Tous les mouniers sont des frippons
Tous les cache-pouques sont des larrons

Proverbe normand


Tic-tac, tic-tac, tic-tac... Durant 600 ans, le mécanisme d'un moulin à vent s'est fait entendre à Jumièges. Où déployait-il ses ailes, qui en étaient les meuniers, nous avons là du grain à moudre...

L'abbaye de Jumièges n'a jamais été en retard d'une guerre pour engranger ses bénéfices, Dès sa fondation, elle fit tourner l'aube de plusieurs moulins à eau du côté de Duclair mais aussi dans la galaxie de ses nombreuses possessions. Aussi quand, venus d'Orient, apparurent chez nous les moulins à vent, elle ne fut pas la dernière à en édifier ici ou là. Dès 1216, nous dit Lechevrel, "le moulin de Jumièges est occupé deux jours par semaine pour satisfaire aux aumônes. Quarante-cinq à cinquante boisseaux de grain sont convertis en pain et distribués aux pauvres". L'usage de la force éolienne est apparue en Afghanistan dès l'an 600. Et ce n'est qu'au XIIe siècle que le moulin à vent se généralisa en France après avoir touché l'Angleterre. L'origine orientale de ces drôles de machines resta longtemps dans l'appelation de "moulins turquois". Chez nous, la plus ancienne mention d'un moulin à vent date de 1180 et concerne l'abbaye de Saint-Sauveur-le-Vicomte.

En 1258, satisfait de cette nouvelle technologie, l'abbé de Jumièges fait construire un moulin à vent à Hauville, sur le lieu-dit la Cour-l'Abbé. Un temps délaissé, il fonctionna jusqu'en 1880 puis perdit ses ailes et s'étiola. Il est aujourd'hui restauré et classé monument historique.

A Trouville, nos moines exigeaient que le cheval du meunier portât une clochette au col, que le garde-moulin fut tondu et qu'il n'eut point de poches à ses habits ni de couteau sur lui. Avaient-ils les mêmes exigences à Jumièges ? Pourquoi pas.


L'ancien moulin en bois

Guillaume Le Mitois est le plus ancien monnier du moulin à vent de Jumièges qui nous soit connu. Il apparaît en effet au recensement de 1413. C'est l'un de mes ancêtres directs. Sa fille, Jeanne Le Mitois épousa Jehan Mainberte.
Son moulin se situait à côté du parc de l'abbaye à qui il appartenait. On était tenu d'y moudre son grain, voire de participer à son entretien. Mais il servait aussi à la charité. Nous allons voir que, parfois, celui qui bénéficie du bail du moulin abbatial n'est pas forcément le meunier qui y travaille.
Le  meunier de l'ancien régime travaille à façon. Il transforme en farine et en son le grain que vous lui apportez. Les villageois font encore eux-mêmes leur pain. Le meunier a mauvaise réputation. On le soupçonne de garnir son grenier d'une partie de vos grains ou de tricher sur le poids de la farine qu'il vous rend. On le dit riche, volage et mauvaise langue.
En patois normand, le garçon meunier, celui qui va chercher le grain ou livrer la farine, est un cache-pouque ou encore un Frinat, du latin farina. On l'appelle encore Chasse-moute. La monnée, ou encore la mounée est la quantité de grain livrée au monnier.

Le nouveau moulin

A Jumièges, un seul moulin ne suffit bientôt plus. On en fit édifier un second, plus petit,situé à proximité du premier qui finit par rendre l'âme. Dans un aveu du 28 mars 1526, l'abbé François de Fontenay nous le dit : "Nous avons (...) deux moulins à vent dans notre baronnie de Jumièges dont l'un est à présent démoli et d'iceux nos hommes sont sujets s'ils ne vont à nos moulins de Duclair."

A partir de 1577, les archives nous permettent d'établir la lignée des meuniers qui se succédèrent au second moulin de bois.

