
Le mardi 24 août 1762 est jour de marché à Duclair. Ce jour-là, Nicolas Duchesne, fin botaniste, assiste aux audiences de la Justice . « Nous avons ensuite dîné à l'auberge du baillage, chez un des Hupé, A l'Ecu de France. M. de Fréville, nouveau conservateur des chasses, qui venoit d'être installé, nous a payé sa bienvenue en gibier de sa chasse. M. du Vrai et M. Planquet, fermier du prince, et M. de la Saune, avocat, ont dîné avec nous. Après dîner, nous avons rendu visite aux beautés de la place. Mlle Bouteillé mérite la pomme, Mlles Hamelin et Hupé, quoique sous ordres, ne sont point indifférentes...»
Cette scène se déroule quinze ans avant le procès qui va nous intéresser. Originaires de Berville, les frères Hupé tenaient commerce à Duclair. Antoine, l'aîné, est sans doute l'aubergiste de l'Ecu de France. Quant à son frère, Pierre, il était marchand-cabaretier. C'est le fils de ce dernier qui sera l'un de nos personnages...
Une passion tumultueuse
Marie Anne Angélique était la fille de Pierre Binard et de Marie-Anne Glatigny. Elle était née le 11 janvier 1749 à Duclair et avait eu pour parrains Adrien Braquehais, de Saint-Paër et Catherine Leclerc, la femme de Pierre Maupoint. Son père mourut à 55 ans, en 1772. Marie Anne en avait alors 23. Le témoin du décès furent Pierre Binard fils ainsi que Jean Sécard, autre meunier du Vaurouy. |
Vers ses 15 ans,
Pierre Hupé fils dut découvrir les
mystères de la chair avec la fille du meunier, Marie Anne
Binard, de cinq ans son aînée. C'est aux environs de 1769 qu'ils commencent, selon une expression locale, à se « hanter ». Leur liaison va durer huit ans. Tumultueuse. Elle confirme que les tenants des moulins étaient bien de mœurs légères et de vert langage. Mais comme nous allons le voir, ils couraient les pèlerinages autant que le guilledou. |
C'est
après la mort de
son père que l'image de Marie Anne Binard semble
se dégrader. Non seulement
on lui prête un autre amant en la personne de Vincent
Sécart, un
homme marié. Mais on l'accusera à l'occasion de
satisfaire dans un
même lit l'appétit charnel de plusieurs hommes.
Bref, une libertine
aux yeux de certains. Pire, accuse Hupé : une
prostituée...
Marie Anne a maintenant 28 ans. Quand elle ressent les promesses de l'enfantement. Le 20 janvier 1777, le bailli de la haute justice de Duclair étant absent, elle se retrouve devant Maître Joret, le procureur fiscal. Huchet, le greffier, note qu'elle se déclare enceinte de quatre mois des œuvres de Pierre Hupé, « garçon âgé de 23 ans, ouvrier horloger, demeurant chez son père au dit bourg de Ducler, lequel est parvenu à la baiser et à la mettre dans l'état de grossesse d'où elle est sous promesses de mariage qu'il lui a maintes fois répétées depuis huit années qu'il la fréquente. » On lui accorda acte de sa déclaration, document indispensable pour obtenir du père toute l'aide nécessaire à l'éducation de l'enfant à naître. Mais Hupé ne l'entend pas de cette oreille...
Les 4 et 6 février suivants, Marie Anne saisit le tribunal, le 10, Hupé reçoit une assignation à comparaître, le 15, l'affaire est examinée. La femme est défendue par Me Baudouin, l'homme par Me Neufville.
Baudouin conclut « qu'il plaise au siège accorder acte à la fille Binard des reconnaissances passées par Hupé dans son écrit de défense qu'il l'a fréquentée pendant plusieurs années, que souvent il a dansé avec elle, que dans tous les temps, il lui a donné ses linges, hardes et culottes à raccommoder, qu'elle l'a visité durant sa maladie, qu'ils ont été ensemble aux Andelys sous le prétexte de pèlerinage et couché dans la même chambre, sur le même lit et qu'il a couché plusieurs nuits chez elle et vu ce qu'il résulte des dites reconnaissances, vu aussi ce qui résulte de la déclaration de grossesse par elle passée au greffe du 20 janvier dernier, condamner le dit Hupé à une provision de 400 livres pour satisfaire tant aux frais de gésine (grossesse et accouchement) qu'aux frais de l'instance, ordonner que provisoirement, en cas d'accouchement de l'enfant dont elle est enceinte il sera baptisé sous le nom du dit Pierre Hupé. »
Accusée de prostitution ! ![]() |
Baudoin reproche à Hupé d'avoir accusé la fille Binard de prostitution et plaidé la chose sans preuve lors d'une séance précédente. L'avocat entend donc faire « déclarer les dits faits faux et calomnieux, le condamner à lui faire réparation d'honneur à l'audience séante et de reconnaître que c'est méchamment et sans aucun prétexte qu'il les a imaginés, laquelle réparation sera inscrite sur le plumitif et une expédition d'icelle délivrée à la fille, le condamner en outre 3000 livres d'intérêts pour valoir de plus amples réparations et ordonner que la sentence à intervenir et l'acte de réparation seront imprimés, lus, publiés et affichés dans l'étendue du siège, le tout à ses frais et dépens, sauf encore à M. le procureur fiscal, dont l'adjonction est demandée à conclure pour la vindicte publique ce que sa prudence lui suggérera. |
Que, depuis plusieurs années, il la fréquente sous promesse de mariage.
Que depuis longtemps, il l'accompagne toujours, soit pour aller et revenir de la messe et des vêpres, soit pour aller aux assemblées (fêtes patronales), qu'il n'allait aux assemblées qu'autant qu'elle voulait bien l'y suivre, qu'ils ont encore été semble, l'année dernière, aux assemblées de Notre-Dame d'août, de Sainte-Gilles et de Sainte-Anne.
Que depuis plusieurs années, à peine, à peine avait-il pris ses repas chez ses parents, il allait la visiter dans sa chambre et que durant la quinzaine qui a suivi le jour des morts, année 1776, il a continué encore ses visites, que le lendemain de la Saint-Denis, même année, icelui aurait apporté à garder l'argent qu'il avait gagné le jour de la foire et deux pistolets qui lui avaient été confiés par un marchand.
Que lors d'une maladie qu'il essuya, il y a quelques années, il ne voulut recevoir de remèdes que de la main de cette fille, qu'elle était toujours à ses côtés, que même sur les instances de Hupé, sa mère serait venue la chercher pour rester auprès de lui.
Qu'il y a deux ans ou environ, ils furent ensemble aux Andelys sous le prétexte d'un pèlerinage, tous deux montés sur le même cheval, que lorsqu'ils y furent arrivés, Hupé, au lieu de rester à souper avec les autres habitants de Ducler, quitta la compagnie et l'entraîna avec lui pour aller souper dans une autre auberge avec un meunier du lieu qu'il connaissait où étant il dit qu'elle était sa femme.
Qu'à l'époque du mois de juillet 1775, vers le 9 ou le 10, les père et mère de Hupé lui ayant défendu de la hanter, il quitta leur maison et vint durant cinq ou six jours consécutifs coucher dans la maison de la dite fille.
