Par Laurent Quevilly
D'après des documents inédits

numérisés par Jean-Yves Marchand

A travers la presqu'île de Jumièges, ils couraient à perdre haleine après les braconniers, les pêcheurs de poissons royaux, les coupeurs de chênes. Deux années de la vie des gardes assermentés...


Être garde-chasse, garde-pêche ou garde forestier n'était pas de tout repos dans nos contrées. Dans les années 1750, ils n'étaient pas de trop à se partager la tâche sur les possessions de l'abbaye de Jumièges.
 
Vous aviez Nicolas Le Boutellier, "garde des eaux, pesches, pescheries et chasses de la baronnie de Jumièges et dépendances."

Mais vous pouviez tomber aussi sur Jean-Baptiste Duquesne et Jean-Louis Delahaye. Eux, ils effectuaient souvent leurs rondes ensemble avec le titre de "gardes des chasses bois de la baronnie de Jumièges, Le Mesnil, Yainville et Duclair." Comme Boutellier, ils demeuraient à Jumièges et étaient immatriculés, prenez bien votre respiration,  "en la haute justice et grurie de Duclair appartenant à très haut et très puissant seigneur Monseigneur Claude de Saint-Simon, évêque et prince de Metz, prince du Saint-Empire, pair de France et abbé commendataire de l'abbaye royale de Saint-Pierre de Jumièges." Ouf!

Enfin, du côté de Duclair, on comptait encore un garde du nom de Guillaume Bardet.

Ces hommes étaient-ils gardes "à temps plein". Ce n'est pas certain. Nous notons qu'en 1754, période qui nous intéresse ici, Jean-Louis Delahaye, 38 ans, veuf Siméon, épouse Marie Élisabeth Folie à Jumièges. Il déclare alors la profession de... chandelier!

 La tagadac-tactique du garde

Comment se présente un garde ? Les procès-verbaux dressés contre les "délinquants" sont à ce sujet invariables. L'autorité de sa fonction est symbolisée par une bandoulière qu'il doit "revêtir à vue". Parvenu le plus près possible du contrevenant qu'il doit reconnaître, il lui déclare alors "le devoir de sa commission" et le somme de lui répondre. Exemple: "De quel droit et qualité portes-tu une arme à feu pour chasser sur les terres de mondit seigneur". Il est à souligner qu'un garde-chasse n'est en aucune façon autorisé à désarmer un braconnier. C'est même un délit.
Que le contrevenant réponde ou prenne la fuite, le garde devra lui déclarer solennellement: "j'en rendrai dans ce jour à justice procès-verbal !" Le garde forestier ajoute même: "pour te faire condamner aux amendes portées par les ordonnances des eaux et forêts".
Une constante: lorsque les gardes forestiers saisissent chez un particulier du bois volé, ils en laissent la majeure partie sur place et prélèvent simplement un échantillon, sorte de pièce à conviction qu'ils confient à un voisin du fautif. "pour en faire bonne et sûre garde et le représenter sain et en entier toutes fois et quantes que sommé ou requis en sera".

Admettons maintenant que toutes ces jolies formules s'exprimaient en réalité dans un langage moins châtié...

Du délit au procès


Le palais abbatial est ici représenté en haut à gauche. C'est là que siège le bureau de Jumièges de la haute justice. On y mène les interrogatoires et on y rédige les actes de procédure. En revanche, les procès se déroulent généralement le mardi, jour de marché, au premier étage des halles de Duclair, dans le prétoire ordinaire du siège de la juridiction. Au-dessus du portail d'entrée de l'abbaye se tiennent les grands pleds des pêcheurs. Derrière le mur d'enceinte, à droite, ont lieu les pleds d'hommage.

Sautez vite ce paragraphe si vous êtes fâché avec les avocasseries. Rentré au palais abbatial, le garde rédige son procès verbal qu'il certifie exact et signe. Puis le document est contrôlé et paraphé par un homme de loi: Lallemand ou Dépouville. Après quoi, il est déposé au greffe du siège avec une formule signée par Delamarre, le bailli de la haute justice. Là, Boullard, le greffier ordinaire, l'enregistre et signe lui aussi.

Le seigneur lésé de ses biens ne tarde pas alors à introduire une action en justice. Or, l'abbé commandataire réside loin de son abbaye. Il vit dans son hôtel de la rue Saint-Dominique, à Paris, paroisse de Saint-Sulpice. C'est donc son représentant, son "chargé d'affaires" en quelque sorte, Jacques Quesné, demeurant au palais abbatial de Jumièges, qui le fera pour lui en vertu d'une procuration passée devant notaire à Paris.

Un matin, on frappait à la porte du coupable à qui l'on tendait une assignation à comparaître au prétoire ordinaire. Elle était établie en double exemplaire, un pour l'intéressé, un pour le dossier. Lebourgeois, huissier du Roy en sa cour des comptes à Rouen et sergent de la baronnie se chargeait de vous la porter à domicile. L'acte d'assignation, appelé aussi exploit, était ensuite contrôlé à Rouen par Philippe de Coudraie. Il comportait déjà le montant de l'amende prononcée par le siège. Et laissait éventuellement à l'appréciation du procureur fiscal les autres amendes et peines prévues par les ordonnances des eaux et forêts. Le précureur fiscal, Maître Joret, était en quelque sorte le représentant du Ministère public. Il était flanqué d'un avocat fiscal, notre avocat général d'aujourd'hui, appelé à le remplacer en cas d'absence. C'était Maître Grésil.

