En 1726 fut publié le grand dictionnaire géographique, historique et critique de La Martinière. L'article de Jumièges s'appuie sur des Mémoires dressés sur place en 1704.

JUMIEGE, bourg de France, en Normandie, au pays de Caux, fur la rivière de Seine, cinq lieues audessous de Rouen, à trois de Saint-Georges, de Saint-Vandrille & de Caudebec, & cinq quarts de lieues audessous de Duclair, en latin Gemmeticum.

Ce bourg, dont la paroisse est dédiée à Saint-Valentin, est connu principalement par une abbaye royale, qu'en latin en appelle fanctus Petrus Gemmeticenfis. Cette abbaye que possèdent les Bénédictins de la congrégation de S. Maur, fut fondée, vers l'an 650, par S. Philibert, son premier abbé, sous le régne de Clovis II, qui en a été le principal bienfaiteur, avec sainte Batilde, fa femme. 

L'églife, qui porte le titre de S. Pierre, est grande & très-solidement bâtie  avec seize piliers de chaque côté dans fa longueur, & des chapelles autour du chœur, dans lequel on voit un très-grand candélabre de cuivre, à neuf branches, un aigle & six grands pupitres du même métal, très-bien ouvragés. 

Cette vaste église est couverte de plomb, auffi-bien que la grosse tour carrée, ouverte en lanterne, fur le milieu du chœur. Les deux gros clochers de pierres, bâtis à l'antique, d'un même dessein, & à trois étages, s'élèvent beaucoup au-dessus du grand portail, contre lequel est adossée l'orgue, & ils fe terminent en hautes pyramides couvertes d'ardoise. Entre les cloches de cette abbaye, il y en a une du poids de sept milliers. 

On conserve dans le trésor de cette église plusieurs reliques très-précieufes & anciennes, &, entr'autres, celles de S. Philibert, renfermées dans une très belle châfse d'argent, représentant une église des mieux ornées d'architecture & de sculpture. 

On y voit encore diverses figures d'argent, & deux chefs aussi d'argent, dans l'un desquels est la tête de S. Valentin, évêque & martyr, & dans l'autre une partie de celle de S. Leger, évêque d'Autun, & de S. Aicadre , second abbé de Jumiege. 

Le cloître, à côté de l'églife, est grand & très beau. Les bâtimens des religieux tiennent beaucoup de l'antiquité. On en a commencé un nouveau de trois cents dix pieds de longueur fur une même ligne. 

La bibliothèque est grande & très-bien fournie de livres & de manuscrits, dont quelques-uns font fort rares.

La maison abbatiale est bâtie de neuf, & à la moderne. Le terrein que l'abbaye de Jumiege occupe, est fort étendu, & les jardins font très-fpacieux. Le voisinage d'un bois, les prairies & la rivière en rendent le séjour agréable. 

Elle a droit de pêche &, possede plusieurs baronnies. 

On lit dans le cloître les inscriptions suivantes: Les deux aînés de Clovis II, & de sainte Batilde, s'étant révoltés contr'elle, pendant un voyage d'outre-mer de Clovis, vaincus & pris dans le combat, qu'il revint fur ses pas pour leur livrer, furent condamnés à avoir les nerfs des bras coupés. Ainsi énervés à Paris, mis & abandonnés fur la Seine, dans un bateau fans bateliers ni avirons, ils abordèrent au port de Jumiege, accompagnés d'un seul serviteur. S. Philibert les y alla prendre, & les reçut religieux en ce monaflere ils font inhumés.

S. Aicadr , choisi par S. Philibert, pour lui succéder au gouvernement de ce monaflere, & Jecond abbé, vers l'an 670, ayant demandé à Dieu le nécessaire pour la fubjzJlance de neuf cents religieux qu'il y avoit, fut averti par un ange, que quatre cents cinquante iroient en trois jours au ciel; & l'ange entrant de nuit dans le dortoir les déjlgna d'une baguette. Le saint fait rapport en chapitre, de cette révélation-.

Vers le milieu du neuvième siècle, les Danois étant entrés dans la Neuflrie par la rivière de Seine, avec une puissante flotte , que le fameux & redoutable Hafting commandait, fous les ordres du prince Bier, surnommé Côte de Fer, abordèrent à Jumiege, après avoir saccagé une grande étendue de pays, y mettant tout à feu & à sang, & massacrant plufieurs religieux, tandis qnt les autres fe dérobent par la fuite à leur fureur, & ce qu'ils ont de plus précieux, vont chercher un asyle dans le Cambrésis, au prieuré d'Aspre, dépendant de ce monaflere.

Guillaume Longue-Epée, duc de Normandie, chassant dans la forêt de Jumiege, y trouva deux moines qui lui racontèrent comme leur monaflere avoit été ruiné & lui présentèrent du pain d'orge & de l'eau, qu'il refusa avec mépris; & continuant fa chaffe, il rencontra un sanglier qu'il blessa. Le sanglier se jetta sur lui & le renversa. Le duc revenu à foi, retourna aux religieux, reçut leur présent, promit de rebâtir leur monaflere. II le fit & y mit, vers l'an 904, dou{e moines avec Martin, leur abbé, que fa sœur, comtesse de Poitiers, avoit tirés de Saint-Cyprien.

Tassihon , duc de Bavière & Teudoj son fils, font enterrés dans cette abbaye, qui fut réformée, l'an 1616, par les Bénédictins de la congrégation de S. Maur. Elle a produit plusieurs hommes illustres; S. Hugues, abbé & archevêque de Rouen; S. Eucher, évêque d'Orléans; Robert, évêque de Londres & de Cantorbcry ; Fréculfe, évêque de Lifieux; Jacques d'Ambroise, évêque de Clermont; & Hélilacar, abbé & chancelier de Louis le Débonnaire.  

Mémoires dressés fur les lieux en 1704. 

Source

Le grand dictionnaire géographique, historique et critique Par Antoine Auguste Bruzen de la Martinière, Libraires Associés (París), 1726-1739.

L'article Duclair : "Ducler, bourg condiferable de France au Pays de Caux. Il eft fitué à l'Embouchure de la petite riviere d'Enne dans la Seine, quatr lieues au-deffous de Rouen, entre les Abbaye et St Goerge & de Juméges. Son Eglife paroiffiale porte le titre de St. Denis, & tous les Mardis on y tien un gros marché. il y a beaucoup d'Artifans, des fours à chaux & une voiture d'Eau pour tranfporter des grains à Rouen. Le terroir produit de bon bled, des fruits, des Chanvres & du bois à brûler. Un quart de lieue au-deffous de Ducler, affez proche du rivage de la Seine, on y voit le Château dit le Tailli, qui eft d'une affez belle apparence."