Que depuis qu'il la fréquente et entre autres jours les fêtes de Saint-Gilles et de Sainte-Anne 1776, il a été vu, plusieurs fois, porter la main dans son sein et sous ses jupes.
Qu'il s'est vanté plusieurs fois, en sortant de la maison de cette fille, qu'il venait d'y baiser son petit coup.
Qu'il s'est vanté plusieurs fois qu'il la baisait autant que le voulait et pouvait, depuis qu'il lui avait promis de l'épouser, qu'il avait eu avec elle plus de coups qu'elle n'a de dents à la bouche.
Enfin que plusieurs fois, en différents temps, et entre autres deux jours avant la déclaration par elle passée, il a déclaré qu'il avait fait note de l'époque de sa grossesse et qu'il conservait sa note parce que si elle accouchait justement à l'expiration des neuf mois, il se chargerait de l'enfant, qu'autrement il le lui laisserait.
Aux fins de laquelle preuve, mandement serait fait à la dite fille pour assigner témoins.
Le 10 juin 1777, l'affaire revint devant la cour. Boudouin développait les mêmes arguments. Neufville, lui, défendait bec et oncle son client. Bref, la Justice n'avait pas tranché et nous étions à la veille de l'accouchement.
Marie Anne mit
effectivement une fille au monde le 11
juin. Dès le lendemain, Jeanne Charlotte Brière,
la sage-femme,
épouse de François Simon, alla
présenter l'enfant au curé Delanos. Elle
reçut le même prénom que sa
mère. Mais pas le nom de son père
comme l'avait espéré Baudoin. Le parrain fut
Nicolas Petit, garçon
meunier et Marie-Marguerite Binard, la sœur de notre
pécheresse. Un mois passa et le procès s'ouvrit.
Chacun allait produire ses témoins et les auditions débutèrent le mardi 22 juillet 1777, jour de marché. L'homme qui va conduire les débats, en l'absence encore une fois du bailli, sera François Barthélémy Lepeu, licencié es loi, avocat à la cour, faisant ici fonction de juge et assisté de Pierre Amand Hucher, le greffier. Les débats vont révéler qu'à Duclair, les murs ont des oreilles. On s'épie entre voisins. Mais la société locale n'est pas statique. On se déplace beaucoup dans les autres paroisses pour les fêtes religieuses : à Varengeville, à Jumièges mais aussi à Rouen, aux Andelys... Le soir s'éternisent les veillées durant lesquelles les femmes filent. On danse dans sous la halle, on joue aux boules sur les hauteurs du Catel, on fume la pire, on boit de l'eau de vie dans les nombreux cabarets. On mange aussi une spécialité locale : un petit pain doté de cornes et appelé limaçon. Le temps fort de l'année semble la foire Saint-Denis où l'on peut gagner quelques sous...
Les premiers témoins cités par Marie-Anne vont confirmer la liaison qu'elle entretenait avec Hupé.
Noël
Debayse,
âgé
de 57 ans, perruquier, demeurant au bourg de la paroisse de Duclair.
Dépose que le jour de Saint-Romain 1776, sur les deux ou trois heures du matin, il a entendu le nommé Hupé et la fille Binard qui étaient près de sa maison et qui appelaient plusieurs personnes pour aller à la foire de Rouen avec eux. Ce qui engagea le dit déposant de descendre de sa chambre et de se mettre sur sa porte, hors de quoi il vit le dit Hupé et la fille Binard aller sous la halle.
Ajoute qu'il les a vus différentes fois ensemble et en différents endroits.
Qu'il y a environ trois ou quatre ans, le dit Hupé et la fille Binard étant ensemble dans la cour de Hupé, il entendit quelqu'un qui disait :
— Eh, baise-là !
Sans que pour cela, le dit déposant ait rien vu. (Rappelons son nom : Debayse.)
La faée d'saint Romain
Créée au XIIe siècle, la foire Saint-Romain, dite aussi foire du Pardon, s'ouvrait le 23 octobre, jour de la fête du Saint, par une vente de bétail mais surtout la libération d'un criminel, gracié à l'Ascension en vertu du privilège de saint Romain.
Le malfrat libéré devait alors soulever la fierté, autrement dit la châsse renfermant les reliques du saint.
Née au VIIe siècle, cette tradition a perduré jusqu'en 1790. Elle tient d'une légende selon laquelle un condamné à mort aurait débarrassé Romain d'un monstre, la gargouille, contre la vie sauve.
La foire se poursuivait jusqu'en novembre avec la vente d'objets usuels et de bijoux et des animations théâtrales.
Jean
Delafosse, 32
ans, boucher, Duclair,
Dépose que depuis plusieurs années, il a vu la Binard et Hupé fils ensemble fort souvent, scavoir le dit Hupé dans la boutique de son maître (l'horloger Poisson) et la dite fille en dehors causer avec lui.
Qu'il y a environ quinze mois, étant à boire avec le dit Hupé et un troisième à lui inconnu, le dit Hupé leur dit qu'il avait foutu la fille Binard plus de fois qu'il n'avait de dents à la bouche.
Foutre, le terme reviendra souvent dans les débats pour signifier ce que vous devinez...
Marie-Anne
Lefebvre,
femme de Jean Delafosse.
Dépose qu'elle a connaissance que la fille Binard et Hupé fils se fréquentaient depuis longtemps et se trouvaient souvent ensemble avant le procès.
Qu'il y a environ un an, le dit Hupé et la fille Binard engagèrent la déposante de leur permettre de s'expliquer chez elle à l'occasion de quelques arrangements qu'ils avaient à faire à faire ensemble à cause d'un petit froid qu'ils avaient eu.
Que la déposante leur ayant permis, ils montèrent dans sa chambre, là où ils s'expliquèrent en présence de la déposante.
Qu'ils se présentèrent l'un et l'autre de manière qu'ils se déchirèrent.
Après que le dit Hupé dit à la dite fille Binard :
— Si ma mère te dit quelque chose, ne lui répond point. Elle a beau faire, je t'aimerai toujours et cela m'empêchera point de nous hanter.
Qu'outre l'explication ci-dessus, elle a vu quelques fois le dit Hupé prendre sur ses genoux la dite Binard lorsqu'ils étaient chez la déposante auprès du feu.
Qu'elle se rappelle que le jour que le dit Hupé et la fille Binard étaient montés dans sa chambre, le lit de la déposante qui les laissa seuls paraissait un peu abattu d'un côté et que le lendemain, en faisant son lit, elle trouva le mouchoir du dit Hupé dessus et le remis à la dite Binard pour le lui remettre.
Noël
Loisel, 32 ans,
journalier, Duclair (il est
l'époux de Madeleine Ponty)
Dépose qu'il y a environ deux ans, vers les Rois, étant à danser avec plusieurs de ses camarades sous la halle du bourg où était la fille Binard et plusieurs autres filles, que Hupé eut querelle avec la dite fille Binard,
Qu'il la menaça de lui donner sur le visage, qu'il la traita de gueuse, de garce et qu'il lui reprocha d'avoir voulu déboutonner sa culotte et qu'il l'avait foutue plus de coups qu'il n'avait de dents à la bouche,
Qu'il eut l'insolence de la vouloir mettre hors de la halle, ce qui indisposa le déposant et plusieurs de ses camarades qui dirent à la dite fille de rester, ce qu'elle fit. Le dit Hupé s'en alla.