Puis venait le procès où vous pouviez vous faire assister d'un avocat. Souvent Maître Eustache à cette époque.

Bref, entre le délit et la condamnation définitive, il pouvait s'écouler près de deux ans.

Si les interrogatoires au cours de l'instruction et la rédaction des actes de procédure avaient lieu au palais abbatial de Jumièges, les procès se déroulaient manifestement au premier étage des halles de Duclair, dans le prétoire ordinaire du siège de la juridiction, le mardi, jour du marché. Mais on retrouve des compte-rendus d'audiences datés du lundi...

Mais il est temps de partir à la poursuite des braconniers, pêcheurs clandestins et autres voleurs de bois. Tout en assistant au passage à quelques procès...



A travers les glaces

Vendredi 4 janvier, vers 1h de l'après-midi. Nicolas Le Boutellier passe par le hameau d'Heurteauville. Le voilà parvenu au bout du clos Barras. Le long du fossé courant, il trouve soudain Jean Biset, un pêcheur du cru, accompagné d'un parfait inconnu. Lesquels sont armés d'un fusil à  giboyer et accompagnés d'un chien barbet sous poil noir, "furtigeant" et courant devant eux. Boutellier s'approche d'eux pour lancer les formules d'usage. Les deux autres n'attendent pas la fin des sommations pour prendre la fuite à travers les glaces et grimper vers la forêt de Brotonne pour s'y cacher. Boutellier les voyant détaler ne peut que leur lancer son intention de dresser procès-verbal. Jean Biset ! On le retrouvera bientôt condamné dans une autre affaire. De pêche, cette fois...

"On se reverra !"

Samedi 12 janvier 1754. Il est environ deux heures et demie quand Nicolas Le Boutellier passe encore par Heurteauville. Soudain, il aperçoit Jean Duval, laboureur et pêcheur, un habitant du hameau. L'homme est armé d'un fusil à giboyer et il chasse sur les terres situées près de la grange. Il est accompagné d'un chien sous poil noir "courant et furtigeant devant et autour de lui." Boutellier crie à Duval: "Ho, arrête-toi !" et il lui débite les formules d'usage. L'autre n'attend pas la fin de ce prechi-precha et prend les jambes à son cou. Mais le garde a une bonne foulée. Lancé à sa poursuite, il le rattrape: "De quel droit et qualité..." Vous connaissez la suite. Duval se fait menaçant:

— Menteur! Deux hommes peuvent se revoir, tu sais...

L'affaire est entendue. Bouteiller s'en retourne au palais abbatial dresser procès-verbal.


Les voleurs de bois

Mardi 5 mars 1754. Deux procès se déroulent à Jumièges pour vols de bois. De longue date, les habitants de la péninsule jouissaient du droit de prélever du bois de chauffage dans la forêt de Jumièges. Seulement, il y eut des abus. On venait abattre des arbres à tort et à travers, de jour comme de nuit; Si bien qu'en 1519, il fut défendu aux habitants de Jumièges, Mesnil et Yainville de couper aucun bois de chêne. Ce qui n'empêchera pas plus tard un abbé commandataire d'en faire un véritable commerce à son seul profit.

Voilà pour l'histoire ancienne. Venons-en à notre procès. L'affaire jugée ce 5 mars 1754 date un peu. Elle remonte au 27 octobre 1753. Duquesne et Delahaye étaient parvenus ce jour-là dans une vente nommée Le Cleubot, triège de Saussemare. (C'est là que se situe la légende du duc Guillaume attaqué par un sanglier). Quand ils constatent que du bois de hêtre et de chêne nouvellement coupé a été enlevé de la forêt. Leur enquête de voisinage les mène aussitôt rue Mainberte, au domicile de Michel Renault. Nous le connaissons déjà. En 1750, il a été lapidé par son voisin, Pierre Gruley, qui lui volait ses pommes. Sur ordre, Renault ouvre ses bâtiments aux gardes qui ne trouvent d'abord rien. Mais sous la "charterie" les attendent plusieurs bourrées de bois secs liés de harts de chêne et de hêtre. Des harts étant des liens faits de bois souple et servant à ligoter des fagots.
A l'étage, ils trouvent 14 ou 15 bourrées de genets, toutes liées de la même manière. Ces bourrées, après investigation, s'avèrent, assurent les gardes, renfermer de petits "prepieds" de chêne et de hêtre et des branches vertes qui leur semblent avoir été coupés dans la forêt de Jumièges.
 
