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Revenez
ici quand vous voulez
! Vous y
retrouverez
l'ambiance qui prévalait de 67
à 73
au
Pressoir, la discothèque mythique du Trait. Voici les
souvenirs
de Michel, le premier barman. Voici ceux de Bruno, le dernier DJ... |
Pousser
la porte du
Pressoir, c'était quitter résolument la terre
pour une autre
planète. Notre planète ! Dans les sous-sols du
Normandy-Hôtel, le
billet
d'entrée était parfaitement adapté
à nos
budgets faméliques. D'abord, il vous donnait droit
à un
whisky-Coca bien tassé qui enflammait
nos jeunes oreilles. Mais surtout aux
derniers tubes anglo-saxons: Foxy
Lady, Nights in white satin,
Sunshine of you love, Dock
of the
bay...
Jamais en si peu d'années la pop-music n'a
été aussi féconde.
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Façade du Normandy
Hôtel aujourd'hui, rue
Brétéché |
L'entrée aux sous-sols du
Normandy se faisait derrière, rue Galliéni. |
Dans
une
ambiance feutrée, les slows chassaient les jerks avec une
régularité de métronome. Et il fallait
être
bien empoté pour ne pas trouver là son premier
flirt. Combien de promesses
de croquer la pomme sont
nées au Pressoir. Pour se défaire la semaine
suivante. Et tout
ça
s'effondrait sur Try a little tenderness
d'Otis Redding à
cause de cet enfoiré de Marc Lavoine qui
déléguait ses sosies
dans toutes les boîtes de France. Qui mieux que Guy Carlier a
parlé de ces catastrophes sentimentales : " à ce moment
précis où l'on sentait qu'on allait conclure...
la porte de la cave s'ouvrait et on voyait débarquer dans la
boum un type beau comme un dieu, qui ressemblait à Marc
Lavoine, vêtu d'un blazer avec un écusson en fil
d'or, et là, dès le premier regard de la
fille vers lui, on savait qu'on l'avait perdue..." (Chapelle
Sixtees, le Cherche Midi, 2015)
Le
Pressoir,
c'était aussi une odeur,
celle des bûches
grésillant dans les cheminées. Les
serveurs avaient avec nous une
véritable complicité. Ils étaient un
peu nos confidents. Petite barbe noire, massif, placide, le plus connu
était Michel, dit "Le gros Mimi". On oubliait tout ici. Le
bahut
et ses pions, l'approche du service militaire, des parents trop
croulants comme on disait alors...
En stop,
en car, à pied, on y courait le samedi soir, le dimanche
après-midi pour plonger dans une pénombre
savamment entretenue. Une
semi-obscurité qui donnait la même
beauté à tous les visages. Les spots
découpaient sur les murs les silhouettes des danseurs
échevelés. Nous
étions là pour l'éternité.
Alors, quand le dernier morceau parvenait au
bout de son sillon sur la platine du DJ, le silence qui suivait nous
ramenait brutalement sur terre. Cette triste terre que l'on allait
repeindre en rouge un certain mois de mai...
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Michel
Raconte...
Avant de partir en
Guinée-Conakry, Michel Le Boucher a
été le premier barman du Pressoir. Son
témoignage est émouvant...
"Le premier jus du Pressoir a
été entièrement imaginé et
créé par ce cher Claude Marais et
réalisé dans le sous-sol de son hôtel
restaurant le Normandy, au Trait, lequel était
juxtaposé à une salle des fêtes
où il avait essayé de recréer le bal
musette. Sans succès.
"Après cet échec, il passe quelques moments dans
les premières discothèques parisiennes et
décide de réaliser la sienne, sans
fioriture, dans le sous-sol du Normandy. Un petit bar
d’angle
avec des dosses de bois, une mini piste de danse (12 m2).
Le mobilier :
des fûts pour les tables, des banquettes arrières
de voitures recouvertes de plaids et des décors avec des
matériels relatifs à la Normandie. Le reste du
sol recouvert de gravier...
"C'’est à
ce moment
que nous faisons connaissance. Il me parle de son projet.
Coïncidence, puisque j'étais venu lui
proposer mes
services ! Sachant que j’avais fait mes premières
armes
dans l'hôtellerie sur les bateaux de la Transat, il
me propose de prendre la place de barman. Il manque encore la sono et
le DJ. Je lui propose mon matériel (La voix de son maitre)
et mon frère Jacky se charge de
récupérer chaque week-end les 45 tours chez les
copains et les copines.
