En dix ans, Mgr de Bonnechose, archevêche de Rouen, vint plusieurs fois visiter le canton de Duclair. Suivons-le pas à pas...

Henri-Marie-Gaston Boisnormand de Bonnechose est né à Paris en 1800 d'une mère néérlandaise. Il passa sa jeunesse à Bruxelles puis à Nimègue où son père avait été nommé sous-préfet. La chute de l'Empire le conduit à Yvetot et il fait ses études à Rouen puis à Paris. Protestant, il se convertit au catholicisme à 18 ans. Après la licence en droit, il exerce diverses fonctions dans la magistrature avant d'entrer, en 1830, dans la communauté de l'abbé Bautain à Strasbourg.
Le 21 décembre 1833, il devient prêtre et célèbre sa première messe le 29 décembre dans l'église Saint-Pierre-le-Vieux.
On le retrouve évêque de Carcassonne en 1848. Chevalier de la Légion d'honneur en 1852, il gagne Évreux en 1855 puis est nommé archevêque de Rouen par Napoléon III le 21 février 1858.
La première visite épiscopale de Bonnechose date du 29 mai à Duclair. Le lendemain, il procéda aux confirmations à Jumièges et ne regagna Rouen que le 5 mai. L'information est donnée par le Journal de Rouen. En revanche, le bulletin du diocèse n'est pas encore lancé pour en détailler le séjour.

En 1863, le voilà officier de la Légion d'honneur et cardinal-prêtre. Sa nouvelle dignité lui donne accès au Sénat du Second Empire où il interviendra fréquemment. Voilà donc quel l'homme de 67 ans qui, en 1868, visite pour la seconde fois le canton de Duclair. Et là, nous avons le compte-rendu de La Semaine religieuse...

Nous recevons de Duclair les détails suivants sur la visite pastorale de S. Em. Monseigneur le Cardinal.
Le mardi 21 avril, Duclair présentait l'aspect le plus joyeux et le plus animé. Les fonctionnaires et les autorités s'étaient réunis pour recevoir le premier pasteur du Diocèse. En tête du cortège marchait M. le maire, ayant à sa droite M. le curé-doyen, et à sa gauche M. le juge de paix. Les pompiers, conduits par M. Delaunay, leur capitaine, formaient la haie ; la foule était compacte, la fanfare la Cécilienne faisait retentir l'air des plus beaux morceaux de son répertoire. L'empressement de ce bon peuple et la douce joie qui rayonnait sur tous les visages disaient assez avec quels sentiments la visite du pasteur était accueillie.

Son Éminence fut saluée par M. le maire (Adolphe Hippolyte de Berruyer de Torcy), qui lui adressa quelques paroles de bienvenue. Monseigneur mit pied à terre, et, en voyant cette grande affluence de fidèles, il se fit conduire à l'église, où il donna solennellement sa bénédiction. Puis il entra au presbytère au milieu des mêmes honneurs et des ovations de cette multitude qui se pressait de tous les côtés sur ses pas.

Série de confirmations

Le mercredi eut lieu la Confirmation pour Duclair, et les paroisses de Saint-Pierre-de-Varengeville, de Sainte-Marguerite et d'Épinay-sur-Duclair. Malgré le grand nombre des confirmants, l'ordre et le recueillement ne cessèrent de régner, et l'excellente tenue des enfants fut remarquée par Son Éminence.
Les cérémonies de la Confirmation ne furent pas moins belles dans les paroisses de Jumiéges le jeudi, de Saint-Martin-de-BoscherviIle le vendredi, de Villers-Ecalles le samedi, et d'Yville-sur-Seine le lundi. Partout les populations et les autorités ont montré le même empressement et la même vénération pour le Pontife qui venait les visiter et les bénir.

La Grand' Messe

Le Dimanche, la Grand' Messe fut présidée par Son Éminence en l'église de Duclair, devenue trop petite pour contenir la multitude des fidèles. On savait que Son Éminence, qui avait fait donner le sermon par le R. P. de Ricquebourg le jour de la Confirmation, monterait en chaire et parlerait elle-même aux fidèles.
Son Éminence a pris pour sujet le dogme de la résurrection. «Elle est nécessaire, elle est possible, elle est certaine. » Cette instruction a fait l'impression la plus vive et la plus profonde sur toute l'assistance. On gardera longtemps le parfum de cette parole éloquente et touchante. Elle sera à tout jamais associée au souvenir de la présence du bon pasteur au milieu de nous.

