En 1890 le port de Duclair trouve un nouveau souffle Deux grues à vapeur vont entrer en action. Inauguration...

5 septembre 1890

Sous peu de jours, vers le 15 ou le 20 septembre, la ville de Duclair va inaugurer son quai qui, pourvu maintenant d'une voie ferrée le reliant à la gare et outillé de deux grues à vapeur, va pouvoir prétendre au titre de port.

Il y avait longtemps qu'on demandait le rattachement de la gare au quai ; il aura fallu plusieurs années pour voir poser ces quelques mètres de rails. C'est fait maintenant; Les industriels des vallées de Duclair et Pavilly se sont entendus pour faire venir leurs cotons et charbons par Duclair. Ils ont constitué une société en vue d'établir sur l'appontement du quai deux grues à vapeur pour le déchargement des matières et leur transbordement sur wagons. Les deux grues sont commandées et vont être montées l'un de ces jours.

Quand tout sera prêt, on se propose de faire une inauguration en règle. Les autorités y seront invitées. Ce jour-là, on assistera à la mise en service de l'outillage.

Le steamer Alice Depeaux, du port de Rouen, est attendu à Duclair avec un chargement de charbons ; c'est lui qui commencera la série des arrivages, en attendant les cotons.

Voilà, en tout cas, qui fera remonter un peu le mouvement maritime à Duclair où il était terriblement dégringolé en ces dernières années.

En 1880, les statistiques relevaient, pour les entrées et les sorties, un mouvement total de 21.091 tonnes. Depuis, ce chiffre n'a cessé de baisser, tombant successivement à 16.000 tonnes puis à 11.000 (en 1883), à 10.000 (en 1884), à 2.500 (en 1885), à 676 seulement en 1886. Enfin, après quelques fluctuations insignifiantes, il était arrivé à n'être plus que de 465 tonnes en 1889.


Inauguration des grues à vapeur de Duclair

Duclair, 1er octobre, 7h du soir.


Le quai en eau profonde établi sur pilotis par la ville de Duclair, et pour lequel elle paie un amortissement de 3.500F par ans, était sans emploi depuis trois ans qu'il est livré, n'étant point raccordé avec le chemin de fer. La Compagnie de l'Ouest n'avait aucun intérêt, en effet, à établir ce raccord puisque ce travail devait avoir pour résultat de lui créer une concurrence à elle-même. Les matières premières qu'elle apporte aux nombreuses et importantes usines de la vallée que suit le chemin de fer de Pavilly à Duclair, lui paient un plus long parcours du Havre, de Dieppe ou de Rouen qu'elles ne devraient lui payer de Duclair. Enfin, elle a établi ce raccord d'une façon assez mesquine, comme nous le verrons, d'après les faits, et, aujourd'hui, ce raccordement entre en service.

Un syndicat a été formé par les industriels de la vallée de Barentin, sous la présidence de M. Badin, pour établir deux grues à vapeur sur le nouveau quai de Duclair et qui, depuis deux jours, sont en action pour décharger l'Alice-Depeaux du charbon que ce steamer apporte de Cardiff.

Le Syndicat des grues à vapeur avait invité à la constatation en même temps qu'à l'inauguration de ce nouvel état de choses. M. le préfet du département, MM les ingénieurs de la navigation, M. le chef du pilotage et les autorités ainsi que les représentants de la ville et du canton.

Cette réunion, surtout technique, a commencé par l'examen des cales du bac de Duclair pour lesquelles on réclamait quelques améliorations, surtout sur la rive de Berville.

Monsieur Mengin, ingénieur en chef de la navigation, M. Belleville, ingénieur ordinaire, après s'être rendu compte des desiderata des gens qui pratiquent le bac, ont promis de faire exécuter des travaux qui doivent remédier en partie dans leur pensée, à l'étroitesse de la cale à sa base et à sa pente considérable.

Disons que les gens du pays avaient prévue pendant les travaux d'établissement les inconvénients qui devaient résulter des plans adoptés.


Une visite de l'Alice-Depeaux a suivi le spectacle, nouveau pour la région, du travail des grues à vapeur. Les installations et le luxe relatif d'un navire à vapeur destiné au transport des marchandises ont fait l'étonnement des visiteurs. En buvant un verre de madère sur les cylindres de la machine qui servaient de table, le conseiller général du canton, M. Charles Darcel, s'est fait l'interprète des sentiments de tous en félicitant M. Depeaux fils de tant de luxe, de bon ordre.

