Né à Mont-Saint-Aignan, Georges Lanfry (1884-1969) accomplit ses études d'architexte auxs Beaux-Arts de Rouen. En 1921, il rachète la société Baron, à Déville-lès-Rouen, dans l'ancienne maison de campagne du père de Gustave Flaubert. Il se spécialise dans la restauration des monuments historiques comme la cathédrale de Roue ou l'abbaye de Jumièges où il met au jour le déambulatoire. Il fut aussi co-fondateur de Paris-Normandie, Président de la Chambre de commerce de Rouen de 1958 à 1962, membre de la société des Antiquaires de Normandie. Il repose dans le caveau familial de Déville-lès-Rouen. Voici l'un de ses textes sur Jumièges.
1° Les travaux de consolidation et de préservation.
Avec le
mois .de
janvier, viennent de
s'achever les grands
travaux de
consolidation, entrepris dès
le mois
de juillet
dernierpour
les parties
hautes, de
l'église abbatiale de
Jumièges.
Sous les
ordres et
la direction
die MM.
Ventre, architecte
an chef
des Monuments
historiques, et Auvray,
architecteinspecteur, ces
travaux particulièrement
délicats et difficiles ont
pu être
memés à bonne
fin et
exécutés pour la
totalité duprogramme
prévu.
Le pan
occidental de la. Tour Lanterne,
brutalement séparé voici
cent ans
du transept
et du
choeur, abattus
par a
sottisedes
hommes et
l'effort de la poudre, se
laissait attaquer
lentement.
Des infiltrations
se traçaient
une voie
de pénétration
par la
tête, de
ce pan
privée de
toiture ;
les tablettes
de la
corniche, à40 mètres de
hauteur, oscillaient sur
leurs corbeaux de
pleure menaçant
de tomber.
Chaque hiver
aggravait le mal ; les pierres s'effritaient,
annonçant qu'il était
temps d'intervenir
pour éviter
des accidents
etde
grosses détériorations.
Un échafaudage
hardi, mais
.solidement établi, permit
d'atteindre le sommet
de ce
robuste témoin de
la haute
tour mutilée.La corniche
fut déposée,
les maçonneries
des dernières
assises furent
reprises soigneusement, les mouillons refichés,
lesmanquants
remplacés ; enfin,
les tablettes
à damiers
replacées une par
une sur
un lit
de mortier
et ancrées
dans le
mur ;les joints
regarnis furent protégés
par un.
large bourrelet
de ciment.
La tête,
de ce
mur ainsi
consolidée pour le
panoccidental
et ses
amorces en
retour, on
procéda à
la reprise
du cône,
de pierres
appareillées couvrant la
tourelle del'escalier
nord-ouest. Ce travail
permit de
reconnaître que la partie qui
excède le
pan de
la tour
ne date
pas du
XIe siècle,mais a
été reconstruit
vraisemblablement an début
du XIVe.
Les trois
baies géminées
de l'étage
supérieur avaient été
partiellement murées ;
celle du
milieu était
privée de
sa colonne
àchapiteau
cubique ;
elles furent
débouchées et rétablies
dans leur
forme première.
Les deux
parements furent visités
et réparés
soigneusement pendant
qu'étage par étage
l'échafaud était démonté.
L'examen des traces
laissées par les
toitures successives de
la nef
permit de
noter que
le solin
le plus
aigu est
le moinsancien: et
que celui
d.u XIe
siècle n'est
pas le
plus plat,
mais celui
du milieu.
C'est le
seul d'ailleurs
qui, en
coupant la
baieaveugle
des combles,
passe tangentiellement à l'angle des
fenêtres inférieures. Sa
disposition semble indiquer
que laouverture primitive était
en tuiles.
Depuis que
la nef
se trouvait
privée de
toiture, les hautes
murailles, malgré la
qualité de
leurs pierres
et la
robustesse
deleur
mortier, souffraient des
intempéries et des infiltrations. Les dernières
assises, envahies par
la végétation., neprotégeaient plus ou
de façon
très insuffisante,
les voussures
des hautes
fenêtres qui menaçaient
ruine. La
deuxième partie du
travail consista
à les
réparer et
à garnir
leur crête
d'un enduit
armé pour
les couvrir.
