Par Laurent QUEVILLY.

En traversant Saint-Paul, nous éprouvions une émotion particulière. Il y avait la ligne fuyante vers la Seine de l'allée du château. Au bout, nous répétait-on, on avait taillé un canal qui aurait fait de nous des insulaires si ce projet avait abouti. Il y avait les maisons du hameau. Et puis à gauche, c'était Versailles...


Par la forêt, Saint-Paul, c'était aussi la destination ultime de nos promenades à la chapelle Mère-de-Dieu. Il fallait franchir le fossé Saint-Philibert, s'attarder là où le loup avait étranglé l'âne de sainte Austreberthe. Y observer les offrandes pendues aux arbres. Et puis peu à peu la pénombre des sous-bois s'estompait. Un vert tendre prenait le dessus. Voici les premières maisons...

Ce groupe d'habitations n'était ni à Yainville, ni à Jumièges, ni à Duclair. Saint-Paul était à part. Saint-Paul était ailleurs...

Les enfants que nous étions ignoraient que ce lieu avait jadis fait l'objet d'une grande dévotion populaire. En 1905, un lointain cousin, Albert Tougard, a traduit le texte latin d'un abbé de Jumièges, Alexandre, mort au début du XIIIe siècle.

Voici l'histoire merveilleuse du hameau de Saint-Paul...


Plan de Saint-Paul

Au nord une voie menait à la forêt appelée voie cavetière.
Au nord-est était le chemin des Argiliers, longeant la poterie et menant à Duclair.  Cliquez sur le plan pour agrandir...


L'abbé Alexandre raconte...

« Les reliques de l'apôtre saint Paul et des saints martyrs Clair et Cyriaqué étaient demeurées un certain temps cachées dans une table d'autel en plâtre, près de Davidville-sur-la-Seine, non loin du monastère de Jumiéges. Ce lieu était absolument désert pendant deux cent quatre-vingt-sept-ans, mais sans jamais perdre le nom de Saint-Paul.

« Or, il y avait poussé d'énormes épines que les paysans du voisinage n'osaient en aucune façon arracher, parce qu'un sentiment religieux avait toujours fait respecter cet endroit, car les fondations de vieux bâtiments montraient que ç'avait été la demeure de moines. »


Un ancien Monastère

C'est donc à Saint-Paul, en conclut Albert Tougard, qu'il faut placer la communauté d'hommes qu'on savait avoir existé à Duclair dans la seconde moitié du VIIe siècle. Mais on en ignorait l'emplacement exact. Et c'est précisément en 877 qu'il fut détruit. A cette date, il y avait déjà trente-six ans que les Normands avaient brûlé Jumiéges.

« On le voyait, en outre, continue Alexandre, par deux autels restés au milieu des épines. Comme ces autels se touchaient presque, je ne sais quel voisin les avait recouverts d'une petite chapelle en bois; mais elle était elle-même consumée de vétusté et les autels demeuraient exposés à ciel ouvert.

« Cependant, l'épine qui était plus élevée qu'eux, les ombrageait. Les malades atteints de la fièvre ou d'autres maux avaient accoutumé d'y dormir et d'y recouvrer la santé. »

Ni hommes ni bêtes, poursuit l'abbé, ne s'y permettaient impunément quelque saleté; et des flammes mystérieuses s'y voyaient la nuit. Mais personne n'y connaissait l'existence de reliques.


L'arrivée de Geoffroi

« Or, en 1164, arriva du pays de Lisieux un nommé Geoffroi, avec sa femme, racontant qu'une révélation céleste lui commandait d'y bâtir un oratoire. Il se mit à en arracher les buissons avec une troupe nombreuse d'ouvriers. Les habitants du voisinage s'efforcèrent de le chasser, voyant en lui le ravisseur du bien d'autrui et l'envahisseur d'un lieu tout à fait saint. Mais Geoffroi ne leur céda point, et il leur dit que celui qui l'avait envoyé serait sa défense.

« L'abbé de Jumiéges, Pierre, de sainte mémoire, vint aussi pour l'empêcher; mais ce fut lui qui se trouva empêché dans son entreprise, car il rencontra une femme d'illustre naissance qui venait d'y être guérie le jour même d'une maladie insupportable. A ce récit, il consentit à la construction et défendit à tout le monde d'y mettre obstacle.