Prepied ! Je dois avouer que le mot est absent des dictionnaires. Mais je l'ai retrouvé une ou deux fois dans les textes anciens. Il signifie sinon le tronc du moins les branches majeures d'un arbre. En couper constitue à Jumièges un délit.
Interrogé, Renault avoue un peu vite avoir "coupé et ébranché un hêtre" et que sa fille en a fait de même pour un chêne.
On laissa 12 bourrées sur place. Les autres furent mesurées en présence de Renault et confiées à la garde de Jean Thierry, un laboureur voisin demeurant rue Mainberte.
Alors, ce 5 mars 1754, Renault s'expose à 100 livres d'amende. Sans compter les peines prévues par les ordonnances des eaux et forêts. Il est défendu par Maître Eustache. Saint-Simon est représenté quant à lui par Me Louis Gilles Grésil.
 Eustache rappelle que Renault s'est contenté de couper du genêt. Qu'il l'a lié, il est vrai, avec des branches de chêne et de hêtre. Mais ce que l'on a trouvé à l'intérieur des bourrées, ce n'est que le superflus et l'inutile des branches qui ont servi à faire les harts. Pas des prepieds. Bref, il conteste la validité du procès-verbal des gardes, arguant notamment de l'absence d'inventaire et de flagrant délit. Eustache conclut que le prétendu délinquant doit être déchargé avec dépens.

Pas vu pas pris

Toujours ce 5 mars 1754, on juge une autre affaire. Le 15 décembre 1743, Jean Baptiste Duquesne et Jean Louis Delahaye se trouvaient dans le parc "et plaisir" du seigneur de Saint-Simon, du côté du moulin. Il était sur les 10 h du matin. Lorsqu'ils découvrent que des bouleaux et surtout des chênes ont été fraîchement coupés. Ils mènent aussitôt aussitôt leur enquête d'usage en visitant les maisons voisines. Et leurs pas les mènent encore rue Mainberte. Les voilà à la porte de Pierre Legendre, journalier, et lui ordonnent d'ouvrir ses bâtiments. Il s'exécute. Au feu, ils découvrent quatre bouts de bois de boulot d'environ un pied et demi de longueur "et dans lequel bois il y avoit un prepied de boullot de viron neuf à dix pouces de tour et lequel bois étoit au feu."
Ils se rendent ensuite au four de Legendre où là, ils trouvent un bout de bois de bouleau d'environ quatre pieds de haut. La perquisition ne donnera rien de plus.
Interrogé sur la provenance de ce bois, Legendre avoue volontiers l'avoir pris au parc du seigneur "pour en faire un fourgon à son four". Les deux gardes prélèvent un échantillon du bois et désignent encore Jean Thierry, laboureur de la rue Mainberte. On avertit alors Legendre qu'un procès verbal serait déposé contre lui et des poursuites engagées.
Ce mardi 5 mars 1754, Legendre s'expose à 500 livres d'amende. Sans compter les à-côtés. Il est lui aussi défendu par Me Thomas Eustache. L'avocat plaida que Legendre n'avait pris que du bois sec et un fourgon de bouleau pour son four. Pas de chêne. On ne l'a pas trouvé coupant de prepieds si bien qu'il doit être déchargé de toute poursuite avec dépens.

On ne sait, dans l'une ou l'autre affaire, quelle fut la portée des talents oratoires de Maître Eustache. Gageons que l'on ne déboutait pas facilement le prince de Saint-Simon sous les lambris de son palais abbatial...

Le vendeur de poules aime le lapin


1er juin 1754. Guillaume Bardet, garde-chasse de la baronnie de Duclair, se trouve à 8h du soir sur une pièce en labour dépendant de la "ferme de Montihard". Un coup de fusil claque. Bardet se dirige vers le lieu de la déflagration et tombe nez à nez avec Brunet, "marchand poulailler" de la paroisse des Vieux. L'homme sort du bord du bois où il était caché. Et, sans oublier de relever le lapin qu'il venait de tuer, il prend "à toute force" la fuite vers les Vieux. Laissant à Bardet le seul loisir de lui lancer au vent ses formules d'usage.

Un mauvais auxiliaire de justice

17 octobre 1754, 11h du matin. Jean-Baptiste Duquesne et Jean-Louis Delahaye effectuent leur tournée dans la forêt de Jumièges. Ils sont à la vente Sanson, triège du quartier de réserve, quand ils découvrent qu'une vingtaine de chênes verts ont été fraîchement coupés et enlevés. Et d'autres arbres encore. Aussitôt, ils se mettent en devoir d'enquêter dans les maisons les plus proches. Lorsqu'ils arrivent chez Jean Beauvet, ils le somment d'ouvrir ses bâtiments. Et les voilà dans un grenier, au-dessus de l'étable à vaches. Là, ils découvrent 26 bourrées de chêne sec et quelques branches vertes. Nos gardes saisissent deux bourrées qu'ils mesurent en présence de Beauvet. Choisi dans le voisinage, le dépositaire de ces pièces à conviction sera... Pierre Gruley ! Ils n'ont pas trouvé là le meilleur auxiliaire de justice. C'est lui qui a lapidé Renault quatre ans plus tôt ! Après quoi, les gardes se rendirent au palais abbatial pour déposer procès-verbal.
 
