Saint-Wandrille a eu son Dom Camillo. En 1830, pour des raisons politiques, le curé Fresnel en vint aux mains avec son propre beau-frère. Pugilat familial...


Caudebec, 20 novembre 1830
Correspondance particulière.  


Il n'est bruit clans notre pays que d'une scène scandaleuse qui a eu lieu au presbytère de Saint-Wandrille, le 18 octobre dernier. On s'accorde généralement à en faire le récit suivant:

Le sieur Belanger, marchand de souliers a Caudebec alla à Saint-Wandrille le jour précité, pour remettre au sieur Fresnel, son beau-frère, desservant de cette commune, deux livres que celui-ci lui avait prêtés. 

Il chasse les danseurs

Après les salutations d'usage, Bélanger demanda an curé ce que devenait son affaire avec le père Tréchu, vieillard et pauvre de la paroisse, au petit-fils duquel le sieur Fresnel a refusé le baptême, parce que trois mois auparavant, vers la Saint-Jean, le parrain proposé avait dansé avec des jeunes gens qui allaient chanter la chanson de Frilay(*), lorsque le curé Fresnel, dont on ne saurait dire omnia tuta timens, vint lui-même rompre la danse et chasser vaillamment la troupe des danseurs, sous le prétexte qu'il était neuf heures du soir.

(*) Cette chanson fut composée sur l'abbé Frilay, un temps vicaire de Pavilly, séducteur de femmes, père de plusieurs enfants, accusé de meurtre devant les Assises de la Seine-Inférieure en mai 1830.

Il hait le drapeau tricolore


Une discussion touchant le refus du baptême s'engagea entre le curé et son parent ; celui-ci disait que l'enfant était assez malheureux de naître avec le péché originel, sans qu'il pâtît encore de la faute du Parrain qu'on voulait lui donner. Il ajouta, en outre, qu'il voyait avec peine que depuis quelques temps, son beau-frère s'était créé, par sa conduite et par ses opinions, un grand nombre d'ennemis.

A la vérité, ce jeune prêtre, qui s'est opposé, autant qu'il le pouvait à ce qu'on plaçât au clocher le drapeau tricolore, est regardé comme un des carlistes et des congréganistes les plus ardents. Le curé répondit vivement qu'il avait le droit de refuser le baptême ; qu'il userait toujours de ses droits, que d'ailleurs il ne souffrirait pas qu'un laïque le moralisât, et aussitôt il saisit avec force son beau-frère par l'habit. 

Le père du curé, partageant l'indignation de son fils, veut aussi se jeter sur son gendre. Mais le  curé, confiant en ses propres forces, lui crie de rester tranquille, et que seul il en viendra à bout. En effet, il pousse vigoureusement Bélanger hors de la maison, et, malgré ses supplications, il le traîne violemment dans la cour vers la porte de la rue. Enfin, arrivé à la barrière de  la rue, le curé lâche son beau-frère pour lui porter, soutient celui-ci, cinq à six coups de poing dans la figure, et plusieurs coups de pied vers le bas-ventre, de la manière la plus brutale.

"Au secours, on m'assassine !!!"

Bélanger, au même moment, reçut à la tête deux blessures qu'il croit lui avoir été faites par le père du  curé au moyen d'une pince à feu. Il en perdit presque connaissance ; cependant il put crier au secours ! on m'assassine ! Le curé et son père disparurent aussitôt.

Des voisins donnèrent les premiers soins a Bélanger et arrêtèrent difficilement le sang. Le blessé, accompagné de deux jeunes gens qui l'avaient secouru, se présenta chez le docteur Lestorey, à Caudebec, deux heures et demie environ après cette scène malheureuse, et réclama les soins de l'art.
On observa, à la partie postérieure gauche de la tête, deux plaies contuses, récentes, saignantes, dont la configuration représentait parfaitement bien l'extrémité des deux branches d'une pincette (quoiqu'on prétende que Bélanger s'est frappé simplement contre un arbre). 

Ces plaies parvenaient jusqu'à l'os occipital qui, toutefois, n'était pas fracturé. Un rapport a été rédigé par le docteur.
Vainement on a tenté une conciliation amicale : rien n'effraie les gens d'église : si fractus illabatur orbis, impavidos ferient ruinœ.
   
Cette affaire fera, le 24 de ce mois, l'objet de l'audience  du tribunal d'Yvetot.  

Le procès

Yvetot, 25 novembre (Correspondance particulière). – L'affaire du curé de Saint-Wandrille, dont le Journal de Rouen a parlé dans sa feuille du 22 de ce mois, a été appelée et plaidée hier en police correctionnelle. Les fais imputés à cet ecclésiastique n'ayant point été suffisamment établis, il a été acquitté ; mais son père qui avait aussi pris part à la scène et libéralement administré deux violents coups de pincette au sieur Bellenger a été condamné en six jours d'emprisonnement, cinquante francs de dommages et intérêts et aux frais du procès.


SOURCES

Le Journal de Rouen des 21 novembre et 26 novembre 1830.