La construction d'un oratoire

« Geoffroi y trouva deux anciens autels; la table de l'un était en pierre, celle de l'autre était en plâtre recouvert de mousse. Tous deux étaient minés par le temps et tombés à terre. Il les releva, les rétablit au lieu où ils étaient auparavant au-dessus, il édifia, avec tout le soin convenable, l'oratoire qui subsiste encore aujourd'hui.

« Beaucoup de gens y vinrent pour prier et pour recouvrer la santé, et leur espoir ne fut pas déçu, car bien des prodiges y éclatèrent que l'on a négligé d'écrire.
Et ce ne fut pas seulement aux hommes, mais même aux animaux sans raison que la miséricorde de Dieu devenait secourable dans cet oratoire.


Foule de guérisons

« C'était l'usage, comme encore à présent, que quiconque voulait recouvrer son cheval, ou son bœuf, ou quelque autre animal perdu ou estropié, apportât à Saint-Paul, comme ex-voto à Dieu, un mors ou tout autre lien, selon l'espèce de la bête. Et quand sa prière avait été exaucée, il y laissait le lien en témoignage de ce bienfait. »

Les malades buvaient parfois l'eau qui avait servi à laver les châsses, et ils en éprouvaient du soulagement à leurs souffrances. Alexandre en raconte plusieurs exemples; il dit même qu'on en emportait au dehors.


Emma la visionnaire

« Cet oratoire n'avait encore personne chargé d'y célébrer l'office divin, et, avec le temps, les pèlerins y devenaient rares. Mais en 1185, une femme, nommée Emma, indiqua que l'autel de plâtre renfermait des reliques avec une inscription faisant connaître de qui elles étaient, c'est-à-dire du sang de l'apôtre saint Paul, un doigt du bienheureux Clair et une articulation de saint Cyriaque, martyr.

« Durant quelque temps, personne ne fit attention à cette femme, par crainte d'une supercherie, lorsqu'arriva enfin Raoul, évêque de Lisieux, homme de science et recommandable par ses mœurs et sa piété. Il prit une hache, fendit l'autel et y trouva tout conforme au dire de la femme, à la grande admiration de la foule, ce qui eut lieu le jeudi 27 juin 1185. »


Les pèlerins affluent

Cette découverte fit affluer les visiteurs, simples curieux ou pèlerins. Aussi décida-t-on, sauf l'avis de l'évêque de Lisieux, d'affecter au service de la chapelle deux moines de Jumièges. Alexandre leur prescrivit (quibus injunximus) de conserver le souvenir des guérisons les mieux avérées, afin de convaincre les moins crédules, tout en passant sous silence les miracles moins évidents.

Parmi les pèlerins qui obtinrent leur guérison, Alexandre nomme Roger, de Pavilly, et des habitants de Saint-Paër, de Bondeville, d'Etalleville, de Roumare, de Fresquenne, de Hautot, de Honguemare, de Bosc-Renoult, d'Yainville, de Trubleville (à Saint-Paër), de Hauville, de Barentin, de Lillebonne (qu'on appelait encore une forteresse), de Beaulieu et de Duclair. Un infirme, qui avait fait inutilement le pèlerinage de Sainte-Catherine à Bon-Secours, fut plus heureux à Saint-Paul.

Notons enfin deux traits des mœurs de ce temps, c'est que chaque samedi l'office de la nuit se faisait encore, même dans les villages, à peu près comme la veille de Noël. Un nommé Guillaume Porquet ne vivait qu'en pratiquant la saignée.

La critique historique n'est pas née d'hier. L'abbé Alexandre en connaissait les exigences, car dans un paragraphe qu'il intitule « Il faut prendre des informations près des personnes guéries. » il s'exprime de la sorte, non sans donner une leçon aux beaux parleurs: « Ce n'est point la matière que l'on doit subordonner au discours, mais bien le discours à la matière. J'ai marqué, à chaque guérison, le nom des personnes et leur domicile, afin que, si par hasard on doute de la vérité du fait, on puisse recourir à ces mêmes personnes ou à leur voisinage. »

 La note gaie n'est pas absente de ces pages toutes imprégnées du merveilleux de la foi, et qui ne semblent écrites qu'en vue de l'édification sans s'être exercé à toutes les malices de nos plus fins narrateurs. Ces bons pères, tout enfoncés qu'ils étaient dans leur capuchon, mettaient gravement en pratique la théorie qu'on vient de lire, et savaient aiguiser leur plume selon l'exigence du sujet. Voici donc comment l'abbé Alexandre expose ce qu'un journaliste intitulerait "Prouesses d'un dentiste de village".