"Je t'ouvrirai la tête !"

Mercredi 27 novembre 1754. Nicolas Le Boutellier, vers les 10h du matin, se rend à Yainville au domicile de Pierre de Conihout fils, un pêcheur de Seine qui opère face au hameau d'Heurteauville. Le garde lui demande de lui montrer le poisson qu'il a pêché afin d'en prélever pour les religieux  "tout ou partie aux termes et pour le prix fixé par les chartes de l'abbaye".
Que disent ces vieux parchemins. Que les  pêcheurs "doivent garder tous les poissons qu'ils prendront, de marée en autre, jusqu'à ce que nous et nostre convent soyons pourvus de pitance, et apporter lesdits poissons à nostre cuisine ou commis, sous peine de forfaicture".
Manifestement, Pierre de Conihout a "oublié" cette clause et c'est pourquoi Boutellier l'interroge. Oui, confirme de Conihout, il a bien pêché du poisson. Et les deux hommes se transportent aussitôt jusqu'à la petite boutique que tient de Conihout au bord de l'eau. Il l'ouvre et montre au garde deux douzaines de "flondres". Mais s'empresse de préciser qu'il n'en fera pas livraison aux religieux. Surprise de Boutellier. Qui finit par tourner les talons.


La pêche à la senne au XVIIIe siècle

Mais il est entêté, notre garde, et effectue la même démarche le lendemain, jeudi 28 novembre, vers les une heure de l'après-midi. Encore sans succès. Alors, le vendredi 29, dès 9h du matin, le garde revient, flanqué cette fois de Dom Jean Baptiste Langlois, dépositaire des droits de pêche à l'abbaye et qui est accompagné de deux autres personnes. Tout ce monde se rend en bordure de Seine et, là, trouve Pierre de Conihout en train de pêcher dans sa barque. Boutellier l'interpelle, réitère ses sommations pour qu'il nous montre son poisson. De Conihout met pied à terre, ouvre sa boutique, exhibe son poisson pêché mais aussi celui qu'il vient tout juste de prendre. Puis il remonte à bord en refusant encore de le livrer. Ni à Langlois. Ni à Boutellier. Fort contrarié, le moine demande au garde-pêche de dresser procès verbal et se retire en fulminant avec sa suite. Boutellier prévient donc le pêcheur qu'il sera condamné. Celui-ci explose:

— Ah! bougre ! Sacré bougre ! Tu n'as qu'à entrer dans mon bateau, je t'ouvrirai la tête d'un coup de crosse ! Sacré bougre ! Tu me le paieras tôt où tard ! Ils sont venus à quatre pour voler mon poisson !..

Ainsi couvert de compliments, Boutellier se rendit alors au palais abbatial où il fit enregistrer son procès-verbal.

"Je suis en chemise !"


Dimanche 8 décembre 1754. Duquesne et Delahaye sont avertis par un "quidam" que l'on vient d'enlever dans la forêt environ deux bourrées de chêne vert. Cela s'est passé dans le bois de la vente Barsal, triège de la mare à Bouis. Ont-ils été orientés par le quidam anonyme. Toujours est-il qu'ils se rendent tout droit chez Pierre Gruley. Oui, le lapideur, le dépositaire de bois volé. La fille de la maison entrebâille la porte. "Laisse-nous entrer". Elle refuse, "disant malicieusement qu'elle étoit en chemise." Alors, demandent les deux gardes, "où sont tes père et mère? Y sont pas là! Mon père est rue Mainberte. Non, j'ouvrirai pas la porte!" Duquesne et Delahaye n'insistent pas. Ils tournent les talons non sans avoir averti la fille Gruley qu'ils déposeraient procès-verbal.

Benjamin et l'inconnu


6 janvier 1755. Jean-Baptiste Duquesne mène cette fois seul sa tournée dans les marais du Mesnil-sous-Jumièges. Quand il arrive au bord de la prairie du sieur Chantin, il est environ 4 heures de l'après-midi. Et il aperçoit deux hommes armés d'un fusil. Vite, il s'approche rapidement d'eux pour les reconnaître mais ils quittent précipitamment leur place d'affût pour prendre la poudre d'escampette. Qu'à cela ne tienne. Duquesne en quelques enjambées parvient à les rejoindre au milieu de la grande pièce de terre nommée la Couture, au bout du fossé près de la Seine.

— Qui vous a donné la permission de porter un fusil et de chasser sur les terres de Mondit seigneur!
— Personne...
— Donnez-moi vos noms !
— Non !..

Duquesne dévisage les deux réfractaires. Il en reconnaît vaguement un qui a demeuré un temps chez le sieur Chantin. Il s'appelle... Il s'appelle Benjamin! Mais Benjamin comment... En attendant de le découvrir, le garde prévient les deux braconniers qu'ils seront poursuivis.
En rentrant au palais abbatial, Duquesne avait pris ses renseignements. Il s'agissait de Benjamin Rousselet. Il apprit ensuite qu'il demeurait à Duclair. L'autre aussi. Mais on ignore toujours son nom...

