Par
Laurent QUEVILLY.
En 1915, le directeur de l'école de Duclair adresse cette
lettre à la famille d'Alphonse Anouilh: "Il
est le troisième maitre de l’école sous
ma direction depuis 4 ans
(?) qui ait
donné sa vie pour la défense de la Patrie
depuis le début de la guerre." Défi
généalogique : identifier les deux premiers...
C'est M.
Nicolas Maclart,
né au Mesnil-Réaume en 1861 qui dirige en 1915
l'école de Duclair.
Un homme du sérail. Il est en effet fils, frère
et père
d'instituteurs. Nicolas Maclart est l'époux d'Yvonne
Delassus, née
en 1863 à Hangest. En 1902, alors qu'il est en poste
à
Sainte-Croix-sur-Buchy, M. Maclart obtient une demi-bourse d'internat
pour son fils Raoul, scolarisé à
l'école primaire supérieure de
Rouen et que nous allons retrouver bientôt.

Un
constat:
Mme Anouilh a manifestement fait une erreur de transcription en
recopiant la lettre de M. Maclart reproduite par Marceau Déchamps. A sa lecture, on comprend qu'il est
directeur de l'école "depuis 4 ans" en
1915. Or, il est
attesté
à ce poste dès 1906 au moins par plusieurs articles de
presse et le
recensement de cette année-là. En-dessous de dix, un
lettré comme Maclart n'aurait pas utilisé de chiffre mais
plutôt écrit "quatre" en toutes lettres. Il est donc permis de penser que ce "4" mal déchiffré était
plutôt un "11", graphisme proche, ce qui correspond à l'arrivée de
Maclart à Duclair.
Maintenant,
le nom du directeur n'est pas cité. Alors, est-on sûr
d'avoir vraiment affaire à Maclart plutôt qu'à un
éventuel successeur arrivé "4 ans" plus
tôt, en 1911. Non, car M. Maclart est encore attesté
à Duclair en août 1916 pour services rendus
récompensés par des livres. Après l'Armistice, il
assure
toujours
la direction de l'école de Duclair et prendra sa retraite en
octobre
1921 après exactement 39 ans, 9 mois et 25 jours de service.
Cette année-là dureste, on ne recense que lui à
l'école.

La
première école, d'abord mixte en 1870 puis
uniquement réservée aux filles.
C'est
en 1870, tout près de l'église,
que fut
édifiée une école à
Duclair. D'abord mixte et confiée à des religieuses, elle
deviendra
l'école des filles lorsque fut construite peu de temps
après une
école de garçons. Celle-ci fut édifiée
à une distance respectable de la première en sortie de
ville entre les routes de Barentin et de varengeville. Là,
l'organigramme
de l'établissement comporte
généralement à la veille de la guerre
un instituteur faisant
fonction de directeur et un instituteur-adjoint, tous deux
logés au
rez-de-chaussée de l'école.

L'école
des garçons photographiée par Edouard Deschamps.
Chaque groupe
scolaire
comportait quatre classes. L'école des garçons a
même
compté à l'étage un pensionnat d'une vingtaine de places
jusqu'au tout début du XXe siècle. Sa dernière réclame dans le Journal de Rouen date de 1900. L'école semble n'accueillir que des externes après cette date. On remarque
que le personnel
enseignant est très mobile. A titre d'exemple, en 1906,
entre le
public et le privé, Duclair compte six institutrices qui
sont :
— Anne
Mieux,
institutrice publique, née en 1882 à Rouen et
épouse de Victor
Morand, menuisier né en 1872 à Duclair. Le couple
réside route de
Caudebec.
— Emilie
Bernard,
institutrice publique, néé en 1868 à
Bosquel et qui vit avec sa
mère. Elle sera la directrice de l'école des
filles.
— Julia
Corruble,
institutrice publique, née en 1888 à
Sotteville-sur-Mer. Elle
habite avec les Bernard, rue de l'Eglise.