Meunier Bail Montant Observations
Pacquet Nivelet 17/5/1577
13/3/1584
70 #
80
#
De Jumièges, époux d'une Raulline
Adrien Vasté 29/6/1597 120 # De Jumièges; époux de Perrine Boutard
Guillaume Landrin 18/5/1609 D'Yainville
Pierre Chambelle &
Etienne Vardanger
1611
1612
170 # Associés. Le premier est du Vaurouy, le second du royaume d'Yvetot
Pierre Savalle 9/6/1623 200 # De Jumièges.
Robert Lamy 15/5/1629
3/5/1634
240 # Dit de Pavilly lors de son premier bail, de Jumièges au second.
Marin Deshays 1/1/1642
1/1/1647
1/1/1654
1/1/1660
1/1/1666
1/1/1672




350 #
325 #
320 #
Dit de Bouquetot lors de son premier bail, époux de Catherine Laisné, il sera meunier de Jumièges durant 35 ans.
Il mourut avant le terme de son dernier bail et fut remplacé, le 3 septembre 1677, par ses fils Pierre et Jean. Leurs frères, Richard, de Jumièges et Jacques, du Mesnil, se portèrent solidaires.
Pierre Deshays &
Jehan Deshays
1/1/1678 Les frères Deshays durent quitter la paroisse. On ne trouve aucun mariage à leur nom. Seule leur sœur Marie épousa Thomas Mainberte en 1682.
Valentin Lefieu 1/1/1684 350 # De la paroisse d'Hauville. Son bail court jusqu'en 1690. Dès lors, on ne trouve aucune trace de bail durant 30 ans.
En 1724, le Parlement de Normandie prit des mesures pour contrecarrer la tricherie des meuniers. L'arrivée des contrôleurs était signalée aux moulins voisins par un mouvement d'ailes convenu. Les meuniers ont inventé le télégraphe !
Michel Gruley 15/2/1729 De Jumièges, il est l'époux d'Anne Cottard. Destitué par décision de justice suscitée par l'abbaye. (Lire plus loin)
Jean Thierry 31/7/1732
9/61/1739
350 #
300 #
De Jumièges, il a épousé Marie-Anne Gripoix à Yville. Il lui revient d'entretenir le moulin de toiles, barreaux, ciseaux collerettes, graisse, sable, plâtre etc.
Le 14 août 1741, sur le marché de Duclair, son fils et son cousin furent blessés lors d'une rixe avec le meunier de Duclair,
Simon Lefebvre 10/1/1744 300 # De Guerbaville. Mais le moulin sera exploité par Laurent Guiot.

Bernard Deroutot est attesté en 1749 comme garçon meunier.
Laurent Guiot 1750 Il mourut le 18 octobre 1750 et fut inhumé le lendemain en présence de  son fils et son neveu tous deux prénommés Pierre. Il avait 46 ans. Natif de la paroisse, il avait épousé en 1732 Marie Anne Ouin, veuve de Richard Vastey.
Pierre Adelin 1750 Pierre Adelin apparaît deux mois après la mort de Guiot. On voit ce meunier enterrer son fils de cinq semaines le 11 décembre 1750. Adelin est l'époux de Marie Anne Busboc. Il est aussi proche de Jean Bairies, le chirurgien de Jumièges. On lui voit encore une fille, Marie-Madeline, morte à quatre jours en janvier 1752.
Louis Lefevre
15/1/1752 500 # Dit de Duclair puis de Rouen. Son épouse en secondes noces s'appelle... Marie Moulin !
Dès le 23 novembre 1751, Dom Jean-Baptiste Langlois, cellérier, fit observer aux moines que le meunier de Jumièges irait, le 1er janvier suivant, dans un autre moulin. Il ajouta que Louis Lefebvre, déjà meunier à Duclair, était disposé à reprendre le moulin de Jumièges pour 500 livres au lieu de 300. C'est donc d'une voix unanime, que le chapitre vota cette délibération où il est précisé que la moute des moines sera franche.
Jean Serre 1753 Le bail des quatre moulins de Duclair et celui de Jumièges se trouvèrent révolus avec la mort tragique de Louis Lefebvre survenue le 1er décembre 1752 sur la paroisse de Launay. Ils étaient manœuvrés par Thomas Aigret qui cessait ses activités.
Tuteur des enfants du défunt, Jean Serre, "honnête homme et qui a du bien" proposa de reprendre les cinq moulins pour 4.300 livres de fermages annuels, "aux conditions de faire toutes les menues réparations à ses dépens et de faire employer à ses frais tous les matériaux nécessaires pour les grosses réparations et de payer un quartier d'avance." Les moines approuvèrent cette proposition, étant entendu que leur moute serait franche ainsi que celle du receveur de l'abbé.
Bernard Deroutot 1754, 1756 Bernard Deroutot est attesté comme meunier de Jumièges en 1754 lorsqu'il épouse Anne Heurtot le 26 août. Il l'est encore en 1756 lorsque lui vient un fils prénommé Bernard Guillaume.
Pierre Ridel 1761
8/1/1770
En 1761, Jean Serre, toujours fermier du moulin de Jumièges entend cesser son bail "pour éviter les discussions journalières avec le meunier de Duclair." On ajoute que ce même meunier de Duclair veut bien le reprendre pour 450 livres annuelles et 150 livres de pot de vin. Ce qui fut approuvé par nos moines.