La machoire arrachée

« Isabelle, femme de Guillaume, de Trubleville, tourmentée depuis longtemps d'un mal de dents, se rendit chez un maréchal campagnard, n'ayant nulle autre personne sous la main, et elle le pria de lui arracher sa mauvaise dent. Elle appuya sa tête sur le sein de Grégoire, son père. L'homme, en vrai rustre qu'il était, et étranger à la médecine, au lieu de la dent gâtée en saisit une bonne avec une grande pince. Il tira, mais sans rien retirer (traxit sed non extraxit), car la dent saine tenait fortement. Puis il se reprit, et tirant à nouveau de toutes ses forces, il arracha non seulement la dent qu'il avait saisie par maladresse, mais brisant les nerfs, les tendons, il sépara violemment la mâchoire inférieure de la supérieure. »

Impossible à Isabelle de refermer la bouche et même de parler. Le cas était apparemment aussi rare que grave, car le moine de Saint-Georges, qui était médecin de cette abbaye, déclara qu'il n'y entendait rien. Mais Durand, son prieur, dont Alexandre tient le fait, conseilla à cette famille affligée de faire un vœu et un pèlerinage à Saint-Paul; et avant d'y arriver, la femme fut guérie.


SOURCES

Abbé Tougard. La Normandie littéraire, 1905. A noter que le texte d'Alexandre avait été découvert par l'abbé Sauvage, peu avant sa mort.



L'HISTOIRE DU HAMEAU








Jadis, sur les parchemins, Saint-Paul se disait Daavilla, Daevilla... David-Villa en fait. L'endroit est à la croisée des chemins: Duclair, Le Mesnil, Jumièges, Yainville... Entre les baronnies de Jumièges et de Duclair, propriétés des moines, le Taillis forme une enclave. C'est la résidence du parquier de la forêt royale du Trait et du Maulévrier. Un homme du roi. Alors, les conflits de territoires sont fréquents avec les religieux.

930: le duc Guillaume de Normandie rachète les biens dispersés de l'abbaye de Jumièges et les restitue aussitôt aux moins dont il dédicace la nouvelle abbaye. Parmi ces possessions: "Yainville et le manoir du Trait-d'Avilette". Ce dernier est situé à Saint-Paul. Un manoir existe donc déjà à cet endroit.


1185 : Raoul de Varneville, évêque de Lisieux, vient à Jumièges par dévotion. Il visite toutes les églises et chapelles de la péninsule. Alors qu’il se recueille en la chapelle ruinée de Saint-Paul, il soulève l’autel… et découvre les restes de saint Paul, saint Clair et saint Cliriace. Rentré à l’abbaye, il adjure l’abbé de redresser la chapelle, de la faire desservir par deux religieux.

1187 : on la relève effectivement et elle va devenir un lieu de pèlerinage où l’on vénère le sang du saint.

Malade, Roger de Pavilly s’y rendra en pèlerinage en compagnie de sa femme, de deux servantes, de deux soldats et de plusieurs vassaux. Roger guéri se déclara le serf  de saint Paul ainsi que sa femme et sa servante.

Avril 1247:
Guillaume du Taillis est attesté comme étant le plus ancien habitant du cru. Près de lui, un certain Pierre Droelin vend des rentes sises au lieu-dit Daavilla.

Juin 1248: Gilbert Lecomte vend des rentes sur un terrain situé près du fossé de Jehan du Taillis et du chemin de Saint-Nicolas.

Janvier 1276: Pierre Leblont et Roberge, sa femme, vendent aux religieux de Jumièges une rente sur un tènement situé entre la tenure de Raoul Watinel et le fief du Taillis.


Avril 1250: les frères Hugues et Richard Crespin vendent des héritages situés à Saint-Paul.