Dépose en outre qu'il a connaissance que le dit Hupé et la fille Binard se fréquentaient depuis longtemps et qu'ils ont fait ensemble différents voyages, notamment celui de la Saint-Romain dernière.
Jacques
Tribout, 45
ans, journalier, Duclair.
Dépose que toutes connaissance qu'il a des dits faits de l'appointement est que, comme voisin de la fille Binard, et n'ayant que la muraille qui les partageait, il a entendu nombre de fois, de nuit et de jour, le dit Hupé dans la chambre de la dite Binard et que depuis longtemps ils ne cessent de se fréquenter.
Les témoins cités par Hupé vont, quant à eux, évoquer l'existence d'un second amant : Vincent Sécard. L'homme est marié depuis maintenant cinq ans. Fils d'autre Vincent et Madeleine Legal, originaire du Vaurouy, Vincent Sécart, encore mineur, a épousé en 1772 Marie Anne Damandé. On le voit badiner avec la Binard. Mais a-t-il des relations sexuelles avec elle ? Les premières dépositions restent évasives...
Thomas
Varin, 45 ans,
meunier, demeurant au Caudebecquet
Dépose qu'il y a environ un an, il a vu la fille Binard sur le neuf heures du soir avec le nommé Sécard et plusieurs personnes qui parlaient ensemble sur le pont du moulin de Duclair où demeurait le dit Sécard ;
Que le jour de Saint-Pierre 1776, en revenant de l'assemblée de Jumièges, le dit Sécard qui, s'étant trouvé à la dite assemblée avec plusieurs autres de l'endroit, ramena la fille Binard chez elle, montée derrière lui sur son cheval et qu'ils étaient en compagnie ;
Qu'ils revinrent ensemble et qu'il n'a point aperçu à l'égard du dit Sécard plus de privauté de la part de la dite fille que pour tout autre.
Jacques
Lintot, 20
ans, garçon maréchal demeurant à
Caudebec.
Dépose qu'il a demeuré dans le bourg de Duclair chez le sieur Dumesnil d'où il est parti la veille de Noël dernier ;
Que pendant le temps de deux ans et demi qu'il y a demeuré, il a vu différentes fois pendant le jour Sécard entrer chez la fille Binard qui demeurait avec sa mère ;
Qu'il l'a entendue différentes fois sortir la nuit parce que sa chambre était voisine de celle où demeurait le déposant ;
L'a entendue pareillement rentrer à toute sorte d'heure pendant la nuit ;
Qu'il a aussi entendu dire par la fille Binard que si jamais elle était grosse, ce ne serait pas de la part d'un mâtin de la façon de Hupé, lequel propos elle a tenu à l'occasion d'une querelle qu'elle avait alors avec le dit Hupé qui la traitait de haut en bas et lui disait :
— Si tu me pousses à bout, je vais tout dire !
Qu'il a entendu, le déposant, la sœur de la fille Biard la traiter de gueuse et lui dire :
— Si tu n'avais pas couru les nuits comme tu l'as fait, il ne te serait point arrivé ce que tu as !
Qu'il a vu la mère et la sœur de la dite Binard prendre le parti de Hupé lors de cette querelle.
Marie
Anne Marguerite
Fougrain, femme d'Antoine Levillain, laboureur demeurant au Vaurouy,
32 ans.
Dépose que, huit jours après la Chandeleur dernière, revenant de campagne et passant sur le pont du moulin de Duclair où demeure Sécard, elle aperçut sur les huit heures du soir ou environ le dit Sécard à quelque distance de la fille Binard qui parlaient ensemble ;
Et ajoute que la femme du dit Sécard est souvent en contestation avec son mari à cause de la dite Binard ;
Que cela occasionne entre eux un faux ménage dont la dite femme Sécard se serait quelques fois plainte à elle, exposante.
Pierre
Hamelin, 31
ans, marchand tailleur demeurant à Duclair
Dépose que depuis le procès commencé et lorsque la fille Binard occupait encore un appartement dans le même enclos que lui, déposant, il entendit les deux femmes Binard disputer ensemble, principalement une d'elles reprochant à l'autre qu'elle était une gueuse de lui tenir les propos qu'elle lui tenait, ce qui excite le déposant de s'approcher pour entendre le sujet de leur dispute.
Qu'alors la jeune sœur lui dit :
— Tu ferais bien, malheureuse, plutôt que de plaider, de donner ton enfant à celui à qui il appartient !
Qu'il a vu souvent Hupé venir chez la dite fille Binard et cette dernière avoir beaucoup de complaisance pour lui.
Jean
Baptiste Pécot,
25 ans, garçon meunier, demeurant aux Vieux.
Dépose que toute la connaissance qu'il a des faits de cet appointement est qu'il y a environ un an, sur les neuf heures du soir, il vit la fille Binard entrer dans le moulin où demeure le sieur Sécard et en sortir environ une demi-heure après ;
Laquelle était entrée par une porte et sortie par une autre ;
Qu'il l'a vue entre autre plusieurs fois avec le dit Sécard sur le pont des deux moulins et cela à différentes heures.
Jean
Levillain, 57
ans, laboureur demeurant au Vaurouy.
Dépose qu'il n'a aucune connaissance des faits du dit appointement que d'avoir entendu des propos dans le public mais ne sait rien positivement sur leurs faits.
Le dernier témoin fait en revanche une déposition extrêmement favorable à la fille Binard :
François
Morin, 43
ans, journalier, Duclair. (Veuf
d'Anne Quevilly, époux de Thérèse
Leveau)
Qu'elle a travaillé en qualité de couturière chez l'exposant ;
Qu'elle s'est toujours bien comportée ;
Que depuis dix ans qu'il connaît Hupé, il l'a toujours vu fréquenter la dite Binard ;
Que cette dernière lui a dit qu'elle aimait le dit Hupé et qu'il la voyait dans la vue de l'épouser.
La nuit à trois
Les auditions reprennent le mercredi 23 juillet. Cette fois, les témoins cités par la Binard évoquent l'existence de Sécard. On apprend aussi qu'aux Andelys, Marie Anne a couché avec deux hommes dans un même lit... Nous n'étions là pour tenir la chandelle. Mais nous cèderons cette fonction aux témoins suivants avec d'autant plus de confiance que certains sont de notre famille...
Catherine
Lebreton, 32
ans, blanchisseuse, demeurant au bourg et paroisse de Duclair.
Dépose qu'elle a connaissance que le dit Hupé a fréquenté depuis plusieurs années la dite Binard.
Qu'elle
les a vus dans différentes assemblées et qu'ils
avaient l'un pour
l'autre nombre d'égards.
Que la déposante a entendu dire dans le public très souvent qu'ils se fréquentaient pour le mariage.
Que la déposante se rappelle d'avoir fait un pèlerinage aux Andelys il y a deux ans avec plusieurs personnes de Duclair, qu'une partie fut logée dans une auberge, que la déposante et autres soupèrent à la dite auberge, que le dit Hupé, la fille Binard et un petit jeune homme furent souper ailleurs, que la déposante et sa compagnie étant couchées lorsque le dit Hupé et la fille Binard et le jeune homme arrivèrent, que comme dans la chambre de la déposante il y avait un lit de relais la dite Binard, le dit Hupé et le jeune homme qui était avec eux couchèrent ensemble dans le dit lit où ils passèrent la nuit, que la déposante d'ailleurs ne sait point ce qui se passa parce qu'elle était bien malade.
