Une précieuse valise

Découverte d'un trésor

La presse, 23 mars 1883

 

 Le trésor dont il s'agit n'est pas dans la terre ou dans un vieux mur, que le soc d'une charrue ou la pioche d'un démolisseur fait jaillir en flots d'or d'une cassette éventrée. C'est un chiffon de papier, un titre au porteur, un trésorà la moderne, et voici son histoire...


M. Michel, charcutier à Duclair, possédait une valise qu'il avait achetée à Paris, au mois d'octobre 1874, chez un brocanteur du quartier des Halles. La valise était restée suspendue à une poutre du grenier de M. Michel depuis lemois de mars 1876, date de son établissement à Duclair, lorsqu'au mois de février 1881 son frère, devant aller faireses vingt-huit jours, le pria de lui prêter sa valise qui ne lui servait plus. Elle se composait de deux parties, une partie molle au dessus, et en dessous un coffre solide. Comme là partie supérieure, le soufflet, était en mauvais état, il futconvenu entre les deux frères qu'on l'enverrait chez un bourrelier pour qu'il supprimât le soufflet, de façon àn'utiliser que la partie solide qu'on devait recouvrir proprement.

Un double-fond !

La veille du jour où M. Michel devait envoyer ainsi sa valise chez le bourrelier, il se ravisa; il se rappela qu’étant garçon charcutier à Paris, où il se servait de la valise et la transportait avec lui chez ses divers patrons, il avait l'habitude de serrer son argent dans le soufflet qui fermait avec un cadenas, tandis que le dessous ne fermait pas ou fermait mal. Il se dit  que peut-être quelque pièce de monnaie avait pu se glisser dans la doublure et qu'il était plus prudent, pour la retrouver, de découper lui-même la valise. Il la dépeça au moyen d’un couteau. Au moment où il détachait le soufflet, une petite planchette, fixée légèrement sur le coffret avec des vis, se souleva. Cette planchette formait un double-fond de quelques millimètres d’épaisseur. De ce double-fond tomba, aux yeux étonnés de M. Michel, un rouleau de papier : c'était un titre de rente italienne de 3,230 fr, au porteur, avec les coupons depuis le 1er juillet 1874. Vainement, M. Michel fit des recherches pour découvrir le propriétaire de ce titre ; il n’était frappé d'aucune opposition. Il restait donc le propriétaire de cette valeur sans maître connu, cachée dans une valise lui appartenant.


La tante fait un procès

Mais la propriété de cette valise devenue tout à coup si précieuse, a donné lieu au procès dans lequel ont été révélées les circonstances que nous venons de raconter. Une tante de M. Michel, la demoiselle Neveu, blanchisseuse à Paris, chez laquelle il avait plusieurs fois habité pendant son séjour dans cette ville, prétend lui avoir prêté, au mois de février 1876, le sac dans lequel a été découvert le trésor; elle en réclame aujourd'hui la restitution avec les valeurs qu'il contenait et demande au tribunal l'autorisation de prouver, par témoins, le prêt qu'elle allègue. M. Michel le nie absolument, et il invoque des présomptions graves qui sont de nature à prouver qu'il possédait cette valise antérieurement au mois de février 1876, et que, par conséquent, elle n'a pu lui être prêtée à cette époque. Malgré ces présomptions et deux fins de non-recevoir opposées à la preuve sollicitée par la demoiselle Neveu, le tribunal civil de Rouen a admis l'enquête.


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