Les cloches de Varengeville



Une cérémonie bien touchante a signalé, Dimanche dernier, le passage de S. Em. Monseigneur le Cardinal-Archevêque dans le doyenné de Duclair. Son Eminence était attendue à Varengeville pour la bénédiction de trois cloches, données à la paroisse par un généreux anonyme. Dès la veille la population, dans la joie, se préparait à célébrer le grand jour et dimanche, plus d'une heure avant la cérémonie, la foule remplissait la vaste et élégante église inaugurée le 19 juillet dernier. Les trois cloches avaient été suspendues à l'entrée du chœur, sous une charpente décorée avec goût. Au-dessus des cloches, on voyait exposés deux ornements complets, offrande généreuse des parrains et marraines. 
Le premier, en soie blanche broché or, se compose de quatre chapes avec la chasuble ; le second, plus riche encore, est un ornement en velours rouge brodé en or, composé de cinq chapes et d'une chasuble d'une richesse remarquable. Quant aux cloches elles-mêmes, elles se distinguent surtout par l'harmonie parfaite de leurs sons. Elles donnent le mi sol ut avec une pureté d'accord saisissante et forment une très-belle sonnerie. Sorties des ateliers de MM. Lavard, fondeurs à Villedieu (Manche), elles ne laissent rien à désirer comme beauté de métal, comme finesse d'exécution et comme harmonie.
La plus grosse, du poids de 1,000 kil., a été nommée Honorée par M. Auguste Etienne, représentant son père, M. Honoré Etienne, mort il n'y a que quelques mois maire de Varengcville, et par Mme Marie-Thérèse Lamer, née Adrien, épouse de M. Lamer, conseiller d'arrondissement.
La seconde, du poids de 750 kil., a été nommée Alexandrine-Caroline par M. Alexandre Lair, juge de paix du canton de Duclair, et par Mme Caroline-Louise Etienne, née Carré.
Enfin la troisième, du poids de 520 kil., a été nommée Eugénie-Valenline par M. Eugène Barthélémy, architecte de l'église, et par Mlle Valentine Etienne.

Le jour de la bénédiclion, Monseigneur arriva au presbytère à deux heures et demie. Après y avoir reçu les parrains et les marraines, il s'est rendu processionnellement à l'église, où M. l'abbé Masqueray, curé de la paroisse, a adressé à son Eminence une allocution pleine de cœur et d'à-propos. Monseigneur a répondu avec l'éloquence et la douceur qu'on lui connait en pareille circonstance. M. l'abbé Renaud, professeur au petit Séminaire, appelé à faire le sermon, a prouvé une fois de plus, nous écrit-on, que le cœur fait les hommes éloquents. Il a développé d'une manière intéressante et parfois même supérieure ces trois pensées : Les cloches, au point de vue de la foi et de la raison, sont la voix de Dieu, la voix de la conscience, la voix de la patrie. Elles sont la voix de Dieu en ce qu'elles nous rappellent son existence, ses volontés, ses jugements. Mais l'homme ne doit pas seulement penser à son Créateur. Il doit l'adorer, élever vers lui des mains suppliantes, le remercier des bienfaits qu'il en a reçus. Qui rappelle donc à l'homme ces importants devoirs? C'est encore ia voix de nos cloches; et c'est alors qu'en parlant la voix de Dieu, elles font retentir à nos oreilles le cri de la conscience. Enfin, il est des circonstances ou les cloches nous parlent la voix de la patrie, soit dans ses supplications, soit dans ses actions de grâces, soit enfin dans ses calamités et ses désastres.