Le pèlerinage des Andelys a lieu en juin. On allait à la fontaine aux vertus prétendument miraculeuses et dédiée à sainte Clothilde, reine de France. Il s'y voyait aussi un tilleul centenaire.
Madeleine
Bardet, 28
ans, couturière, Duclair...
Dépose qu'elle a vu souvent Hupé aller et venir chez la fille Binard et se fréquenter.
Qu'elle a connaissance qu'ils ont fait ensemble différents voyages :
Qu'il y a environ deux ans, elle et plusieurs habitants de Duclair du nombre desquels étaient le dit Hupé et la fille Binard furent en pèlerinage aux Andelys, que pendant le voyage Hupé et la fille Binard firent une partie de la route sur le même cheval, qu'arrivés aux Andelys la déposante et plusieurs habitants de Duclair se retirèrent dans la même auberge à l'exception du dit Hupé, de la fille Binard et d'un petit jeune homme qui furent souper ailleurs, qu'ils revinrent sur les onze heure et demi, lors de quoi ils montèrent dans la chambre où la déposante était couchée avec Catherine Lebreton, sa cousine, que dans la même chambre il y avait quatre lits dont trois étaient occupés, que ne restant que le quatrième, Hupé, la fille Binard et le petit jeune homme le prirent, se couchèrent ensemble et y passèrent le restant de la nuit.
Ajoute la déposante qu'elle a fait le voyage de Duclair à Rouen le jour de la Saint-Romain dernier avec le dit Hupé et la fille Binard, la mère et la sœur de cette dernière, qu'ils se quittèrent à Rouen et ne les revit plus.
Angélique
Ridel, âgée
de 22 ans, demeurant chez son père meunier, au bourg et
paroisse de
Duclair.
Dépose qu'elle a vu le dit Hupé fréquenter la fille Binard et a entendu dire dans le public qu'il la fréquentait pour le mariage ;
Qu'il y a environ un an, étant dans la chambre de la fille Binard, elle y trouva le dit Hupé ;
Qu'elle
a aussi connaissance que la dite Binard a eu une liaison avec
Sécard,
meunier au moulin du père de la
déposante ;
Qu'elle l'a vu plusieurs fois dans le moulin parler au dit Sécard en compagnie d'autres personnes, de jour et de nuit :
Qu'un jour, la dite Binard étant venue au moulin où était alors le frère de la déposante, elle y resta à souper, que pendant le souper, le frère de la déposante ayant voulu rire avec elle, comme il était échauffé, la déposante engage la dite Binard de se retirer, ce qu'elle fit ;
Ajoute que les habitudes de Sécard avec la fille Binard avait indisposé la déposante contre le dit Sécard et qu'elle lui a dit plusieurs fois que s'il ne cessait de la voir, elle, déposante, se fâcherait.
Marie
Anne Lhérondel,
femme de Pierre Hamelin, tailleur, âgée de 26 ans,
demeurant au
bourg et paroisse de Duclair,
Dépose que des faits contenus en la dite sentence, elle a connaissance qu'un jour, la déposante étant dans son escalier qui était commun avec la fille Binard, elle entendit celle-ci se disputer avec le nommé Hupé et lui dire :
— Je serais bien fâchée d'être mâtinée avec un mâtin comme toi. Ce n'est par manque que tu le voulais bien mais je n'ai pas voulu !
Ajoute qu'elle a vu souvent la dite Binard et le dit Hupé ensemble et aller aux assemblées ;
Qu'elle l'a vu pareillement aller chez le dit Hupé lors d'une maladie que ce dernier a eu il y a deux ou trois ans.
Marie-Catherine
Tribout, âgée de 18 ans, fille de Jacques Tribout,
journalier,
demeurant au bourg et paroisse de Duclair.
Dépose que des faits contenus en la dite sentence qu'un jour, comme elle était voisine de la fille Binard, d'avoir vu plusieurs fois Hupé dans sa chambre seul avec elle, le dit Hupé racolant la dite fille Binard, c'est à dire l'embrassant.
N'a rien vu autre chose.
Marguerite
Mullot, 42
ans, femme de Jacques Leduc, maréchal, demeurant au bourg.
Dépose qu'elle a entendu dire par la fille Binard que Hupé ne l'avait jamais demandée en mariage et par le dit Hupé qu'il n'avait jamais demandé la dite fille :
Qu'elle a connaissance qu'ils se voyaient fréquemment et allaient aux assemblées ensemble ;
Qu'il y a environ trois ans, la déposante et le dit Hupé avec la fille Binard furent en pèlerinage à Saint-Adrien mais n'a rien remarqué de malhonnête entre le dit Hupé et la fille Binard. Ajoute qu'elle a entendu le dit Hupé et la fille Binard disputer ensemble par rapport au dit Sécard, que Hupé lui reprochait qu'elle avait tort d'aller au moulin comme y allait, qu'elle lui occasionnait des risées de la part de ses camarades qui le traitaient de Jean F..., à quoi elle lui répondit qu'il était un jaloux et qu'elle ne se priverait point de ce qui lui faisait plaisir pour le satisfaire, qu'elle l'avait connu avant lui et quelle le connaîtrait après ; |
On
voit ici Pierre et Marie-Anne participer, en 1774, au
pèlerinage
de Saint-Adrien, hameau situé en contrebas de Belbeuf, non
loin
de Rouen. Les grandes pestes du siècle précédent avaient suscité un pèlerinage important vers cette chapelle semi-troglodyte. Les filles, quant à elles, espéraient accélérer leurs fiançailles en invoquant saint Bonaventure. Plus de 40 paroisses faisaient régulièrement le déplacement avant la Révolution. |
— D'où viens-tu, gueuse, viens-tu de courir bordel
Sur quoi la dite fille lui répondit :
— Je viens d'où je veux et si je fais un enfant, ce sera pour vous amuser.
Que tous ces faits ci-dessus se sont passés il y a environ quatre ans :
Que postérieurement la fille Binard a été plusieurs fois voir le dit Hupé chez lui lors de sa maladie que ce dernier eut il y a environ trois ans :
Ajoute encore qu'elle a vu la dite fille il y a environ dix-huit mois accompagner Sécard et autre qui pêchaient à l'épervier, de jour, dans la rivière.
Marie
Goret, 42 ans,
femme de Jean Varnier, maître maçon demeurant
à Duclair.
Dépose que tout ce qu'elle sait du fait d'appointement est qu'il y a environ cinq mois, le frère de la fille Binard qui avait loué une écurie et un grenier du mari de la déposante et avait acheté à Sécard du trèfle qu'ils transportaient dans le dit grenier, que lorsqu'ils passaient ce trèfle dans le dit grenier, Sécard passa. Lors de quoi la dite fille Binard l'appela et lui dit :
— Puisque vous avez vendu le trèfle, vous devriez bien aider à le tasser...