Mars 1253: les frères Renault et Martin Clérel vendent un droit sur la masure de Gaultier, dit Héraut, à Saint Paul, situé près de la masure de Guillaume du Taillis.

La léproserie : une controverse

1330. A cette époque, affirment nos érudits, les habitants de Jumièges ont construit des maisons jusqu’à la maladrerie Saint-Michel. Alors, ils viennent voir l’abbé Guillaume pour le prier de démolir cet édifice. Ils craignent la contagion. L’abbé refuse. La chapelle lui rapporte 7 livres. Mais les religieux joignent leurs voix à la population. Et l’abbé consentit à la démolir.
On reconstruisit la léproserie au mont d’Avilette, près de la chapelle Saint-Paul. Elle prit le nom de cet apôtre ainsi que celui de saint Nicolas. L’abbaye en gardera le patronage en y nommant un religieux. La léproserie est entourée d’une douzaine d’acres de terre. Elle vivra grâce aux subsides des moines et des plus riches habitants de la péninsule mais aussi de Duclair et de Saint-Marguerite. Le hameau de David-Villa va prendre le nom de Saint-Paul.

Cette version est contestée par le musée des Antiquités de Rouen. Voici sa version :



Sceau de la léproserie située à Saint-Paul
Plomb L. : 54 mm

Prov. : hameau Saint-Paul à Duclair (ancienne léproserie Saint-Nicolas de Jumièges)
XIIIe s.
Musée départemental des Antiquités, Rouen
N° inv. : 2488 A (D)


"En 1839, le propriétaire du château du Taillis, M. de Quèvremont, mène des fouilles sur un terrain qu’il soupçonne être celui de la léproserie Saint-Nicolas-du-bout–du-bois. Il retrouve effectivement la chapelle et le bâtiment principal et une matrice de sceau datée du XIIIe siècle. Sur cette matrice en navette est figurée une crosse abbatiale dont la volute est à droite, et un point à gauche. Sur le pourtour est écrit en latin : "S:LEPROSARIE:CTI:NICOLAI:G » c’est-à-dire « Sceau de la léproserie de Saint-Nicolas de Jumièges ».

"Cette découverte semble être anecdotique. Pourtant cette matrice, associée à un texte de 1222 (conservé aux archives de Seine-Maritime) mentionnant les « lépreux de Saint-Nicolas de Duclair », nous permettent aujourd’hui de contredire la tradition selon laquelle une léproserie Saint-Michel existait à Jumièges.
Celle-ci, au cœur du bourg de Jumièges, aurait été détruite vers 1338 pour être reconstruite au hameau Saint-Paul. En effet d’après Loth et Deshayes (deux érudits du XIXe siècle), « Les habitants de Jumièges se seraient plaints de la proximité de la léproserie avec leurs habitations. L’abbé aurait tranché en faisant détruire la léproserie Saint-Michel et en la reconstruisant près de Duclair, au hameau Saint-Paul ». Or en 1338 cette léproserie Saint-Nicolas existait déjà depuis plus d'un siècle, comme le prouvent la vente en 1222 d’une terre à Epinay, et le sceau du XIIIe s. découvert parmi les ruines. La chronologie des léproseries évoquées ne correspond pas et remet en question cette version.
"S’il ne fait aucun doute qu’un lieu Saint-Michel a existé à Jumièges, il ne s’agissait pas d’une léproserie. Quand les textes anciens mentionnent la « léproserie de Jumièges », il s’agit en fait de celle de Saint-Nicolas-du-bout-du-bois, comme le démontre la matrice.

"Cette confusion est sans doute aggravée par des textes dont on peut mettre en doute l’authenticité. La récupération des biens des anciennes léproseries devient un enjeu comme le prouve le procès de Jumièges avec l’ordre Saint-Lazare de Jérusalem. Les abbayes veulent récupérer leurs biens précédemment concédés aux maladreries.
Le différend de Jumièges avec l’ordre Saint-Lazare de Jérusalem a peut-être été à l’origine de la falsification de textes. Lors de l’édit de 1672, les anciennes maladreries sont rattachées à l’ordre Saint-Lazare. Les terres et revenus de la léproserie délaissée sont l’objet d’un enjeu qui pousse Jumièges à travestir la vérité. Lors du procès, Jumièges invoque des textes inconnus jusqu’à présent.
Ces derniers attesteraient de la tutelle de l’abbaye de Jumièges sur Saint-Nicolas-du-bout-du-bois qui ne serait pas vraiment une léproserie même si elle a accueillit des lépreux. On voit bien que l’abbaye n’est pas de bonne foi, et elle distille les nouvelles pièces introuvables au fur et à mesure des années. En 1693, l’abbaye n’a pas gagné mais le nouvel édit annule le précédent, et les terres et revenus de Saint-Nicolas-du-bout-du-bois, échus à l’ordre de Saint-Lazare, passent aux mains des hôpitaux.

