditif nous rappelle que la maitrise de l’Abbaye de la Sainte Trinité de Fécamp était considérée comme une des meilleurs de France10, dont il était difficile de se faire ouvrir les portes. Un prédécesseur de Dom Picheré à la fin du XVIIe siècle, qui en avait fait partie, Dom Guillaume Fillâtre11, célèbre érudit de la congrégation de saint Maur, avait défini la composition souhaitable de la maitrise dans un Mémoire sur la musique à l'abbaye Fécamp, manuscrit12 qui, après de savantes considérations historiques concernant la musique d’église se termine par les recommandations suivantes :

Les enfans de chœur remplissent le haut & bas dessus. Il faudroit deux haut contres; dessus pour le petit chœur, l'autre pour le grand: quatre tailles, deux pour le petit chœur, & deux pour le grand ; parce que ceste partie tenant le milieu entre les autres, elle doit estre plus fournie. Pour la basse contre qui n'est que pour le grand chœur, elle demande une voix ferme & un bon serpent au moins pour la soutenir.

La basse continue qui lie & soutient les autres parties doit estre jouée par une baffe de viole ou de violon, à quoy l'on joint ordinairement un basson, sans parler de l'orgue & du clavecin (etc.). Pour les parties d'instruments afin de n'en pas multiplier la dépense, on pourroit les réduire à deux ou trois qui pussent jouer du violon, du hautbois ou du cromorne & du ballon, pour s'en servir selon le besoin, & que les pièces de mufique le demanderoient; car il n'est pas toujours nécessaire de les emploier tous ensemble. Ainfi toutes les parties nécessaires pour une musique raisonnable pourroient le monter à douze personnes (sans y comprendre les enfans de chœur) ou du moins à dix ou onze.

Le contenu de l’inventaire révolutionnaire correspond bien aux préconisations de Dom Fillâtre pour la composition de la musique de l’abbaye dont le Frère Picheré avait hérité pour exercer ses fonctions de maitre de musique, on notera en particulier les douze chaises, en rapport avec les douze personnes du Mémoire.

Bien qu’on en ait aucune trace pour moment, il est probable aussi que Dom Picheré, disposant d’un outil d’une telle qualité, ait comme la plupart de ses confrère, composé de la musique d’église, la consultation des registres du chapitre permettrait de s’en assurer. On retrouve d’ailleurs son nom parmi les souscripteurs de l’édition du Carmen Seculare de François André Danican Philidor13 en 1788, au milieu du gratin des amateurs et musiciens du temps, Le Gros directeur du Concert Spirituel, le comte d’Ogny un des fondateurs du Concert de la Loge Olympique, entre autres.

Notre hypothèse est que les deux recueils manuscrits dont il est question ici proviendraient donc de ces armoires contenant beaucoup de musique d’église, qui constituaient le fond musical de l’Abbaye de Fécamp, dispersé à la Révolution et dont on retrouvera peut-être d’autres éléments portant la signature du copiste F.G.P.


Te Deum de différents auteurs

Te Deum de différents auteurs

Recueil de Psaumes

NOTES


1 L’abbaye bénédictine de Fécamp, ouvrage scientifique du XIIIe centenaire, 658 - 1958, Fécamp, 1963, Librairie Durand et fils.

2 Ibid. tome III, Dom Guillaume Picheré, p. 189, 181.

3 Ibid. tome I, Les derniers moines de Fécamp, p.257.

4 Archives départementales de l’Eure, 8 Mi 864, D (1793-1806), Brionne (Eure, France), f .52.

5 Archives départementales du Loir-et-Cher, 25 num 24, Saint-Martin, f. 94

6 Dans ma jeunesse j’ai toujours entendu jouer le God save the Queen à la fin de chaque séance dans les salles de cinéma londoniennes, j’ignore si cette coutume est toujours en usage.

7 Voyez le site MUSEFREM du CMBV : https://philidor.cmbv.fr/ark:/13681/1hdkx5xyrvgnzebqi6j6/not-453793

8 Psaumes de Bordier BN RES VMA MS-1214.

9 Op. Cita. L’abbaye bénédictine de Fécamp, Procès-verbal d’inventaire des biens et effets, Tome II p. 78.

10 Louis Sauvageot, reconstitution du Jubé (XIVe siècle) de l’abbaye de Fécamp, in L’Ami des monuments et des arts, tome XII Paris 1898, p. 310. Cet architecte, qui a tenté une restitution du jubé démoli en 1802, rapporte une tradition orale selon laquelle « la maitrise se tenait sur la plateforme du jubé » pendant les offices ».

11 Religieux érudit et savant de la congrégation de Saint Maur né au Tilleul, diocèse de Rouen en 1652, décédé à l’abbaye de Fécamp en 1706. Remarqué pour sa belle voix il fut admis dans la maîtrise de l’abbaye dont il devint finalement le maître de musique.

12 Mémoire sur la musique de l’Abbaye de Fécamp, reproduction d’un manuscrit inédit de Dom Guillaume Fillastre, Rouen, 1879, imprimerie Henry Boissel.

13 A notre connaissance l’exemplaire conservé à la Bayerische Staatsbibliothek de Munich est le seul à posséder en tête la liste des souscripteur


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