"En fait, les premières semaines du Pressoir ressemblent
plutôt à une boom entre amis. Puis, avec
un peu de pub et de bouche à oreille, on voit quelques
jeunes qui osent pousser la porte. C’est ainsi
qu’au fil des mois,
l’établissement devient à
l’'étroit...
"Claude décide donc
pendant les vacances scolaires d’été
de joindre
à ce sous-sol une partie de la salle des fêtes. Le
bar s’allonge en maçonnerie, la piste
s’agrandit, quelques
spots de couleur agrémentent l’ambiance avec un
petit salon
supplémentaire.
C’est à ce
moment que
l’on rencontre Christian Petit, devenu client, et qui
propose de
prendre la place de DJ. Afin de booster
l’ambiance, Claude décide de faire venir un
groupe, les
« Hippies », qui demandent quelques jeux de
lumières. Mais pas question d’investir lourdement
en
matériels qui commencent à sortir chez les
spécialistes parisiens.
"Après
réflexion, je récupère des phares de
Traction Citroën, j’adapte des
ampoules assez puissantes, vernis des paraboles en jaune, vert, bleu,
alimentées par un système mécanique
qui baigne dans de l'’huile de
transformateur, le tout se tenant dans une boîte de conserve
de 5
litres. Il faut reconnaitre que le résultat des faisceaux
lumineux est
à la hauteur de mes espérances... |
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"Cette
deuxième saison commence à rivaliser avec les
vraies discothèques :
afflux de clientèle et d’ambiance grâce
à Christian. Cela oblige
Claude à employer les grands moyens et revoir notre copie.
C'est-à-dire
occuper en totalité la salle des fêtes et le
sous-sol de l’hôtel... |
Une
figure de l'époque: Jean-Marie Moulin, disparu bien trop
tôt. Il est photographié ici à
Yainville devant chez Jeannette. |
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" Claude fait construire une
ambiance « chaumière normande ». Il
trouve dans une ferme près de Cany-Barville, un vieux et
imposant pressoir à cidre qu’il nous faut
démonter, transporter et remonter pour y installer le DJ et
l’ensemble du matériel sono et lumière
qui prend
de plus en plus de place.
"Pour construire le nouveau bar,
il récupère un broyeur à pommes en
grès circulaire qu’'il me fait
découvrir sur le
parking, composé de cinq pièces de plusieurs
centaines de kilo et me laisse le loisir de construire mon
élément de travail principal.
Je mets l’'ensemble en place avec une technique de
forçat
reposant sur un montage en maçonnerie. J'ajoute un
repose-pied au sol avec une chaîne d’ancre marine,
soudée maillon par maillon (deux nuits de soudures !) et je
fabrique un système
d’étagère,
toujours circulaire, autour de l’ensemble.

De face: Michel Le Boucher et
Claude Marais.
"Il faut encore équiper l’ensemble
électriquement
avec mes deux copains, Alain Taurin et Robert Logeois. Sans oublier,
depuis le début des travaux, mes deux plus
fidèles et courageux compagnons Joe Dangain et
René Faques, tous deux tailleurs de pierre à
l’église de Caudebec-en-Caux.
"Pour l’ambiance, on
remplace le vieux matériel par du
matériel professionnel. Claude rapporte
d’Angleterre un
stroboscope (le premier installé dans la région).
Pour améliorer les flashs lumineux, on alimente une
trentaine de spots avec une partie de clavier de piano, sous chaque
touche est installé un micro-poussoir.
"C’est à ce moment que Christian lâche
les
platines pour ses études et est remplacé par
Patrice Leroux, adulé par toutes les nanas (dont une belle
brochette travaillant chez Elda, magasin de fringues rue du
Gros-Horloge à Rouen). Il restera
jusqu’à mon
départ.
Patrice permet une ambiance formidable, quand j’y repense
c’était vraiment la « belle
époque
».
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Patrice
Leroux, alors DJ et Bruno sur la
charrette qui était le podium de dance
réservé à quelques
privilégiés...
"C'est
ainsi que le Pressoir reprend un essor foudroyant malgré des
horaires
particuliers. Ouvert le samedi de 20 h 30 à 3 h et le
dimanche
après-midi de 15 h à 20 h. |
"Fait exceptionnel, une
demi-heure après l’ouverture, le Pressoir
était
rempli à 90 %. Tout le monde passait devant la caisse comme
au cinéma sans faire d’histoire pour payer.
