L’Homme Généreux Kristen Helmer
Torgrim Landsverk
Autrefois un homme très respecté et généreux, Kristen Helmer fut une figure clé de l’aventure industrielle norvégienne. Pourtant, il est tombé dans l’oubli, même dans sa ville natale de Grimstad. Quand on évoque la résidence d’été Vestheim sur l’île d’Indre Maløya, la plupart des gens pensent immédiatement à la famille Ugland. Cependant, ce bâtiment cache une histoire plus ancienne et méconnue. Cet article raconte l’histoire de Kristen Helmer, l’homme à l’origine de cette résidence d’été, et explique pourquoi il est si important de préserver ce lieu. Famille et JeunesseKristen Groos Helmer est né en 1860 à Grimstad, où il a grandi avec ses parents, Jakob Holst Helmer (né en 1814) et Inger Cathrine Pedersdatter Holst (née en 1822), ainsi que ses frères et sœurs : Levine Marie (Liva, née en 1849), Elisabeth (née en 1854) et Peder Holst (né en 1863). La maison abritait également plusieurs domestiques. Selon le recensement de 1875, la famille vivait près de Hestetorvet, dans la Storgaten, au numéro de matricule 150. Cette maison, construite en 1850 par son père Jakob, a depuis été démolie. L’histoire familiale des Helmer est fascinante. Derrière la maison de la Storgaten où Kristen a grandi se trouvait un grand jardin, connu sous le nom de « Jardin de Helmer ». Cet espace a plus tard été transformé en parking et en maison de la culture de Grimstad. Lors de l’inauguration de cette dernière, une revue intitulée La Compagnie du Jardin de Helmer a été créée. Ce jardin a également acquis une renommée nationale en 1974 grâce à la chanson d’Odd Børretzen, Helmers Hus Blues. Les grands-parents paternels de Kristen étaient Christen Groos Helmer (né en 1776) et Levine Marie Jakobsdatter (née en 1789), qui vivaient au numéro 61 de la Storgaten. Cette maison, vieille de plus de 300 ans, fut démolie en 1885 pour faire place à un foyer de marins. Le grand-père Christen était le frère aîné du peintre de Grimstad, Christian Groos Helmer (né en 1779). Les arrière-grands-parents paternels étaient Hans Helmer (né en 1740) et Anne Marie Groos (née en 1751). |
![]() Avec
une grande probabilité, le directeur Kristen Helmer,
né en 1860, décédé en 1936
photo du site web Journal de Duclair, de Laurent Quevilly.
La maison de vacances
d'inspiration française de Kristen Helmer, située à Maløya, sur l'Indre, sera inscrite sur la liste rouge de la Fortidsminneforeningen en 2025, car les élus de la ville ont accordé un permis de démolir à son propriétaire. Ce bâtiment est le dernier monument commémoratif de la famille Helmer à Grimstad. ![]() Manoir des Zoaques à
Duclair (N.D.L.R Yainville). Photo : Paul Bonmartel..
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« Les trois garçons de 1877 sont des hommes qui ont réussi dans la vie ; […]. L’un d’eux, vous le voyez chaque été, celui qui possède l’ancienne maison familiale près de Hestetorvet et la villa sur Maløya. Pendant de nombreuses années, il a dirigé une grande usine en France. » Après son enfance, Kristen s’est installé à Kristiania (Oslo), tandis que ses trois frères et sœurs sont restés à Grimstad. |
Elisabeth
Helmer, la sœur de Kristen, est devenue l'une des
photographes
les plus importantes de la région. Elle a laissé
derrière elle un grand nombre de photographies
conservées
au KUBEN à Arendal. |
Ces derniers se sont néanmoins distingués, bien qu’aucun d’eux ne se soit marié ou n’ait eu d’enfants. Sa sœur Levine Marie (Liva, née en 1849) fut la première femme enseignante en matières théoriques à l’école Dahlske, où elle enseignait l’anglais, le français et l’allemand. |
Elle joua un rôle central dans la construction d’un bain public moderne à Torskeholmen en 1902. Élue dans plusieurs conseils, elle participa à des organisations comme la Société des Diaconesses de Grimstad, l’Association Sanitaire des Femmes Norvégiennes, le Cercle de Grimstad de l’Association Nationale des Marins, les Femmes pour la Guerre, et le Bain de Grimstad. Elle fut également membre de la commission fiscale communale, s’engagea pour les droits des enfants et le droit de vote des femmes, obtenu en 1913, année où elle fonda, avec sa sœur, le Club des Femmes. |
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Hestetorvet avec Brf.-No 150 dans Storgaten. Le
bâtiment a été démoli
aujourd'hui. La maison de la culture de Grimstad se trouve
désormais à cet emplacement. Photo prise lors du
centenaire, le 6 juin 1916.