Le 8 janvier 1770, le bail fut renouvelé en faveur de Pierre Ridel "avec la demeure et maison y joignante, les arbres fruitiers et les terres en labour en dépendantes". Le bail fut renouvelé pour 450 livres par an payables aux quatre termes de l'année accoutumés dont le premier est en janvier. Ce nouveau bail courait sur neuf ans, "si tant dure la jouissance des moulins de Duclair".

On ne sait si les deux meuniers qui suivent furent appelés par Pierre Ridel pour le seconder à Jumièges :


Jacques Le Cœur, maître meunier de Barentin, épouse le 5 août 1776 à Jumièges Marie Jeanne Petit.

Nicolas Petit, meunier de Duclair, 23 ans, épouse, le 30 janvier 1779 à Jumièges, Marie Catherine Rose Mirault.


ANECDOTES

Grusley chassé du moulin

Michel Gruley exploitait le moulin à vent de Jumièges lorsque, en 1731, il s'attira les foudres des moines de l'abbaye. Que disent nos pieux cénobites au bailli de la haute justice de Duclair ? Que, d'après les conditions de son bail, Grusley devait bien conduire le moulin "en sorte qu'il ne lui arrivât aucune perte ni inconvénient et en outre  que le dit Grusley ferait moudre franc tous les grains nécessaires pour la communauté  et autant qu'il lui serait besoin pour l'usage de la dite abbaye de Jumièges.
Cependant que le dit Grusley mène et conduit si mal le dit moulin que depuis le dit temps, les religieux ont été obligés d'y faire des dépenses considérables pour le réparer et sont encore exposés par la faute du dit Grusley d'en employer plus grosses sommes."
De plus, la farine rendue par Grusley à l'abbaye s'est retrouvée plusieurs fois gâtée "sans qu'on en pût en faire de pain". Ce fut encore le cas à 66 boisseaux de bled que Grusley a récemment fait moudre.

"Ce considérant, Monsieur, il vous plaise autoriser les dits religieux à faire assigner le dit Grusley par devant vous  aux fins d'y être condamné  à leurs intérêts pour le dommage qu'il leur a causé." Soit Grusley remet le moulin aux Religieux qui l'affermeront alors à la personne de leur choix, soit il loue à ses frais un autre meunier capable de faire tourner la boutique.
Le sergent royal qui fut désigné pour assigner Grusley à comparaître dans cette affaire avait un nom prédestiné. Il s'appelait Guillaume Letourneur. Valentin Vastey, contrôleur des exploits demeurant à Jumièges, certifia conforme cette procédure.
Gruley, par la suite, est manifestement lié au chirurgien de Jumièges, Jean Berryes et son épouse Catherine Vastey. L'un est l'autre parrainent en effet deux des petits enfants du maladroit meunier.


Deroutot le délateur


Bernard Deroutot n'était encore que garçon meunier en 1749. Le jeudi 16 janvier, à trois heures de l’après-midi, il témoigna au palais abbatial dans le cadre du procès opposant les moines aux paysans qui posaient des pièges contre leurs pigeons voraces.  Il déclara avoir vu plusieurs fois nombre de personnes tendre des lacets dans la campagne de Jumièges. Et il balance un nom, celui de Thomas Mainberte fils qui, en labourant sa terre, posait des pièges. Les autres ? Le farineux ne saurait dire leur nom. Mais, assure-t-il, ce sont des bergers pour la plupart.
Une simple croix symbolise le moulin de Jumièges en 1750.