Deux jeunes souffrantes confirmées

Après cette instruction, écoutée avec la plus sympathique attention, Son Eminence a béni les cloches, et a daigné clore la cérémonie en administrant le sacrement de Confirmation à deux jeunes filles à qui leur état de santé n'avait pas permis de se rendre à Duclair pour recevoir ce sacrement avec leurs compagnes. L'une de ces enfants avait eu, la veille même de la Confirmation, l'index de la main droite emporté par une machine dans la filature où elle travaillait. Il y a eu Salut solennel, et Son Emincnce a été reconduite processionnellemcnt au presbytère au milieu d'une foule innombrable qui témoignait par sa pieuse attitude de sa reconnaissance et de sa joie.
Le soir même, les nouvelles cloches ont pu saluer le départ de Monseigneur, et tous ont admiré leurs harmonieuses volées.
Le souvenir de M. Etienne père, ancien maire de cette commune, et dont la mort récente a tant affligé Varengeville, n'a point cessé d'occuper les esprits au milieu de la joie générale. Tous se plaisaient à redire ses bienfaits et à joindre son nom à ceux que cette cérémonie faisait bénir le plus.


En 1869, Mgr de Bonnechose est promu commandeur de la Légion d'honneur. L'occupation de Rouen par les Prussiens lui donne l'occasion de renouer avec la tradition de l'évêque defensor civitatis, le protecteur de la cité.

La tournée de 1874

Du 14 au 21 avril 1874, le cardinal de Bonnechose revint dans le canton. La Semaine religieuse :

Monseigneur le Cardinal-Archevêque a commencé, le  mardi 14 avril, sa visite pastorale dans l'arrondissement de Rouen. Son Éminence, accompagnée de M. l'abbé Delahaye, vicaire général et  archidiacre de Rouen, s'est rendue directement à Duclair. A son arrivée,  elle a trouvé réunis sur le bord de la Seine M. le Maire avec son Conseil municipal et les autres autorités de la localité, auxquelles s'étaient joints M. le Curé avec son Conseil de fabrique, et M. Darcel,  membre du Conseil général pour le canton de Duclair, venus à sa rencontre pour lui offrir leurs hommages de bienvenue. Monseigneur le Cardinal se rendit à l'église. Une foule nombreuse l'y avait précédé.

Son Éminence pria quelques instants et donna la bénédiction. Elle fut  ensuite conduite au presbytère.
Le lendemain, mercredi 15 avril, à 8 h. 1/2 du matin, le clergé vint en procession chercher Monseigneur le Cardinal. M. l'abbé Masqueray, curé-doyen, reçut solennellement et complimenta, suivant l'usage,  Son Éminence à la porte de l'église. Après la célébration de la Messe,  Monseigneur le Cardinal procéda à la visite canonique de l'église.

Depuis son dernier passage à Duclair, des améliorations notables ont été apportées à l'ornementation intérieure de l'édifice. Sans entrer dans des détails que ce compte-rendu sommaire ne comporte pas, on peut citer en particulier la restauration remarquable de. plusieurs verrières anciennes, représentant le martyre et la légende de saint Denis de Paris. Ces vitraux, bien mutilés, ont retrouvé, grâce à l'initiative de M. le Curé et au concours des administrateurs, leur primitive splendeur.

Le vœu des Duclairois


Mais l'objet principal qui attire l'attention est le splendide autel en pierre qui a remplacé dans le chœur l'ancien autel en bois. Il est l'accomplissement d'un voeu. fait par les habitants de Duclair pendant la guerre de 1870, et est aux plans et au ciseau de M. Bonet, sculpteur de Rouen, dont tout le monde connaît et admire le talent.

Œuvre magistrale, cet autel se fait remarquer par la pureté de son plan, l'élégance de ses formes, la richesse de son ornementation, et l'harmonie de ses belles et larges proportions.

La visite canonique terminée, Monseigneur le Cardinal a administré le sacrement de Confirmation à 271 personnes, dont 171 de Duclair et 100 de Saint-Pierre-de- Varengeville.
Dans l'après-midi, Son Eminence a visité l'église de Saint-Pierre-de-Varengeville.

De Varengeville à Boscherville et Hénouville

Le jeudi 16 avril, Monseigneur le Cardinal, a donné la Confirmation dans l'église de Saint-Martin-de-Boscherville à 75 enfants de la paroisse et 34 de Hénouville. Tout le monde connaît cette vaste basilique, splendide: épave d'une des plus belles abbayes qui couvraient les rives de la Seine. Seize années dans un siècle de foi ont suffi à sa construction.

Le nôtre suffira-t-il pour en assurer l'entière restauration ? Espérons-le.

