Par Laurent QUEVILLY.

Voltaire aurait voulu y mourir, Fontenelle y vivre. Comme les Baudouin de Joigny qui en firent une ferme modèle. Histoire d'une vieille maison de Saint-Paër : le château de Launay.
 

Avertissement
Launay est un lieu privé qui ne se visite pas.
On se doit de respecter la quiétude de ses occupants

Lorsque j'étais enfant, mon père, songeur, s'arrêtait quelques fois devant cette bâtisse faite de briques rouges et de hampes de pierre. Nous descendions alors de la voiture pour errer dans le petit cimetière familial situé de l'autre côté de la route. Un parterre clos dominé par une croix. Les Joigny reposaient là. Les noms moussus gravés dans la pierre évoquaient des souvenirs, des visages à Raphaël Quevilly. Son grand-père maternel, Auguste-Pierre Chéron, avait été un temps bûcheron ici. Et puis le jour de sa confirmation, Raph avait eu pour parrains le comte et la comtesse de Joigny.
C'était le 28 juin 1917. Un peu plus tard, sa soeur cadette, Bernadette Quevilly, avait été chambrière au château...



Launay ? C'était jadis une paroisse qui relevait de Jumièges. Comme toutes celles des baronnies de Duclair. Seigneurs du lieu, les moines tiraient profit de leurs domaines. L'Aulnay, Alnelum, comptait 12 feux, soit 60 habiants au XIIIe siècle. Jumièges y possédait le fief de Monthiard.
En revanche, ils réinvestissaient partie de leur richesse dans ces paroisses, essentiellement dans les églises: porches flamboyants, vitraux éclatants, légions de statues... Si bien que Launay aussi eut son église. Elle fut construite dans la vallée, près de Duclair et de la rivière Sainte-Austreberthe et dédicacée le 26 septembre 1267 par Eudes Rigaud.

Les Fournier de Joigny


Non loin de là, il y avait dans la plaine un vieux chêne que l'on désignait, assurent certains, sous le nom du Louvaret, du Loup Vert. C'était là, affirmait-on, que le loup avait dévoré l'âne de Sainte-Austreberthe. Mais le lieu de la légende, c'est bien connu, est situé en forêt de Jumièges. Alors, n'y a-t-il pas confusion avec un énorme chêne qui, jadis, aux Vieux, était appelé l'arbre des fées...
Le château fut construit vers 1600 par un certain Raoul Labbé, seigneur de la Motte, conseiller au Parlement de Normandie. Une tradition orale veut que Henri IV ait passé la nuit à Launay au moment de la bataille de Caudebec. Douteux. Aux Vieux, on montrait encore au XIXe siècle une maison où le Vert-Galant aurait aussi dormi...

33 000 livres

C'est le prix que mit, Claude Fournier, écuyer, pour acheter Launay. C'était en 1653. Le 31 décembre 1663, il signe un traité avec l'abbaye de Jumièges.
 Le 2 mai 1663, à Versailles, Fournier obtient du Roi des lettres patentes. L'église de Launay est alors ruinée. En 1665, face à son nouveau château, Fournier s'empresse de la redresser. Elle dominera des siècles le petit cimetière dans lequel nous sommes entrés tout à l'heure...

Je pense que Claude Fournier mourut l'année où il réédifia la chapelle, car son épouse se retira, en 1665, au couvent des filles du Val-de-Grâce, à Rouen.

Le fils de Fournier, Claude III, passe en revanche pour un libertin. Dans l'une des chambres, il aménagea "une sorte de temple de sceptique" ornée d'un portrait de Montaigne. Sur les volets, lorsqu'ils étaient grand ouverts, apparaissaient des sentences d'inspiration divine. Lorsqu'ils étaient clos, on pouvait lire des textes imprégnés d'une toute autre morale.

Déjà Fontenelle fréquentait ce lieu. Le sieur de Joigny avait été marié une première fois, le 4 mai 1669, à Marie Bigot, décédée à 45 ans en octobre 1690. Le 2 juillet 1693, il se remaria à Marie Anne de La Houssaye de Rougemontier.

