Par Laurent Quevilly
Gonflée, la garde nationale de Barentin ! le 29 juin 1791, elle perquisitionne au château des Vieux, hors de son territoire. Et là, elle s'empare de quelques pétoires. La municipalité n'est pas longue à riposter...

Le 29 juin 1791, l’aube se lève à peine sur une paroisse des Vieux encore ensommeillée. Quand un grondement de pas armés trouble la quiétude des lieux. Une troupe de 45 à 50 hommes, fusils en bandoulière, sabres au clair et haches à la main, marche d’un pas décidé vers le château de Monsieur d’Épinay de Saint-Luc. À leur tête, Jean-Baptiste Duchesne, fier comme un coq, brandit un ordre signé de la municipalité de Barentin. Ce document, qu’il clame haut et fort, lui intime de fouiller le château de fond en comble pour y saisir armes et munitions.
Devant la porte massive du domaine, le concierge Deshayes, un homme prudent mais dépassé, fronce les sourcils. L’ordre, à ses yeux, sent l’illégalité à plein nez. Pourtant, face à cette force brute, il n’a d’autre choix que d’ouvrir grand les portes. Les gonds grincent, et Duchesne, suivi d’une poignée de ses hommes, s’engouffre dans le château...

Maigre butin


La porte d'entrée du château des Vieux...

À l’intérieur, c’est une chasse au trésor musclée. Les hommes de Barentin passent chaque pièce au peigne fin, fouillent les armoires, soulèvent les tapis, scrutent les recoins sombres. Leur butin ? Trois fusils à deux coups, deux fusils à un coup, une carabine, quatre affûts de canon et un petit baril contenant sept à huit livres de poudre. Pas de quoi armer une contre-révolution, mais assez pour attiser les convoitises. Satisfait, Duchesne ordonne qu’on empile le tout. Les armes, les affûts, la poudre : tout est chargé et prend la route de Barentin, sous les regards médusés des habitants des Vieux.

"Non à l’anarchie !"

La municipalité des Vieux, furieuse, ne compte pas laisser passer cet affront. Dans leur chambre municipale, les esprits s’échauffent. « scandaleux ! » s’écrie Michel Lebourgeois, la plume tremblante de colère. « Barentin nous dépouille, nous désarme, et pour quoi ? Pour satisfaire sa propre avidité ! » Les officiers rédigent une lettre enflammée au Directoire du District de Caudebec. Ils exigent le retour immédiat des armes et munitions volées, dénonçant l’acte comme une violation flagrante de l’ordre républicain. « Si chaque municipalité se met à piller ses voisines, c’est la loi du plus fort qui règnera, et l’anarchie nous engloutira tous ! » écrivent-ils, la voix vibrant d’indignation.
On exige donc le retour du butin, en bon état s'il-vous-plait. Et puis de s’abstenir à l’avenir de tels actes de « despotisme ». La lettre, signée avec ferveur le 1er juillet 1791, porte l’espoir d’une justice rapide. 

En bas de la supplique, le Directoire griffonnera une note laconique : que Barentin s’explique, et vite, dans le délai d’une semaine...

Le baratin de Barentin

Mais Barentin ne l’entend pas de cette oreille. Le 27 juillet, la réponse arrive, et elle est tout sauf convaincante. Dans une prose embrouillée, la municipalité tente de se justifier. « Nous ne sommes pas des voleurs ! » clament les Barentinois. Selon eux, leur expédition au château visait à sécuriser des armes potentiellement dangereuses, surtout que Monsieur d’Épinay, propriétaire du domaine, est un fugitif du royaume. Ils admettent avoir saisi les fusils, les affûts et un baril de poudre – mais jurent qu’il ne contenait que quatre livres, pas sept ou huit!

Et ce n’est pas tout : ils prétendent avoir laissé de quoi se défendre au concierge (deux fusils à deux coups) et au jardinier (un fusil à un coup). Les autres armes ? Elles, étaient cachées dans le toit du château, prêtes à servir on ne sait quel complot. On brandit un ordre de Monsieur Piefor, secrétaire de Monsieur de Carauman, qui leur aurait expressément commandé de garder ces armes à Barentin. « La demande des Vieux est injuste ! » concluent-ils, droits dans leurs bottes. « Ces armes n’appartiennent pas à leur municipalité, mais à Monsieur de Carauman ! »
Dans leur chambre municipale, les officiers de Barentin signent ce texte avec assurance, pour ne pas dire arrogance, persuadés d’avoir cloué le bec à leurs voisins. Mais à Caudebec, le Directoire fronce les sourcils. Cette affaire, loin d’être close, promet encore bien des remous.
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Laurent QUEVILLY.


Les documents originaux


A Messieurs les administrateurs composant le Directoire du District de Caudebec ?