La convocation aux grand pleds

Le dimanche 26 janvier 1755,  Nicolas Le Boutellier, "garde des eaux, pêches et pêcheries de la baronnie de Jumièges et dépendances" fut une nouvelle fois investi d'une mission solennelle. Comme tous les ans, il s'agissait pour lui de convoquer les pécheurs aux grands pleds de la baronnie. Boutellier tenait son mandat de Dom Vincent Mallet, préposé à la conservation des droits de pêche à l'abbaye.


La matinée fut chargée pour notre garde. Il se rendit successivement à la sortie des grands messes de Jumièges, de Duclair et d'Anneville. Se postant devant le grand portail principal, les habitants étant rassemblés autour de lui, il fit savoir "à haute et intelligible voix" que les pleds se tiendraient "dans la grande chambre sur la première grande porte d'entrée" de l'abbaye. C'était leur lieu ordinaire. La convocation était fixée au 19 février, 10h du matin. Seraient présents  "Messieurs les officiers de la sénéchaussée, verderie et grurie de la dite baronnie de Jumièges et dépendances d'icelle". Bouteiller insista: "tous les pêcheurs ou autres qui voudront pêcher sur les eaux de la rivière de Seine en la dépendance desdits seigneurs religieux" devront y comparaître pour prêter serment et désigner leur maître de communauté, obtenir les actes et permissions de pêcher, régler ce qu'ils doivent sur les anciens droits de pêche "et faire en outre ce qu'il appartiendra."

Il leur déclara que "faute de comparoître le dit jour, lieu et heure et de satisfaire à tout ce que dessus" et passée la date fixée, "ils ne seront plus recevables à obtenir aucun acte, congé ou permission de pêcher." Et afin que nul ne l'ignore, Boutellier afficha sur chaque portail la convocation ainsi que sur les places publiques de Jumièges où habitait, on le sait, notre garde-pêche.

En ce XVIIIe siècle, les droits de pêche ne pèsent plus guère dans les revenus de l'abbaye. D'autant que, la monnaie étant dépréciée, les chartes interdisent de majorer les droits. Et puis certains paroissiens rechignent à verser leur participation. Braconnent. Et si le pêcheur professionnel se fait rare, le poisson aussi. Reste qu'en période de crise, cette ligne de trésorerie compte tout de même pour le monastère.

Mais qu'est-ce qu'un pêcheur professionnel ? C'est un homme qui possède la plupart du temps son bateau et ses engins de pêche. Mais aussi une masure, autrement dit un pré planté d'arbres ou encore une terre de labour qu'il exploite pendant la morte-saison. Les pêcheurs du cru se placent sous la protection de saint Pierre. On ne sait si une superstition répandue sur la Seine est aussi vivace ici. C'est celle qui veut que l'on n'emporte pas d'œuf dur à bord. Car c'est l'assurance de perdre sa marée.
Ici on use du tramail, un long filet fait de trois épaisseurs de mailles et tendu en travers de la rivière. Mais aussi la senne, filet de plus modeste dimension qui se jette du bateau ou de la rive.

Les eaux, et donc les poissons, appartiennent de droit aux religieux. Rappelons ce que précisent les chartes à ce sujet. Nous savons déjà que les pêcheurs sont tenus de présenter leurs captures à l'abbaye. Sur les aloses et espèces courantes, les moines ont droit au cinquième poisson. Mais les saumons ont un statut particulier:  "Sont les dits pescheurs sujets et tenus porter et présenter en la cuisine de nostre ditte abbaye tous les saumons pris es dites eaux." Et ces poissons dits "francs", autrement dits "royaux", reviennent de droit aux seigneurs. Nous verrons plus loin plusieurs pêcheurs condamnés pour avoir omis cet impératif.

"Je vais te faire de la peine"

Samedi 8 février 1755. Guillaume Bardet est au "Bas-Launay", aux alentours des terres de labour dépendant de la ferme de Louis Jacques Le Carron, paroisse de Duclair. Ils est environ midi et demi. Il avise Jean Bertault, laboureur, demeurant en la ferme du Moulin-à-Huile, armé d'un fusil à giboyer sur le chemin tendant du Bas-Launay à Duclair. "Avec précipitation", Bertault s'enfuit chez lui à l'approche du garde qui a cependant le temps de lui lancer: "Tu n'as pas à chasser sur les terres dépendant de la baronnie de Duclair!"
Vers 3 h de l'après-midi, alors que Bardet sort du bourg de Duclair, un coup de fusil résonne du côté de la ferme du Moulin-à-Huile. Et notre garde retrouve le fameux Bertault dans la cour de sa ferme, toujours armé de son fusil.
— C'est toi qui vient de tirer ?
— Oui.
— Tu vas me forcer à te faire de la peine...
— Je m'en fout ! Je vas y chasser même en ta présence !
Et Bertault s'en va d'un pas décidé dans le petit marais le long de la rivière. Bardet lui beuglant derrière les oreilles qu'il dresserait procès-verbal...

Il vole le gibier du garde !


