Le drame de l'Impératrice
Mercredi 11 janvier 1865
Un affreux événement arrivé près de la Mailleraye vient de causer la mort de cinq personnes sur le bateau à vapeur l'Impératrice, de la compagnie du Touage. Voici ce que l'on nous écrit sur ce fait douloureux, dit le journal de Rouen.

Mercredi, vers huit heures et demie du soir, un sinistre épouvantable a mis en émoi tous les habitants de la commune de Guerbaville-la Mailleraye.
Le bateau à vapeur l'Impératrice, de la compagnie du Touage, qui était mouillé en face du chantier de constructions de M. Lefranc, a fait explosion au moment où il allait se mettre en route. Le commandant de ce bateau, M. Coquin, qui se trouvait à cet instant sur la passerelle pour faire exécuter la manœuvre, ainsi que le mécanicien, M. Boisset, et trois chauffeurs, nommés Delaville, Lebreton et Maréchal ont été victimes de cette explosion. Sur les hommes qui formaient l'équipage du bateau à vapeur. 8 seulement ont échappé à la mort, un de ces 8 hommes a eu trois doigts d'une main mutilés. Les autres n'ont que des contusions sans gravité.
Les huit hommes qui ont échappé à cet affreux événement doivent leur salut au capitaine et à l'équipage d'un vapeur Express, et à l'équipage d'un chaland qui se trouvaient tout près du lieu du sinistre. Ces dignes marins, ont été assez heureux, pour arracher à un péril certain les naufragés qui se cramponnaient à l'avant de l'Impératrice, soutenue à la surface de l'eau, mais qui disparut quelques minutes après le sauvetage effectué. 

M. Lefranc, constructeur aidé par quelques ouvriers, était bien vite monté dans une Embarcation pour courir au secours des hommes en péril, puis il les emmena chez lui pour leur donner tous les soins nécessaires.
Un pilote de Quillebeuf se trouvait à bord de l'Impératrice, mais, grâce à son sang froid, il s'est retiré sain et sauf puis, aidé par le syndic des gens de mer de la Mailleraye, il s'est empressé de faire soigner les blessés. A neuf heures el domie, M. Pasquet, médecin, et M. Lemercier, pharmacien, accourus à la hâte, avaient terminé de donner les secours qui pouvaient être utiles.
Quant aux cinq malheureux, victimes de cette catastrophe, ils, ont été engloutis avec le navire.
L'explosion a été si violente, que toutes les maisons des environs ont été ébranlées comme par l'effet d'un tremblement de terre. Une maison occupée par M.  Lefranc et son atelier de forge ont été endommagés. Des morceaux de tôle et de fer ont sauté à plus de 400 mètres. Dans la forge de M. Lefranc, on a trouvé un morceau de tôle qui pesait au moins 50 kil., qui a brisé la toiture et démonté la forge complètement. On a aussi trouvé des morceaux de bois et de fer à plus de 600 mètres
Il est impossible de se figurer la rapidité de ce désastre. Au bruit de l'explosion, on a vu immédiatement l'arrière du navire s'engloutir, brisé en morceaux, ainsi que la machine, et, quelques minutes après, l'avant, qui s'était mâté debout, disparaissait aussi.
Le peu de boiserie qui se trouvait dans ce bateau en fer a surnagé à la surface de l'eau, mais en informes débris. 
En quelques minutes, toute la population de la Mailleraye était sur le hord de la, Seine, mais elle n'avait qu'à constater cet affreux malheur sans pouvoir y porter aucune aide. M. le maire de la Mailleraye s'est rendu avec empressement sur le lieu du sinistre, où il a prescrit toutes les mesures nécessaires.

Dans le Petit Journal...

L'explosion s'étant produite à l'arrière du bateau, les hommes qui étaient occupés à lever l'ancre sur l'avant ont été préservés, ainsi que le pilote qui se trouvait avec eux.
Le petit mousse, qui se trouvait près des tambours, a été lancé à 10 ou 12 mètres à l'avant, et grièvement blessé..

La violence de l'explosion a étételle que les tuyaux des deux cheminées ont été projetés en l'air à perte de vue. On ne sait pas où ils sont retombés. Les débris du navire ont été lancés jusque dans l'intérieur du village de la Mailleraye. Une plaque de tôle est tombée sur la maison d'un maréchal ferrant, elle a troué la toiture, le plancher de l'étage, et est tombée au rez-de-chaussée sur l'enclume, sans blesser personne..

La pièce de fer sur laquelle se frappe l'amarre de remorquage, du poids de 60 kilogrammes environ, a été lancée à plus de 200 mètres, au pied d'un peuplier qu'elle a presque déraciné, et s'est enfoncée en terre à une profondeur d'un mètre environ. On a trouvé des débris jusque vers l'église de la Mailleraye, qui est à plus d'un kilomètre de la Seine. 
Tous les blessés ont été débarqués à la Mailleraye, où ils sont entourés de tous lés soins possibles.

Journal du Havre, 19 juillet 

 Jusqu'à présent, on n'a encore retrouvé que trois cadavres, des cinq infortunées victimes de l'explosion de l'Impératrice qui a eu lieu mercredi dernier à la Mailleraye. Le maître mécanicien Delaville et le mécanicien Le Breton ont été trouvés dimanche et inhumés hier.
Aujourd'hui a eu lieu l'inhumation des restes du malheureux Coquin, dont le corps a été retrouvé hier. Ces trois cadavres étaient restés au fond de l'eau, à peu de distance du navire coulé. M. Godeaux, directeur de la Compagnie du louage, est venu en personne conduire ces infortunés à leur dernière demeure. On s'occupe activement des mesures à prendre pour retirer les débris du navire ; c'est alors seulement qu'on pourra avoir quelque certitude sur la cause de cette catastrophe. 