Où se situait le moulin en bois

Dans un plan dressé en 1665, Pierre Delavigne, arpenteur royal demeurant à Jumièges, fait apparaître le moulin parmi les bâtiments essentiels de sa paroisse. Il rivalise, en effet, avec l'abbaye et sa porterie, l'église et son presbytère enfin les fermes du Passage. Delavigne connaît parfaitement ce moulin et sa représentation est sans doute assez fidèle, même si le plan est approximatif...



Delavigne nous situe le moulin derrière l'abbaye. Ce que confirment, près d'un siècle plus tard deux cartes de 1750 et 1757. Ce moulin se situait à proximité du parc appelé "le plaisir de l'abbé" et plus tard "la Garenne".

Au temps de Marin Deshayes, le moulin était flanqué d'une maison toute proche, d'un four, d'une parcelle de terre plantée de fruitiers. En dépendaient aussi cinq autres pièces de terre. Elles sont sillonnées de sentes. La cinquième de ces pièces, sise au dessus du clos Gasselin, est bordée par la sente tendant du bourg au moulin et celle qui va du Quesnay à la rue Mainberte.
Carte de Cassini (1757)
 

Détruit par la foudre

"Le jeudi 22 janvier 1778, vers quatre heures et demi après midi, un violent orage s'annonça subitement à Jumièges par un effroyable coup de tonnerre qui tomba en même temps. Des couvreurs qui travailloient sur la nef de la grande église de l'abbaye le virent serpenter les deux tours du portail, mais, ayant comme respecté l'église, après avoir décrir un quart de cercle du nord à l'orient, il fut mettre le feu au moulin qui est éloigné de près d'un quart de lieue.

En moins d'une demie-heure, le moulin fut entièrement consumé ; heureusement que le vent était nord-ouest et qu'il poussa les baedeaux enflammés qui couvroient ce moulin dans la campagne, ce qui conserva la maison du meunier, peut-être le parc et nombre de maisons voisines.
Les flammes qui ont monté tout à coup à une hauteur prodigieuse, eusse bien autrement épouvanté à 3 ou 4 lieues à la rond, si le jour avit été fermé tout-à-fait. Cependant, elles réfléchissoient si viviement contre lesdites deux tours qu'on crut que le feu étoit aussi à l'église."

Ce fait-divers fut rapporté par l'ancêtre du Journal de Rouen du 6 mars 1778, soit plusieurs semaines après les faits. Et l'on se félicite que le moulin soit parti en fumée plutôt que l'abbaye: " C'eût été malheur sans remède, car, cette église était couverte en plomb, il auroit été impossible d'en approcher. On auroit surtout regretté la voûte de la nef qui n'est qu'en bois et en plâtre et qui imite si bien une voûte en pierre que les plus habiles y sont trompés et ont encore peine à croire que ce ne soit que du bois et du plâtre quand on les en a assurés. Cette voûte a été construite en 1688 par un frère donné très habile charpentier nommé Gabriel Brunel, mort pulmonique le 2 mai 1699, âgé de 50 ans."

L'abbaye resta de longues années sans moulin. Le 25 février 1780, le chapitre se réunit au son de la cloche sous la présidence du révérend-père Marye, prieur de l'abbaye. "Vu la nécessité de rebâtir un moulin, l'autre ayant été réduit en cendre par le feu du ciel, il était nécessaire de faire, pour cet objet, un emprunt. La chose mise en délibération et la communauté ne sentant que trop bien la nécessité de cet emprunt a unanimement consenti et arrêté que l'on emprunte la somme de 6.000 francs, lesquels toutefois ne seront employés que pour la construction du nouveau moulin."


Les travaux ne durèrent pas un an. Le 3 mars 1781, le révérend-père Marye peut l'annoncer à la communauté : la construction du nouveau moulin "situé à la Broche" est terminée et il est maintenant temps de l'affermer. 