En 1701, le château appartenait encore aux Fournier. Quand il fut incendié de fond en comble par la foudre. « Le feu ayant été si violent, dit un procès-verbal de l'époque, que la maison en fut environnée à l'instant par la chute de la couverture qui tombait en feu de tous côtés. En sorte que le dit Sieur de Joigny et la Dame, son épouse ainsi que leurs gens furent obligés de s'enfuir sans avoir pu sauver leurs meubles et choses... »

Du château, il ne restait plus que les quatre murailles en pierre de Caumont et briques de Saint-Jean. Launay fut rebâti ausitôt sur ses murs restés intacts. Le 12 août 1701, le Sieur de Joigny obtient la permission des officiers de la Maîtrise de Caudebec d'abattre trois cents jeunes chênes de sa propre fûtaie, âgés de cinquante ans, pour reconstruire combles et planchers. Launay dès lors devait s'enrichir des boiseries qui sont encore là aujourd'hui et qui habillent les murs en galandage dans chaque pièce. Notamment celles dites des Colombes, finement ciselées et de tonalité très douce. On ajouta deux pavillons au château initial, une avancée et un perron en éventail. On arrondit les fenâtres du rez-de-chaussée, on ajoute un balcon...

Au temps de Monsieur de Cideville

En 1716 Launay change encore de mains. Voici Pierre-Robert le Cornier, seigneur de Cideville, conseiller au Parlement de Normandie depuis le 4 juillet, date à laquelle il a succédé à son père. Né le 2 septembre 1693 à Rouen et mort le 5 mars 1776 à Paris, Cideville avait emporté à 18 an un prix de poésie à l'Académie des Palinods de Rouen.
Avec Fontenelle, Cideville est l'un des fondateurs de l'Académie de Rouen dont il fut l'un des premiers présidents. Les deux hommes en rédigèrent les statuts. C'est un grand ami de Voltaire avec qui il a chauffé les bancs du lycées Louis-Le Grand. Ils échangeront des centaines de lettres.
 
Les années passent et la charge de magistrat pèse sur les épaules de Cideville. Il s'en ouvre à Voltaire : « Peste soit du palais, de la chicane et des plaideurs !»

En 1736, avec la mort de son père, Cideville jette sa toge aux orties. Il a 43 ans. L'hiver, il se retire à Paris où il cultive les lettres et fréquente les bons salons. A la belle saison, il revient à Launay qu'il appelle le «Temple de l'Amitié ».  Cideville tient à y inviter son grand ami. « La patrie de Corneille, écrit-il à Voltaire, doit être la vôtre, nous vous offrons pour vous y attirer, au lieu du tumulte et du fracas, et des fausses protestations, le repos, la paix et l'amitié la plus sincère. » Voltaire a déjà séjourné à Rouen, à Canteleu, à Déville. Il a ses entrées fréquentes à Quevillon, au château de la Rivière-Bourdet, chez la présidente de Bernières. Et Quevillon est à un jet de pierre de Launay. Voltaire viendra.On vous montrera encore la chambre où il séjourna. Les meubles ont été déplacés par la seconde guerre mondiale. Mais on verra encore la commode dite de Voltaire signée de Le Besgue, dans le petit salon de l'entrée.

« Vous vivrez cent ans mon ami ! »

Cideville invitera plusieurs fois encore Voltaire qui, sans cesse sur les routes, regrettera Launay: «Votre vallée de Tempée eut bien mieux valu que l'Olympe sablonneux», écrit-il de Berlin. 
«Vous vivrez cent ans, mon ami, lui dit-il un jour, parce que vous allez de Paris à Launay et de Launay à Paris sans soins et sans inquiétudes.»

L'idée de finir ses jours à Launay fut même un rêve pour le philosophe: « Combien il m'eut été doux de mourir dans la patrie de Corneille, dans les bras de mon cher Cideville. »

Voltaire ne fut pas seul à fréquenter Launay. On y vit aussi sa muse normande, Mme du Bocage. Fontenelle y vint souvent. Et Cideville lui faisait adresser par coche des confitures de pommes. Les boiseries dessinèrent l'ombre de Mme de Fontaine-Martel, amie du Régent, de M. de Formont, M. de la Bourdonnaye, Intendant de la Généralité de Rouen, Mgr le Duc de Luxembourg, Gouverneur de Normandie, l'abbé de Vertot, Bettencourt, avocat au Parlement...

En 1741, Cideville fit vérifier et enregistrer les fameuses lettres patentes du premier propriétaire. Ce qui fut fait le 13 mai 1741 en la cour des comptes de Normandie. Launay est alors plein fief noble de haubert sous le nom de fief et terre de Joigny. Mais une partie du domaine relève toujours de l'abbaye de Jumièges...