9 février 1755. Jean Baptiste Duquesne mène encore seul sa tournée. Il est dans la cour de Charles et Nicolas Bocquet, à Yainville, triège de la Fontaine. Quand il aperçoit sur la Seine un oiseau de rivière. Qu'il tire et tue d'un coup de fusil. Seulement, voilà le gibier qui part à la dérive. Et Duquesne n'a pas de bateau. "Peux-tu me prêter ta barque", demande-t-il à Charles Bocquet. "Prends-la". Duquesne rame, rame. Et soudain écarquille les yeux. Sur une barquette, un homme s'empare avant lui de l'oiseau. "Veux-tu bien le lâcher!" L'autre répond "en raillant et par dérision":

"Tu n'as qu'à avancer. Et nous allons nous pierrer !"

Autrement dit nous tirer dessus. Duquesne se rapproche. Mais l'inconnu met pied à terre et s'enfuit, le gibier toujours à la main et dans l'autre un fusil. Duquesne le poursuit jusqu'à sa maison et là, le voleur lui claque la porte au nez.
Les voisins ne sont guère loquaces pour donner le nom de cet habitant. Car Duquesne dut traverser la rivière et revenir pour glaner enfin quelques renseignements. Il s'agit de Jean Danger, fils de Jacques Danger qui demeure au hameau d'Heurteauville, près de la chapelle Saint-Simon.

— Jean Danger, rends-moi mon gibier !
— Jamais de la vie !
— Alors, tu seras condamné...

Aux grands pleds


Quand vint le 19 février, une trentaine d'hommes des trois paroisses prirent place comme convenu dans la grande chambre au dessus de la porte de l'abbaye. Le Sénéchal leur lut les chartes de l'abbaye " au fait de ce que doivent observer ceux qui prétendent pêcher es dites eaux.". On déclama encore l'ordonnance royale de 1669 "à ce que nul n'en ignore". Puis les pêcheurs se déclarèrent et prêtèrent serment avant d'élire leur maître de communauté.

Pescheurs de Jumièges
Hameau de Conihout, compris les îles

Jacques de Conihout et associés pour une seine claire et épaisse.
Pierre St André et Jean Comte, associés pour un tramail.
Jean Levillain, dit Masson, pour un tramail.
Nicolas Le Fieux et Valentin Duquesne associés pour un tramail.
Pierre Virvaux pour un tramail.
Richard Virvaux pour un tramail.
Nicolas de Conihout et Nicolas Aleaume associés pour un tramail.
Pierre de Conihout, dit du Flac, pour un tramail.

Hameau de Heurteauville

Jean Guerout pour un tramail.
Pierre Conilhout fils Pierre pour un tramail
Philbert Conihout pour un tramail
Jacques de Conihout, dit l'Amoureux, pour un tramail.
Pierre d'Yenville, père et fils, pour un tramail.
Jacques Bosquer pour un tramail.
Michel Viel pour un tramail.
Jean Biset et Robert Bourdon associés pour une seine drue et claire.

Puis le greffier inscrivit: "Nous avons accordé acte aux dits pêcheurs serment par eux prêté et de la nomination par eux faite des maîtres de communauté, scavoir pour le hameau de Conihout Nicolas de Conihout et pour celuy d'Heurteauville Jean Guerout, lesquels dits de Conihout et Guerout présents ont accepté la dite charge et à eux enjoints de garder et observer les ordonnances royaux (sic) et chartes de ladite abbaye sur le fait de la pêche qu'ils ont promis faire après le serment d'eux pris et remis au cas requis et accoutumé et ont signé avec les autres pêcheurs présents après lecture à eux faite."

Ils ne sont pas nombreux à savoir signer Jean Guerout, Jean Biset... La plupart marquent d'une croix.

Pescheurs d'Anneville

Jacques Vauquelin et Pierre Vauquelin, son fils, pour une seine claire.
Antoine Petit pour une saine claire et un tramail.
François Petit pour un tramail.
Robert Le Roux pour un tramail.
Jacques Lhuissier pour un tramail.
Nicolas Le Bourgeois du Trait pour un tramail.
Paul et André Dumesnil pour un tramail.

On utilisa la même formule pour enregistrer la désignation de François Petit comme maître de communauté.

Quelques jours après, nos pêcheurs touchèrent le certificat de leur serment. Sur sa présentation, le père procureur de l'abbaye leur délivra leur congé de pêche pour l'année.

La cérémonie grotesque

Mais en mai, juin, voire début juillet, il leur fallut encore se plier aux pleds d'hommage, autrement dit la Fare. Ce jour-là, le sénéchal pointait les absents et nombre de moines assistaient à la scène. Celle-ci se passait dans la "basse-cour" du manoir seigneurial de l'abbaye. Chacun se présente en tenue de pêche, soit avec l'aviron sur l'épaule, soit la péronne, pièce de bois qui sert à ramener le filet. A la main, ils tiennent un bâton blanc ou quelque engin de pêche. Tout ce monde processionne autour du colombier, non loin du puits. Au troisième tour, chacun frappe à la porte, salue, verse les cinq sols de mouillage annuel de son filet et se retire. S'en suit une pêche collective au profit de l'abbaye. L'ordonnance de 1669 supprima nous dit-on ce type de cérémonie. Charles Antoine Deshayes nous assure qu'elle perdura jusqu'à la Révolution : "Tous les anciens de Jumièges et plusieurs des environs se rappellent y avoir figuré, et beaucoup d'habitants se souviennent d'en avoir été spectateurs. Tout particulier qui voulait exercer la profession de pêcheur, devait préalablement assistera cette cérémonie avec les attributs exigés."