On profita
des échafauds
établis pour
rejointoyer les glacis
de ces
mêmes fenêtres
et restreindre
quelques-unes desbrèches
malencontreusement ouvertes dans
ces épaisses
murailles.
c
Le mur. contre
lequel court
encore l'harmonieuse
galerie de
circulation
du XIe siècle dans
le croisillon,
nord, du
transeptdemandait, lui
aussi, une
urgente intervention.
Comme pour
les murs
de la
nef, la
crête
fut
démontée
et refaite,
la tablette
à
damiers
solidement reposée,
pendant
qu'unenduit
aré
venait
protéger
le berceau
de: la
circulation.
C'est au
cours de
ce travail
que l'on
put déblayer
l'escalier quireliaitautrefois cette galerie
aux tribunes
du transept
et qui
se trouve
situé
à
l'angle nord-ouest
du croisillon.
Ses manches
et son
noyau sont
encore intacts
pour la
partie inférieure
de ses
révolutions.
Il restait,
pour terminer
la campagne
projetée,
à
reprendre
les amorces et les voûtes
du collatéral
sud contre
la tour
defaçade:
; ce
travail put
s'exécuter
de façon
satisfaisante,
comme l'avait
été
quelques
années
auparavant,
la reprise
desvoûtes
du collatéral
nord. La
voûte
supérieure portait
un remblai
de près
d'un, mètre
d'épaisseur.
Sous le
premier lit,
formé
de
racines entrelacées
constituant
comme un
épais
tissu
végétal,
de nombreux
débris
d'ardoisesgrossières,
provenant sans
doute de
la chute
de la.
couverture de la tour sud,
furent descendus.
On trouva,
au-dessous un lit de tuiles
plates reposant
parmi les
gravois
sur l'extrados
de la
voûte.
Quand les
deux tours
de la
façade
seront,
consolidées
dans leurs
parties hautes
et que
les murs
du croisillon
sud dutransept seront protégés
comme le
sont maintenant
ceux de
la nef,
du croisillon
nord, tout
ce qui
nous reste
de ce
grandcadavre
que fut
l'église
Notre-Dame de
Jumièges
sera sauvegardé.
A l'abri
des infiltrations,
ces ruines
intéressantes,braveront pour
des siècles
encore la
morsure: du temps,
gardant pour
les nouvelles
générations
leur beauté
et leurgrandeur malgré les
blessures et les mutilations.
Au cours
des travaux
de restauration
qui m'étaient
confiés,
il m'a
été
donné,
avec la
bienveillante
autorisation
de
MmeLepel-Cointet,
de pouvoir
entreprendre
des fouilles
dans le
transept et le choeur de
l'église
Notre-Dame.
Bien que
M. Martin
(du Gard)
ait consacré,
dans son
important ouvrage, publié
en 1909,
un chapitre
tout entier
à
l'étudede cette
partie du
monument au XIe siècle et
à
sa
restitution,
il nous
paraissait qu'il pouvait
être
utile
de l'étudier
à
nouveau
et plus
attentivement.
Nos fouilles
ne tardèrent
pas à
révéler
que
le plan
restitué
me pouvait
pas être
exact mais
que Jumièges, l’ancêtreremarquable
de nos
grands édifices
normands du XIe siècle en
France et
en Angleterre,
possédait
un déambulatoire decette époque,
En effet,
la première
assise de
ce déambulatoire
du XIe
siècle,
la
seule qui
demeure sur
le lit
de ses
fondations,
put êtredégagée
et
mise à
jour, parmi
les deux
travées
droites
et environ
la moitié
de l'hémicycle
du côté
nord.
La constitution
même
de
ce mur,
son parement
intérieur,
son lavage
bien caractérisé,
la disposition
de ses
dosseretsengagés :
autant de
remarques qui contribuèrent
à
nous
convaincre que nous
étions
bien
en présence
des vestiges
dudéambulatoire
primitif.
A l'époque
des travaux
de transformation
du choeur
et du
transept, à la fin du
XIIIe siècle,
le déambulatoire
roman futdérasé
jusqu'à
cette assise
introuvée,
qui a servi à
fonder les
nouvelles piles à
faisceaux de colonnettes limitant leschapelles rayonnantes bâties,
suivant le
goût
du
jour, en
art français.
