S'il est au moins quelqu'un qui, dans le canton de Duclair, se félicita de l'occupation prussienne, c'est bien le complice de l'assassin de Delacroix, à Sainte-Marguerite. Sans les Teutons, il aurait sans doute tâté du cachot...

A Sainte-Marguerite-sur-Duclair, sous l'occupation prussienne, période trouble s'il en est, Louis Amable Delacroix habitait une partie de la maison de la veuve Lieury. Une partie mais il franchissait régulièrement les limites de son territoire pour honorer sa propriétaire. Veuve depuis maintenant huit ans, cette maîtresse avait la quarantaine encore sémillante.

Brutal, Delacroix s'était fait redouter des jeunes enfants Lieury avec qui il avait de fréquentes disputes.

Dans cette habitation vient souvent un chiffonnier de Pavilly, natif de Croixmare. Il s'agit de Pierre-Gustave Hurard, 31 ans. Le jeune homme s'apprête à épouser l'aînée des filles de la maison.

Un complot pour l'abattre...

Le 26 novembre 1870, une violente discussion oppose encore Delacroix aux enfants Lieury. Ceux-ci se décident à se débarrasser de l'amant de leur mère. Et Hurard sera leur bras armé. Dans la soirée, celui-ci se rend chez un voisin, à quelque 300 pas de là.

— Peux-tu me confier ton fusil, lâche-t-il sans ambages, je vais tuer Delacroix !
— Prends-le, acquiesce l'autre sans sourciller. Mais attends un peu, la charge est un peu vieille et je crains que tu n'obtiennes pas l'effet désiré. Je vais le recharger, ainsi, tu ne risques pas de rater ton coup...

Ainsi armé et fort de cette oreille complaisante, Hurard retourne dans la cour des Lieury et tombe nez-à-nez avec Delacroix. Nouveaux propos injurieux de part et d'autre. Le chiffonnier n'hésite pas : il fait feu sur Delacroix à bout portant. Un projectile le touche au cœur, le second à l'abdomen. Deux coups mortels. La victime rend très vite son dernier soupir.

Le complice échappe à la Justice

Une information fut ouverte et le juge d'instruction décida de la mise en accusation de Pierre-Gustave Hurard. En revanche, on ne retint pas de poursuites contre le voisin pour complicité de ce crime. Offusqué, le procureur général s'opposa à cette ordonnance mais les Prussiens occupant alors le canton de Duclair, il ne fut pas possible à l'officier ministériel de se transporter jusqu'au domicile du relaxé pour lui signifier cette décision.

Le dénouement

Après l'Armistice, l'ordre étant revenu dans les affaires, la chambre des mises en accusation reprit le dossier et jugea nulle et non avenue l'opposition formée par le procureur général. Si bien qu'en février 1871, c'est seul que comparut Pierre-Gustave Hurard devant la cour d'Assises de la Seine-Inférieure. L'avocat général Pouyer occupait le siège du Ministère public et l'accusé était défendu par Maître Regimbard, commis d'office. On reconnut à Hurard des circonstances atténuantes et il écopa de vingt ans de travaux forcés. Il allait donc rejoindre le bagne et sa fiancée ne l'attendra pas. Elle mourra peu de temps après, de chagrin dirons-nous.

On ignore le nom de ce fameux voisin, fournisseur d'arme, qui devait bénir les Prussiens en coulant des jours heureux. Quant à la maîtresse de feu Delacroix, deux fois veuve en quelque sorte, elle se remaria quelques années après la mort de son amant. Avec son voisin ? Ça, l'histoire ne le dit pas. Les registres de Sainte-Marguerite de cette époque ont disparu...



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