Messieurs, la municipalité de la paroisse des Vieux à l'honneur de vous représenter que le 29 juin dernier, la municipalité de Barentin s'est permise d'envoyer un détachement de la Garde nationale du dit Barentin composée de 45 à 50 hommes armés de fusils, sabres et haches ayant à leur tête le sieur Jean-Baptiste Duchesne qui se disait commandant du dit détachement et porteur d'un ordre de sa commune de Barentin par lequel il lui était enjoint d'aller faire perquisition dans le château et autres bâtiments de Monsieur d'Epinay de Saint-Luc, situé paroisse des Vieux, pour se saisir de tous les fusils et canons pour pourraient être dans le dit château.

Que le dit Duchesne ayant fait la lecture du susdit ordre au dit Deshayes, concierge du dit château, que ce dernier n'ayant pas cru devoir refuser l'ouverture des portes du dit château et autres bâtiments à une force majeure quoi qu'il se soit bien aperçu que  « la susditte ordre étoit illégalle »,

l'ouverture faite des dites portes, le dit Duchesne, accompagné d'une partie de son détachement, se serait permis de faire perquisition dans l'intérieur du dit château et autres bâtiments et ayant trouvé dans l'intérieur du dit château trois fusils à deux coups, deux fusils à un coup et une carabine ainsi que quatre affûts de canon et un petit baril de poudre dans lequel il y avait à peu près sept à huit livres de poudre à canon ;

que d'après la perquisition finie, n'ayant point trouvé d'autres armes que celles dessus détaillées, le dit Duchesne se serait saisi de tous les fusils, de deux affûts de canon ainsi que du petit baril de poudre et aurait le tout emporté à Barentin...

Messieurs, la municipalité des Vieux réclame tous les objets que le dit sieur Duchesne s'est permis d'emporter. Elle en a autant et même plus de besoin que celle de Barentin. Les circonstances actuelles exigent de toutes les municipalités du royaume la plus grande précaution pour se procurer des armes en cas de besoin, mais nous ne croyons pas qu'il soit permis à une municipalité quelconque de désarmer une autre. Ce n'est point l'intention de l'Assemblée nationale ni la vôtre, Messieurs. Et si cela était, nous ne formerions pas dans cet empire qu'une seule et même famille, ce serait la loi du plus fort, ce qui nous conduirait infailliblement à l'anarchie.

Ainsi, Messieurs, ils vous plaise d'ordonner à la municipalité de Barentin de rapporter à celle des Vieux toutes les armes et munitions qu'elle s'est permise de soustraire à l'insu de cette dernière sur le territoire d'icelle et de les rendre en bon et dû état et dans le plus court délai possible, que défenses seront faites à la dite municipalité de Barentin de se permettre à l'avenir un pareil despotisme et de tous dommages et intérêts qui pourraient en résulter et vous ferez justice.

Fait et délibéré à notre chambre municipale le premier juillet mil sept cent quatre vingt onze, nous vons l'honneur d'être, Messieurs, vos très humbles et très obéissants serviteurs.

Signé Michel Lebourgeois, Pierre Falu (?) Maurice Martin, Seyer, Herment.

Note du directoire: Soit la présente communiquée à la municipalité de Barentin pour répondre aux faits qui sont contenus et renvoyer le tout dans le délai de huitaine.


A Messieurs composant le Directoire du District de Caudebec,

Nous maire et officiers municipaux de la paroisse de Barentin pour répondre à la requête ci jointe que ces messieurs de la paroisse des Vieux vous ont présentée contre les citoyens de Barentin pour avoir été au château pour voir s'il y avait pas d'armes et des munitions qu'il soit dans le cas de porter « ostacle », comme Monsieur d'Epinay est fugitif du royaume, il doit toujours avoir à craindre, ces messieurs des Vieux, sur leur requête, ils ont trompé votre bonne foi de vous représenter « qu'il auroit pris toutes les armes qu'il auroit trouvé » ce qui est faux, ils ont trouvé à la vérité trois fusils à deux coups et deux fusils à un coup et une carabine ainsi que quatre affûts de canon et un baril de poudre dans quoi il avait quatre livres, « dont nous sommes nantis des ditte armes quil sont dépozés dans notre chanbre de la commune » et lorsque le sieur Duchesne, commandant de la dite garde nationale de Barentain aurait été au Vieux, « il auroit lesse au consierge deux fusils à deux coups pour sa garde et au jardinier un fusil à un coup, ce qui les a occasionnés de prendres les autres fusils qu'ils étoit cachées dans le toit du château dont nous avons ordre de la part de Monsieur Piefor, segrettaire de monsieur de Carauman qui nous authorise et nous commande de garder les ditte armes à Barentain et d'en avoir soin jusqu'a ce quil nous le demande. Ce qu'il nous fait voir que ses messieurs de la municipalité des Vieux nous fait une démande injuste de demander des armes et des munissions à Monsieur Despinay et il appartienne à Monsieur de Carauman ; fait à Barentain en nôtre chambre de la commune ce jourduy mercredy vingt sept juillet mil sept cent quatre vingt onze ce que nous avons signé...

Le Boucher, Commin procureur etc.

Source


ADSM L1694. Document numérisé par Josiane Marchand. Voir le document original