Il a félicité aussi M. Depeaux d'être le premier client du nouveau quai de Duclair. Ce nouveau quai, M. Depeaux, très entreprenant, très actif, en a été le promoteur comme il a été aussi un des fondateurs de la Société d'outillage. Les gens de Duclair lui en sont fort reconnaissants.

Entre temps le flot est arrivé, et l'on a pu assister de la passerelle de l'Alice Depeaux à ce phénomène nouveau pour quelques uns.

De l'examen des installations des voies du chemin de fer sur le quai, il est résulté ce fait que celles-ci sont insuffisantes.

Un second raccordement est nécessaire entre les deux voies établies, et il a été montré, tant au représentant de la Compagnie de l'Ouest qu'aux ingénieurs de la navigation, que celui-ci était facile à l'aide d'un prolongement sur la berge, légèrement élargie, des deux voies qui s'y raccorderaient.

Personne n'a fait d'objection à cette amélioration, d'autant plus que M. Depeaux a montré, chiffres en mains, que l'insuffisance de l'installation ayant pour résultat l'insuffisance des wagons, avait amené un retard de deux jours entiers dans le déchargement ; or un jour se solde par une dépense de 500 fr., et si l'on veut que Duclair ait un trafic, il faut que le fret y soit moindre que pour Rouen.

On voit tout l'intérêt que présente, pour l'économie des transports sur la voie nouvelle, une installation suffisante.

Quant au trafic espéré, voici ce qu'il doit être pour la vallée de Barentin qui compte de nombreuses usines, en tête desquelles il faut mentionner la filature de lin de M. Badin, qui est la plus grande connue, une papeterie très importante, et de nombreuses filatures.


Charbon.....................................................40.000 tonnes

Juste-chanvre, coton, pâte de papier.............40.000

Total..........................................................80.000 tonnes,


sans parler de la réexpédition possible de quelques produits fabriqués.

Ajoutons-y les fruits et les pommes de terre qui font en certaines années l'objet d'un trafic important , que les cultivateurs de la rive gauche chargeront directement de leur bateau à quai et sur les wagons, au lieu de les transporter en voiture à la gare, ce qui les oblige à user du bac et à augmenter leurs frais de transport.

Ajoutons, enfin, parmi les observations qui ont été présentées aux ingénieurs, celle de la nécessité de dragages au pied du quai afin de donner aux grands navires lourdement chargés une profondeur d'eau suffisante.


Un déjeuner a réuni les invités à l'Hôtel de la Poste. Déjeuner que des toasts ont terminé nécessairement, mais qui a eu pour caractère principal, de tourner en une sorte de conférence fort intéressant faite par M. Badin, à qui M. l'ingénieur Mengin donnait la réplique, sur la transformation qui s'opère en Angleterre, dans l'exploitation de l'industrie cotonnière par suite de la participation collective des ouvriers.

Le conseiller général du canton, M. Ch. Darcel, M. Badin, M. L'ingénieur Mengin, etc.; ont « levé leur verre », ainsi qu'on dit aujourd'hui, en l'honneur de tout et de tous : du Syndicat des grues, de la ville de Duclair, des ingénieurs, du chef du pilotage, M. Dhormois ; de M. Maillard, constructeur de grues, du bac à vapeur et des bouées lumineuses qui vont bientôt être installées dans l'estuaire.

Ernest Deshaues, courtier, à propos du Rouen excluded par les compagnies anglaises d'assurance, a relevé ce fait que, par suite de cette exclusion, la navigation long-courrière dans la Saine avait pour résultat, depuis le 1er janvier jusqu'au 28 septembre, que 71 navires anglais y avaient seuls pris part, contre 382 navires des autres nations. Cette exclusion a tourné au détriment de la navigation anglaise seule.

Un télégramme de M. le préfet ne l'a pas remplacé et on l'a regretté. Encore loin de Rouen, il n'avait pu se rendre à l'invitation du comité.

Des armateurs et des industriels ayant pris l'initiative de l'entreprise des grues à vapeur qui donnent aujourd'hui une animation insolite au quai de Duclair, nous n'avons point d'opinion à émettre.

Nous espérons donc que la mécanique s'est installée à tout jamais dans notre pays si paisible jusqu'ici ; et que le bruit des engrenages en fonction troublera le calme de notre canotage sur la Seine.

S'il en est ainsi, Rouen n'a qu'à se bien tenir. Il a enlevé à Duclair la réputation de ses canetons. Qu'il prenne garde que Duclair ne lui enlève sa navigation.

A.D.



SOURCES

Le Journal de Rouen numérisé par Josiane Marchand.