Le déambulatoire
du XIe
siècle
mesurait
une largeur
de 3
m. 92
; il
ne déviait
pas -oom-norter
de chapelles
; c'est
dumoins
la conviction
qui se
dégage
présentement
de r.ics
investigations
et de
nos recherches.
L'épaisseur
de ses murs est
de 1
m. 15,
mais le
parement
extérieur
n'est pais
dressé,
car,
du côté
nor.d, la
grande
église
était
certainement
enterrée
dès
cette époque
et le
mur formait
soutènement.
Puisque la
connaissance
de ce déambulatoire
nous
permettait
de rectifier
le plan
dressé,
en
1909, par
M. Martin-
(du
Gard) et
de constater
que ses
fouilles avaient été
insuffisantes,
nous étions
curieux de savoir
si les
grandesabsidioles dessinées
par lui
sur les
croisillons
du transept
avaient réellement,
existé.
Notre fouille,
ouverte à
l'emplacement
de cette
absidiole présumée
dans
le croisillon
sud, nous
permit dereconnaître
un plan
tout différent
de celui
qui avait
été
tracé.
A 0
m. 30
seulement au-dessous du
niveau du
gazon, le
tracé
complet
de cette
absidiole est demeuré
en effet,comme un
témoin
irrécusable.
Il est
formé
d'une
petite travée
droite de
1 m.
92 de
profondeur et de 3 m. 93 de largeur s'ouvrant
dans le
muroriental
du croisillon.
Cette travée
est limitée
elle-même
par un mur demi-circulaire,
de 3
m. 65
de diamètreintérieur
et d'une
épaisseur
de 1 m. 80. Le parement
extérieur
est rayonné
comme le
parement intérieur
sur
lemême
centre.
Comme pour
l'assise reconnue du
déambulatoire,
des vestiges
de l'absidiole
portent très
nettement lescaractéristiques du
XIe siècle,
quant à
leur structure
et au
layage des
pierres.
Les absidioles
s'ouvrant à l'orient
sur les
croisillons
du transept
étaient
donc
formées
d'une
travée
recevant
unlarge
doubleau sur lequel
venait buter
l'abside demi-circulaire
voûtée
en
cul-de-four.
Nous savons
par l'examen
des ruines
et la
présence
des points
d'appui conservés,
que les
croisillons
du transept
roman de
la grande
église
furent,
au XIe
siècle,
entièrement couverts
par des
tribunes se reliant
avec celles
des bas-côtés
de la
nef.
A propos
des tribunes
profondes du transept,
M. le
docteur Goutan
fait observer
que cette
disposition
exceptionnelle
se rencontrait,
à
une
époque
moins
reculée,
dans la
cathédrale
de Bayeux,
comme la
démontré,
en 1861,
la reprise
en sous-oeuvre
de la
tour centrale
par M.
Plachat, ingénieur.
Le plan
qui en
avait été
dressé
présentait,
dans chaque
croisillon,
quatre voûtes
portant tribunes
: deux
à
peu près carrées
dans le
prolongement
du bas-côté,
deux de
l'orme barlongue
pour le
fond du
croisillon.
Ce plan
ne pouvait
pas être
exact, et
ne devait
être
que
le fruit
d'une mauvaise
observation.
Les arcs
de tracés
aussi dissemblables
auraient nécessité,
ou
des points
d'appui
de hauteurs
différentes,
ou des doubleaux tellement
aplatis pour
les uns
et si
surhaussés
pour les
autres qu'ils
étaient
inadmissibles.
Un examen
attentif du mur occidental du
croisillon nord me
permit de
reconnaître
derrière
le
collage du
XIIIe siècle
la présence
d'une demi-colonne
engagée
du
XIe siècle,
point d'appui
divisant exactement en
deux parties
égales
la
profondeur de ce croisillon. D'autres
remarques sur les
arcs et
les parements
me permettent
de pouvoir
noter en
toute sûreté
que les
quatre voûtes
de chaque
croisillon étaient égales
et semblables,
qui portaient
la
tribune ;
Puisque nous
avons reconnu
que le
choeur du
xie siècle
comportait un déambulatoire,
il nous
fallait abandonnerl'idée
des
travées
pleines
et d'un
cul-de-four
aveugle limitant le
sanctuaire de cette
époque
et
essayer deretrouver les anciens
points d'appui.