En 1764, Cideville, malade et vieilli, regrette de ne plus pouvoir correspondre avec son cher Voltaire « qui a daigné m'écrire et répondre à mes faibles lettres pendant cinquante ans. » Il passe son temps au salon,  effondré dans une bergère, ne perçoit plus les beautés de Launay dont il était si fier.

En août 1766, Cideville vend Launay pour 138 000 livres. En 1774, il cédera tous les livres qu'il avait amassés en son château et à Rouen. Tous ses manuscrits aussi car il n'a jamais rien imprimé. Cideville mourrra à Paris en 1776.

Les Marcis

Entre temps, Launay échoue alors à Pierre-Jacques Le Marcis. Un protestant qui s'est formé en Angleterre. C'est le plus riche manufacturier de Bolbec. Même si son entreprise de textile vient d'être ravagée par l'incendie de la ville. Il s'est réimplanté à Saint-Sever. Cette acquisition lui permet de se faire appeler seigneur de Launay, Joigny et autres lieux. Le 31 décembre 1767, il obtient des lettres de noblesse. Le Marcis ne profita guère de son château et de ses titres de gloires. Trois ans tout au plus. Il meurt en 1769, laissant une succession difficile.

Les Baudouin


En 1786, le château est racheté par Pierre-Louis Baudouin, conseiller du Roi, syndic des Consuls, directeur des Feux et Phares de la côte normande. Baudouin a aussi ses petites affaires: il est armateur et assureur maritime, industriel à Déville... Bref, un bon client pour l'abbé de Jumièges, le prince de Lorraine, a qui le châtelain de Launay verse le 13e, l'année de son arrivée.

Les armes des Beaudoin de Joigny ? "D'or à la fasce de gueules accompagnée en chef de deux épées d'azur passées en sautoir, et en pointe d'un cheval de sable abattu, soutenu d'une terrasse de sinople, le flanc ensanglanté de gueules."

Ce XIXe siècle va voir les Baudouin de Joigny faire de Launay un centre de la vie mondaine. Les réceptions y seront fastueuses, les chasses à courre nombreuses. Les garages abriteront les toutes premières voitures, les écuries les plus belles pouliches. Car Launay sera aussi une ferme-modèle...

1803, Napoléon s'arrête à Saint-Paër. Et pendant que l'on ferre ses chevaux à la forge des Trois-Cornets encore existante, la tradition veut qu'il soit venu jusqu'à Launay se reposer... La grande route de Rouen à Caudebec passait à quelques cinq cents mètres d'ici.

De 1806 à 1811 puis de 1817 à 1823, Auguste Baudouin fils de Pierre-Louis, est maire de Launay.
Cette commune ainsi que celle des Vieux est absorbée par Saint-Paër en 1823.

Auguste Baudouin a un frère prénommé Louis qui, en 1828, accueille un fils que l'on baptise Etienne. C'est lui qui va hériter du château. Auguste Baudouin se porte donc acquéreur de celui des Vieux en 1830 et en fait une ferme modèle qui rivalise avec Launay.

En 1832 paraît cette annonce dans le Jounal de Rouen : "A louer, pour entrer en jouissance de suite, une belle maison de campagne avec ses dépendances, cour d'honneur, jardins, massif d'arbres etc. situé à Duclair, section du Vaurouy. S'adresser pour la voir à M. Baudouin qui l'occupe..."

En 1836, Philippe Avenel est le cocher du château de Launay. Il a 45 ans. Les domestiques de la maison : Ursule Douyère, Pauline Thomas... Près de là, la famille Baudet s'occupe des jardins. On compte encore Ferdinand Canu et Reine Leborgne comme domestiques, Joséphine Fleury, servante et Théodore Lemarié...

