Laurent QUEVILLY.

La drôle de guerre dans le canton de Duclair. La voici brièvement vue d'Yainville. J'ai pris pour fil d'ariane l'histoire d'Andréa et Raphaël Quevilly qui habitent une petite chaumière près de la mairie. 



1939

La mobilisation générale fut proclamée le 2 septembre 1939 à 12h45. On vit refleurir ces affiches blanches aux drapeaux entrecroisés. Le lendemain, à 17h, la France était officiellement en guerre contre le IIIe Reich.

Ce mois-là, un camion de la Savonnerie percute et tue à Rouen une fillette. Le chauffeur s'enfuit.

Au conseil municipal d'Yainville du 1er octobre, on compte Dominique Piot pour absent ainsi que MM Blaise, Brunet et Quevilly mobilisés.Raphaël Quevilly fut appelé  sous les drapeaux. Le maître ouvrier rejoint ainsi le 3e RI à Soissons.
Son orteil droit lui vaudra de revenir le 6 décembre à Yainville. Il le doit à l'opération d'une exostose. Il est alors affecté dans une usine de sa région mais, en attendant, il devient ajusteur itinérant pour la Havraise. Pour compenser les agents mobilisés ou prisonniers, des anciens sont réembauchés à la centrale. 

1940

A Yainville, l'hiver est très rude. La Seine charrie des glaces. Elle est bloquée début janvier.  Raphaël Quevilly est affecté à la Havraise et occupe un poste d'ajusteur itinérant.

En février, Raphaël est détaché aux chantiers du Trait.

Mars 40 : le conseil de Lévêque demande à Duclair qu'un boucher approvisionne la commune en viande. "Vu les difficultés de pouvoir d'achat".

Avril 40 : la nuit du 13, sortant d'un bal au Trait, Louis Leroux, chef de quart à la savonnerie, André Léplanche, charretier chez Garzinski et Marcel Mézou, chauffeur dans la même entreprise, sont fouillés plaine d'Yainville à 4h30. Ils ont volé 75 savons. Maison d'arrêt. Correctionnelle...

Mai. 
La bataille de France est engagée. Tout va se précipiter. Le 20 mai, missionné comme ajusteur par les chantiers du Trait, voilà Raphaël à Grand-Quevilly sur la construction de l'Alsace-Lorraine. Ces travaux relèvent des ACSM.


Ouvriers affectés en mai 1940 au chantiers de Normandie Raphaël Quevilly est le 2e à partir de la droite.

Dimanche 9 juin, les  chars allemands fondent sur Rouen. Des gens qui fuient la ville poussent jusqu'au Val-de-la-Haye, jusqu'à Duclair, jusqu'à Caudebec. Partout où se trouve un passage d'eau, les plantons français et britanniques, qui ont consigne d'en interdire l'entrée, sont impuissants à contenir la vague humaine. Elle déferle irrésistible, rompt tous les barrages et prend les bacs d'assaut. Ceux-ci, surchargés de véhicules militaires, risquent à chaque instant de sombrer. Ils s'enfoncent jusqu'au ras des flots. De redoutables remous ajoutent au danger ; ils sont causés par de gros cargos qui s'éloignent de Rouen à toute vapeur. Dans les bousculades qui se produisent, des familles sont séparées ; des enfants affolés arrivent sur l'autre rive sans pouvoir retrouver leurs parents.

Des maires, venus de différentes communes du Département pour consulter le Préfet introuvable, ont été bloqués à Rouen. Ils ont finalement pris le chemin de l'exode. M. Levasseur, maire de Dieppe peut, avec bien du mal, traverser par le bac à Duclair en compagnie de plusieurs de ses adjoints, dont M. Bénoni Ropert qui emporte le drapeau de la Mairie dans sa valise. Plus de 4.000 autos embouteillées à Duclair et à Caudebec sont abandonnées sur place avec tout leur chargement. C'est une cohue indescriptible.

Voici comment le directeur des chantiers du Trait résume la situation

Monsieur le général commandant la 3ème région militaire mobilisée

Mon général,
J'ai l'honneur de vous faire connaître qu'aujourd'hui 9 juin 1940 :

1°) A 5 heures du matin, le directeur de la Société havraise d'énergie électrique à Yainville m'a informé qu'en raison de la situation il arrêtait son exploitation.

2°) M'étant rendu dans les chantiers que je dirige, j'ai constaté à 6 heures du matin que la station d'Yainville ne fournissait en effet plus de courant, ce qui avait pour conséquence :

a) de me mettre dans l'impossibilité d'assurer la marche des ateliers et dans l'obligation d'arrêter tout travail,

b) de priver totalement d'électricité et par voie de conséquence d'eau la cité du Trait,

3°) que vers 7 heures la raffinerie de La Mailleraye de la Standard française des pétroles, qui est proche des chantiers, a été mise en feu, suivant des dispositions prévues et ordonnées et que des explosions s'en sont suivies.