EN nous
aidant des
bases demeurées
sur place
à
leur
emplacement
primitif, des
relevés
si
précis
exécutés
vers1828
par Hyacinthe
Langlois et du dessin (collection
Gaignières)
du
tombeau de
Robert Champart,
leconstructeur
du choeur
de cette
abbatiale, lequel fut
inhumé
entre
deux piles
du côté
de l'Evangile,
il nous
a étépermis de
les reconstituer.
Ils se
composent, pour les
travées
droites
: vers
le choeur,
d'une demi-colonne
engagée
sur
dosseret ; vers ledéambulatoire, d'un
dosseret rectangulaire formant
contrefort, pour la retombée
des doubleaux
parallèles
augrand
axe, de
deux demi-colonnes
jumelles surélevées
sur
un haut
soubassement
; pour le rond-point,
decolonnes
monocylindriques,
comme celles
qui alternent
dans la
nef avec
les piles
fortes, mais
de 0
m. 75
dediamètre
seulement.
Ces données
nous permettent
de tracer
maintenant un plan
complet, au XIe siècle, de
cette importante
égliseabbatiale
; c'est
ce que
nous avons
entrepris, après avoir
fait sur
place un
relevé
précis
de l'état
actuel.
Le tombeau
de Simon
Du Bosc
Simon Du
Bosc, 58e
abbé
de
Jumièges, mourut le
14 septembre 1418
et fut
inhumé
dans
la grande
église,
en
lachapelle
de la
Vierge, côté
de l'Epitre.
Son mausolée,
nous dit
le chroniqueur,
était
placé
entre deux
arcades,élevé
d'environ
quatre pieds
au-dessus du pavé.
La collection
Gaignières
nous a conservé
de
cette sépulture un
très
joli
dessin, où
le mausolée
se voit
abrité
sousun dais
sculpté
dans
le style
du XVe
siècle.
Au cours
de nos
fouilles, nous avons
retrouvé
cette sépulture
qui coupait
au nord
le mur
de l'anciendéambulatoire,
sépulture
violée
et
monument brisé à
la Révolution, mais
dont les
débris
sont
restés
dans
leremblai
couvrant
le caveau
de pierre
appareillée.
Nous avons
pu laisser
apparent l'emplacement de
ce caveau
et faire
rentrer au
musée
lapidaire
les fragmentsintéressants
de la délicate
architecture
de ce
tombeau.
Nous ne
possédions
jusqu'alors
que
peu de
morceaux sculptés
du
XIe ou
du XIIe siècle
à
Jumièges.
Les chapiteaux
conservés
de cet édifice sont
restés
épannelés, semble-t-il,
et sont
à
classer
dans la
catégorie
bien connue
des chapiteaux
cubiques, quelques-uns seulement
avec rappel
de volutes.
Au. cours
de notre
examen du
transept, nous avons
retrouvé
dans le
croisillon nord, enfermé
sous le
blocage dusiècle,
un chapiteau
présentant
des traces
de sculptures et,
peint après
avoir été
enduit.
En regardant
attentivement
les quatre
chapiteaux des colonnes
jumelles portant doubleaux
et limitant
lebas-côté
nord près
du transept,
nous avons
pu constater
que les
deux qui
sont encastrés
dans le
mur extérieuravaient été
également
sculptés
et-
peints. Ceux
qui leur
faisaient face étaient
trop lisses
pour ne
pas avoir
étéenduits,
eux aussi,
sous
leur badigeon.
Grattés
et
dégagés
au
couteau de
bois, ils
sont apparus
très
jolimentsculptés
: l'un,
d'entrelacs
et de
palmettes, L'autre, de
grotesques présentant
des
lions adossés
en une
très
heureuse
compositiondécorative.
Ces sculptures,
d'inspiration
orientale, du
XIe, ou
plus vraisemblablement
du XIIe
siècle,
avaient
été
enduiteset dissimulées
sous un
badigeon ornementé
de
rinceaux et de feuillages vers
la fin
du xn-
siècle.
Ce qui
nous permet
de croire
que tous
les chapiteaux
du choeur
et du
transept de la grande église
furentsculptés au xic siècle.
Et nous
ne pouvons
que regretter
plus amèrement
la disparition
de cette
partie, si
intéressante
à
tous points devue, de
cet important
édifice.
XIIIe