
"Maman
les p'tits
bateaux qui
vont sur l'eau ont-ils des jambes..." Né le 4 mai 1826 dans
la douceur angevine, Ernest Bazin dut être bercé
par cette comptine. Car il sera capitaine au long cours et surtout
inventeur d'un bien curieux navire. Perché à six
mètres au dessus de l'eau, il sera propulsé par
des roues flottantes dotées de moteurs. Résultats
espérés: des pointes de 30 noeuds,
une économie de carburant. Bref, New York ne sera
bientôt plus qu'à quelques heures de nous...
Mais avant d'en arriver là, il aura tout inventé, Ernest Bazin. Tout ! De la charrue électrique, au lit pneumatique en passant par l'alarme des wagons de voyageurs, le perce-tunnel du Mont-Cenis... On lui doit même un phare qui, en 1870, durant la défense de Paris, démasque les troupes prussiennes. Après quoi, notre méritant titulaire de la Légion d'honneur expérimente ses dernière trouvailles subaquatiques au large de Vigo. Là, il s'agit de remonter les trésors de galions enfouis...
Son navire rouleur, il y pense depuis belle lurette. Durant cinq ans, il expérimente un modèle réduit sur un lac de Vincennes. Un brevet est déposé le 15 juin 1892. En 1893, Ernest fonde une société par actions en compagnie de Marcel Bazin.
39
mètres de long, six
roues de dix mètres de diamètre, une
capacité de 100 passages... mis en chantier
en juillet
1895 dans les chantiers Cail, à Saint-Denis,
l’Ernest-Bazin
entre en Seine Seine, le 19
août 1896. Dès lors, il devient un maronnier pour
la presse française. Mais aussi anglosaxonne.
LES ESSAIS DE DUCLAIR
Mars 1897, le Journal de Rouen s'en fait l'écho :
« Revenu à son poste d'amarrage depuis quelques jours, L'Ernest-Bazin va repartir jeudi pour reprendre ses expériences dans les parages de Duclair-Hénouville.« Ces expériences doivent se poursuivre méthodiquement, d'après une progression déterminée. L'Ernest-Bazin n'est qu'un appareil d'essai, établi en vue d'études pratiques ayant pour but la détermination des conditions d'un type définilif.
Les essais qu'il poursuit depuis quelque temps se font sur des parcours rigoureusement mesurés et dans des temps limités.
« On se propose d'arriver à établir, d'une façon absolument mathématique, quelle doit être la puissance des appareils moteurs pour des routeurs d'un diamètre double de ceux de L'Ernest-Bazin, et capables par conséquent d'accomplir de véritables traversées maritimes.
« Etant donné qu'il s'agit d'une complète révolution dans les données nautiques connues, cela nécessite, on le conçoit, des calculs rigoureux, plusieurs fois contrôlés, sur des bases fixes. Cela seul suffirait à expliquer des tâtonnements, des lenteurs qui ne surprennent plus lorsqu'on réfléchit et qu'on songe que, pour l'application d'une théorie nouvelle, il n'est que bien rationnel de vouloir ne rien laisser au hasard.
« On assure que les essais réalisés jusqu'à ce jour, suivant la lente progression dont on n'a pas voulu se départir, ont tous successivement, aux diverses vitesses ordonnées, confirmé les prévisions de l'inventeur. C'est déjà quelque chose... »
De Duclair au Havre
Avril 1897. Les colibets lassent les tenants du projet et il est temps de passer à l'action. Le navire quitte les parages et Le Petit Havre fait à son tour ses choux gras de son arrivée sur les bords de la Manche.

« Le bateau-rouleur, l'Ernest-Bazin, est entré dans le port du Havre, hier soir, vers six heures, venant de Duclair. A ce moment de la journée, les promeneurs, favorisés par un temps superbe, étaient encore en grand nombre sur les jetées. »
A bord : le capitaine de vaisseau Vranken, commandant du navire ; M. de Caladon, lieutenant de vaisseau, commandant en second ; M. Gabillard, officier mécanicien, MM. Parrot et Lecomte, ingénieurs, plusieurs administrateurs de la Société qui a réalisé le projet de M. Bazin : MM. le baron Henri de Caladon, le comte Balbiani, Veli et Hertz. Bazin ? Souffrant, il est retenu à Paris.
« Des incidents? nous déclare M. le commandant Vranken, mais il n'y en a pas ! Tout s'est passé all right comme on dit de l'autre côté de la Manche, et cette première sortie nous a laissé l'impression la plus favorable. Bien entendu, nous n'avons pas cherché, pour ce début, à faire des prodiges de vitesse; il faut retenir, d'ailleurs, que l’Ernest- Bazin n'est qu'un navire d'essai, un bateau d'études où nous expérimentons un système neuf….
« Nous sommes partis de Duclair, ce matin, vers dix heures et demie, à peu près à l'improviste. Hier soir, nous n'avions pas encore fait notre charbon, et ce n'est que ce matin, encouragés par le beau temps, que nous nous sommes décidés à lâcher définitivement les amarres. M. Gabillard, l'officier mécanicien du bord, s'est chargé lui-même de faire embarquer le combustible une heure avant le départ. Le navire s'est admirablement comporté. Le pilote Baril nous a conduits jusqu'à Quillebeuf, où nous avons attendu le flot, et le pilote Palier nous a amenés ici, sans que l’Ernesl-Bazin ait cessé de prouver sa parfaite navigabilité.
« Les rouleurs ont fonctionné à souhait, sans trépidations, sans bruit, et, fait à noter qu'il sera intéressant de suivre par temps moins propice, la stabilité a été si absolue que nous aurions pu facilement faire une partie de billard sur le pont, sans être gêné dans les carambolages. »
UN ECHEC
L’objectif de l’équipage est de peaufiner les réglages. Et rouler pour aller surprendre nos voisins anglais. Mais c'est un échec total. Instabilité, vitesse réduite par une trop grande immersion des roues... Par deux fois, le navire doit avoir recours aux services d’un remorqueur. Sous le regard de savants anglais pourtant fort intéressés...
Fiasco technique. Fiasco financier. Ernest Bazin meurt le 18 janvier 1898. Laissant les plans du modèle définitif capable, c'est certain, d'avaler l'Atlantique en quatre jours. On mit en vente le prototype à Liverpool. Au prix des matériaux. Personne ne se présenta à l'adjudication.
Sources
Sylvain Bertoldi, conservateur des archives d'Angers qui affirme par ailleurs qu'Ernest Bazin est le grand oncle de l'auteur de Vipère au poing.La science française 1897.
Le journal des transports, 1897.