— Marthe
Kronberg,
née en 1878 à Saint-Omer, épouse de
Gaston Kronberg, né à Rouen
en 1874 et chef de district à la Compagnie de l'Ouest. Le
couple
habite aussi rue de l'Eglise mais dans un logement sensiblement
éloigné de celui des Bernard et Corruble. Il
n'est pas précisé si
Mmme Kronberg enseigne dans le public ou le privé. Le public
sans
doute.
— Madeleine
Lamiré
est institutrice "libre", née à Duclair en 1883
et
partageant son logement, rue de l'église, avec Madeleine
Levillain,
domestique, née à Epinay en 1889. L'école catholique est apparue avec le XXe siècle.
— Thérèse
Bigot,
native de Dieppe en 1870, voisine immédiate de Mlle
Lamiré,
institutrice sans autre précision mais sans doute à
l'école confessionnelle qui semble fermer ses portes par la
suite.
Succession
des instituteurs-ajoints
En 1905, peu
après sa
nomination à Duclair, M. Maclart se partage les
élèves de l'école
publique avec un jeune insituteur, Alfred Célestin
Cornu, né
à Bacqueville-en-Caux en 1886 et fils d'un tailleur d'habit.
Le 2
septembre 1905, à 19 ans, devançant l'appel, il
s'engage dans
l'armée pour trois ans et rejoint le 39e RI. Il sera
cependant
renvoyé dans la disponibilité le 19 septembre
1906.
Début
1906, M. Maclart
est secondé par Marcel Coquerel,
né en 1886 à Rouen. Route
de Varengeville, il habite sous le même toit que M. Maclart
qui a
près de lui sa propre fille, Marthe, née
à Gamaches en 1890.
Ayant vite
quitté notre
ville en 1907 pour les Grandes-Ventes, Coquerel rejoint la
même
année le 4e Zouaves. Il est envoyé dans la
disponibilité en
septembre 1909 avec le grade de sous-lieutenant. Mais il fera
bientôt carrière dans l'Armée. Curieuse
carrière du reste. En
1920, il démissionne de son rang d'officier, se rengage
aussitôt
comme sergent et termine ses 15 ans de service dans l'aviation avec
le grade de capitaine. Il est décédé
à Rouen en 1934.
En 1907, M.
Maclart est
secondé par son propre fils, Raoul,
né en 1887 à Gamaches.
Après avoir satisfait à ses obligations
militaires du 6 octobre
1908 au 25 septembre 1910, il quitte l'armée avec le grade
de
sergent-fourrier et ira enseigner au Havre en 1911.
En 1909, alors
que le
fils Maclart est sous les drapeaux, Alfred
Célestin Cornu est
de nouveau attesté comme instituteur à Duclair.
Il est nommé au
Havre à la rentrée de septembre. Il
épousera en 1910 une
institutrice, Mlle Jeanne Marie Sanson, en poste à
Longueville. Le
mariage eut lieu à Bacqueville-en-Caux où sont
nés les deux époux.
Cornu est décédé
prématurément à Montivilliers le 5
novembre
1911. C'est le premier décès connu d'un
collaborateur de M. Maclart. Mais avant les hostilités. Il ne peut donc entrer dans la liste...
En 1913, route de Barentin, M.
Maclart a à
ses côtés un vieil enseignant, Zénobe
Bellard, né en 1854
à Gapennes, dans la Somme. Celui-ci nous arrive en 1897 de
Saint-Léger-du-Bourg-Denis et prend la direction du
pensionnat-école. En août de cette
année-là, il reçoit une
mention honorable au concours agricole de l'Association normande,
à
Pavilly pour une pépinière qu'il entretient
à Sierville. Il est
l'époux de Marie Niel et a une fille: Suzanne. En 1901, M.
Bellard
est secondé par deux stagiaires: Fernand Sautreuil, 17
ans qui rentrera vivant de la Grande guerre comme Rodolphe Vadet, 24 ans.
Bellard est encore en poste à Duclair en 1904, puis on le
localise à
Fréville en 1907 et de nouveau à Duclair en 1913
à la suite de
Cornu, Coquerel, Maclart fils et de nouveau Cornu.