On nous écrit de Duclair, à la date du 11

C'est mardi 13 courant que doit avoir lieu la réunion des électeurs appelés à concourir a la nomination d'un membre du conseil d'arrondissement. Plusieurs candidats seront en présence, jusqu'à present, cependant, il paraît y avoir presque unanimité pour porter M. Auguste Baudouin, propriétaire et manufacturier a Saint-Paër, commune de ce canton.
M. Baudouin est, à notre avis, le seul candidat auquel on doive sérieusement songer, propriétaire, habitant le pays, il a consacré des capitaux importants à la formation d'un bel établissement  destiné à la raffinerie des sucres de betteraves, industrie naissante dans nos contrées et qui déjà occupe bon nombre de familles. C'est d'ailleur un homme éclairé, à même, plus que personne, de comprendre les besoins du pays. Les concurrents ont peu de chance de réussite, l'un est M. Caumont, maire de Jumièges, auquel à coup sûr peu d'électeurs ont songé. on nous parlait encore d'une autre capacité administrative : nous n'avons pas voulu croire à tant d'ambition. M. Baudouin nous représentera donc au conseil d'arrondissement et ce sera justice.

En décembre 1836, soutenu par le Journal de Rouen, Baudouin fut élu conseiller d'arrondissement. Sur 73 électeurs inscrits, seuls 50 votent. Baudouin obtient 28 voix, Caumont 21, Darcel n'en a qu'une.

1838 : "M. Baudouin de Joigny, de Saint-Paër, se présente, Messieurs, comme un des plus utiles amis de l'agriculture. Il cultive en grand, avec méthode et économie, les plantes sarclées ; il crée et perfectionne lui-même les instruments les mieux appropriés aux diverses cultures. Il suit avec succès l'assolement quadriennal ; il s'est livré aux essais de semis de céréales, comme fourrages, qui ont donné de bons résultats. Ses herbages sont soigneusement tenus, bien divisés, pourvus d'abreuvoirs et d'abris pour les animaux. Ses bâtiments d'exploitation de moyenne grandeur sont de la plus parfaite distribution ; celle de ses porcheries, surtout, est remarquable par la propreté et l'économie de temps et de nourriture qui en résultent. Il élève des chevaux avec des soins tout particuliers ; il serait heureux pour le département qu'il entreprît exclusivement l'élève de sujets précieux.
Tout, dans son exploitation, est sagement conduit, ingenieusement disposé. M. Baudouin de Joigny doit être considéré, par les cultivateurs, comme un excellent modèle par ses principes et par ses œuvres. A tous ces titres réunis, la Société décerne à M. Baudouin de Joigny, une médaille d'or."

Le 5 juillet 1840, Auguste Baudouin préside un concours agricole à Duclair. Ce jour-là, sur la place du marché, il prononce un discours. Puis ce fut la remise des prix.
Dans la catégorie Instruments aratoires, une mention honorable alla à Baudouin de Joigny, pour sa houe à cheval et son buttoir et à Auguste Beaudouin pour ses semoirs.
Le prix du plus ancien garçon de ferme fut décerné à Jean Roger, domestique, depuis 55 ans, chez M. Baudouin de Joigny.
Déjà âgé et marchant avec peine, c'est appuyé sur le bras de M. de Joigny, qu'il s'est présenté pour recevoir son prix et qu'il a regagné sa place. De vifs applaudissements sont venus attester au maître et au domestique, combien cette scène avait ému l'assemblée. Il a obtenu une médaille de bronze et 50 fr.

Après cette cérémonie, il y eut un banquet sur les quais. Baudouin porta un toast au Roi.

En décembre 1840, Auguste Baudouin était chef de bataillon de la garde nationale du canton et fut au passage des cendres de Napoléon à la tête de la garde nationale du canton et d'une foule de paysans accourus sur les quais de Duclair.  Il recueillait alors aux Vieux les souscriptions pour les inondés du Midi en compagnie de Me Rigoult, notaire de Duclair.

Le 27 août 1848, Auguste Baudouin est élu conseiller général. Son mandant ne durera que quatre ans. Il sera battu par Charles Darcel.


Lire l'article complet sur le comice de 1840:

Société centrale d'Agriculture, 1851 :

"M. Auguste Beaudoin, de Saint-Paër, notre correspondant, se trouve nécessairement à la tête des cultivateurs dont il faut offrir en exemple les œuvres constantes.

Cette année, la culture de M. Auguste Beaudoin se signalait par vingt hectares de betteraves destinées à la fabrication du sucre. Cette culture énorme lui est exceptionnelle ; mais, ce qui ne l'est pas, c'est l'emploi des instruments perfectionnés, que tout planteur de betteraves, racines et plantes sarclées ne peut négliger, s'il veut travailler avec économie et profit. M. Beaudoin a une charrue et un semoir imaginés par lui, la herse Bataille, la houe sarcloir. Il commence l'assolement quadriennal. II emploie le purin. — M. Auguste Beaudoin, toujours en progrès en agronomie, se rend de plus en plus digne des précédentes ovations de la Société centrale, et de la grande médaille d'or qui lui a été décernée en 1837.