Qu'en effet le dit Sécard entra, monta dans le grenier où il resta seul à tasser tandis que le frère de la Binard était en bas avec sa sœur et le fils de la déposante qui lui donnaient le dit trèfle.
Catherine
Leclerc,
âgée de 72 ans, veuve de Pierre Maupoint,
marchande en ce bourg y
demeurant.
Dépose que vers la fin des gras jours derniers, la fille Binard étant chez la Quibel, aubergiste à demander à servir le monde, elle appela Hupé et lui demanda si il voulait payer un coup d'eau de vie, à quoi le dit Hupé n'ayant fait aucune réponse, la dite fille lui montra un petit pain en forme de limaçon et lui dit :
-
—Voilà
un petit pain qui a des cornes, nous allons le manger,
— Tu as raison de ne pas payer d'eau de vie car tu as besoin d'argent ailleurs.
Geneviève
Foucher, 36
ans, femme de Jacques Péqueux, mégissier,
Duclair, près des
moulins.
Dépose que la fille Binard s'est trouvée chez elle, déposante, différentes fois à travailler en journée ;
Que plusieurs fois et depuis deux ans jusqu'au procès, Hupé est venu y trouver la dite fille, lui parler et soutenir avec elle quelques instants, qu'elle a vu le dit Hupé dans ces entrevues embrasser et caresser la dite fille.
Charlotte
Brière, 34
ans, femme de François Simon, sage femme demeurant
à Duclair.
Dépose qu'elle a quelques fois vu le fils Hupé et la fille Binard ensemble et aller aux assemblées ;
Qu'il y a environ trois ans, étant sous la halle du bourg, la mère du dit Hupé eut une dispute avec la fille Binard ; le fils de la dite Hupé prenant le parti de sa mère dit à la dite Binard :
— Retire-toi, gueuse, je t'ai foutu plus de coups que tu n'as de dents à la bouche !
Qu'un jour, la mère du dit Hupé, vers le même temps, dit à elle, déposante, qu'elle était bien malheureuse que son fils s'était attaché à la fille Binard, qu'elle le poursuivait et qu'elle les avait trouvés, couchés ensemble, dans une couche close ;
Que la déposante ayant été appelée pour accoucher la dite fille Binard et, dans la douleur de l'enfantement, ayant interpellé la dite fille quel était l'auteur de sa grossesse en lui représentant qu'il fallait dire la vérité et qu'elle était entre la mort et la vie, la dite fille lui répondit :
— Faite-moi mourir si vous voulez, mais ce n'est point autre que Hupé qui est l'auteur de mon état !
Pierre Varin, 23 ans, marchand de chevaux et cabaretier, demeurant chez sa mère en ce bourg.
Dépose qu'il n'a d'autre connaissance des faits de la sentence sinon que lui, déposant, avec Hupé, la fille Binard et plusieurs autres furent ensemble à la foire Saint-Romain dernière.
Madeleine
Pigache,
veuve de François Masselin, 57 ans, revendeuse.
Dépose que le jour du procès au baillage pour la proviserie (?) de la fille, la déposante étant à Rouen rencontra Hupé dans la ville et lui dit que s'il était vrai qu'il avait engrossé la fille Binard, il ne devait pas la tromper, à quoi il répondit qu'il en souffrirait plutôt qu'on lui coupe bras et jambes que reconnaître ce qui n'était point, qu'il était vrai qu'il l'avait hantée sous de bonnes vues mais dit que la façon dont elle s'était comportée faisait qu'il serait bien fâché d'y penser et qu'il s'en était retiré.
Avec les nouveaux témoins cités par Hupé, la réputation de la Binard va voler en éclat. L'un d'eux laisse entendre qu'elle est nymphomane...
Nicolas
Lamant, 38
ans, commis à la perception des droits de coutume,
Dépose que tout ce qu'il sait des faits de l'appointement est que le lendemain de la foire de Saint-Romain dernière, revenant de Rouen, il fit rencontre du nommé Ridel, maître des moulins de Duclair, chez lequel Sécard est domestique :
Qu'ayant proposé au dit Ridel un verre de vin ils entrèrent dans un cabaret qui est voisin des forges du chemin du mont Riboudet ;
Que dans la conversation, Ridel se plaignit de Sécard en disant au déposant qu'il n'était pas content du dit Sécard de mener chez lui une traînée en parlant de la fille Binard et que s'il continuait il le mettrait dehors.
Angélique
Ridel.
Déjà citée par la Binard. Même déposition.
Pierre
Dumesnil, 23
ans, maréchal, demeurant au bourg de Duclair.
Dépose que tout ce qu'il sait du fait du dit appointement est que la fille Binard, tenait une chambre chez lui, pendant le temps qu'elle tenait la dite chambre dont elle est partie à Pâques dernier, il a vu nombre de fois, de nuit, le dit Sécard sortir de chez la dite Binard, notamment un jour de l'hiver dernier, dans les temps de grosse neige ;
Il a vu le dit Sécard sortir seul à plus de minuit de chez la dite Binard ;
Que souvent la dite Binard sortait le soir et ne rentrait qu'après minuit, ayant trouvé le secret d'ouvrir la porte malgré les précautions que le déposant prenait :
Observe qu'il n'a vu qu'une fois le dit Sécard sortir seul de chez la dite Binard la nuit et que d'autres fois il était accompagné du frère de la dite Binard ;
Comme aussi observe que la dite Binard demeurait chez lui, déposant, avec sa mère et sa sœur, qu'il a entendu un jour Hupé qui était chez le déposant avoir du bruit avec la fille Binard et lui dire :
— Je ne suis pas content des propos que tu fais courir sur moi ! Tu fais courir le bruit que tu es grosse de moi. Dis-moi ... foutue vieille bougresse !
— Non, répondit-elle, je serais bien fâchée d'être foutue par un bougre de mâtin comme toi !
La
femme de Pierre Hamelin,
déjà entendue, même déposition.
Pierre
Hamelet âgé
d'environ 27 ans, arpenteur demeurant chez son père...
Un siècle plus tôt, la famille Hamelet exerçait le métier de boucher sous les halles mais l'un d'eux, Laurent, s'allia aux Delavigne, arpenteurs à Jumièges.
Dépose qu'il a vu quelques fois Sécard et la fille Binard ensemble et boire au cabaret ; Qu'il l'a aussi vue au moulin de Duclair, de jour, avec le dit Sécard et ce depuis et avant sa grossesse ; Qu'il l'a aussi vue fréquemment avec le dit Hupé ;
Qu'un jour, dans le temps des Roses, la dite fille Binard étant au cabaret à l'eau de vie chez la Quibel, il a entendu la dite Binard proposer un coup d'eau de vie au dit Hupé et lui dire en …
— Viens que je te régale, que je te régale d'un limaçon, qui est une espèce de petit pain ayant des cornes ;
Qu'un autre jour, sans se souvenir de l'époque mais qu'il y a plus d'un an, il a entendu la mère Binard disputer avec sa fille et lui dire :
— D'où viens-tu vieille putain, vieille coureuse !?
A quoi la dite fille a répondu :
— Je viens de vous faire un petit poupon pour amuser !
Jacques
Nicolas
Neufville, 24 ans, marchand mercier épicier, demeurant
à Duclair. Fils de Jacques Neufville, syndic de la paroisse
de
Duclair décédé en 1769 et de
Marie-Françoise Dubreuil.