Déjà;, M. le. Curé, aidé par le département et par les habitants de la paroisse, soutenu par le concours des sociétés archéologiques qui s'intéressent à si juste titre à la conservation du monument, s'est, mis à l'œuvre, et les résultats déjà obtenus font présager pour un avenir très rapproché le plus heureux succès.
Près de Saint-Martin-de-Boscherville, et au bord de 1a forêt de Roumare, est une petite chapelle dite de Saint-Gorgon. C'était autrefois un lieu de pèlerinage fréquenté par les habitants de Rouen. Monseigneur le Cardinal s'y est rendu dans l'après-midi. Cette chapelle est décorée à l'intérieur par des peintures dont le seul mérite est leur originalité.
Elles ont été restaurées en 1871. On y voit, avec les figures de saint Georges et de saint Martin à cheval, des images d'apôtres, de prophètes et des douze sibylles sous lesquelle sonl les vers sibyllins ou les prophéties qui leur sont attribués. A quelques mètres de la chapelle s'élève une maison, imposante construction en pierre, que l'on prétend avoir appartenu aux Templiers. Monseigneur le Cardinal, après avoir examiné la chapelle, en a visité non sans intérêt les différentes parties.
Son Eminence s'est ensuite rendue à Hénouville pour y faire sa visite canonique. Son Eminence alla visiter Jumiéges l'après-midi et y administra au milieu du concours le plus empressé et le plus recueilli de la population de la presqu' île, comme aussi à la grande joie du vénérable curé de Jumiéges, qui est à la veille de célébrer le 50e anniversaire de son arrivée dans sa paroisse, le sacrement de Confirmation à 216 personnes, dont 89 de Jumiéges, 18 d'Yainville, 28 de Mesnil-sous-Jumiéges, 52 du Trait et 29 d'Heurteauville.

Monseigneur le Cardinal a quitté Duclair mardi 21 se rendant à Yvetot pour donner le sacrement de la Confirmation aux élèves de l'Institution ecclésiastique. Son Eminence a visité sur sa route l'église d'Epinay.
 

A Anneville, à Yville...

Le lendemain, vendredi 17, Monseigneur le Cardinal a administré le sacrement de Confirmation dans l'église d'Anneville-sur-Seine à 164 personnes, dont 58 de la paroisse, 47 de Bardouville et 59 d'Yville.

Dans la soirée, Son Éminence a visité l'église d'Yville, à l'extrémité du diocèse, dans la presqu'île formée sur la rive gauche de la Seine par l'immense circuit du fleuve entre la Bouille et Jumiéges.

Direction Sainte-Marguerite et Saint-Paër


Le samedi 18, Confirmation à Sainte-Marguerite-sur-Duclair : 287 confirmands, dont 117 de Sainte-Marguerite, 29 d'Epinay et 61 de Saint-Paër. Dans l'après-midi, Son Eminence a visité l'église de Saint-Paër et la chapelle de l'Aulnay, église paroissiale supprimée après la Révolution.


De Duclair  à Yainville


Le dimanche 19 avril, Monseigneur le Cardinal a assisté à la Messe paroissiale dans l'église de Duclair, et a prononcé une homélie sur l'Evangile du jour. (...)

A deux heures de l'après-midi, Monseigneur le Cardinal partait de Duclair et se rendait à Yainville pour visiter l'église. La grosse tour, formant clocher et servant aujourd'hui de Chœur, avec l'abside semi-circulaire qui le ferme, ne sont pas sans intérêt, en raison de leur haute antiquité. Ils remontent au XIe siècle. Mais on y recherohe vainement l'autel en pierre « contemporain de l'édifice » que maint archéologue a eu le bonheur d'y rencontrer.

Heurteauville, Le Trait...

Après cette visite, Monseigneur le Cardinal a traversé Jumiéges et est venu à l'endroit appelé Port-Jumiéges. Là, deux belles embarcations, mises gracieusement à sa disposition par l'administration de la douane et celle des ponts et chaussées, l'attendaient. Son Eminence prit place dans la péniche de la douane, l'accompagna M. le capitaine en résidence à La Mailleraye, avec M. l'abbé Delahaye. Dans l'autre s'assirent M. Darcel, conseiller général, et M. le conducteur des ponts et chaussées. Le temps était splendide ; le fleuve suivait son cours
tranquille et doux, uni comme un miroir. Aussi était-ce merveille de voir voguer, pavillon flottant sur l'eau, les deux embarcations conduites par de vigoureux rameurs en uniforme, entre les rives de la Seine couvertes d'arbres en fleurs. Monseigneur se rendait à Heurteauville.