Je n’oublie pas, de toute la bande qui formait la colonne
vertébrale de la clientèle, tout
d’'abord Max
Perchet, Eric Poisson, Richard et Gérard Roquancourt,
Jacques Lemoine, Gérard Horlaville, Cathy Lemercier,
Gervaise Petit, Mario et Dominique qui, tous deux, venaient avec le HY
Citroën des parents chargé à ras bord.
"Malgré plein de détails volontairement
oubliés, je vais m’arrêter
là. Ce fut
mon départ, fin juin 1972, un départ
orchestré par Patrice sous la direction de Claude, un
après-midi d’enfer que je n’oublierai
jamais. Ils m’ont
obligé à rester sur la piste sans pouvoir
rejoindre mon bar.
"Mon regret, c’est que Claude Marais, Jo Danguin, Cathy
Lermercier et,
récemment, Gérard Roquancourt nous ont
quitté beaucoup trop tôt.
Bruno
se rappelle....
Bruno a
été l'un des derniers DJ. Il habitait
Jumièges, face à l'abbaye où son
père tenait une ambulance-taxi : "Le Pressoir
a été "mon lieu". J'y étais chez
moi...
"A
l'époque, musicalement, Le Pressoir était le
2e lieu en France,
après le Golfe Drouot. Tous les groupes
Français, sont passés au
Pressoir..."
|
A gauche: "Ma
fameuse tenue de peau de mouton. Elle m’a valu de danser avec
le groupe Titanic au Maddox,
à Playa-de-Aro, en Espagne. " Au centre: "Une
tenue un peu plus hippy." A droite: "L’époque
ou j’étais DJ, lors d’une
soirée plein air"
|
"Une
soirée Topless qui a été
appréciée, vu les regards des clients." A droite: "Quelques
secondes avant que tout le monde n’investisse
l’estrade..." |
Les autres boîtes...
Dans la
région, Le Pressoir n'avait pour rival que la
Ferme, à Saint-Pierre-de-Manneville. Ou encore La Clef des
Champs, près de Rouen, la boîte d'Hubert,
l'animateur
de l'émission Dans
le vent sur Europe 1. Enfin, La clef des champs ou Le
chant des oiseaux, il y a
débat. Marc
Ribès penche pour
cette
dernière
appelation et cite encore La Brocherie à Roumare, La
Bohème, Les Oubliettes, place Cauchoise... |
Les
souvenirs de Marco...
Marc
Ribès habitait la cité EDF à
Yainville. Il lui
arrivait d'être pris en stop par Bruno, dans sa 205
cabriolet.
Puis son buggy jaune qu'il pilotait avec un look d'enfer: gilet en peau
de monton: "
Mon frére Jean Pierre a été dans les
premiers DJ et ma belle-soeur, Yolande Morisse, tenait
le vestiaire. Au
bar, il y avait Michel et aussi les Préaux. Oscar
et son
neveu Dominique.
Au
début le Pressoir n'était pas bien grand. En
entrant, devant le bar, le sol était
du gravier et la piste
de danse se trouvait sur la droite."
Quand la
discothèque s'est
agrandie d'une salle, on y a donné des concerts avec
des groupes
d'enfer. Marco poursuit :
"Le
premier
orchestre a été les
Météores pour une soirée du jour de
l'an. Il était branché Rolling stones de
l'époque avec leur chanson
fétiche "Harlem
Shuffe". A l'entrée on
nous offrait un cendrier en
céramique
avec une annotation. Sur le mien était inscrit
"Fumée et vin tuent les chagrins."
"D'autres
y sont passés comme les Flamengoas, Les Pages, Les Why, Les
Rotomagus des fréres Peresse, de la Mailleraye, Sylvain, le
plus jeune et Pierre, tous deux à la guitare (1)...
"Mais
il y a eu une déception: la venue de Bill Wyman,
bassiste des Rolling Stones avec son propre orchestre qui
était bien loin de la qualité Stone."
"Je me
souviens aussi de l'apérobic qui avait
été organisé dans la salle
du Normandy pour le départ à l'armée
de Ti-Jany et de Dehanbourg il me semble..."
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Quant
à moi, une
peine de
cœur. Et je ne suis jamais
retourné
au Pressoir. Peu de temps après, l'établissement
de Claude
Marais est parti en fumée. Mais pas nos souvenirs d'ados.
Confiez-nous ici vos souvenirs, vos anecdotes...
(1) Le groupe a
enregistré trois disques
avant d'éclater. En 2012, les frères
Peresse ont
reconstitué Rotomagus. On peut
réécouter leurs
premiers morceaux sur le Net...
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Laurent
QUEVILLY. |