Jacques Nicolas est marié depuis deux ans à
Marie-Marthe
Mauger. Il a pour frères François-Denis, le
benjamin, qui
sera chirurgien et décédera à Yerville
et
Jacques-Louis, l'aîné, sans doute l'avocat de la
Binard.
Comme son père, notre jeune témoin sera le
dernier syndic
de la paroisse, destitué en 1789 au profit de Caillouel,
premier
maire de Duclair. Il est mort avec la qualité de cultivateur.
Dépose que tout ce qu'il sait des faits de l'appointement est qu'il y a environ un an ou un an et demi il a entendu la père de la fille Binard dire à cette dernière :
— D'où viens-tu vieille putain, vieille coureuse, voilà trois nuits que tu découches
Et la dite fille de lui répondre :
— Je viens de me faire baiser et vous faire un petit poupon pour vous amuser.
Jean
François
Masselin, 42 ans, Duclair.
Dépose qu'il n'a d'autre connaissance des faits que d'avoir vu la fille Binard plusieurs fois pendant l'hiver dernier aller et venir au moulin où demeure le dit Sécard et quelques fois seul avec lui ; Qu'il l'a vue caresser et badiner quelques fois avec le dit Sécard ; Observe que plus souvent il l'a vue de nuit au moulin.
Marie
Anne Jeanne, 50
ans, bourg.
Dépose qu'elle n'a aucune connaissance des faits.
Jacques
Pierre Joseph
Poisson, 37 ans, horloger, demeurant au bourg de Duclair. C'est
l'employeur de Hupé. Son témoignage semble
cependant
objectif car il dépeint son ouvrier violent à
l'occasion...
Dépose qu'il y a environ un an, étant dans le moulin où demeure Sécard avec plusieurs autres personnes, et le soir, la fille Binard qui y était aussi se retira avec le dit Sécard dans un coin pour parler devant la porte du moulin ;
Que la veille de la Toussaint dernière, le déposant étant à son travail, la fille Binard vint trouver le nommé Hupé qui travaillait chez le dit déposant et qui fumait sa pipe. La dite Binard :
—Il ne faut faire qu'un métier, il faut quitter la pipe ou la tabatière et penser à avoir un bassin, une mouvette et de la farine pour faire de la bouillie au petit qui va venir !
A quoi le dit Hupé répondit :
—Va-t-en au moulin, tu en auras au préjudice de tout autre.
Que là dessus, ils se prirent de parole auxquelles le déposant ne fit point attention, remarqua seulement Hupé, tenant un outil, faire un mouvement pour le jeter à la tête de la dite Binard en lui disant.
—Retire-toi bougresse !
Ce à quoi la dite Binard répondit en se reculant de deux pas :
—Hélas, hélas, je ne te dis pas que je suis grosse de toi. Eh bien si j'en ai deux, j'en donnerai un à Vincent et l'autre à toi !
Qu'il a entendu plusieurs fois Hupé, lorsque la dite Binard venait le trouver, lui dire :
—Que vas-tu faire au moulin, on se moque de toi !
Ce quoi elle répondit :
—Voilà la jalousie qui va reprendre Monsieur !
Et aussitôt prenait la route du dit moulin en disant :
—Eh bien puis que cela te fait deuil, je m'y en vais.
Marie
Anne Fouquet, 18
ans, fileuse de coton demeurant au bourg.
Dépose qu'il y a plus d'un an et pendant l'hiver, la dite déposante allant au moulin où demeure Sécard pour chercher sa monnaie n'ayant trouvé personne dans le dit moulin, ayant crié et personne n'ayant répondu, elle entra dans la chambre du dit Sécard qui est en face du plancher du dit moulin où elle le trouva couché avec la fille Binard ;
Que lorsqu'ils aperçurent la déposante, ils parurent l'un et l'autre bien étonnés et bien ébahis ;
Les a vus encore de nombreuses fois dans le moulin seul ensemble.
Marguerite
Lehoue,
femme de Pierre Dumesnil, maréchal, 35 ans, bourg.
Dépose que la dite Binard, sa mère et sa sœur, demeuraient chez la déposante, qu'elles en sont sorties de Pâques dernier ;
Qu'elle a vu dans l'hiver dernier le dit Sécard y aller nombre de fois dans la nuit avec le frère de la fille Binard et en sortir sur les quatre ou cinq heures du matin ;
Qu'une fois la déposante a vu le dit Sécard en sortir sur les 10 heures du soir ;
Qu'elle sait qu'au mois d'août dernier, ils ont mangé un canard ensemble en la compagnie de la mère Binard, sa sœur et son frère et ce, à midi, qu'après le canard mangé, ils s'en furent tous à l'exception du dit Sécard qui resta seul avec la dite Binard et que le dit Sécard n'en sorti que sur les 10 heures du soir ;
Sait aussi que la dite Binard sortait souvent la nuit et ne rentrait qu'à des heures indues, ayant trouver le secret d'ouvrir la porte malgré les précaution qu'on prenait pour l'en empêcher ;
Que plusieurs fois elle a entendu la mère Binard faire des réprimandes à sa fille en lui disant qu'elle était une putain, une coureuse de bordel, à quoi la dite fille répondit :
— Cela ne vous regarde pas !
Qu'elle irait où elle voudrait et qu'elle faisait ce que sa mère lui avait montré.
Que quelques jours après la Toussaint dernière, Hupé et la fille Binard eurent querelle ensemble chez la déposante, que Hupé lui reprocha qu'elle n'était point grosse de ses œuvres et qu'il n'était pas fait pour elle et qu'il ne lui fallait que des cacheux d'asne (?)
— Tu as raison, répartit la fille Binard, ce n'est pas faute cependant que tu ne me l'aies bien proposé
Que sur cela, le dit Hupé dit :
—Est-ce moi qui te l'ai fait ?
—Non, reprit la dite fille Binard, et j'aurais été bien fâchée d'être foutue par un bougre de mâtin comme toi !
C'est tout ce qu'elle dit savoir, ajoutant qu'elle a entendu la mère de la dite fille Binard dire à Hupé :
— Laisse la dire, ce n'est qu'une salope !
Marie
Catherine
Nouvelle, veuve de Simon de la Roche, âgée de 34
ans, fileuse
demeurant au bourg.
Dépose que depuis Pâques dernier, elle a vu quelques fois la fille Binard, même souvent, causer avec le nommé Sécard, de nuit et de jour, devant et sur le pont du moulin.
Il était alors une heure formée, la suite fut renvoyée à trois heures...
Catherine
Hardy fille
âgée de 20 ans de René Hardy.
Dépose qu'à la fin d'août dernier, passant devant la porte du moulin où demeure Sécard, elle vit le dit Sécard et la fille Binard, sur les dix heures du soir, parler ensemble d'un air d'amitié en tête à tête.
Que l'hiver dernier, la déposante étant à faire la veillée, elle vit à dix heures du soir, le dit Sécard entrer chez la dite Binard et ne l'en vit point sortir encore bien qu'elle ait travaillé jusqu'à plus de minuit dans l'endroit ou le dit Sécard devait passer pour s'en aller, n'y ayant point d'autre passage pour se retirer que l'allée où elle travaillait ;
Que depuis que la fille Binard est grosse, la déposante a entendu sa sœur lui dire :
—Tu as eu tort de laisser aller le bon et de garder le mauvais.
