Anotations de Laurent Quevilly
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Par un contrat du
6 mars 1781, le prince de Lorraine, abbé de
Jumièges, inféodait
à titre de cens et rente seigneuriale perpétuelle
et irrévocable,
à sieur Valentin Vastey, le terrain vague vulgairement
appelé le
Castel, à la condition de le mettre incessamment en
culture.
Les habitants de Duclair qui, de tout temps, avaient considéré le terrain comme appartenant, au moins pour la jouissance, à la généralité de la paroisse, se montrèrent vivement affectés de cette aliénation des conciliabules se formèrent et des menaces furent répandues contre Vastey.
Mais celui-ci n'en prit cure après avoir défriché le terrain qu'il venait d'inféoder, il l'ensemença en menus grains et en ferma l'accès par une barrière cadenacée, bien décidé à poursuivre quiconque chercherait à y pénétrer.
Viel mène l'attaqueCependant, les mécontents, de leur côté, étaient non moins bien résolus à ne pas tolérer ce qu'ils avaient appelé une usurpation. Un nommé Viel, boucher, commença le premier l'attaque en faisant divaguer son cheval sur le terrain. Vastey le poursuivit devant la justice de Duclair et obtint contre lui une condamnation qui fut confirmée par le présidial de Rouen.
Ce fut la goutte d'eau qui allait faire déborder le vase.
Le 5 juillet, l'Angélus, qui d'ordinaire était sonné à cinq heures, ne l'est qu'à sept. Au même moment, un aubergiste, Marin Le Tellier, paraît sur la place du Marché avec un faisceau de liens et commande le pillage du champ de Vastey.
300 mutins !
C'est le signal. Une foule composée d'environ trois cents personnes accourt, et, précédée de Le Tellier et Viel, se rend au Castel. Le cadenas fermant la barrière est brisé à coups de marteau, les piliers sont arrachés et la barrière est jetée du haut en bas de la falaise. La foule pénètre alors dans le champ en quelques instants, la récolte est complétement ravagée.
A la nouvelle de ce pillage, Vastey avait
immédiatement envoyé sur les lieux un huissier
avec ordre
d'interjeter clameur de haro mais, devant l'impossibilité de
se
faire entendre, l'huissier dut renoncer à sa
tâche. Son
intervention ne fit, au contraire, qu'exciter la foule contre Vastey,
et, un nommé Poulain, dit Grandchamp, demanda des faucheurs
pour
hâter le pillage en leur donnant six livres pour prix de leur
journée.
A ce taux, les bras s'offrirent de toutes parts. En quelques instants, la récolte, qui n'était pas en maturité, fut coupée et détruite, chacun prenant et enlevant à discrétion.
Un grand feu de joieQuand le pillage fut terminé, quand il
ne resta plus trace de la récolte, on songea alors
à couronner la petite fête
considérée comme une journée de
revendication par des réjouissances publiques. Un joueur de
violon fut amené, des danses organisées, et la
fête se termina par un superbe feu de joie sur le milieu de
la place. Grandchamp fournit la plus grande partie du bois, le surplus
provenait des clôtures de Vastey.
Le malheureux feudiste porta plainte, et, le 19 juillet, Marin Le
Tellier, Adrien Viel, Jean Lefèvre et Levillain
étaient décrétés de prise
de corps.
Mais ceux-ci en appelèrent et obtinrent du Parlement la cassation de l'arrêt rendu contre eux, à charge de se présenter devant le bailli de Duclair à toute réquisition.
Par une nouvelle action, ils assignèrent Vastey devant le Parlement et lui réclamèrent 10.000 livres de dommages intérêts. C'était véritablement audacieux. De son côté, Vastey se pourvoyait en cassation contre l'arrêt du Parlement.
Nous ignorons la solution qui intervint. Nous avons voulu seulement raconter un incident qui n'est pas sans intérêt puisqu'il nous montre l'état d'esprit de nos campagnes à la veille de la Révolution
La Normandie littéraire, 1903.
N.D.L.R. Les intertitres et le chapeau de l'article sont de notre rédaction.
Notes généalogiques
Par Laurent Quevilly
Né à Jumiègfes, Pierre Valentin Vastey est frère d'un colon de Saint-Domingue, oncle du baron de Vastey, idéologue de la révolution haïtienne, à qui nous avons consacré notre premier livre.
Jean-Baptiste Poullain, dit Grandchamp, possédait du bien à Duclair. Le 19 septembre 1794, celui-ci vendit 5000 livres trois pièces de terre en nature de prairie sises au bord de la rivière, sur le bras gauche, en face du Moulin de Haut. L'acquéreur est Jacques Dumas, directeur d'aciérie, à Caumont. Dumas établit là une usine.
Jean-Baptiste Poullain était l'époux de Anne Elisabeth Guillot. On lui connaît trois filles.
Le lien reste à établir avec Jean-Baptiste Laurent Poullain, dit Grandchamp, époux de Anne Marie Ressancourt, grand-père d'Achille Poullain-Grandchamp, maire de Jumièges, conseiller général, oncle de Maurice Leblanc.
L'aubergiste Marin Le Tellier s'était marié en 1758 à Duclair avec Marguerite Igou.
Adrien Viel était l'époux de Marie Madeleine Angélique Decaux. Son fils, Pierre Nicolas Antoine, époux de Marcier Madeleine Catherine Cellier, était également boucher.