"Constamment M. Baudouin de Joigny concourt avec son frère. Toutefois, le parallèle ne nuit à aucun des deux, et des félicitations spéciales à chacun d'eux leur sont dues.

"M. de Joigny a adopté, avant son frère, l'assolement quadriennal, il y a déjà quatre ans. Il emploie les instruments perfectionnés par lui-même. Il avait, cette année, de belles racines, de superbe colza, planté sur deux raies et butté ; de l'avoine patate d'hiver, très belle. — II fait un essai de garance bien exécuté. Il a cent quatre-vingts moutons et six vaches à l'engrais. Ses animaux sont dans le meilleur état. Toujours en progrès, M. de Joigny est toujours digne de la médaille d'or que la Société lui a décernée en 1837."

On écrit de Duclair (Seine Inférieure ), le 16 septembre (1856) : — Lundi dernier, à Saint-Paër, canton de Duclair, vers une heure du matin, deux braconniers, profitant du beau clair de lune, s’étaint placés, munis de fusils, au bout du parc du château de Launay, appartenant à M. de Joigny.  Un nommé Auguste Lefebvre, qui partait avec sa femme de la ferme du château pour se rendre à son domicile, les aperçut au moment où il traversait une sente qui conduit à Sainte-Marguerite. Supposant bien que ce ne pouvaient être que des individus qui braconnaient, il se dirigea vers eux ; arrivé tout près, il dit par deux fois à l’un d'eux, qui cherchait à cacher sa figure avec sa casquette : « Tu as beau faire, je te connais bien. » Après quoi il se retourna pour reprendre son chemin et rejoindre sa femme, qui l’attendait ; mais à peine avait-il fait quelques pas, que l’un des braconniers lui tira un coup de fusil à la tète.  Sa femme alla chercher du secours au château, et l'on trouva le malheureux Lefebvre, affaissé sur lui-même, baignant dans son sang. Il avait pu, malgré sa blessure très grave, faire au moins deux cents pas. Il fit connaître le nom des individus qui avaient tiré sur lui. M. le juge-de-paix se transporta sur les lieux avec le commissaire de police et la gendarmerie, pour procéder à une enquête qui a eu pour résultat l'arrestation des sieurs Louis Ferment et Saunier fils, de Sainte-Marguerite. Des fusils et des munitions ont été saisis en leur domicile et adressés à M. le procureur impérial. On ne sait pas encore si le malheureux blessé survivra. P. S. Nous apprenons que M. le procureur impérial vient de se rendre à Saint-Paër.


14 juillet 1858 : décès de Céline-Marie Baudouin de Joigny, née Le Marchand, 55 ans, au château de L'Aunay. Elle était l'épouse de Louis Etienne. Le père de la défunte était alors encore en vie et possédait, depuis 1830, le manoir de Bosc-Nouvel, au village de Bocasse.

1863 : Emile-Marie Baudouin de Joigny épouse Marie Aimée Bonite Dary. Née en 1841, elle est la fille du marquis de Senarpont. Elle héritera du château de Dampierre. Le couple aura deux enfants: Max de Joigny, né en 1864 et Célinie, en 1865, héritière à son tour de Dampierre.

Mars 1876, un ouragan balaye le canton de Duclair. "La propriété de M. Emile de Joigny, à Saint-Paër, a particulièrement souffert ; 250 à 300 arbres énormes ont été arrachés dans le parc du château."

Avril 1888. Emile de Joigny arrive, par la rue de l'Eglise, au marché de Duclair, à 9h du matin. Son cheval, habituellement docile, prend une allure plus vive. On veut le calmer mais un guide casse et le cheval accélère, si bien que la voiture verse. De Joigny est légèrement blessé au dessus de l'œil mais son fils Maax est plus gravement touché à la tête et a le maxillaire inférieur fracturé. Quand au domestique, il est indemne.

9 juillet 1889. Célinie de Joigny épouse Rodolphe Le Prévost d'Iray, né le 10 avril 1860, lieutenant au 4e cuirassiers en 1882. On lui connaît au moins une fille : Henriette qui héritera de Dampierre et cèdera son bien, en 1938, à Ernest Peel. Mais aussi un fils : Louis.