Condamnés pour deux saumons


Le lundi 11 août 1755 se déroula un procès contre Robert Bourdon et ses quatre associés: Simon Doucet, Jean Biset, Valentin Bosquier et Thomas Freret. On a vu pourtant lors des grands pleds que Bourdon n'avait alors qu'un seul associé: Jean Biset, le braconnier d'Heurteauville...
Bref, nos cinq pêcheurs sont accusés d'avoir vendu à leur profit et sans les présenter à l'abbaye deux magnifiques saumons.
Ils furent défendus par l'inévitable Me Eustache qui retrouvait face à lui son vieil ennemi Grésil.
La plainte avait été formée le 25 avril précédent par Dom Langlois, le dépositaire infatigable des droits de pêche de l'abbaye. Ces droits, ou plutôt ces devoirs, Delamarre, le bailli de la haute justice, en rappela les grandes lignes en ouvrant l'audience:  "Les pêcheurs depuis Bliquetuit, au lieu nommé le Rouge-Saulle jusqu'au Val de l'Annerie, anciennement dit Joseph-Essard, sur l'opposé de Duclair, s'obligent tous les ans par serment suivant les actes qui leur sont délivrés aux grands pleds d'apporter aux sieurs religieux tous les francs poissons qu'ils prennent sur leurs eaux." Les francs poissons, on les appelle aussi les poissons royaux. Ce sont les espèces nobles qui reviennent de droit aux seigneurs. Jadis, un esturgeon pouvait atteindre les cinq voire les six mètres. "Cependant, poursuit Delamarre, ils ont appris que certains pêcheurs ont pris, tant l'année présente que les précédentes, des esturgeons et saumons et les ont vendus à leur profit..."

On ne connaît pas les noms des témoins qui furent convoqués. Ni leur attitude. Interrogés, reconnaissant manifestement leur infraction, Bourdon et ses associés furent convaincus "d'avoir pesché dans les 15 premiers jours d'avril dernier deux saumons lesquels ils ont disposé à leur profit sans les avoir apportés à l'abbaye quoi qu'ils aient reconnu aussi par leur interrogatoire estre obligés d'apporter à ladite abbaye tous les poissons réservés à leurs congés".
Ils furent condamnés solidairement et pour le tout à 200 livres pour les deux saumons fraudés et à 600 livres d'intérêt. Sans compter les frais annexes... Défense leur fut faite de pêcher et ils n'obtinrent pas une nouvelle autorisation de la part des religieux. Au contraire, la sentence fut lue, publié et affichées dans toutes les paroisses où les moines avaient droit de pêche. Jumièges l'Aumônier, oui. Mais Jumièges l'impitoyable...

Des bécassines ou des perdrix ?

7 novembre 1755. Jean-Baptiste Duquesne mène seul sa tournée dans les haut du marais, côté Sablon. Parvenu à la barre de La Vieux, triège du clos de La Vieux, entre 7h et 8h du matin, il aperçoit un homme qui, armé d'un fusil, essaye de se cacher. Mais promptement, Duquesne est  près de lui et reconnaît Pierre Ouin, fils de feu Pierre. Un laboureur du Sablon. C'est un garçon de trente ans, encore célibataire qui sera trois fois marié. Excellent chasseur...

— Qui t'a donné la permission de porter une arme à feu !
— Je ne fais pas grand mal. Je cherche des bécassines.
— Mais il n'y jamais eu de bécassines ici !
— Il est vrai que je suis allé jusqu'aux Perais, le long du Sablon, et je n'en ai point trouvé...
— Tu chercherais pas plutôt des perdrix ?
— Des perdrix ? Oh Non ! rétorqua Ouin, la main sur le cœur.

Entre braconniers, voleurs de bois et gardes, la cavalcade continuait. Elle menait à grand pas vers la Révolution...

Laurent QUEVILLY.

Jean-Baptiste Duquesne, garde de la forêt de Jumièges, était l'époux de Marie-Anne Duval. Il perdit un fils, Etienne Nicolas, âgé de 11 ans, qui fut inhumé à Jumièges le  septempbre 1760 par le curé Poisson, alors desservant de la paroisse d'Yainville. François Le Cesne, autre garde de la forêt, était aux côtés des parents. Un mois plus tard, ils accueillaient dans leur foyer une petite Madeleine Rose. Le Cesne en fut le parrain avec Marie Madeleine Neveu, femme d'Augustin Philippe, cabaretier à Jumièges. Duquesne et Le Cesne, qui s'écrit aussi Le Seine, sont dits gardes de M. l'abbé de Jumièges.

