MONSIEUR X
Dans une librairie de Beaune, fin mars 2009, je fis l'acquisition d'une brochure intitulée "Abbaye royale de Jumiéges", par M. X***. Sans doute le premier guide vendu aux visiteurs à l'abbaye. Mais ce document gardait à mes yeux une part de mystère...

De quoi se compose le texte? Une chronologie des grands événements ayant marqué l'abbaye. Suit le résumé de cinq légendes. L'auteur a manifestement lu Deshayes mais ne cite à aucun moment le notaire de Jumièges. Enfin l'ouvrage se termine sur un descriptif des ruines avec plan détaillé. Les souterrains de l'abbaye apparaissent en effet en pointillés.
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A Portail A-A Vestibule et au-dessus Tribune pour les orgues. B B-B Tours C Nef. D D-D Galeries latérales. E Emplacement de la Tour carrée. F Chapelle de la Vierge. G Chœur. H Déambulatoire I Chapelles Saint-Michel et Saint-Jean J Passage Charles VII. K Eglise Saint-Pierre. L Chapelle Saint-Pierre. M Chapelle Saint-Martin et au-dessus chambre de St Philibert. N Chapelle Saint -André. O Salle du Chapitre. P Trésor. Q Sacristie. R Cloître. S Salle des gardes T Chapelle de l'infirmerie. U Entrée des Souterrains. V Caves. X Petite Crypte. Y Continuation des Souterrains. Z Grande Crypte T-A-S Tombeau d'Agnès Sorel T-S Tombeau des Enervés T-N-L Tombeau de Nicolas Leroux |
Deux coquilles ont été corrigées
à la main à l'aide d'une encre violette. On
notera par ailleurs que le rédacteur de ces pages ne
désigne jamais la Belle des Belles sous le nom
d'Agnès Sorel. Mais l'appelle systématiquement
"Agnès de Surelle". Autre détail
intéressant: "On célébrait
à Jumièges, il y a peu de temps encore, la
Fête du Loup Vert." Il est vrai qu'en 1862 la fête
fut pour beaucoup vidée de ses rites. Mais elle perdura
jusqu'aux débuts du XXe siècle.
Ce petit opuscule d'une vingtaine de pages a-t-il été rédigé et vendu pour servir de guide dans les ruines à la fin du XIXe ? L'auteur site "M. Lepel-Cointet", fameux propriétaire des ruines. Il évoque aussi l'homme fort du village: "La guerre des Calvinistes fit abandonner l'abbaye par les moines qui cachèrent les trésors au bout du dortoir et au bas du courtil (propriété entourée de murs, actuellement appartenant à M. A. Granchamp)." Achille Grandchamp ! En 1881, année où paraît notre document, il est élu conseiller général du canton. Bientôt, il sera maire de Jumièges...
Mais qui est donc ce Monsieur X*** ?
Une note manuscrite sur la page de garde voulait trahir son identité. "Paul Esdouhard, 1882, Donné par l'auteur."
Mon libraire, M. Chavroche m'expliqua: "Esdouhard d'Anisy, était le fils de Jean Baptiste Edouard, maire de Beaune sous l'Empire, destitué à la première Restauration, rétabli sous les 100 jours, retiré de la politique après Waterloo. Il résida dès lors à Puligny Montrachet où il possédait un domaine. Cette famille (très Républicaine!) est connue à Beaune. La particule d'Anisy a été usurpée par ce fils qui fut entre autre président de la Société d'histoire et d'archéologie de Beaune et écrivit quelques ouvrages d'histoire locale et des écrits divers (pièces de théâtre, romans, nouvelles etc...).»
Esdouhard était aussi correspondant de la société des Antiquaires de France. Il a laissé derrière lui une abondante production tant en pièces de théâtre qu'études historiques. La ville de Beaune venait d'acquérir un fonds important de ses ouvrages et manuscrits auprès de la librairie Mille et une feuille, là où précisément j'avais trouvé cette brochure non répertoriée à ma connaissance dans toute la bibliographie de l'abbaye.
M. Chavroche était formel : cette brochure provenait bien de la bibliothèque d'Esdouhard.
J'étais tenté de penser que ce fascicule aux allures de guide avait été rédigé par un Lepel-Cointet et offert à Esdouhard. Au dos du livre figurent des initiales stylisées qui ôtent les derniers doutes: LC. Seulement voilà: Aimé Lepel-Cointet était mort en 1872. Dix ans avant la parution du livre. Alors, ouvrage posthume? réédition ? Dans ce cas, pourquoi Esdouhard aurait-il noté en 1882 : "Donné par l'auteur". Un détail : la chronologie des événements rapportés dans le livre s'arrête à 1853, année où Lepel-Cointet devient propriétaire des ruines. On relève une erreur. : Les ruines de l'abbaye furent achetées en 1845 par M. Caumont, puis par M. Lepel-Cointet, en 1853." Faux : Caumont est devenu propriétaire des ruines en 1825. L'auteur ajoute : "Différentes fouilles ont été pratiquées par ces deux derniers propriétaires. Dans l'intérieur des bâtiments qu'habite M. Lepel-Cointet existe un musée où se trouve quelques objets ayant appartenu à l'abbaye." Faute d'orthographe, peu de précisions...