1er septembre 1891, on retrouve Max de Joigny dans une ascencion pyrénéenne en compagnie d'un certain Maurice de Lamothe.

Le 19 juillet 1892, c'est la mort au château de Marie Aimée Bonite de Joigny. Elle a 52 ans.

1893: Max de Joigny épouse Antoinette du Gavé de Touille, née à Auch en 1872,  nièce de Henri de Pagèze de Lavernède. Max de Joigny héritera de lui une mine à Gagnières.

L'accident des Trois-Piliers


Le mercredi 15 juillet 1896, à Duclair, il est 5 h 20 de l'après-midi. Le break du château de Launay est garé devant la poste de Duclair, face à la cale du bac. M. de Joigny père est entré à la poste tandis que son fils a les guides en main. A ses côtés un domestique. A l'intérieur sont assis Mme de Joigny fils et son père, le comte de Gavé. Soudain, de la rive gauche, un coup de canon est tiré en l'honneur d'une noce attablée sous une tante dressée devant l'hôtel de la Poste. Quand de Joigny père met le pied sur le marche-pied, le bac accoste. Le bruit de la machine finit d'effrayer les chevaux qui s'élancent affolés en direction de Rouen. Le père de Joigny saute à terre avant que le break ne heurte la table de service à l'entrée de la tente où 60 convives achèvent leur banquet. Mais l'attelage poursuite sa fuite, devant le café de Normandie, de Joigny fils est projeté au sol.  Puis le break cultbute un tombereau et à leur tour M. de Gavé et le domestique sont expulsés. Il ne restait plus que Mme de Joigny dans la voiture quand elle se renversa. La jeune femme fut traînée sur une vingtaine de mètres sous les débris du break. Dont la flèche finit par céder puis dont les chevaux allaient s'abattre un peu plus loin. De partout ont accourt pour délivrer avec précaution la passagère. Transportée à l'hôtel des Trois-Piliers, elle reçoit les premiers soins du Dr Maillard. Puis elle est reconduite au château de Launay où elle ne reprendra ses esprits que le lendemain. Si le père de Joigny ne s'est fait aucun mal, son fils et Gavé ont reçu des contusions sans gravité. La presse ne parle pas du domestique. Quant au conducteur du tombereau, c'est un dénommé Orange, 18 ans, employé de Emangard fils qui exploite un four à chaux et une briqueterie. Il a une fracture du crâne mais le Dr Allard le croit hors de danger.


Le lendemain…

On sait qu’une enquête a été ouverte au sujet de l’accident de voiture qui s’est produit mercredi soir. On a prétendu d’abord que c’étaient les coups de canon tirés en l'honneur d’un mariage célébré le jour même qui avaient effrayé les chevaux, mais l’enquête faite à ce sujet laisse quelques doutes, car le coup de canon a précédé de plusieurs minutes l’emballage des animaux.

La chaleur, les mouches pouvaient aussi avoir excité ces bêtes et les disposer à prendre le mors aux dents.

L’état de Mme de Joigny s’est un peu amélioré, il en est également de même de l’état d’Orange, le jeune conducteur du tombereau qui avait été renversé par le break.


Au début du siècle, Max de Joigny juge en compagnie de Jacquemin l'arrivée des régates de Duclair.
Le 10 octobre 1903, le garde Varin dresse procès verbal contre deux braconniers quand l'un d'eux, Dusseaux, 20 ans, le menace de son couteau. lui allonge un coup de pied dans le ventre et s'enfuit en laissant sa cravate dans les mains du garde. Voilà qui lui coûtera huit mois de prison et 100F d'amende.
Le château emploie beaucoup de monde en 1906 : autour d'Emile de Joigny se trouvent Jean-marie Lefeuvre, valet de chambre, Marie Chéraud, femme de chambre, Paul Guilbert, cuisinier, Albert Marchand, de Duclair, aide-cuisinier, Achille Batailler, cocher, Alexis Pot, journalier, Hippolyte Tiphagne, garde particulier...
Autour de Max et Antoinette : Marie Varin, de Limésy, femme de chambre, Victor Racine, jardinier, Joséphine Varin, Gustave Racine, Amédée Varin, de Limésy, garde particulier... C'est sans compter les proches de ces employés...