Une grande partie des habitants réunis sur la rive attendaient, le Maire à leur tète, l'arrivée de Son Eminence. Par une attention des plus délicates, M. l'ingénieur des ponts et chaussées, chargé des travaux de la basse Seine, avait, dans la nuit, fait préparer une cale de débarquement en face de l'église. Monseigneur le Cardinal y mit pied à terre, reçut les hommages de bienvenue de M. le Maire, et se rendit à l'église.

Son Eminence, après l'avoir visitée, examina l'emplacement destiné à la construction d'un presbytère ; puis, montant de nouveau dans la péniche des douanes, vint débarquer sur la rive droite dans la paroisse du Trait. Monseigneur le Cardinal alla directement visiter l'église, située
à mi-côte et dont le clocher, nouvellement construit et plein d'élégance, domine la vallée de la Seine dans une position des plus pittoresques.

Son Eminence rentrait à sept heures au presbytère de Duclair.

Un banquet, des discours...

Le lundi 20, Monseigneur le Cardinal devait se rendre le matin dans la paroisse de Jumiéges ; mais le passage à Duclair de M. Lizot, préfet de la Seine-Inférieure, fit intervertir l'ordre tracé par l'itinéraire.

M. le Préfet se trouvant à Duclair en tournée de révision pendant le séjour de Monseigneur le Cardinal-Archevêque, les autorités locales eurent l'excellente pensée de réunir dans un banquet l'éminent Prélat, M. le Préfet, le conseiller général, les conseillers d'arrondissement, les maires et les curés du canton. Tous les représentants de la religion et de l'autorité civile se trouvaient réunis dans cette fête, qui affirmait une fois de plus la concorde édifiante qui règne dansle département. Au dessert, M. Ch. Darcel, conseiller général, a prononcé les paroles suivantes :

Monseigneur, Monsieur le Préfet,


Permettez-moi, comme doyen des maires du canton de Duclair, de vous remercier d'avoir bien voulu accepter ce modeste banquet que nous aurions  voulu plus digne du rang élevé que vous occupez, mais que du moins nous vous offrons avec la plus entière cordialité.
Monseigneur,

Nous sommes heureux de saluer en vous le Prélat éminent qui n'a pas reculé  devant les fatigues d'un pénible voyage pour aller à Versailles pour obtenir la  réduction des deux tiers de l'exorbitante contribution de guerre imposée, par le vainqueur à notre département;

Le Prélat éminent qui, après le combat de Moulineaux, n'a pas compté avec  sa fortune pour racheter la vie de malheureux voués à la mort par un ennemi  implacable ;

Le digne Prélat, enfin, qui va laisser dans notre canton le souvenir de l'affabilité avec laquelle il sait remplir son ministère de paix et de consolation.


Monsieur le Préfet,

Nous saluons en vous le magistrat qui n'a pas hésité à abandonner une carrière  où votre talent faisait présager les plus hautes destinées, pour venir imprimer à  notre département, dont vous aviez si longtemps défendu les intérêts comme  conseiller général, la haute direction qui lui permettra de cicatriser dans un  avenir prochain les plaies dont il a été frappé. Nous saluons le Préfet dont une  récente promotion dans la Légion d'honneur vient de récompenser le mérite que  chacun se plait à reconnaître.


Messieurs, l'autorité n'est vraiment forte qu'appuyée sur la religion; de l'accord entre ces deux puissances dépendent la confiance et le calme qui permettent  aux sociétés de se développer. Cet accord, nous pouvons vous le dire, a toujours  existé dans notre canton, et nous sommes heureux, par cette fête intime, de  l'affirmer de nouveau.


De même, Monseigneur, que vous possédez un clergé instruit et zélé, de  même, Monsieur le Préfet, vous avez sous votre direction une administration  active et dévouée.


Veuillez bien en recevoir l'assurance, vous pouvez compter sur notre commune  coopération pour vous seconder dans l'œuvre de régénération à laquelle vous  vous dévouez pour rendre à notre pays toute sa prospérité.

Pardonnez-moi, Monseigneur, et vous aussi, Monsieur le Préfet, toute mon  insuffisance pour vous traduire les sentiments que j'ai reçu mission de vous  exprimer, et laissez-moi terminer par un mot qui, par sa simplicité même, rend  exactement la pensée qui nous anime tous : Merci.


