En 1868, un incendie allumé par un aliéné mental  fit jurisprudence. Et ça se passa à Sainte-Marguerite sur Duclair...
26 mai 1868. Vers midi, un violent incendie se déclare au hameau du Valbaret. Il embrase une maison à colombages couverte en chaume. Elle est occupée par les époux Arsène Luce mais appartient à Lucien Lattelais.

Aux premiers cris, le maire, la population se précipitent. Henri Vallet-Pontry et Ancel Lebourgeois sont les premiers sur place. Ils ne peuvent sauver qu'une pièce de cidre contenant trois hectolitres.

Aussitôt, les soupçons se portent sur le propriétaire. Un sexuagénaire père de quatre enfants. Né à Sainte-Marguerite le 9 juin 1805 d'Augustin Lattelait et Agathe Lebreton, Lattelait a vécu à Saint-Paër, Ecalles-Villers et aujourd'hui Barentin. Son état mental est connu. Pendant l'incendie, il était couché sous un bâtiment d'où l'on eut mille peines à l'extrirper alors que tombaient tout autour de lui des débris embrasés. Il affecta ensuite une indifférence totale aux événements. Pire : on va trouver sur lui des allumettes chimiques, deux couteaux et un manche de couteau...

Le maire n'hésite pas une seconde : il le fait arrêter. M. Lair, le juge de paix du canton, le commissaire de police et le brigadier de gendarmerie de Duclair arrivent sur place. Après enquête, Lair confirme la détention de Lattelait et le fait conduire à la prison de Duclair pour le remettre à la disposition du procureur impérial.

On évalua les pertes. L'immeuble valait 4.000F. Le mobilier 1.400F assuré à la centrale. Mme Luce avait un trousseau de 1.700F. on comptait encore 380F en or, 100F en billets de banque, quatre titres de rente à 3% représentant chacun un capital de 1.000F, le tout non assuré.

L'embarras des assurances

Voici comment la chronique judiciaire va rendre-compte de la suite...
Un sieur Lattelais, propriétaire d'une petite ferme a Sainte Marguerite-sur-Duclair a été atteint d'aliénation mentale. Dans un accès de cette terrible maladie, il a lui-même mis le feu à un immeuble qui lui appartenait. Le préjudice causé par l'incendie s'est élevé à la somme de 1,300 fr. Le lendemain, Lattelais était interné.


L'immeuble était assuré à la Compagnie d'assurances mutuelles. M. Busquet, nommé administrateur des biens du sieur Lallelais a réclamé à la Compagnie le règlement du sinistre.
Celle-ci a refusé son paiement, par le motif que c'était le sieur Lattelais qui avait mis le feu à sa propriété.

Le 21 janvier 1869, assignation a été alors donnée à la compagnie d'assurances devant le tribunal pour la forcer au paiement de la somme de 1,800 fr. De là est née la question de savoir si un fou qui a lui-même mis le feu à sa maison peut réclamer de la compagnie d'assurances le règlement du sinistre.

Dans l'intérêt du sieur Lattelais on soutenait que l'assurance avait pour but de garantir l'assuré contre l'incendie provenant de tous les cas fortuits ou de force majeure. N'était-ce pas un cas de force majeure que l'invasion de cette maladie qui ôtait a l'homme l'usage de ses facultés, et le poussait à porter contre lui-même ou contre les choses lui appartenant une main inintelligente ? 

Au nom de la Compagnie, on répondait que toutes les conventions devaient s'interpréter avec le sens que les parties avaient voulu leur donner, et qu'il n'était pas possible de supposer, en l'absence de toute clause formelle, qu'une compagnie d'assurances ait jamais pu consentir à réparer les conséquences du fait personnel de l'assuré.

Le tribunal, après avoir entendu M. Lecœur père, au nom de l'administrateur des biens du sieur Lattelais et Me Taillet, dans l'intérêt de la compagnie d'assurances, a, sur les conclusions conformes de M. Capperon, substitut du procureur impérial, fait droit à la demande de l'assuré.

Le tribunal, prenant pour point de départ les termes généraux du contrat d'assurance qui protège l'assuré contre les chances d'incendie, a décidé qu'en l'absence de stipulations spéciales, tous les cas fortuits ou de force majeure devaient entrer dans la pensée commune des parties contractantes. L'aliénation mentale doit être considérée comme un cas de force majeure.

Si un assuré, atteint d'une défaillance physique, laissait tomber de sa main un flambeau et causait ainsi involontairement un incendie, on n'hésiterait pas à rendre la Compagnie d'assurances responsable du sinistre; pourquoi la raison de décider serait-elle autre en présence d'une défaillance de la pensée ?

Epilogue


Lattelais est mort  quelques mois plus tard, à 64 ans, le 7 avril 1870, à Barentin. Ce fut son fils Louis, fileur à Villers-Ecalles, qui déclara le décès.


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