Marie
Anne Varnier, 50
ans, veuve Pierre Goubert, demeurant au bourg.
Dépose qu'elle n'a d'autre connaissance des faits, sinon que d'avoir vu souvent Sécard et la fille Binard, de jour et de nuit, c'est à dire le soir et la nuit causer ensemble auprès du moulin et à divers endroits, à toutes sortes d'heures comme onze heures et minuit, tantôt seuls et d'autres fois en compagnie.
Marie
Élisabeth
Lenormand, femme de Nicolas Lamant, préposé
à la perception des
droits de coutume, demeurant à Duclair,
âgée de 41 ans.
Dépose qu'il y a environ cinq ou six ans, elle a vu Hupé assis sur les genoux de la fille Binard dans la cour du dit Hupé, qu'elle a vu également le sieur Dumesnil, propriétaire de la maison qu'occupait alors la dite Binard, mettre la main sous ses jupes et le nommé Durand, domestique chez la dame Bouteiller, mettre la main dans son corset sur la poitrine de la dite fille.
Louise
Hardy, âgée
de 22 ans de René Hardy
Dépose que l'hiver dernier, la déposante étant à faire la veillée chez le sieur Dumesnil où demeuraient les Binard mère et filles, elle y vit entrer et aller chez les Binard le nommé Sécard à environ dix heures du soir, qu'elle ne le vit point sortir, encore bien qu'elle ait conduit la veillée jusqu'à plus de minuit et que le dit Sécard ne pouvait passer par ailleurs que par l'endroit où elle travaillait ;
Que dans le mois d'août dernier, elle vu le dit Sécard et la fille Binard sur les dix heures du soir en tête à tête sur le pont du moulin ;
Et se rappelle la déposante qu'il y a environ trois ans, étant sur le Castel ou étaient la fille Binard et le nommé Sécard et autres, de jour, elle vit la dite fille boire avec le dit Sécard et autres qui jouaient à la boule, s'aperçut que les dites partenaires badinaient avec elle, la chiffonnaient, mettaient la main sous les jupes et sur la gorge.
Marie
Catherine
Bouteiller, 36 ans, femme de Nicolas Duthil, marchand au bourg.
Dépose qu'elle n'a d'autre connaissance des faits sinon qu'il y a environ deux ans, étant sous la halle du bourg où l'on dansait, elle entendit Hupé et la fille Binard se disputer et le dit Hupé dire à la fille qu'il l'avait baisée et foutue.
Michel
Duval, 41 ans,
jardinier. Lié à la famille Quevilly.
Dépose qu'il y a eu un an, aux Roses dernières, étant à souper chez Ridel, au moulin de Duclair, le souper fini, on se mit à rire ;
Vit plusieurs hommes et la fille Binard entrer dans un appartement à côté de celui où ils avaient soupé, qu'il y restèrent sans lumière environ une demi-heure, après quoi, ils rentrèrent tous dans l'appartement où l'on avait soupé et s'aperçut que la dite fille était chiffonnée, sa chemise même hors de son corset ;
Qu'il a vu aussi la dite fille en différentes fois et à toute heure, de nuit, causant avec Sécard auprès du moulin.
Marguerite
Leriche,
femme de Masselin Boulanger, âgée de 40 ans,
demeurant au bourg.
Dépose que depuis environ deux ans, elle a vu la fille Binard au moulin où demeure Sécard, de jour et de nuit et toutes sortes d'heures jouer et badiner avec le dit Sécard, tantôt seule, tantôt en compagnie mais n'a point remarqué entre eux d'indécence ;
Qu'elle
l'a vue aussi sur le pont du moulin et dans la chambre d'icelui rire,
parler et badiner avec le dit Sécard mais ne les y a point
vus
depuis huit ou neuf mois.
Audience du jeudi 24 juillet 1777.
Pierre
Quesne, 41 ans,
pêcheur à Duclair
Déclare qu'il n'a d'autre connaissance des faits de la sentence d'appointement sinon qu'il a vu souvent Hupé et la fille Binard aller et venir aux assemblées et ailleurs, de bonne amitié, qu'il les a quelquefois accompagné aux assemblées.
François
Carel, 40
ans, perruquier, demeurant au bourg.
Dépose qu'il sait que Hupé a hanté la fille Binard mais ignore si c'était pour promesse de mariage qu'il les a vu souvent ensemble et aller aux assemblées.
Jean-Baptiste
Dudout,
33 ans, domestique chez la veuve Bouteiller, demeurant au bourg.
Dépose qu'il y a trois ou quatre ans, étant devant la porte de Hupé, assis sur un banc avec le dit Hupé, la fille Binard venant à passer, le déposant dit au dit Hupé :
— Voilà ta maîtresse qui passe. Tu ne lui parles pas ? Es-tu brouillé avec elle,...
A quoi le dit Hupé répondit :
— Oui, je suis brouillé avec elle, mais la bougresse peut se marier quand elle voudra, celui qui l'épousera n'aura pas l'étrenne de son trousseau car je l'ai foutue dans ses draps et si fort que le sang en ruisselait sous elle.
Élisabeth
Guillot,
femme de Jean-Baptiste Poulain Grandchamp, marchand, demeurant en ce
bourg, 37 ans.
Dépose qu'elle n'a aucune connaissance des faits de la sentence d'appointement sinon que d'avoir entendu dans le public que le dit Hupé fréquentait la fille Binard et l'a souvent vu avec elle.
Marie
Anne Thorel,
femme d'Antoine Chapelle, menuisier, 29 ans, demeurant en ce bourg.
Dépose qu'il y environ deux ans et même auparavant, elle voyait fréquemment la fille Binard avec Hupé dans la boutique de Poisson où le dit Hupé travaillait ;
Que plusieurs fois elle a vu le dit Hupé caresser, embrasser la dite Binard et lui mettre la main sur la gorge, ce que la déposante voyait de son domicile qui est à proximité de la dite boutique.
Hupé ne cite ce jour-là qu'un seul témoin.
Catherine
Lafosse, 45
ans, femme de François Petit, journalier, Duclair.
Dépose qu'il y a environ deux ans, elle a vu dans le moulin de Duclair la fille Binard badiner et se calbasser avec Sécard sur les dix ou onze heures du soir, étant, la déposante, à attendre sa monnaie ;
Qu'elle la vit pareillement fouiller dans la poche de Sécard et compter son argent.
Après ce déballage, les deux protagonistes récusèrent bien des propos tenus par certains témoins de la partie adverse. Le 5 août 1777, l'affaire était encore débattue à la halle de Duclair. Baudouin persistait à faire reconnaître l'enfant par Hupé et faire modifier le registre des baptêmes en ce sens. Il cherchait surtout à le faire condamner à verser de fortes sommes et un secours à l'enfant jusqu'à l'apprentissage d'un métier. Au moins, si le siège ne suivait pas ses réquisitions, un dédommagement. On ne connaîtra pas, comme c'est souvent le cas, le dénouement de ce procès. Aucune pièce supplémentaire ne figure dans le dossier.