S. Ém. Monseigneur le Cardinal Archevêque s'est levé et a répondu en ces termes, dont l'éloquence et la portée n'échapperont à personne:

« Monsieur le Conseiller général, Monsieur le Préfet, Messieurs,

« J'ai été très-touché de l'invitation qui m'a été faite de venir aujourd'hui participer à cette réunion, et je n'ai pas hésité à modifier mon itinéraire de visite pastorale, pour me trouver au milieu de vous. La  pensée qui nous rassemble est chère à mon cœur, car c'est une pensée d'union et de concorde. Cette union si précieuse, grâce au ciel, ainsi qu'à votre esprit éclairé et à vos sentiments chrétiens, existe dans ce  canton entre les représentants de l'Eglise et de l'Etat, et j'aime à dire  qu'il en est ainsi, à bien peu d'exceptions près, dans tout le départe-ment. Cimentons-la de plus en plus par un échange de confiance et de  bons procédés.
C'est la condition la plus sûre du succès, dans nos efforts communs, pour cette moralisation et ce développement des  vertus sociales indispensables pour nous relever de nos malheurs. Ah! si tous les Français consentaient à abjurer leurs ressentiments et les  passions qui les divisent, s'ils entraient d'un commun accord dans ce  concert de volontés que demande le vrai patriotisme, quels jours prospères se lèveraient encore sur la France ! qu'elle retrouverait prompte-ment sa puissance et sa splendeur!

« C'est donc à obtenir ce grand résultat que nous travaillerons, mes  collaborateurs et moi, de toute notre âme, et nous le demanderons tous  les jours à ce Dieu qui seul peut unir sincèrement les cœurs en faisant  respecter tous les droits, parce qu'il est à la fois le Dieu de justice et  de charité. »


Les applaudissements chaleureux de l'auditoire ont couvert ces  paroles, qui ont trouvé écho dans tous les cœurs, et ont eu depuis, dans la presse, un heureux retentissement.


M. le Préfet a prononcé à son tour une éloquente improvisation dont  le texte n'a pas été publié, mais dont voici la pensée résumée par le Nouvelliste :

Il a remercié M. Darcel des obligeantes paroles qu'il avait bien voulu  lui adresser. Faisant allusion à l'hommage rendu par l'honorable conseiller  général au vénérable Prélat, il a rappelé que Mgr de Bonnechose n'était  pas moins digne de cet hommage par sa vertu et par sa charité que par  son dévouement patriotique au pays.


M. le Préfet a fait ressortir ce qu'avait de consolant le spectacle du chef  du diocèse accueilli dans le canton de Duclair par cette touchante manifestation. Il a ajouté que les pays qui donnaient de pareils exemples  étaient de ceux qui devaient nécessairement se relever. Il s'est félicité  enfin des excellents rapports qu'il n'a cessé d'entretenir avec MM. les  maires du canton, et qui, en devenant plus intimes chaque jour, ne peu-vent manquer d'être féconds pour les intérêts des communes.


M. Lizot a terminé en portant un toast à la prospérité du canton de Duclair.
 

Jumièges, Epinay...




Son Eminence alla visiter Jumiéges l'après-midi et y administra au milieu du concours le plus empressé et le plus recueilli de la population de la presqu' île, comme aussi à la grande joie du vénérable curé de Jumiéges, qui est à la veille de célébrer le 50e anniversaire de son arrivée dans sa paroisse, le sacrement de Confirmation à 216 personnes, dont 89 de Jumiéges, 18 d'Yainville, 28 de Mesnil-sous-Jumiéges, 52 du Trait et 29 d'Heurteauville.

Monseigneur le Cardinal a quitté Duclair mardi 21 se rendant à Yvetot pour donner le sacrement de la Confirmation aux élèves de l'Institution ecclésiastique. Son Eminence a visité sur sa route l'église d'Epinay.


La tournée de 1879

En 1878, Mgr de Bonnechose participa au conclave où fut élu le pape Léon XIII. Il nous revint l'année suivante, du 22 au 26 mai.