4°) Ces faits et notamment le dernier ayant eu pour conséquence de jeter le trouble dans la population, il s'est produit un exode vers la rive gauche de la Seine.

5°) Ayant rassemblé mes collaborateurs et une certaine partie de son personnel ouvrier, notamment celui qui était commandé pour travailler ce jour, j'ai pris la décision de transférer sur la rive gauche les archives les plus importantes de l'établissement.

6°) J'ai, dans la matinée, envoyé en vue d'obtenir des ordres (je dois rappeler en effet que depuis la veille 10 h. les communications téléphoniques étaient interrompues) un motocycliste qui, à deux reprises, n'a pu dépasser Duclair. Dans la matinée également, le lieutenant de vaisseau David, chargé du commandement des navires en achèvement, a envoyé en mission à motocyclette un marin qui a pu atteindre Rouen mais n'a rapporté aucun ordre et seulement des nouvelles confuses et de caractère peu rassurant.

7°) Vers 13 h. ayant constaté que la presque totalité de la population civile, les femmes et les enfants, ainsi qu'un grand nombre de membres du personnel que je n'avais pu atteindre car le travail, ce dimanche, n'étant prévu que pour les constructions urgentes, ne comportait qu'un effectif réduit, j'ai pris la décision de commencer le transfert sur la rive gauche des membres de mon personnel qui étaient groupés autour de moi et leur ai donné rendez-vous à La Mailleraye.

8°) A 15 heures un remorqueur est venu apporter des ordres de la Marine pour que deux chasseurs, le chasseur 15 en achèvement appareillant par ses propres moyens et le chasseur 16 lancé la veille pris en remorque soient immédiatement évacués, ce qui a été exécuté aussitôt.

9°) Ayant fait effectuer une ronde générale dans la cité, j'ai constaté qu'elle était pratiquement vide et qu'il n'y restait plus que M. Dupuich, maire du Trait, M. Mahé, receveur des postes, M. Boudrenguin, ingénieur des directions de travaux de la Marine, j'ai à 15 h. 30 pris la décision de passer moi-même sur la rive gauche.

Je suis actuellement à La Mailleraye-sur-Seine, en face des Ateliers et Chantiers de la Seine-Maritime, ayant autour de moi la grande majorité de mon personnel, auquel j'ai enjoint de rester à ma disposition et à mes ordres et j'ai l'honneur de solliciter des ordres et instructions de votre part que je vous serais reconnaissant de vouloir bien me faire parvenir par écrit par le porteur : soit, si vous le jugez nécessaire, un ordre d'évacuation me permettant d'exécuter les dispositions prévues par l'Inspection du travail pour le repliement de la main d'œuvre dans cette éventualité.
- soit, me permettre de continuer mon exploitation, ce qui suppose l'alimentation normale en force motrice et la réalisation d'une protection militaire de l'établissement qui, ainsi que je l'ai porté à votre connaissance par plusieurs lettres antérieures, en est totalement dépourvu (DCA, mitrailleuses, garde et surveillance militaire).
Je dois ajouter que dans le cas où un ordre d'évacuation me serait donné, je suis dans l'impossibilité de procéder à une destruction quelconque des installations ou des constructions en cours, parce que d'une part, je n'ai reçu à cet effet aucune instruction et que, d'autre part, malgré mes demandes et ainsi que vous l'avez vous-même confirmé, il n'était pas possible à l'autorité militaire de me faire délivrer les explosifs nécessaires.

Je vous prie d'agréer, mon général, l'assurance de ma considération distinguée.

Les Allemands occupent le canton dès le 10 juin. Ils prennent possession de Duclair à 13 h 30. Le général Paulus va établir son état-major au manoir des Zoaques, à Yainville.


Pour parer au manque d'électricité, le courant sera rétabli, grâce à la remise en service de la Centrale Electrique d'Yainville et de Quevilly.

Tandis que les Allemands entrent à Rouen le 9 juin et que le bac de Duclair pique du nez. Raphaël est appelé à rallier les chantiers Delmas-Vieljeu à La Pallice en qualité d'ajusteur. Le train ne circule plus, il s'y rend avec Andréa en voiture
Les chantiers de La Palice ferment leurs portes le 17 juin. Le 18, Raphaël et Andréa aperçoivent au large le Champlain, coulé par une mine. Le même jour, de Gaulle s'envole pour l'Angleterre, Pétain prend la parole.

Ce fameux 18 juin, les Quevilly prennent la route pour le Sud. Mais les Allemands stoppent leur exode à Rochefort. On leur ordonne de retourner à Yainville. Le soir-même, de Gaulle lance son fameux appel. L'Armistice intervient le 21 juin. La France du nord est occupée.


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