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Son frère Peder (né en 1863) était un excellent tireur et fonda l’Association de Gymnastique de Grimstad. Il occupa également des fonctions de clerc de bureau, fut élu juré au tribunal, proposa des candidats pour la liste électorale du Parti Conservateur, fut trésorier de l’Association Musicale, et vérificateur des comptes pour l’Association de Voile et l’Association des Marins et Commerçants de Grimstad. Il était connu comme un célibataire populaire et très apprécié en ville. Kristen Helmer, quant à lui, partit pour Kristiania, où, à l’âge de 20 ans, il fut embauché par l’entreprise Mustad & Søn. Là, il attira l’attention des plus hauts dirigeants de l’entreprise. À 31 ans, il obtint un poste prestigieux de la part du propriétaire du groupe, Hans Mustad. Kristen devint le premier directeur de la nouvelle usine de clous pour fers à cheval et de pointes qui devait être établie à Duclair, en France. Ce fut la première implantation industrielle norvégienne de Mustad à l’étranger, hors de Scandinavie. |
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Vue
célèbre de la ville de Grimstad, peinte en 1804.
L'artiste est le grand-oncle de Kristen Helmer, Christian Groos Helmer.
Le tableau appartient aujourd'hui aux musées de la ville de
Grimstad. Photo : Knut Brautaset. |
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Malgré des difficultés persistantes, Hans Mustad dut lui-même se rendre sur place. À plusieurs reprises dans les années 1890, la vente de l’usine fut envisagée, mais grâce à la persévérance de Helmer et à sa foi en l’impossible, l’aventure industrielle norvégienne à Duclair perdura pendant plus de 100 ans. En 1906, des documents indiquent que l’usine de Duclair employait 121 personnes : 25 Norvégiens, 5 Suédois, 90 Français et 1 Norvégien-Américain. Helmer resta à Duclair pendant la Première Guerre mondiale (1913-1914), alors que la France était en guerre. Pendant ce temps, l’usine produisit des « clous modèle armée », adaptés à l’équipement militaire. Le journal local Journal de Rouen rapporta le 20
octobre 1913 que la résidence de Helmer,
surnommée le « château » de
Mustad, avait été transformée en un
hôpital auxiliaire confortable pour une douzaine de
blessés, dont cinq soldats belges. Le journal ajoutait :
« M. Helmer, directeur de l’usine Mustad, qui a
grandement contribué à cette initiative, continue
de prendre soin des blessés. » Des historiens
locaux pensent identifier Kristen Helmer sur une photo de groupe de
cette période. |
Confirmation de commande de
Mustad & Søn,
signée par Kristen Helmer, datée du 20 janvier 1912. L'original a récemment été offert aux musées de la ville de Grimstad. ![]() |
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L’usine
de Duclair
était en avance sur son temps
en matière de droits des travailleurs et de
réformes sociales. En
1936, alors que de nombreux travailleurs français faisaient
grève,
ceux de Mustad & Søn ne participèrent
pas, car ils
bénéficiaient déjà de
congés payés d’une semaine depuis 1927.
En décembre 1933, lorsque la Seine gela, rendant impossible
la
traversée en ferry ou à pied pour certains
ouvriers, Helmer trouva
une solution pour garantir leur sécurité. En
1936, il fit don d’un
million de francs au bureau de bienfaisance de Duclair. D'après la documentation et les informations que nous avons recueillies, il ne fait aucun doute que Helmer entretenait de bonnes relations avec la famille Mustad. Le fils, Hans Clarin Hovind Mustad, né en 1871 et décédé en 1948, commence à être vu assez tôt à Duclair. Mustad est un homme extrêmement riche, mais il vit sous le même toit que Helmer et partage ses repas quotidiens avec lui lorsqu'il est en France. |
Lors du voyage en Norvège dans une Richard-Brasier en 1906. C'est l'ingénieur Poppe qui est assis au volant à côté de Mustad. ![]() |
Mustad s'implique
tôt dans l'industrie
automobile et voyage en voiture
pour la première fois en 1892 à
l'étranger, tandis que son premier
trajet en voiture sur le sol norvégien a lieu en 1906. Lors
de ce
voyage, Grimstad figure naturellement sur la liste des lieux
à visiter.
Selon Birger Morholt, journaliste au Grimstad Adressetidende, la raison
pour laquelle le propriétaire de la voiture et ses
invités se sont
rendus à Grimstad était
précisément la relation avec le directeur
Helmer de l'usine de Duclair, qui, à cette
époque, avait l'habitude de
rentrer chaque été dans la maison de son enfance
à Hestetorvet. En 1917, Mustad fait produire une voiture appelée « Giganten », dotée de six roues, qu'il utilise lorsqu'il est à Duclair. Cette voiture attire beaucoup l'attention, et Helmer ainsi que ses employés en sont des passagers réguliers. Aujourd'hui, la voiture est exposée au Musée norvégien des routes (Norsk Vegmuseum). Mustad finit par se lasser de prendre des ouvriers en chemin dans sa voiture de 11 places, au point qu'il fait finalement construire une nouvelle voiture appelée « Egoisten », qui ne comporte qu'un seul siège. |
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Il ne fait aucun doute que Helmer était très estimé, mais il est tout aussi évident qu'il a dû vivre de nombreuses expériences et trouver de l'inspiration au cours de ses longues années en France, le plus souvent en résidant sous le même toit que Mustad lorsque celui-ci était présent. |
Sources : | |
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