De tout temps, l'abbaye possédait loin sur la Seine des droits de pêche qui donnaient souvent lieu à litiges. A ses portes, et jusqu'à Yville, la Seine portait le nom de l'Eau-Dieu. Avant l'endiguement qui lui donne aujourd'hui son franc tracé, celle-ci déroulait son cours avec caprice. Les terres situées devant le monastère étaient régulièrement inondées par cinq à huit bras dont un seul était navigable. Le mascaret de notre enfance, si l'on relit les textes anciens, était une bien pâle copie de la Barre qui, jadis, dévastait tout.

Rien que sur Jumièges, on comptait 53 pêcheurs en 1734. Sans doute étaient-ils organisés en confrérie à l'instar de ceux de la Mailleraye qui, tous les ans, venaient ici faire flotter leur bannières sur la procession de saint Valentin. La construction d'une nouvelle embarcation s'achevait par un rituel. Le chantre et une demi-douzaine de moines, croix en tête, quittaient l'abbaye pour le port, chantant sept psaumes suivis des litanies majeures. Sur place, le bateau est copieusement aspergé pour en chasser le Malin. Après quoi, on se porte à la proue où est lu le prologue de saint Jean. "In principio erat verbum..." Suit l'oraison Omnipotens sempiterne Deus qui dedisti. C'est à la poupe que le groupe officie maintenant. On lit l'épisode de la tempête apaisée, évangile du IVe dimanche après l'Epiphanie avec l'oraison de la même messe: "Deus qui nos in tantis periculis constitutos..." Puis on se transporte au milieu du bateau. Là, au pied du mât, c'est l'introït Spiritus Domini qui est lancé comme pour gonfler les voiles de l'amour divin. On donnera encore l'évangile, la péricope Cum venerit Paraclitus de la vigile de Penteôte avec l'oraison de la même messe, Omnipotens sempiterne Deus fac nos et tibi. Tout se terminera par la lecture de Postea debent habere bonum vinum a cellario...

Quand venait la période de mai-juin, les pêcheurs devaient acte d'allégeance au cours d'une grotesque cérémonie. Qui se déroulait dans la basse-cour du manoir seigneurial. Aviron sur l'épaule, ou bien encore la péronne, bricole servant à tirer les filets, il leur fallait faire trois fois le tour du colombier en procession, un bâton blanc à la main. Puis, tour à tour, frapper sur la porte et saluer tous les religieux assis en spectateurs, leur verser surtout les cinq sols du droit de mouillage. Qui manquait à cette soumission était écrit à l'encre rouge par le sénéchal. Suivait une pêche solennelle au profit de l'abbaye. Officiellement appelées "Les pleds d'hommage", ces cérémonies étaient connues de toute antiquité sous le nom de Fare. En 1830, l'historien Deshayes affirme que les anciens s'en souvenaient pour y avoir participé jusqu'à la Révolution. Or, elle fut abolie par une ordonnance royale de 1669.
Mais les pêcheurs étaient toujours tenus de participer au moins une fois l'an aux "Grands pleds" de la Baronnie où étaient convoqués "en la grande chambre dessus la porte d'entrée de l'abbaye vassaux masuriers et vassaux pêcheurs."
Le sénéchal des chartes lit "ce que doivent observer ceux qui prétendent pescher es dites "eaux" et l'ordonnance de 1669 "à ce que nul n'en ignore". Après quoi, les pêcheurs prêtent serment d'observer les règlements "qu'ils disent bien scavoir".

Enfin, on procède à l'élection du maître-pêcheur de la paroisse, lequel "devra veiller à ce qu'il ne soit contrevenu aux dits règlements et au quay duquel seront tenus de mettre leurs batteaux les jours de dimanche et de fêtes deffendus".
Quelques jours après, le pêcheur touchait son certificat de serment. En allant le présenter au père procureur de l'abbaye, il lui était délivré son congé de pêche pour l'année. L'abbé exigeait le premier esturgeon, poisson royal par excellence et le premier saumon de l'année, quantité d'aloses et autres poissons. Il demandait 6 F par bateau pêchant dans l'eau de Dieu. Mais le poisson se faisait rare, les pêcheurs réticents à payer leur redevance. Réduits au seul cinquième poisson, les droits de pêche n'enrichissaient plus l'abbaye. Ils étaient cependant nécessaires à sa survie.


SOURCES
— Documents numérisés aux AD76 par Jean-Yves Marchand. Transmission: Josiane Marchand. Transcription: Laurent Quevilly.
— Les actes des grands plaids et plaids d'honneur, serments et congés individuels, rôles des amendes sont conservés aux archives départementales sous la cote 9 H 131. Nous sommes preneurs de toutes les listes de pêcheurs. On peut consulter aussi les cotes 9H126 et 9H915.
— Congrès scientifique du XIIIe centenaire, Lecerf, 1955.
— Histoire de l'abbaye royale Saint-Pierre-de-Jumièges, Deshayes.








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