Par Gilbert FROMAGER
En fait c’est sur la moitié de la largeur de la Seine depuis le fil de l’eau, c'est-à-dire le milieu, jusqu’à la rive droite que le droit annuel de pêche est « taxé » à 8 sols et une alose par bateau, cet impôt annuel est perçu par les religieux lorsqu’un pêcheur jette ses filets dans cette partie du fleuve. En 1543, une transaction, suite à de nombreux procès entre les moines et les habitants de la presqu’île soutenus par le seigneur Mouret Dupont, porte la redevance annuelle à 28 sols et deux aloses pour pêcher sur toute la largeur du fleuve. Tout est écrit noir sur blanc: « Et si les dits pêqueurs, ou aucun d’eux ne pêquent point, ils ne seront point contraints à payer ladite rente ; mais s’ils pêquent une seule fois, ou mouillent leurs rets en l’an, ils paieront ladite rente pour icelle année, combien plus ne pêquassent en icelle année… » Ils se présentent au « pled » d’après Noël pour déclarer s’ils veulent pêcher dans l’année. Les commis de l’abbaye peuvent exiger à tous moment qu’ils fassent la montrée du poisson. L’acte cite 31 noms de pêcheurs d’Anneville. Vu la population, ça parait beaucoup.
« J’avais des camarades dont c’était le métier et il me semblait que ce ne serait pas difficile de les imiter…J’avais armé mon canot, bien trop lourd pour ce genre de travail. Il faut être deux pour tendre les lignes et je n’avais que mon jeune frère pour tenir les avirons…Aussi, mes 5 lignes de 100 hameçons me donnaient bien du souci, n’ayant pas encore la main, combien de fois dus-je recommencer mes plis et surveiller le départ des hameçons pour qu’ils n’accrochent nulle part, sinon adieu la marée. Vous voyez défiler d’une traite tout le plateau….Il vous faut dévider dans le courant occupé à dire à votre nageur : « nage tribord ! Scie arrière ! Nage bâbord !, en vous empêtrant dans les cailloux alors que le courant vous entraine trop vite. Il y a tout un doigté qui ne s’acquiert qu’avec une longue pratique… « Et j’en arrive à la relève des lignes, ça exige encore une certaine dextérité. Pour tirer l’anguille hors de l’eau, il ne faut pas hésiter car elle se tortille tellement qu’elle se décrocherait de l’hameçon… Arrivée dans le canot, il faut la détacher prestement en la prenant juste sous la tête, ajouter à ça la tension de la ligne si le canot n’est pas conduit d’une forte poigne par le nageur. Si vous ne parvenez pas à la décrocher, alors là malheur, elle se met à farfouiller dans votre paquet de lignes vous voilà avec deux bonnes heures d’énervement à débrouiller le méli mélo. « Il y a deux manières de pêcher l’anguille en Seine : la tente de nuit que vous allez relever au petit jour mais attention, ne vous endormez pas sinon vous ne retrouverez que des anguilles mortes étranglées. Il y a aussi la tente de flot que vous faites une heure après mais là aussi il faut relever en temps, avant l’èbbe sinon vous ne trouvez pas grand-chose autour des hameçons. « Drôle de boulot pour un débutant et le pire c’est que je n’arrivais pas à vendre. Sans compter sur les déboires comme d’avoir une boutique (réservoir) pourrie. Un jour, en la plaçant sur le plat bord de mon canot, elle s’ouvrit par le fond et toutes mes anguilles cavalèrent prestement me faisant perdre la valeur de pas mal de marées » Souvenirs sur la Seine, Prudent PREVOST, 1994, Ed BERTOUT Armand Billard pêcheur conteur
« A la belle époque, la rivière n’était pas polluée, on pêchait toute l’année des poissons de montée mais quand il fallait descendre, jusqu’à Duclair parfois, alors on trouvait du saumon, de l’alose, des anguilles, des esturgeons... On mettait une roctière à l’eau et on dérivait d’ebbe pour pêcher à verquer ou bien on en prenait à la puchette » Le jargon du pêcheur est hermétique mais le glossaire de son livre « Flux et reflux de la Seine normande » donne les définitions. Très souvent Armand joint le geste à la parole, il mime les mouvements des poissons ou en estime leur taille, la main droite monte alors sur le bras gauche. Il se des prouesses de la famille: « Vers 1872, à Petit Couronne, mes ancêtres ont pris sur le Poulier, au dessus de la No, un millier de fintes et de cajulots d’un seul coup de filet et en 1890 les frères Billard ont pris un esturgeon de 212 kg. Et le bras monte, monte…de plus en plus haut. Armand poursuit son récit et en arrive à l’occupation allemande en 40 : « On n’a plus trouvé de poisson dès que le pétrole des bacs de la Shell s’est déversé dans le fleuve lors des bombardements de la raffinerie, on a même vu des anguilles se faufiler à travers champs et des brochets remonter dans les fossés. Mais peu à peu, au fil des années, diverses espèces qu’on n’avait jamais vues sont revenues, une aubaine en cette période de guerre, les pêcheurs font des affaires bien qu’ils soient nombreux : deux à Oissel, le père Groult de Grand Couronne, la « couleuvre » au Val de la Haye, la famille Billard à Petit Couronne, les frères Houzard à Moulineaux, Louis Frement à la Bouille, le père Tourent à Sahurs, les Delaville à Bardouville, Couturier à Yville, Jouanne à Jumièges. En aval de Rouen, ils sont encore plus nombreux, jusqu’à Martot il y a une vingtaine de barques toutes fabriquées par la famille Avenel d’Amfreville la Mi Voie ». Chaque espèce de poisson évolue dans une zone bien précise, selon la température, selon le courant. C’est là qu’intervient toute la science du pêcheur. S’il apprend que l’éperlan est demandé, il dirigera son bachot sur les lieux qu’il connait et peut être qu’il pourra combiner la livraison en même temps. Il
faut livrer très vite à la gare de Duclair ou aux
halles
de Rouen là où on vendait le poisson à
la
criée. Le dernier recours est la vente aux particuliers et
à propos de cette vente Armand raconte :
Laissons Armand conclure de façon nostalgique et
patoisante, un exercice où il excellait
aussi : « Au
c’menchement d’not
siècle, y avait plusieurs chentaines
d’pêqueux, a
c’t’heu, est fini, y ont tout
gabillé
aveuc leu pollution des usènes et leu navigation
de gros
bâtiaux ». Propos recueillis en
janvier 1988 lors d’une soirée au coin du feu
au gîte du Valnaye à Quevillon par Gilbert Fromager Les métiers du fleuve à Anneville et à Ambourville Durant les XVIIIème et XIXème siècles beaucoup de nos concitoyens vivent autour et sur le fleuve. Ce sont les pêcheurs, les bateliers, les passeurs, les hâleurs...Voici ceux rencontrés au fil des pages des registres d’état civil. Ceux d’Anneville révèlent une vingtaine de pêcheurs jusqu’à la moitié du XIXème siècle et ceux d’Ambourville n’indiquent qu’un seul pêcheur en 1893, mystère !
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