Le moulin de la Broche

Louis Desmare, dit Fontaine. Plusieurs particuliers sont candidats. Un nommé Racine en offre 500 livres et mouture ou 600 livres sans mouture franche, un autre particulier de Duclair formule les mêmes offres. Et puis il y a Fontaine, domestique de l'abbaye, un homme "dont on est content et qui s'y entend dans la partie". Lui, il offre 600 livres sans mouture franche mais il s'engage à prendre à sa charge pour moitié "toutes les réparations quelconques sans rien excepter, même sur les masures et bâtiments". Du coup, la communauté lui consent un bail pour trois, six ou neuf ans, comme il l'a demandé. La commnauté s'oblige en outre de construire  sous peu des écuries. Elle permet aussi à Fontaine de moudre dès à présent, quoi que le bail ne doit commencer à la Saint-Pierre prochaine. 

Plan de la forêt de Traict fait en l'année de grâce 1665 par Pierre de la Vigne géomètre arpenteur du Roi demeurant à Jumiège (autre version).

Il fut signé le 27 mars 1782 pour 600 livres payables à la Saint-Jean-Baptiste et Noël. Cette même année 1782, lors de la mort d'un marchand ambulant originaire du Massif-Central, le meunier de Jumièges, qui est aussi laboureur, est requis comme témoin de l'inventaire des biens du défunt. Une petite masure édifiée de bâtiments et plantée d'arbres.  Si Fontaine habitait jusque là à l'abbaye, il lui revient de faire sa résidence dans la masure du moulin et de la nantir de meubles et bestiaux.

Où le nouveau moulin fut-il construit. Si l'on se penche sur la cadastre napoléonien, on voit, près du parc de l'abbé des pièces de terre appelées "Petit moulin à vent". On en déduit que le second moulin de Jumièges fut plus modeste que l'ancien.

En rouge figure le chemin dit "de l'ancien moulin". Il ne rencontre aucune construction sur son parcours. En bleu est le chemin dit "de Jumièges au moulin" qui aboutit à la parcelle 569. A la loupe, on voit une construction de forme ronde porter le numéro 568.

Un repaire de mauvais sujets

Que devint le moulin détruit par la foudre ? Une délibération du 19 octobre 1785 nous éclaire à ce sujet. Pierre Armand Bride, le prieur du monastère, réunit ce jour-là ses frères. Il les informe que Simon Duparc, domestique, charron et tonnelier à l'abbaye demande le terrain. Il n'y subsiste qu'une maison tombant en ruines. Des réparatoins coûteraient plus cher que sa valeur. D'ailleurs, en la détruisant, l'endroit ne serait plus exposé "à servir de repaire à de mauvais sujets qui pillent plus facilement de tous côtés, et surtout les bois". Dans la forêt, les voleurs de bois sont en effet pourchassés par les gardes.

Enfin, considèrent les moines, les matériaux provenant de la destruction "de cette bicoque" serviraient à un malheureux dont la maison ainsi que tous les effets ont été la proie des flammes dans un incendie. 

Le terrain est de dimension modeste et de peu de rapport. Duparc en offre 6 livres de rente foncière et 800 livres de pot de vin. La communauté décide de le lui fieffer.

Le moulin de la Motte
Le 25 février 1787, le chapitre se réunit à nouveau. On y constate que Fontaine, fermier du moulin de Jumièges "sis dans la plaine d'Yainville" se retire du dit moulin et qu'il convient d'en redistribuer le bail. Voilà donc qu'apparaît un moulin, non plus au cœur de Jumièges, mais près d'Yainville.
Plusieurs particuliers postulent mais deux seuls retiennent l'attention. D'abord Pierre Leroux qui a été le boulanger de l'abbaye. Marié à la fille d'un meunier, Leroux offre 600 livres sans pot de vin. Louis Frantin, de Saint-Wandrille, ancien garçon meunier du moulin de Caudebecquet, est mieux-disant : 550 livres et 400 de pot de vin. On discute longuement. Frantin l'emporte.