Journal de Honfleur : La Compagnie de touage et transport de la Seine, de Conflans  à  la mer, vient  d'ouvrir une souscription en faveur des familles des victimes de la catastrophe de l'Impératrice. La Compagnie s'est inscrite en tête de la liste pour une somme de 4 000 fr.

NB: Ce remorqueur avait été construit chez Marshall, à Liverpool, Dans une premier temps, la cause de l'explosion ne fut pas déterminée. On pensa à un abaissement du niveau de l'eau suivi d'un projection d'eau sur une paroi surchauffée. Mais la Justivce coulut s'en assurer...



Cour impériale de Rouen

EXPLOSION D'UN BATEAU A VAPEUR
POURSUITES CONTRE LE DIRECTEUR DE LA COMPAGNIE


Le 12 juillet 1865, une épouvantable détonation se faisait entendre en Seine, devant la Mailleraye. C'était la machine du remorqueur l'Impératrice, de la compagnie du louage, qui éclatait tout à coup, tuant cinq hommes de l'équipage ; puis le navire s'abîma dans le fleuve, et le reste des marins qui le montaient n'eurent que te temps de chercher dans les barques d'un  bateau voisin un refuge contre la mort.

Les autorités maritimes, aussi bien que les autorités judiciaires, procédèrent à une information minutieuse pour découvrir la cause de !'explosion. Il apparut que la machine avait, toujours été bien tenue, qu'elle était dans d'excellentes conditions, que les mécaniciens étaient d'une capacité reconnue, qu'aucune faute ne pouvait leur être reprochée. Quant au remorqueur, c'était un magnifique bâtiment, de qualités de navigation incontestables. La responsabilité du sinistre ne pouvait donc être mise au dompte d'aucune imprudence humaine. Il y avait eu quelqu'une de ces causes mystérieuses dont on ne voit que les effets, et dont l'homme n'a pas encore surpris le secret.

 Mais la justice crut reconnaître l'existence de plusieurs contraventions; et sans nullement leur attribuer pour conséquence le sinistre, dont elle dut renoncer à connaître la cause, elle les poursuivit vigoureusement. D'abord les autorités maritimes pensèrent que le commandement du bord avait été abandonné par le capitaine inscrit sur le rôle en cette qualité. Le tribuna1 maritime a condamné, en conséquence, cet officier à quinze jours de prison et à une interdiction du commandement pendant un an.
La répression ne s'arrêta pas là. La loi de 1806 punissant d'une amende de 500 à 2,000 fr. tout armateur ou tout directeur d'entreprise qui confie le commandement de son navire à un individu qui n'est ni capitaine ni maître au cabotage, le parquet du Havre procéda à une enquête dans laquelle un certain nombre de matelots affirmèrent avec le capitaine que le véritable commandant du navire était un matelot nommé Coquin, et que si quelqu'un lui avait désobéi à bord, quel que fût. son grade officie l; aurait été immédiatement congédié.

S'appuyant sur ces dépositions, le Tribnnal correctionnel du Havre condamna à 2,100 fr. d'amende M. Godeaux, directeur de la Compagnie du Touage, par lequel avait été armée L'Impératrice.

M. Godeaux a interjeté appel de ce jugement.

Me Frere a présenté sa défense devant la cout. Etait-il prouvé, selon lui, que l'autorité à ce bord appartînt à Coquin ? Sur sept matelots entendus, quatre affirment que non et soutiennent que le capitaine avait confirmé son rang. Sans doute, ils ajoutent que Coquin était l'homme de confiance, le subrécargue, en quelque sorte, de la compagnie. M. Godeaux le reconnaît. C'était Coquin qui engageait les capitaines des bateaux à remorquer, qui faisait les comptes et s'occupait seul de la partie financière et commerciale. Mais l'autorité maritime était restée tout entière au capitaine. Fallût-il admettre le contraire, la culpabilité de M.Godeaux ne serait encore nullement démontrée, car rien ne prouverait qu'il fût l'auteur de l'usurpation relevée à la charge de Coquin. Cet homme a pu empiéter sur les attributions du capitaine sans que le directeur de la compagnie le lui ait conseillé.

L'intérêt même de la compagnie, qui ne fait pas assurer ses bateaux, l'engage tout particulièrement à redoubler d'attention daus le choix des hommes qui les commandent. Un capitaine lui présentait des garanties toutes particulières auxquelles il n'est certes pas présumable qu'elle eût si facilement renoncé. Jamais le capitaine ne s'est plaint. M. Godeaux n'a donc pu savoir si Coquin usurpait ses fonctions. Dans tous les cas, le maximum de la peine ne pourrait pas être maintenu par la cour.

Après le réquisitoire de M. l'avocat général Martin, qui a demandé la confirmation du jugement, la cour a mis l'affaire en délibéré et rendu un arrêt par lequel elle a prononcé l'acquittentent de M. Godeaux et la décharge de toutes les condamnations prononcées contre lui.

SOURCE

Petit Journal, Journal du Havre, Le Constitutionnel, 15 juillet 1865
Charles Villemaître, La Liberté (compte-rendu d'audience), 18 juillet 1866.