Portrait d’un truculent armateur du début XIXe siècle
Jean Darcel

Par Gilbert Fromager
Jean Darcel est un armateur d’une vieille famille rouennaise dont les origines remontent au XIIe siècle.
Bien que n’ayant aucun titre de noblesse, la Révolution et son sens développé de l’économie lui permettent d’acquérir de nombreux biens nationaux dont 24 maisons à Rouen et 37 fermes.
A Anneville il possède 185 hectares et les châteaux des 4 Girouettes et de la Cheminée Tournante entre autres.

Il est réputé pour le commerce avec une armada d’une vingtaine de bateaux navigant dans le monde entier.

Jean Darcel est une forte personnalité, des anecdotes le concernant ont été soigneusement collectées :


A défaut de la photo du carrosse de Jean Darcel, cette photo qui représente la diligence à cheval qui allait de Duclair à Rouen aller et retour chaque jour.

A Rouen, les voyageurs montaient place Henri-IV comme le montre la photo prise vers 1900, un cliché qui reflète bien l’ambiance de l’époque.


« Il avait un carrosse que l’on prétendait avoir servi au sacre de Louis XVI, il avait une telle dimension que l’on ne pouvait le remiser que dans l’église abandonnée de Saint Michel quand on devait partir pour Anneville, l’oncle Jean faisait venir de chez ses fermiers, 6 chevaux de charrue, les valets de ferme tiraient le carrosse au milieu de la place de la Pucelle, attelée bruyamment au milieu de la populace du quartier et des femmes des halles ne manquaient pas ce spectacle annuel.

« Puis l’oncle Jean, Monsieur, Madame et Mademoiselle de Beaunay, avec les domestiques, les femmes de chambre et mille paquets s’installaient dans le monument à 4 roues et au moment où la machine s’ébranlait sous les cris, les rires et les quolibets de la foule, Jean Darcel tirait gravement un gobelet d’argent et l’on buvait pompeusement le coup de l’étrier.

« L’oncle Jean se faisait apporter tous les matins à jeun un verre d’eau de Seine qui avait des vertus particulières pour conserver les gens, ce dont il était d’ailleurs un bon exemple. Et un jour, ayant oublié de boire son verre d’eau et s’en apercevant l’après-midi, il s’empressa de le boire, quoi qu’il n’eût pas le moindre du monde soif, disant qu’il fallait que rien ne fut perdu.

« Parmi ses commerces avec l’Orient, il avait le monopole de celui des oranges. Au moment des étrennes il faisait mettre des cargaisons d’oranges dans une remise fermée par une grille et se mettait là avec son violon. Les marchandes lui demandaient des oranges, il leur faisait un prix, elles se récriaient et il se remettait à jouer avec une grande attention du violon, les laissant l’injurier. Elles passaient les mains par les grilles pour prendre des oranges, il leur donnait des coups d’archer sur les doigts et ses badinages continuaient jusqu’à ce qu’elles eussent donné le prix qu’il voulait.

« L’oncle Jean donnait tous les ans un grandissime dîner à tout ce qui avait de plus considérable à Rouen : le préfet, l’archevêque, le maire …Ce gala de grande pompe était suivi de plusieurs dîners de moindre importante et ce sont des gens de moindre acabit qui mangeaient les restes.

« L’oncle Jean, au milieu de ses ladreries cocasses avait d’ailleurs des magnificences, son argenterie était fort belle et fort nombreuse, si nombreuse qu’une fois l’ayant laissée à Rouen, sa maison fut violée et les voleurs emportèrent pour plus de 12.000 francs d’argenterie. Son neveu partit aussitôt pour Anneville le prévenir de ce malheur ; l’oncle dormait et quand son neveu arriva, il se réveilla de mauvaise humeur. Quand il sut le vol, il se retourna en grommelant qu’on n’aurait pas dû le réveiller pour ça. ».


Une vignette du « Manoir du Grand Hôtel », actuellement désigné « le château des quatre Girouettes », retrouvée dans la masse des écrits du président du Pont au XVIII° siècle. Jean Darcel s’est installé en 1780 dans cette résidence de campagne sur les bords de Seine.


Jean Darcel meurt à 92 ans en 1832 sans héritier direct laissant à son petit neveu l’ensemble de ses biens à la condition express qu’il ne puisse vendre qu’après l’âge de 60 ans.

Source : Nicolas de Warren

Gilbert FROMAGER.






Réagir à cet article




 



Haut de page












Supplément virtuel du Journal de Duclair fondé en 1887

Site  hébergé  chez

depuis le siècle passé