Le halage, un cadre de promenade agréable. Mais ils n'en a pas toujours été ainsi. C'était même le lieu de tous les dangers...

Le mardi 28 juillet 1835 est jour de marché à Duclair. Il a 9 ans et demi, Louis Nicolas Guillaume Ponty. L'âge de l'insouciance et c'est le plus paisiblement du monde qu'il suit la charrette de son père, Jean Nicolas, un quadragénaire marié à Julie Euphrosine Vautier et qui exerce le métier de charrieur de bois mais aussi cultivateur.

Soudain, des haleurs à l'arrêt redémarrent leurs chevaux pour tracter un navire marchand. Le gamin se retrouve enveloppé par le câble, effectue plusieurs tours en l'air sur lui même et est finalement projeté à plusieurs mètres dans la Seine. La foule accourt aussitôt. Mais elle semble poussée là bien plus par la curiosité que le courage. Tout le monde se met à deviser tranquillement tandis que le pauvre petit Ponty se débat désespérément dans les flots. Et disparaît... Arrive Ludovic Mercier, le receveur de l'Enregistrement, qui interpelle ces badauds paralysés par l'impuissance. Il se fait indiquer le lieu approximatif où l'enfant a sombré. Mercier se jette à l'eau, descend à plusieurs mètres de profondeur, revient à la surface. A la hâte, il regagne la rive quêter de nouveaux renseignements et replonge. Cinq fois. Dix fois. Il aura beau crier aux propriétaires de bateaux de lui venir en aide, nul ne daignera se déranger. Tous les efforts du fougueux trentenaire seront vains...

Ce n'est que le lendemain que le corps du petit Ponty fut repêché. Ce jour-là, Pierre-Alexandre Dubreuil, l'adjoint au maire, déclara son décès comme étant intervenu ce 29 juillet, à 10h du matin. Le même jour, le vicaire Lanchon indiqua quant à lui qu'il était mort la veille. Bref, il y avait un décalage horaire entre le clocher et le fronton de l'hôtel de ville. A la mairie, Jean Ponty fut des deux témoins d'usage en compagnie de Jean-Timothée Dieul, praticien et ami du père.

Mais l'affaire n'en resta pas là. Les trois haleurs furent traduits devant le tribunal correctionnel de Rouen pour mise en danger de la vie d'autrui et homicide involontaire. Deux furent acquittés mai, malgré tout le talent de maître Grainville, le troisième écoppa de trois mois de prison pour sa maladresse et son imprudence fatales.


Les quais des Trois-Piliers. Jadis, le grand chemin de Duclair à Rouen ne passait pas par les quais mais partait du chemin de Duclair à Barentin, à la sortie du bourg...

Encore et toujours Mercier


Cinq années passent. Nous voici le 9 juillet 1840 et c'est encore jour de marché. Il est trois heures de l'après-midi et l'animation est à son comble. Plusieurs chevaux halent un chaland quand l'amarre se trouve entravée dans un bateau à quai. Voyant cela, Jacques Renault, d'Anneville, craint pour sa propre embarcation attachée elle aussi au quai. Les haleurs ont beau le mettre en garde, il est déjà trop tard. L'amarre redevenue libre se raidit subitement et précipite Renault dans le fleuve. Aucun des témoins ne sait nager. Alors, on va chercher du monde. à la rescousse Ludovic Mercier, encore lui, se précipite. Cette fois, il n'est pas entouré de pleutres. Leulier, le vétérinaire, Morel fils, le panetier plongent avec lui. Il y a même un quatrième sauveteur qui, lui, gardera l'anonymat. Un vent souffle en rafales, la Seine est très agitée. Après une demi-heure de vaines recherches, la victime est définitivement portée disparue par les sauveteurs épuisés.

Pour éviter tous ces drames, il y avait des années que les habitants de Duclair demandaient le transfert du chemin de halage sur la rive gauche, beaucoup moins fréquentée. Du coup, on relance l'idée lors de la séance du conseil général en août suivant. A cette époque, le halage est correct entre Rouen et Caumont, dangereux et incomplet entre Caumont et Le Trait puis inexistant jusqu'à Villequier. Après quoi, on a recours au remorquage à vapeur. Bref, en nos parages, il faut parfois trois jours pour accomplir trois lieues. En août 1843, le conseil général de la Seine-Inférieure regrette encore que l'Administration n'ait toujours pas bouclé le dossier d'étude. On en profita pour signaler les abus de l'exercice du halage dans la traverse de Duclair...

Laurent QUEVILLY.


Contribution de Jean-Pierre Derouard


Duclair est ainsi décrite en 1842 « Il existe sur ce quai quatre marchés par semaine […] Des navires stationnent presque toujours ça et là au quai et au milieu d’un encombrement de barques, de voitures, de paniers de fruits, de marchands et de cultivateurs, il faut que les haleurs détachent les traits qui partent des navires à leurs chevaux, que les marins les retirent et les repassent aux haleurs de l’autre côté des navires qui sont au quai et que ceux-ci billent de nouveaux ces traits et repartent au galop pour les tendre et continuer leur route. Cette dangereuse manœuvre a lieu sur un terrain de dix mètres de largeur qui sert en même temps de grand route, de rue, de marché, de quai et de chemin de halage. »

Le chemin de halage se trouve en effet sur la rive droite de la Fontaine à la Roche et traverse donc le bourg de Duclair.

Les autorités de Duclair demandent donc le report du halage sur la riche gauche. Et de citer les accidents survenus à cause du halage.

Vous citez Ponty et Renault (mais l’ingénieur ajoute à son sujet : "il était dans son bachot tellement ivre qu’il ne pouvait le manœuvrer")

Il y a aussi, en 1841, Morel père, jeté à l’eau et qui n’a dû son salut qu’à son habileté à nager et la fille Campion qui a failli être noyée.
Le 6 décembre 1842 le matelot Grégean pris par les cordages des haleurs et noyé ainsi que le capitaine Coüédel qui aurait péri si quelqu’un ne se fut jeté à l’eau pour le sauver. NDLR : Né à Arzon, âgé de 30 ans, Vincent-Marie Grégam était matelot de 3e classe à bord du lougre l'Arzonnais. Le capitaine, Gildas Couédel, 46 ans, déclara le décès en compagnie de Ludovic Mercier.

Malgré l’opposition des habitants de la rive gauche, le chemin de halage est reporté sur cette rive de la Fontaine au Bouillon de Duclair où il repasse sur la rive droite.

Jean-Pierre DEROUARD.

 
SOURCES


Journal de Rouen
Rapport de Charles Levasseur, session de 1841 du conseil général