"De cette léproserie, il ne reste que les ruines de la chapelle citées par Monseigneur d’Aubigné dans son procès-verbal du vendredi 11 juin 1717 et que M. de Quèvremont redécouvre un siècle plus tard, en 1839.
 
4 avril 1354: Sentence de l'official de Paris contre maître Denis, de Duclair, docteur en théologie, précédemment curé de Saint-Paul, lequel à raison de sa cure avait fait arrêter le luminaire et les oblats qui avaient été offerts aux funérailles de Gravier Menar, bourgeois de Paris.

1425. Jugement de relaxe concernant Varnier dit Villes, pêcheur de Duclair : une nuit,revenant du hameau du Val-de-la-Mare au hameau de Saint-Paul, ou est situé son hôtel, il a frappé mortellement de son épée Jean Coulombel, qui le soupçonnait d'entretenir commerce d'adultère avec sa femme.

1439. Il est fait mention de la léproserie de Saint-Paul à laquelle la cure des âmes est annexée.

1456: Le fieu du Taillis est dit "assis en la paroisse d'Yainville". Il est la propriété de Jacques Filleul, seigneur de Freneuse.

1461: nouvelle mention du Taillis en la paroisse d'Yainville.

1464: Regnault Filleul baille le Taillis à Robin Anquetil.

1483: aveu fait par les frères Vivien à l'abbaye pour des terres situées à Saint-Paul, notamment une demie-acre bornée par la sente des Argilliers qui va du château vers Duclair.

1485: on fait état d'une charbonnière située sur la paroisse d'Yainville a proximité du Taillis. Au cours de ce XVe siècle, trois potiers sont connus pour exercer leurs talents à Saint-Paul: Augustin Barre, Guillaume Vivien, Simonet Barre.

1486: Robert Destin maître du Taillis.

1488: Jehan Neveu, prêtre, se voit bailler des terres à Saint-Paul par l'abbaye de Jumièges.

1508: Un certain Colin Levestu, sergent royal en la sergenterie de Caudebec rencontre trois malades de la "Maladerye" de Saint-Paul. On l'appelle léproserie de Saint-Nicolas et Saint-Paul. On la désigne aussi sous le nom de Saint-Nicolas de Jumièges.

1514: Baltazar Destin vend le Taillis à Jehan Lasnel.

1532:
Alonce Lasnel vend le Taillis au chanoine Richard du Fay. Moins de 10 ans plus tard, il entreprend la construction d'un château qui restera longtemps dans cette famille.

1606:
les Du Day deviennent châtelains du Trait et de Sainte-Marguerite.

1623: ils ajoutent le titre de comtes de Maulévrier.

1657 : Jean du Fay, comte de Maulévier, ayant son château près de Duclair passe, devant le tabellion de Saint-Joire, demeurant à Jumièges, un contrat d’apprentissage pour l’un de ses jeunes protégés, avec un peintre rouennais, Adrien Sacquespée, dont plusieurs tableaux décorent encore les église de la région.

Sacquespée conclut donc un marché avec le comte de Maulévier pour le jeune Louis Liénard qui était à son service. Il s'engageait « de bien et efidellement monstrer, enseigner l'art de peinture du mieux qu'il luy sera possible » pendant quatre années, à dater de la Toussaint de 1657. Sacquespée était tenu de « quérir, boire, manger, coucher son list et hostel et iceluy traitter comme apprentif ». Ce marché était conclu pour 200 livres tournois que le comte de Maulévrier lui paierait ; 150 livres représentant les « bons et agréables services qu'il dict luy avoir été faicts et rendus par le dit Liénard, par le passé » et les 50 autres livres par Charles Liénard, son père. Cette somme devait lui être payée un tiers au ler novembre 1657, un autre tiers au 1er novembre 1659 et le restant la dernière année de l'apprentissage. Au cas où le jeune Liénard s'en irait, avant l'expiration de ces quatre années, sans cause légitime, Sacquespée devait avoir la moitié des 200 livres à son profit, à condition que le jeune apprenti ait passé chez  lui au moins une année