Ainsi donc un moulin de pierre fonctionna dès avant la Révolution non loin des Fontaines. Sur le cadastre napoléonien, il est encore muni de ses ailes. Le trait rose symbolise la limite avec Yainville. Le cadastre d'Yainville fait, quant à lui, état de "La plaine vers le moulin de Jumièges" pour désigner la parcelle de terre qui, sur son territoire, jouxte La Motte.
Dans l'inventaire des dépendances du manoir d'Yainville, situé derrière l'église Saint-André, figure une parcelle nommée "le triage du moulin".


Photo Alain Guyomard

La tour de pierre du moulin de La Motte reste aujourd'hui dans un bon état de conservation. Elle est entourée d'un grillage et sa porte a été obstruée à mi-hauteur par des briques platrières. Il est étonnant qu'aucune représentation ancienne de cet édifice n'ait été publiée. 

Cependant, en dessinant l'église d'Yainville en 1888, le sieur Lafosse a esquissé un moulin à vent à l'arrière du bâtiment.

Il ne semble pas que Yainville ait eut son moulin, encore moins cette l'époque....

Alors, pure fantaisie du dessinateur où représentation symbolique du moulin à vent qui, bien plus haut, dressait sa silhouette dans la plaine de Yainville à Jumièges ?

Le développement des boulangers et des minoteries a eu raison des meuniers de campagne. Dans les années 1900, il ne restait plus que quelques ailes sur le plateau cauchois. En 1903, Eugène Vestu, 51 ans, est dit habiter au moulin de Jumièges. Mais il exerce la profession d'agriculteur...

Nos dernier meuniers
Michel Turpin est meunier de Jumièges en 1787. A 24 ans, originaire de Saint-Pierre-de-Caumont, dans l'actuel Calvados, il épouse ici le 26 mai Marie Marguerite Rose Naubert.
Turpin est toujours attesté en 1795 avec cette qualité. Son frère, Jacques Turpin, est quant à lui meunier à Barentin.
Le 3 mai 1790, on dressa l'inventaire des biens de l'abbaye de Jumièges. Le procès-verbal fait toujours apparaître Louis Frantin comme en étant le fermier "du moulin de Jumièges", entendu celui de la Motte, moyennant 300 livres versées à la Saint-Michel et à Pâques. 
Michel Turpin et Rose Naubert demeurent au hameau du Sablon et non à la Motte où le moulin de pierre est pourtant entouré de trois bâtiments sur le cadastre napoléonien. Mais sont-ils à usage d'habitation...
Pierre Hilaire Deshays, dit aussi Delahaye est meunier en 1792. Avec Turpin et Frantin, Jumièges en compterait donc trois à cette période. Deshays réside également au hameau du Sablon. Natif de Saint-Wandrille, il est l'époux de Marie Magdeleine Hénout qu'il a épousée à Villequier. A Jumièges, elle va lui donner sept enfants. Le premier en 1792...
Le 4 août 1793, Deshays apprit la suppression de la bannalité qui obligeait le bannier à moudre son grain au moulin seigneurial. Le menuier ne fut plus rémunéré en nature, un seizième de la farine, mais moyennant 17 sols le quintal de froment ou d'avoine.
En 1796,  Jean Pierre Louis Hénoult est le garçon meunier de Pierre Hilaire Deshays, toujours attesté comme meunier à Jumièges en 1814. Il mourra à Guerbaville en 1830 alors que son fils a pris la relève.

Pierre Timothée Deshays, fils du précédent, né en 1796, est meunier à Jumièges en 1832 en compagnie de son oncle, Louis Aimable, 63 ans, célibataire. Le  9 avril, Pierre Thimothée perd son épouse, Marie Rose Aimée Vastey. Le couple réside au hameau du Sablon et trois enfants sont nés de cette union.
En 1833, Timothée est toujours meunier lorsqu'il se remarie avec Adélaïde Justine Aubé. Il a 37 ans, elle en a 28 et est cultivatrice
On ne sait exactement quand le couple abandonna l'exploitation de son moulin. Pierre Timothée est mort en 1851 à Saint-Paër où il avait embrassé la profession de cultivateur.

Louis-Dominique Deshays, frère du précédent, né en 1802. Il partira s'établir dans l'Eure.

Le Journal de Rouen du samedi 8 juin 1833 récapitule l'historique de propriété du moulin de pierre depuis la Révolution.