Le
pensionnat-école a été
dirigé successivement par MM. Louis Ragot (1874), Aubé,
venu du Hanouard (1886) et appelé au pensionnat de Buchy,
Félix Seineur (1889), Zénobe Bellard venu
de Saint-Léger-du-Bourg-Denis (1897). Il est possible qu'il figure au centre du
premier rang. Deux antres maîtres encadrent les
élèves dont un masqué par une
déchirure.
Nicolas Maclart et Zénobe
Bellard, tels étaient donc les instituteurs en poste
à Duclair à
la veille de la mobilisation générale. Alors,
à qui le directeur
fait-il allusion lorqu'il écrit que Anouilh est le 3e
maître
d'école mort pour la France depuis le début de la
guerre ?
Manifestement à deux instituteurs qui n'ont fait qu'un bref
séjour
à Duclair et étaient en poste ailleurs au moment
de la
mobilisation.
Le
triste destin de Maclart fils
Le 26 juillet, alors qu'il enseigne au Havre et
demeure
rue Dumé-Daplemont. Raoul Maclart échange une
promesse de mariage
avec Germaine Marie Sanson, institutrice à Duclair, fille
d'une
débitane et épicière de la route de
Caudebec.
A
peine
quelques jours
plus tard, le 2 août 1914, le sergent de réserve
Maclart est
mobilisé au sein du 129e RI. Un mois plus tard, le 9
septembre, il
décède chez son père à
Duclair. Son dossier militaire n'en fait
pas un mort pour la France. Pas un seul jour de campagne contre
l'Allemagne n'est porté à son crédit.
S'il était mort des suites
de blessures de guerre, ce serait dans un hôpital militaire.
On
pense donc à un congédiement pour maladie. Il aura donc
été apte à
rejoindre son corps le 2 août avant de se retrouver
à l'article de
la mort un mois plus tard. Difficile de le faire entrer en tout cas
dans la liste noire évoquée par son père.
Quant
à sa fiancée, née
en 1894 à Saint-Ouen, elle continuera d'enseigner
à Duclair où
elle épouse en 1918 un confrère, Louis Beaufils,
décédé dans
notre ville dans les années 70.
Nos
deux morts pour la France
Lorsque l'on
interroge la
presse professionnelle de l'époque à l'aide de
moteurs de
recherhe, seuls Anouilh et Stingre apparaissent comme instituteurs à Duclair. Ce qui semble
confirmer notre sentiment: les deux premiers morts dont nous parle M.
Maclat, avaient quitté Duclair.
La mort
d'Alphonse
Anouilh est mentionnée dans le numéro du 6 mai
1916 de l'Ecole
émancipée, revue pédagogique
hebdomadaire publiée par la
Fédération nationale des syndicats
d'institutrices et
d'instituteurs publics.
Il est dit
figurer sur le
livre d'or de l'école laïque publié dans
le Bulletin général
des Amicales d'institutrices et d'instituteurs du 1er juin
1916
comme étant mort pour la France.
Anouilh
apparaît de
nouveau dans le Bulletin du Syndicat national des
instituteurs et
personnels de l''enseignement général du
1er février 1917
comme titulaire de la Médaille militaire.
Enfin, Alphonse
Anouilh
figure bien sur le monument aux mort de Surba, son village natal. Pas
sur celui de Duclair.
L'Ecole
émancipée
nous
apprend dans son numéro du
25 décembre 1915 que Maurice Stingre fut d'abord
blessé au combat. On ne sait si la nouvelle parvint
à la
connaissance de M. Maclart et sous quelle forme. Stingre est
également sur le monument aux morts de sa ville natale,
Pitres.
Voici quelques compléments et rectificatifs sur sa
biographie. Il
fut élève de l'école-pensionnat de
Gournay dirigée par M.
Canville et obtint son brevet de capacité aux examens
organisés à
Rouen en juin 1911 avant d'intégrer l'Ecole normale. Il ne
fut pas
mobilisé en 1915 mais dès le 18
décembre 1914 au sein du 24e RI.
Le 13 mars 1915, il est nommé 1ère classe, le 28
mai, caporal, le
14 septembre sergent. Il passe au 405e RI le 25 septembre.
Laurent QUEVILLY.
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