20 juin 1658. Le prieur de la chapelle Saint-Nicolas et Saint-Julien-du-Bout-du-Bosc, religieux à Jumièges, est Dom Martin Alexandre. Il baille l'édifice à Guillaume et Jacques Landrin, à charge pour eux de parer l'édifice le lundi de Pentecôte, jour de la procession et de la foire à Saint-Paul.

1661: le bail de la ferme du Taillis va à Jean Tuvache, laboureur demeurant au Trait. Il succède à Jacques Bouvier.

1665: Jacques de la Brosse, curé de Jumièges, met en possession Robert James, religieux de l’abbaye, de la chapelle de Saint-Nicolas, Saint-Julien et Saint-Paul.

1717: on recense trois chapelles à Saint-Paul. Celle de Saint-François située au château du Taillis, près d'une plus ancienne. Ce second oratoire était peut-être dédié à saint Laurent que l'on fête le 10 août à Saint-Paul où une ruelle porte son nom.
La troisième chapelle est celle de l'ancienne maladrerie "réunie à l'hôpital de Pavilly. Elle est située au bout de l'allée du château. Ruinée, on l'appelle alors la chapelle de Saint-Nicolas-du-bout-du-Bosc.
Les deux dernières chapelles sont interdites au culte le 11 juin 1717. Ce jour-là, on prend la décision de restaurer la première.

1750: Claude-Bernard-Antoine du Fay nouveau maître du Taillis.

1756: début de la guerre de sept ans entre la France et l’Angleterre. On vit passer 14.000 hommes sur la route de Duclair. Les 9 et 10 avril, on creusa à l’ancienne léproserie de Saint-Paul. On en retira cinq corps, dix-huit crânes, des pots remplis de charbon et d’encens qui accompagnaient les prêtres et les moines dans leur sépulture.

Décembre 1775. Le comte de Maulévrier forme le projet de dessiner une allée d'arbres depuis Saint-Paul jusqu'à Yainville.

Décembre 1782: échanges de terrains en vue de réaliser le projet du comte de Maulévrier.

1789: Charles-Ferdinand Lecomte du Taillis nouveau maître du château.

7 juillet 1800. Dans la soirée, à l'entrée du spectacle des Arts, à Rouen, Charles-Ferdinand assène un coup de bâton sur la tête de Robert de Saint-Victor. Lecomte est flanqué de Louis Morin fils, négociant de la rue aux Ouest et de trois autres comparses. Lecomte et Morin sont poursuivis et remis en liberté provisoire les 16 et 24 du mois.

1806: Charlotte Hermine Lecomte du Taillis, mineure, hérite de son père. Le 26 août au tribunal civil de Rouen, elle met en vente le domaine en trois lots : le château, la grande ferme, la petite ferme.

1807: Jean-Henry de Quévremont est le nouveau maître du Taillis.

1821: on comble la tranchée de 500 m lancée par Vauban pour réaliser un canal entre Saint-Paul et Yainville.

1823 : Quévremont a du mal à joindre les deux bouts. Il propose la fondation d'une société de deux ou trois familles pour y vivre à la belle saison à frais communs. Le château est entièrement meublé, garni de lits, d'un billard, d'une salle de bain. "Il y a quatre escaliers, chacun y aurait son logement séparé, il n'y aurait de commun que le vestibule, la cuisine, la salle à manger, la salle de billard et le salon de compagnie où on se réunirait avant et après le repas." Dehors, ce sont de très belles avenus, des jardins anglais et un légumier d'un acre et demi, des bosquet et un labyrinthe sur le bord de la nouvelle grande route du Havre parcourue par diverses voitures publiques. On bénéficierait des légumes, du lait de deux vaches et des oeufs des poules pour le service de la maison. "Chacun pourra y avoir ses chevaux et voitures à ses frais."
Mais on pourrait aussi louer la majeure partie du château comme il l'a été précédemment. Bref, il faut s'adresser au propriétaire, 8, rue de l'Ecosse à Rouen.