 Le Figaro du 17 mai 1909 : "Les obsèques de M. Emile Baudouin de Joigny, décédé au château de Launay, à l'âge, de quatre-vingt-un ans, ont été célébrées jeudi dernier, à Saint-Paër (Seine-Inférieure).
Le deuil était conduit par M. Max de Joigny, le vicomte d'Iray, MM. Louis et Raoul d'Iray, le comte de Boissard, le vicomte de Boissard, le vicomte Robert de Boissard et M. Marcel de La Lande."

La vieille chapelle était alors effondrée. Il n'allait subsister dans ce cimetière privé que le calvaire en fer forgé sous la voûte des tilleuls...

La semaine religieuse : Le 13 mai 1909, la paroisse, en deuil, conduisait à sa dernière demeure son bon et excellent châtelain, M. Emile Beaudouin de Joigny, décédé le dimanche 10.
Bon par excellence, aimé de tous à cause de son affabilité à l'égard du riche comme du pauvre, il était secourable aux malheureux, leur parlait toujours avec douceur, aimait l'ouvrier, car il connaissait le travail et savait l'apprécier, étant lui-même habile ouvrier à ses heures.
Président de la Fabrique depuis de longues années, et du Conseil paroissial, il était l'ami de son curé pour lequel il avait une grande estime et un profond respect, lequel le payait de retour, trouvant en ce vénérable vieillard un homme de bon conseil. Bien des fois il vint au secours de la Fabrique lorsqu'elle en avait besoin. Il aimait beaucoup son église, et son bonheur était de travailler à l'embellir : cloches, statues, etc. Il savait faire des sacrifices avec la meilleure grâce du monde.

Et que dire de sa foi si vive et si profonde ? Bien droit dans sa haute taille malgré ses 81 ans, le visage empreint de noblesse et de dignité, on était heureux de le voir arriver chaque dimanche à la messe paroissiale, à laquelle il assistait avec le respect, l'attention et la dévotion que comporte une action aussi sainte et aussi sublime. Il édifiait tout le monde par son noble maintien. Il n'aurait pas voulu mourir sans les secours de la religion. Il les reçut avec une foi admirable, d'où naissait une ferme espérance qui aurait pu lui faire dire comme le poëte qui avait fait lui-même son épitaphe : « Je crois en Jésus ; sur la terre je n'ai pas rougi de sa loi ; au dernier jour, devant son Père, il ne rougira pas de moi. »

Ou mieux ces autres paroles du grand Apôtre : « J'ai achevé ma carrière, y faisant le plus de bien possible. J'ai gardé ma foi inébranlable en Dieu et en son Christ, il ne me reste plus qu'à espérer la couronne de justice que Dieu a promis à ceux qui l'aiment. »

Ce qui le caractérisait, c'était surtout sa droiture et sa loyauté.

On l'appelait : le bon M. de Joigny, ou plus souvent : le bon père de Joigny, tant il était paternel pour tous. Une foule énorme assistait à ses obsèques. Nombre de prêtres étaient présents : MM. les abbés Guérout, curé-doyen de Duclair, qui a fait l'absoute, Blanquet, curé d'Anneville-sur-Scie, Le Meudec, curé de SaintPierre-de-Varengeville, Lecœur, curé d'Epinay-sur-Duclair, Montier, curé de Sainte-Marguerite-sur-Duclair.


L'accident des Trois-Piliers



Le mercredi 15 juillet 1909 se produisit un spectaculaire accident sur les quais de Duclair. D'autant plus retentissant que la famille impliquée dans ce drame était l'une des plus puissantes du pays. Compte-rendu du Journal de Rouen...

Une vive émotion a été causée avant-hier, dans l’après-midi, par un accident de voiture dans lequel plusieurs personnes ont été assez grièvement blessées.

Un break appartenant à M. de Joigny se trouvait sur la route qui longe la Seine ; à l’intérieur avaient pris place MM. de Joigny père et fils, Mme de Joigny, le comte de Gavé et enfin un domestique. La voiture stationnait depuis un instant lorsque les chevaux, ayant eu peur, se son emballés.

M.de Joigny père a pu sauter à terre, mail le break étant venu heurter violamment la table d’un café à laquelle plusieurs personnes étaient attablées en plein air, M. le comte de Gavé, M. de Joigny fils et le domestique ont été projetés sur le sol.