Etude de Me LEBOUCHER, notaire à Jumièges. (...) M. Jean-Baptiste-Alexandre Dossier, cultivateur et maître maréchal, demeurant a Jumiéges, a fait notifier à M. le procureur du roi près le tribunal civil de Rouen, le certificat constatant le dépôt par lui fait au greffe dudit tribunal, le vingt neuf mai mil huit cent trente-trois, de la copie collationnée d'un contrat de vente passé devant Me Leboucher, notaire a Jumièges, le cinq mai mil huit cent trente-trois, par leqnel mondit sieur Dossier a acquis du sieur Louis-Dominique Deshais, actuellement garde moulin, demeurant a la Trinité-du-Mont, canton de Lillebonne, et précédemment meunier à Jumièges, 1° d'une masure plantée d'arbres fruitiers, édifiée d'une maison, de deux corps de bâtiments et d'un moulin à vent, construit en pierre, et 2° de deux pièces de terre en labour de sablon, le tout situé à Jumièges contenant environ un hectare vingt ares, moyennant cinq mille francs de prix principal.
Avant d'appartenir au vendeur, les objets ci-dessus désignés ont été possédés en tout ou en partie , par
1° Pierre-Hilaire Deshais, père du vendeur, décédé, ancien meunier à Guerbaville;
2° M. Jean-Alexandre Oeillard , négociant et dame Angélique-Rosé Laine, son épouse, demeurant ensemble à Yvetot. (NDLR : ce sont les propriétaires du palais abbatial).
3° Pierre-Eléonor Heurtault , en son vivant négociant au même lieu, (idem)
4° MM. Nicolas Desmare, président du bureau de paix, et Alexandre-Maurin-François Lévesque, homme de loi, demeurant tous deux à Caudebec;
5° le district de Caudehec ; et
6° les ci-devant religieux de l'abbaye de Jumièges, et le trésor de l'église du même lieu.


Pascal François Carré, natif d'Hauville, est meunier à Jumièges en 1835 ainsi que son épouse, Anne Désirée Vattier. Ils se sont mariés à Vatteville en 1832 et demeurent au Sablon.

En 1836, Jean-Jacques Bellel vint réaliser un dessin à la plume et à la mine de plomb du moulin de l'abbaye. Il est conservé aujourd'hui au musée de Lillebonne.

Louis Nicolas Derais
est recensé comme meunier à Jumièges en 1836. Il a 33 ans et son épouse, Emelie Ouin, 31. Le couple a un enfant de 1 mois, Clémentine.


Toujours attestés en 1839, les Carré ont eu trois enfants à Jumièges mais ont quitté la commune pour Duclair où Carré est mort en 1853 avec la qualité de maître meunier.



Sur cette carte d'Etat-Major établie de 1822 à 1866, on retrouve le moulin de la Motte dans la plaine d'Yainville mais aussi un moulin qui semble en activité dans le secteur de l'ancien. Le terrain où se trouve cette industrie est matérialisé.


Le moulin en pierre de la Motte et le lieu du moulin en bois sont toujours indiqués sur une carte de 1873. S'agissant de ce dernier endroit, les parcelles alentours s'appellent toujours "Le petit moulin à vent" au cadastre de 1962. Mais le bâtiment de forme ronde entrevu sur le cadastre napoléonien et la carte d'Etat-Major a cette fois disparu. 

Dans ce secteur, rappelle Martial Grain, "Le Moulin" reste aujourd'hui un lieu-dit. C'est là qu'en 1943 s'abattit un Messersmith.
On y voyait encore un puits avant les années 2000.  

Mais, à présent la rue dite du Moulin ne correspond plus du tout avec le tracé des deux chemins ruraux qui, jadis, ont porté ce nom. Cette troisième voie constitue donc une erreur toponymique...



Sur les listes électorales de 1903, Eugène Vestu, né à Jumièges en 1852, était dit cultivateur au "moulin".