Monseigneur le Cardinal est arrivé à Duclair le 22, veille de l'Ascension. Son Eminence est descendue au presbytère, où elle a trouvé réunies, pour lui offrir leurs hommages, toutes les autorités, ayant à leur tête M. Darcel, conseiller général du canton, et M. le maire de Duclair (Adolphe-Amédée Cavoret).

Le jour de l'Ascension, Monseigneur le Cardinal a assisté pontificalement à la Messe solennelle célébrée par M. l'abbé Dedde, professeur à l'Institution Join-Lambert; et après l'Evangile, Son Eminence a fait une homélie sur le mystère du jour.

Après midi, 306 enfants des paroisses de Duclair et de Saint-Pierre-de-Varengeville ont reçu de ses mains le sacrement de Confirmation.

Il visite la rive gauche...

Le vendredi 23 mai, Monseigneur le Cardinal traversait la Seine et se rendait à Anneville-sur-Seine, où 96 enfants des paroisses situées sur la presqu'île de la rive gauche, Anneville, Bardouville et Yville, lui étaient présentés.

Le soir, Son Eminence a visité l'église d'Yville, où, depuis son dernier passage en 1874, une nouvelle sacristie a été construite.

A l'église de Saint-Paër...

Le samedi 25, la paroisse de Saint-Paër recevait à son tour Monseigneur le Cardinal. L'église est un intéressant édifice où, depuis l'époque romane primitive jusqu'au dernier âge de la Renaissance, chaque siècle a laissé des traces remarquables de son passage. Mais le temps a fait sur ses murs son oeuvre de destruction et de ruines. Depuis longtemps des travaux de consolidation et de restauration ont été reconnus nécessaires. Déclarés urgents par les hommes de l'art, ils avaient été promis, décidés, votés même. Des circonstances qu'il n'était pas facile dé prévoir en ont arrêté l'exécution. Faisons des vœux pour que rien n'y mette plus obstacle; l'art, tout aussi bien que les intérêts religieux d'une population chrétienne, réclame qu'il soit pourvu à la conservation de cette église.

Ce jour-là, Monseigneur le Cardinal a donné la Confirmation à 118 enfants de Saint-Paër, d'Epinay et de Sainte-Marguerite-sur-Duclair.

Les ruines de Jumièges

Le dimanche 25 mai, Son Eminence s'est rendue dès le matin dans la paroisse de Jumiéges, oil, depuis son passage en 1874, un presbytère a été construit près de l'église. Monseigneur le Cardinal a, le matin, assisté à la Grand' Messe, célébrée par M. l'abbé Potel, chanoine honoraire, supérieur du petit Séminaire. Après midi, il a imposé lés mains à 191 enfants de Jumiéges, d'Heurteauville, du Mesnil-sous-Jumiéges, du Trait et d'Yainville..

A l'ombre des ruines majestueuses et des grands souvenirs de Jumiéges, que de pensées traversèrent l'esprit durant cette simple cérémonie! Jumiéges fut un jour la terre dés saints. Oserait-on dire qu'elle est devenue là terre des ruines ? Non, la vie circule toujours sur cette rive de la Seine, et l'affluence des fidèles pressés autour de Monseigneur le Cardinal atteste que la foi des Philbert, des Eudes, des Hugues, des Thierry, n'y est pas éteinte et peut encore faire son œuvre.

Nouvelle église au Mesnil

Le Mesnil-sous-Jumiéges devait, le soir. recevoir la visite de Son Eminence. La reconstruction de l'église, commencée il y a quelques années, est maintenant achevée. C'est un petit édifice bâti dans une position charmante, sur une êminence d'où il domine la vallée de la Seine, au sein d'un océan de verdure qui l'entoure de toutes parts. Ses proportions modestes, son plan régulier de croix latine, la simplicité de. son ornementation, son berceau de bois, plaisent aux yeux; une série de verrières avec personnages, médaillons ou grisailles, sorties des ateliers Dalleinne de Rouen, parent aujourd'hui toutes ses fenêtres à plein cintre.

L'abbaye de Boscherville

Le dernier jour marqué pour la première partie de l'itinéraire était réservé à la paroisse de Saint-Martin-de-Boscherville, où Monseigneur le Cardinal s'est rendu lundi dernier, 26 mai.