Puis la voiture est venue donner avec force contre un tombereau venant en sens inverse qui a été culbuté ; et enfin le break a été renversé à son tour, entraînant malheureusement sous lui Mme de Joigny qui a été traînée sur une vingtaine de mètres, au milieu des débris de la voiture tirée par les chevaux affolés.
Ces derniers se sont abattus presque aussitôt.

De toutes parts, l’on s’est porté au secours de la jeune femme qui a été transportée à l’hôtel des Trois-Piliers où elle a reçu les premiers soins, et ensuite au château de l’Aulnay qu’elle habite avec son mari.. Son état inspire une certaine inquiétude.

Les autres blessés sont M. le comte de Gavé, M. de Joigny fils qui ont reçu des contusions, et le conducteur du tombereau, un jeune homme d’une vingtaine d’années nommé Orange, que l’on a relevé ayant une fracture du crâne.
Le pauvre garçon est le plus gravement atteint ; on espère toutefois le sauver.


Elu maire

Durant la Grande-guerre, maire de Saint-Paër, Max de Joigny prit un part active à l'effort national. Il accueillit notamment une colonie belge en son château des Vieux tandis que celui de L'aunay était sa résidence principale.

Mon père, Raphaël Quevilly, eut Max de Joigny pour parrain de confirmation.

En 1919, Max de Joigny obtint un permis de recherches minières alors qu'il résidait chez M. Burki, à Conakry, Guinée française.

En 1921, le couple de Joigny a pour personnel Alice Sellier, femme de chambre née à Paris, Marguerite Marinier, cuisinière native de Normanville, Georges Fournier, chauffeur de Neufchâtel, Georges Cardon, un Rouennais, valet de chambre. Le domaine agricole compte encore les Lemesle, les Tiphagne... Demeurant au Bas-Aulnay, Pierre Ribot, de Rambouillet, est le garde particulier de Max de Joigny. Au Haut-Mouchel, Victor Quevilly est ouvrier agricole pour le même...

 1925 : Max de Joigny est réélu maire de Saint-Paër. Le 26 mai, on le retrouve président d'honneur du comité des fêtes. Les fêtes communales furent fixées aux 6 et 7 juin. Le dimanche, il y eut concert du Rappel de Duclair, courses de vélos, des jeux pour les enfants à qui Max de Joigny remit des récompenses à 18h. Et puis il y eut bal, embrasement de la mairie... Le 9 juin, il eut pèlerinage à la chapelle de Mesnil-Varin où l'on vénère la statue de saint Onuphre.

1926 : mort de Célinie, soeur de Max de Joigny. Cette année-là, le personnel a changé au château. On retrouve Alice Sellier et Georges Fournier. Mais on compte de nouvelles têtes : Jean Pécot, de Duclair, garçon de cuisine, Fernand et Genevève Lambot, deux Belges, l'un valet de chambre l'autre gouvernante. André Lormier est jardinier, le Traiton Emile Pécot journalier, Albert Taburet ouvrier agricole, Maurice Leguay garde particulier...

Double révérence


Max de Joigny est mort le 14 février 1928, son épouse le 19. Le Figaro du 15 mars 1928 : "On annonce de Duclair (Seine-Inférieure) la mort de M. Max Beaudoin de Joigny, maire de Saint-Paër, chevalier de la Couronne de Belgique et de Mme Beaudoin de Joigny, née Antoinette du Gabé de Touille, décorée de la médaille de la reine Elisabeth, décédés tous deux à quatre jours d'intervalle en leur château de Launay."

Maire, Max de Joigny présidait aussi la société des régates de Duclair ainsi que le conseil paroissial de Saint-Paër.

2 février 1932: inscription du château à titre de monument historique.

Durant la seconde guerre, Launay connaitra treize occupations de 1939 à 1945 de la part des Allemands puis des Américains... Les boiseries furent démontées et dissimulées dans les fermes ainsi que les glaces anciennes et les cheminées. Ue rampe de lancement ayant été installée en 1944 à cent mètres du château, le risque de bombardement était grand.

Avec la Libération, Launay panse ses plaies. 12 février 1948: inscription du parc et des bâtiments anciens (granges et communs).

SOURCE


Revue des sociétés savantes de Haute-Normandie, 1960

Mémoires de la société centrale d'Agriculture de la Seine-Inférieure.
Le journal de Rouen 17 et 18 juillet 1896.



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