Alain Joubert


5.2.4. – Le réseau familial, support de mobilité pour les loisirs

Les dé placements pour les loisirs sont largement tributaires de la parentèle, d’où l’intérêt de connaître les lieux de résidence des parents et enfants. Nous n’avons que quelques indications sur ce thème qui méritent une étude plus approfondie. L’analyse des aires matrimoniales dans un chapitre ultérieur permettra d’affiner un peu ce problème.

La création du pont de Brotonne est allée dans le sens du désenclavement et on n’hésite plus à passer ses loisirs sur la rive droite. Des familles qui allaient systématiquement sur la côte sud de la Seine vont maintenant tout aussi régulièrement sur la côte nord. Il faut dire que le pont de Brotonne a rapproché les plages de la côte nord, mettant Fécamp au même temps de parcours d’Honfleur à partir d’Heurteauville. Quelques témoignages recueillis permettront de vérifier ce sentiment.

« Disons qu’on y va plus maintenant (on va davantage rive gauche) parce que j’ai une fille qui habite de l’autre côté… alors on s’arrête quelquefois pour faire de l’essence ou je vais au grainetier… J’vais là en passant à Bourg-Achard.

« … Quand on va chez ma fille, qu’on a un gâteau à porter, on l’achète aussi bien en passant là-bas (Bourg-Achard) … Quand on va à Paris, on prend le bac à Jumièges et l’autoroute là-bas à Bourg-Achard… Maintenant, on prend le bac indifféremment…. Le bac de Jumièges ou Mesnil, ça dépend comment on est prêt… aux heures c’est là, aux demi-heures c’est là-bas, pour le retour, c’est pareil. (Un habitant de Jumièges, rive droite).

« Vous savez quand on sort, c’est souvent sur Honfleur, Alençon… on a de la famille à Alençon, on a la vieille tata d’Alençon qui a 90 ans… »

En ce qui concerne les loisirs proprement dits et la mer en particulier, on constate une assez forte propension à aller vers les places de la côte normande (d’Honfleur à Cabourg) jugées plus agréables (plages de sable) que la côte nord (du Havre au Tréport).

Peut-être des habitudes se sont-elles créées à la suite des difficultés qu’il y avait avant 1977 à rentrer le dimanche aux beaux jours par les bacs où il y avait fréquemment deux heures d’attente.

« Je n’ai connu les plages de la Seine-Maritime que quand j’ai eu une voiture. Je n’y étais jamais allé avant. On n’allait pas faire la queue du bac le dimanche. On allait plutôt vers Trouville, Cabourg. »

« Oui, au départ, on aillait du côté de Villarville, Franceville, Cabourg (côte sud)… et là, maintenant, on va là (Saint-Aubin, Sanneville, côte nord) près de… c’est plus près, on peut y aller plus souvent. »

« C’est surtout vers Deauville-Villerville, y a des petites places…. A cause du sable… Sinon, l’eau nous paraît plus claire du côté de Dieppe, Fécamp…

« Non, mais autrefois, on avait l’habitude d’aller sur Villerville… on rentrait le soir à n’importe quelle heure. On n‘avait pas d’eau à passer. »

« La grande sortie, c’était plutôt la côte. Trouville… Honfleur. ON aimait bien le périple Honfleur-Villerville… rarement vers le nord. Quelquefois du côté de Saint-Valery, Saint-Valery – Dieppe, Dieppe on y va peut-être une fois tous les trois ans. »

La fréquentation des restaurants semble uniformément partagée entre la rive droite et la rive gauche. Nous avons simplement constaté une connaissance asses bonne des restaurants de la rive gauche.

Bien qu’ayant assez peu de données sur les fêtes et bals, il se dégage une impression générale, on constate que l’eau n’empêche pas d’aller à la fête.

« … Fréquent, non, parce qu’il y avait peu de barques à Yainville…. Je crois bien… que c'était la barque du bac qu’on avait carottée. »

« La Sainte-Austreberthe, c’était la sainte d’Heurteauville, c’était le lundi de Pentecôte… La fête d’Heurteauville, c’était quelque chose, même les gens du Trait, tout le monde venait… et puis Jumièges, ils venaient par le passage. »

« On allait à la Foire à la Bourrette, ça, c’était rituel ;  on y allait à pieds, mais fallait y aller. Autrement, y en a beaucoup qu’on été au feu de Saint-Clair. Moi, j’y avais jamais été, mais on y a été après quand on avait la voiture. »

« Y avait la fête à Yville, on y allait aussi parce qu’il y avait un oncle. On restait chez mon oncle sans quoi on y aurait pas été…»

« Parce qu’autrement on ne savait pas qu’il y avait des filles de l’autre côté. »

Mais il y a des « chasses gardées », comme Vatteville et Jumièges où les garçons d’Heurteauville sont jugés indésirables. Ceci recoupe tout à fait les constatations que l’on trouvera dans l’étude des marqueurs emblématiques où, justement, ces deux communes font l’objet d’un rejet de la part des habitants d’Heurteauville.

« Il a été des temps où fallait pas que les jeunes gens aillent chercher les filles à Jumièges… Et puis à Vatteville c’était pareil. On avait intérêt de planquer les vélos parce que sans ça, on les retrouvait avec des coups de couteau dedans. Jumièges pareil…
Sur la Mailleraye, y a jamais eu de bagarres. C’était Vatteville et Jumièges… »

« Après la guerre de 14, y avait un peu d’animosité. Les jeunes se bagarraient… Jumièges surtout, ici y avait les ? ça se barrait aussi dans le temps… c’est des animosités de jeunes. »

Pour conclure, il apparaît que la Seine n’a jamais complètement fait barrière aux loisirs sur l’autre rive, mais que le pont de Brotonne a permis la généralisation du désenclavement des loisirs. On n’hésite plus de nos jours de passer l’eau pour ses loisirs et le pont permet de rentrer à toute heure.






Source: L'autre côté de l'eau, Alain Joubert.

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