Jamais peut-être depuis longtemps la magnifique église de Saint-Martin-de-Boscherville n'était apparue aux regards d'un grand nombre aussi splendide que lundi. Laissant de côté la question d'art dans le travail qui y a été exécuté à grands frais pour donner à tout l'intérieur de cette vénérable basilique une fraîcheur nouvelle, comme elle était belle dans son vêtement éclatant de blancheur sous les rayons du plus splendide soleil de printemps ! Quel spectacle admirable, vu du sanctuaire, apparaissait sous ses voûtes à Monseigneur le Cardinal. 

Un nombreux clergé bordant de ses longues files les côtés du chœur, les enfants venus pour recevoir le sacrement de Confirmation, les vête.ments blancs des jeunes filles, la multitude des fidèles pressés dans les bancs et se répandant dans les bas côtés, et la nombreuse compagnie des sapeurs-pompiers sous les armes, échelonnés jusqu'au portail, formaient une assemblée telle qu'on en peut voir seulement dans nos villes aux jours des grandes solennités. Comme au-dessus de cette assemblée les piliers, massifs dans leurs dimensions, mais légers dans l'harmonie de leurs lignes ; comme ces arceaux pleins de hardiesse, comme ces voûtes aériennes, cette abside, ce portail, ce triforium, cet ensemble sévère et majestueux, étaient bien l'enceinte sacrée où le respect redouble et la prière s'inspire. C'était vraiment l'arche sainte digne d'être témoin des plus augustes mystères ! Et nos pères seront toujours nos maîtres dans l'art d'élever des temples dignes de la majesté du Dieu qui veut bien y habiter !

Une chaire en chêne ciré, exécutée au Mans, suivant le style de l'église, par MM. Blotlière et Reboursier, les habiles constructeurs de l'admirable chaire de la Cathédrale, venait d'être posée. Monseigneur le Cardinal, après l'avoir bénie, voulut bien y monter le premier, au cours de la cérémonie, et dans son allocution, s'inspirant de la satisfaction qu'il éprouvait, félicita les paroissiens du zèle qu'ils avaient déployé pour seconder les efforts de leurs curés et ceux de l'administration dans l'œuvre de la restauration de l'église. 

Heurteauville, Le Trait...

Avant de quitter Duclair, Monseigneur le Cardinal avait promis de visiter Heurteauville. Son Eminence s'y est rendue mardi dans l'aprèsmidi. La paroisse s'étend sur la rive gauche de la Seine, en face de la presqu'île de Jumiéges. A trois heures et demie, la péniche de l'administration des douanes, gracieusement mise à la disposition de Monseigneur le Cardinal, attendait Son Eminence au passage d'Yainville.

M. le capitaine des douanes était venu de la Mailleraye, sa résidence, pour avoir l'honneur de l'accompagner. Monseigneur le Cardinal prit place dans l'embarcation, et quatre vigoureux rameurs ne tardèrent pas à la conduire, pavillon flottant au vent, de l'autre côté du fleuve.

Monseigneur mit pied à terre. Reçue par M. le curé, M. le maire et les notables de la commune, Son Eminence se rendit d'abord à l'église ; elle visita ensuite dans tous ses détails le presbytère nouvellement construit sur le bord de la Seine, s'entretint longuement avec les autorités ; puis, montant de nouveau dans la belle embarcation qui l'avait amenée, elle se dirigea vers la paroisse du Trait, située sur la rive droite. Le temps tournait à l'orage ; de gros nuages noirs montaient à l'horizon ; la pluie ne tarda pas à tomber à flots. Mais l'embarcation voguait à toutes rames, et bientôt Monseigneur le Cardinal débarquait au Trait. Le temps s'était rasséréné. Monseigneur se rendit à l'église, et félicita M. le curé des travaux qu'il y avait fait exécuter pour le prolongement de la nef collatérale et l'assainissement des murs.

Rentrée le soir à Duclair, Son Eminence en est partie mercredi matin à neuf heures. A onze heures, Monseigneur le Cardinal était de retour à l'Archevêché.



En 1883, Mgr de Bonnechose se rend à Rome mais, pris d'un malaise à la gare Saint-Lazare, il meurt le 28 octobre. Ses obsèques furent célébrées le 6 novembre. Ce fut la dernière fois qu'un cardinal français reçut l'hommage des pouvoirs publics.



SOURCES

La semaine religieuse, numéros d'avril 1868, d'avril et mai 1874.