Les boulangers de Jumièges

Antoine Chrétien, attesté en 1751 et 1799, année de sa mort, il fut trois fois marié. Son frère Adrien était aussi boulanger à Bourg-Achard — Jean Bertrand (1755) — Pierre Capelle, (1763, 1772) —  François Le Sain est boulanger de l'abbaye en 1759 avant de s'emparer du manoir d'Yainville — Pierre Leroux (1765) lui succéda, il était l'époux de Marie-Anne Guiot, fille du meunier mort en 1750. — Pierre Petit (1773) — Jacques Dedde (1778), marié avec Marie-Marthe... Desmoulins  — Charles Gabriel Augustin Hervieu (1787, 1791), originaire de Cerisy-l'Abbaye (14) — Lenoult (1790) originaire de Sées (61) — François Martin (1791) — Jacques Thuillier (1839) — Jean Boucachard et Jacques Thuillier (1841) — Alexandre Roussel  (1896). Morand, garçon boulanger en 1910, est celui qui alla prévenir les gendarmes de l'assassinat du maire. José Marchand.

La descendance de deux meuniers





Michel Gruley ca 1675-1740
&1697 Anne Cottard ca 1674-1734
|
Pierre Gruley 1703-1770
&1733 Marie Barbe Adelin 1705
|
Nicolas Gruley 1748-1822
&1774 Marie Anne Ponty 1753-1824
|
Pierre Richard Gruley1779-1832
, Médaillé de Sainte-Hélène
&1801 Anne Marie Catherine Delogé 1777-1828
|
Clarisse Françoise Gruley 1809-1877
&1839 Louis Alphonse Levreux 1815-1895
|
Louise Augustine Levreux 1840-1898
&1871 Pierre Mainberte 1842-1904
|
Emile Mainberte 1872-1917
&1896 Julia Chéron 1872-1919
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Andréa Mainberte 1912-1958
&1937 Raphaël Quevilly 1906-1994
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Laurent Quevilly 1951
Marin Deshays †1677
& Catherine Laisné
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Marie Deshays 1654-1694
&1682 Thomas Mainberte 1655-1694
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Jean Mainberte 1686-1773
&1713 Marie-Magdeleine Dossier 1690-1743
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Charles Mainberte, Le Tardif 1716-1792
&1779 Marie Madeleine Catherine Tropinel 1749-1806
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Charles Mainberte, Le précoce 1782-1823
&1814 Angélique Geneviève Legenvre 1793-1859
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Euphrosine Mainberte 1817-1894
&1841 Rose-Marie Lefrançois 1819-1864
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Pierre Mainberte 1842-1904
&1871 Louise Augustine Levreux 1840-1898
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Emile Mainberte 1872-1917
&1896 Julia Chéron 1872-1919
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Andréa Mainberte 1912-1958
&1937 Raphaël Quevilly 1906-1994
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Laurent Quevilly 1951

Nota. en novembre 1816, Charles-Antoines Deshayes, notaire de Jumièges, historien à ses heures, enregistra la vente par Pierre François Mabille à Pierre Charles Antoine Savalle du quart indivis d'une portion de terrain située à Duclair et édifiée d'un moulin moyennant le prix de 6000F.

Sources

ADSM 9 H 162 bis, baux de 1577 à 1770 numérisés par Jean-Yves et Josiane Marchand. Voir les documents originaux 
Recensemement de 1413.
ADSM 9 H 10.
Le rôle social d'un moine, conférence de Lechevrel à l'Académie Malbranche, in Banquet annuel des anciens élèves du collège de Juilly, 1911.
Alfred Canel, Essai sur l'arrondissement de Pont-Audemer, 1834.
Registres paroissiaux et d'état-civil de Jumièges, ADSM.
Délibérations du chapitre de l'abbaye de Jumièges numérisés par Jean-Yves et Josiane Marchand (ADSM 9H37
).
Cadastre napoléonien de Jumièges., ADSM
Cadastre de 1928, mairie de Jumièges, consulté par Martial Grain.
Un chaudronnier ambulant et son avoir, André Dubuc, Annales de Normandie, 1955.
Les moulins à vent normands, Georges Dubosc, Le Journal de Rouen, 26 octobre 1902.

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En consultant le cadastre de la commune de Barneville sur seine, j'ai pu y voir trois moulins, qui sont représentés, par un rond rouge, comme celui de Jumieges. Martial Grain



 

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