Il devient geôlierLe geôlier de la prison de Duclair étant mort prématurément, Pierre Hupé postula à la succession de René Hardy dont deux filles avait témoigné à son procès. Pour cela, une enquête de moralité fut menée. Le 13 février 1778, Pierre Hupé fut accepté comme geôlier de la prison de Duclair par Michel François Dinaumare, le receveur de l'abbé de Jumièges, abbé qui était aussi haut-justicier de Duclair, Jumièges et Yainville. Le 24 février, le lieutenant de la juridiction, Jacques Romain Raimboult, entendit alors trois témoins de moralité en compagnie du greffier Hucher.. Ceux-ci attestèrent des suffisances et capacités de Hupé, de ses bonnes vie et mœurs et certifièrent qu'il était bien de la religion catholique apostolique et romaine. | On sait qu'Adrien Pelcat avait été le geôlier des prisons de Duclair au temps de l'affaire Porgueroult, dans les années 1750. En 1778, la charge était tenue par René Hardy qui vint à mourir le 10 janvier. Il avait 54 ans. Située près de la salle d'audience au rez-de-chaussée de la halle, la prison n'était pas occupée en permanence. La charge de geôlier n'était donc qu'un supplément de revenu et Hardy exerçait la profession de clerc. Les témoins de son décès furent Jacques Pierre Joseph Poisson horloger, le patron de Pierre Hupé et Denis François Couteulx, laboureur. |
Ces témoins furent Pierre Hamelet, 65 ans, arpenteur du Roy, demeurant à Duclair, Jacques Nicolas Neufville, 25 ans, marchand épicier, témoin au procès Binard, enfin Louis Lequesne, prêtre vicaire de Duclair. Raimboult transmit le dossier au procureur fiscal. Celui-ci étant absent, c'est l'avocat Baudouin, l'adversaire de Hupé, qui signa le document final.
Hupé fut donc reçu dans ses fonctions après avoir prêté le serment accoutumé.
Elle accouche d'un garçonIl est à penser que Pierre Hupé cessa d'honorer Marie Anne. Mais qui sait, la nature humaine réserve tant de surprises. Quoi qu'il en soit, la fille Binard accoucha deux ans après le procès d'un garçon. Cette fois, elle ne semble pas avoir désigné un père. Elle fit une déclaration de grossesse en indiquant qu'il s'agissait d'un particulier qui resta officiellement inconnu des gens de la Justice. Le baptême de Jean Charles, Binard eut lieu le 7 mai 1779. Louis Lequesne, le vicaire de Duclair, fut le parrain de cet enfant du diable. La marraine fut la sage femme, Charlotte Brière. Bref, les acteurs directs de l'accouchement et du baptême. Le fait qu'aucun parent ou ami ne soit désigné pour tuteurs spirituels de l'enfant trahit-il un isolement familial de la mère ? La honte de ses parents ?
Il garde une détenueLe 15 juin
1780, Pierre
Hupé était toujours concierge des prisons de la
haute justice de
Duclair, Jumièges et Yainville. En témoigne le
reçu qu'il signa
après que Dinaumare l'ait
remboursé des frais de détention de Marie
Grouvel. 13 livres, 2
sols et 6 derniers représentaient 75 jours de nourriture en
pain.
Deux livres et 2 sols représentaient la paille fournie
à la détenue
et enfin 24 livres furent versés pour « les
frais et
honoraires de gîte et garde de la dite
Grouvel. »
Le 15 octobre 1780 mourut le père de notre geôlier. A 65 ans, il exerçait toujours les fonctions d'aubergiste. Les témoins de sa mort furent son fils Pierre, dit alors horloger et Joachim Lemonnier, lui aussi de ce métier.
ÉpilogueEn 1782, Pierre Hupé épousa Marthe Louise Letellier, encore mineure. Pour lui, la page Binard était définitivement tournée. Les années allaient passer et calmer les ardeurs de Marie Anne. Son fils fut en âge de se marier en 1800 avec une Viel, d'une famille de bouchers, qui lui donnera deux filles. Jean Charles Binard sera tour à tour boucher lui aussi, puis préposé aux Douanes et enfin cultivateur au Trait.
Marie Anne Binard mourut à Duclair le 30 avril 1825 a 76 ans et ses deux enfants furent ses seuls témoins. Son fils ne lui survécut que huit ans et décéda sur sa ferme du Trait. Quant à sa fille, demeurée célibataire, elle mourut en 1851 a 73 ans et eut un certain Neveu pour témoin.
Laurent QUEVILLY.
Sources
Documents retrouvés et numérisés aux Archives départementales de la Seine-Maritime par Jean-Yves Marchand. Cote procès ; 199 BP 55. Geôlier : 199BP 56
Un commentaireQue
peut inspirer l’histoire de Marie Anne Binard, telle que
racontée par Laurent Quevilly ? Son destin,
marqué par
une liaison tumultueuse, un procès retentissant et une
réputation sulfureuse, soulève une question :
nourrit-elle encore les fantasmes malgré sa fin tragique et
solitaire ?
Marie Anne Binard, fille de meunier à Duclair, incarne une
figure complexe, oscillant entre liberté assumée
et
condamnation sociale. À une époque où
les
mœurs étaient scrutées et
jugées sans
pitié, elle a défié les conventions,
s’abandonnant à des passions charnelles avec
Pierre
Hupé, Vincent Sécard, et peut-être
d’autres
encore. Son histoire, dévoilée à
travers les
témoignages crus et les débats judiciaires de
1777,
révèle une femme audacieuse, parfois
provocatrice, qui
n’hésitait pas à revendiquer ses
désirs,
même face aux accusations de débauche et de
prostitution.
Le
procès, loin de la réduire au silence, a
amplifié
sa légende locale : celle d’une libertine au
«
diable au corps », capable de partager un lit avec plusieurs
amants, comme en attestent les récits du
pèlerinage aux
Andelys.
Pourtant, ce portrait flamboyant s’assombrit avec le temps.
Abandonnée par Hupé, qui refusa de
reconnaître leur
fille, et isolée après la naissance
d’un second
enfant sans père
déclaré, Marie Anne semble avoir payé
le prix de
sa liberté. Sa mort en 1825, à 76 ans,
entourée
uniquement de ses deux enfants, marque la fin d’une vie qui,
après avoir enflammé les
imaginations, s’est éteinte dans une
discrétion
presque pathétique. Son destin tragique – une
femme jadis
vibrante, réduite à une vieillesse solitaire
–
pourrait
tempérer les fantasmes qu’elle a
suscités. Mais
paradoxalement, c’est peut-être cette chute qui les
ravive
: elle devient une figure romantique, une héroïne
maudite
dont la
fougue et les excès continuent de hanter les esprits.
Ainsi, oui, Mlle Binard nourrit encore les fantasmes, non plus
seulement par sa sensualité débridée,
mais par le
mystère et la mélancolie qui enveloppent son
histoire.
Elle reste un symbole ambivalent : une femme
qui a osé vivre selon ses propres règles dans une
société étouffante, et qui, pour cela,
a
été à la fois glorifiée et
brisée.
Son triste destin, loin d’effacer son
aura, l’enrichit d’une profondeur qui la rend
intemporelle,
une muse pour les rêveurs autant qu’un
avertissement pour
les moralistes.