A la chronologie des principaux événements suivent cinq lègendes brièvement rédigées : Celle du Loup Vert, les Enervés, les Elus de Saint-Aicadre, la chasse de Guillaume Longue-Epée enfin la Sainte-Pétronille.
Le tout s'achève par un descriptif des ruines. S'agissant des souterrains, l'auteur affirme : "On croit que de cette crypte partait un souterrain qui mettait en communication Jumièges et Le Mesnil..."
Ce ne fut qu'en 2016 que j'eus enfin l'explication. Les familles Lepel-Cointet et Bonvouloir firent don de leurs archives gémétiques au Département. On y trouva un exemplaire de ma brochure. Celui-là était dédicacé à Mme Eric, l'âme de Jumièges : "A ma chère bonne Maman, souvenir sur ses belles ruines". Et c'est signé André Lepel-Cointet ! Il s'agit du neveu de Mme Eric qui avait perdu sa mère à l'âge de 13 ans. L'année où il publia sa brochure, son père, Helmut Lepel-Cointet disparaissait à son tour. André avait alors 20 ans.
Ce petit opuscule d'une vingtaine de pages a-t-il été rédigé et vendu pour servir de guide dans les ruines à la fin du XIXe ? L'auteur site "M. Lepel-Cointet", fameux propriétaire des ruines. Il évoque aussi l'homme fort du village: "La guerre des Calvinistes fit abandonner l'abbaye par les moines qui cachèrent les trésors au bout du dortoir et au bas du courtil (propriété entourée de murs, actuellement appartenant à M. A. Granchamp)." Achille Grandchamp ! En 1881, année où paraît notre document, il est élu conseiller général du canton. Bientôt, il sera maire de Jumièges...
Mais qui est donc ce Monsieur X*** ?
Une note manuscrite sur la page de garde voulait trahir son identité. "Paul Esdouhard, 1882, Donné par l'auteur."
Mon libraire, M. Chavroche m'expliqua: "Esdouhard d'Anisy, était le fils de Jean Baptiste Edouard, maire de Beaune sous l'Empire, destitué à la première Restauration, rétabli sous les 100 jours, retiré de la politique après Waterloo. Il résida dès lors à Puligny Montrachet où il possédait un domaine. Cette famille (très Républicaine!) est connue à Beaune. La particule d'Anisy a été usurpée par ce fils qui fut entre autre président de la Société d'histoire et d'archéologie de Beaune et écrivit quelques ouvrages d'histoire locale et des écrits divers (pièces de théâtre, romans, nouvelles etc...).»
Esdouhard était aussi correspondant de la société des Antiquaires de France. Il a laissé derrière lui une abondante production tant en pièces de théâtre qu'études historiques. La ville de Beaune venait d'acquérir un fonds important de ses ouvrages et manuscrits auprès de la librairie Mille et une feuille, là où précisément j'avais trouvé cette brochure non répertoriée à ma connaissance dans toute la bibliographie de l'abbaye.
M. Chavroche était formel : cette brochure provenait bien de la bibliothèque d'Esdouhard.
J'étais tenté de penser que ce fascicule aux allures de guide avait été rédigé par un Lepel-Cointet et offert à Esdouhard. Au dos du livre figurent des initiales stylisées qui ôtent les derniers doutes: LC. Seulement voilà: Aimé Lepel-Cointet était mort en 1872. Dix ans avant la parution du livre. Alors, ouvrage posthume? réédition ? Dans ce cas, pourquoi Esdouhard aurait-il noté en 1882 : "Donné par l'auteur". Un détail : la chronologie des événements rapportés dans le livre s'arrête à 1853, année où Lepel-Cointet devient propriétaire des ruines. On relève une erreur. : Les ruines de l'abbaye furent achetées en 1845 par M. Caumont, puis par M. Lepel-Cointet, en 1853." Faux : Caumont est devenu propriétaire des ruines en 1825. L'auteur ajoute : "Différentes fouilles ont été pratiquées par ces deux derniers propriétaires. Dans l'intérieur des bâtiments qu'habite M. Lepel-Cointet existe un musée où se trouve quelques objets ayant appartenu à l'abbaye." Faute d'orthographe, peu de précisions...
A la chronologie des principaux événements suivent cinq lègendes brièvement rédigées : Celle du Loup Vert, les Enervés, les Elus de Saint-Aicadre, la chasse de Guillaume Longue-Epée enfin la Sainte-Pétronille.
Le tout s'achève par un descriptif des ruines. S'agissant des souterrains, l'auteur affirme : "On croit que de cette crypte partait un souterrain qui mettait en communication Jumièges et Le Mesnil..."
Ce ne fut qu'en 2016 que j'eus enfin l'explication. Les familles Lepel-Cointet et Bonvouloir firent don de leurs archives gémétiques au Département. On y trouva un exemplaire de ma brochure. Celui-là était dédicacé à Mme Eric, l'âme de Jumièges : "A ma chère bonne Maman, souvenir sur ses belles ruines". Et c'est signé André Lepel-Cointet ! Il s'agit du neveu de Mme Eric qui avait perdu sa mère à l'âge de 13 ans. L'année où il publia sa brochure, son père, Helmut Lepel-Cointet disparaissait à son tour. André avait alors 20 ans.