14 juillet 1827. Le château du Taillis et sa ferme sont détachés de la commune du Trait pour passer en celle de Duclair. Trois habitations et leurs onze occupants suivent le même mouvement.

Mai 1836. Quévremont se sent bien seul. Il est prêt à louer la moitié du château, "meublé avec les accessoires d'un grand état de maison. Les fruits et récoltes des jardins et cours seront partagés avec le propriétaire occupant seul l'autre moitié. Il y a bains, billard, etc. Le preneur choisir une des deux vaches à lait. Ce séjour de santé est précédé d'une cour d'honneur, accompagnée de deux grands bosquets, labyrinthe et croix de malte, bordée par la grande route de Rouen au Havre, traversée par la superbe avenue du milieu qui conduit à un des beaux points de vue du département, on y voit de très loin monter et descendre tous les bâtiments qui sont sur la Seine. L'entourage est le village, la forêt du Trait, les fermes, derrière, très grande terrasse, jardin anglais, grand bois d'agrément puis la forêt du Trait. De toutes les promenades ont voit la Seine..."

1852. Les ouvriers de Monsieur de Quévremont occupés à des travaux de terrassement découvrent plusieurs marmites en fer fondu, les restes d'un four de potier et des vases des XIIe et XIIIe siècles.

1852. Le château passe aux héritiers Quévremont : Félix Caron, commerçant de Rouen et son épouse Marie Adèle Quévremont qui mourra au Taillis en 1869, leur gendre Le Nepveu, leur petite-fille épouse Borde.

La famille Borde au Taillis...

1859: M. l'abbé Cochet a visité encore le château du Taillis, ancienne propriété de MM. Dufay-Dutaillis, baillis de Rouen au XVIIe et au XVIIIe siècle.
Dans les jardins de ce castel, oeuvre de la Renaissance, il a vu une très belle pierre tombale du XIIIe siècle longue de 1 mètre 75, cette dalle, qui ne paraît pas entière, présente en relief une belle croix ramagée, des plus intéressantes que l'on puisse voir. Elle provient de l'ancienne léproserie de Jumiéges, et on croit qu'elle recouvrait, dans la chapelle Saint-Paul, la sépulture de Guillaume Defors, abbé de Jumiéges, de 1247 à 1248.
Toutes les instances de M. Cochet n'ont pu déterminer M. Caron-Quévremont, propriétaire de cette belle pierre, à. l'offrir soit au Musée de Rouen, soit à l'église de Duclair.



1889: débats à la commission des Antiquités:
 " La mention du château du Taillis à la précédente séance amène MP Baudry à communiquer deux dessins acquis par lui à la vente Louis Leclerc. Le premier est celui de la Mère de Dieu, chapelle voisine de Duclair ; le second reproduit une dalle tumulaire, sans inscription, et ornée seulement d'une belle croix, trouvée dans le parc du Taillis. Aux marges du dessin, signé « Denize, 20 avril 1849 », se lisent les détails suivants : « Fouilles de la léproserie, qui était contre la grande avenue, du côté droit, en montant, à l'encoignure du chemin de Duclair à Jumièges par la forêt. Cinq tombeaux sous le sol de l'emplacement de la chapelle connue anciennement sous les noms du Bout du Vent (sic), ou S.-Julien, S.-Nicolas. La quantité de tombeaux dans le roc était assez considérable; les ossements ont été transportés religieusement dans un fossé et recouverts de leur même terre. Un puits très bien conservé est surmonté d'une pierre qui l'indique. Le petit bois s'appelait autrefois la Broche-aux-Malades; il est peu éloigné du puits. Dans le dictionnaire des titres de Normandie on dit à l'article du Trait-Yainville qu’il y avait trois Notre-Dame, une au Trait, l'autre à Yainville, mais que la troisième était inconnue, qu'il ne faudrait qu'un titre pour débrouiller ce chaos ; mais ce titre-là où est-il ? Voilà ce qu'on demande ; et ce doit être cette Léproserie. "

1892. Un dimanche d'août, on retrouve un homme pendu au barreau d'une fenêtre de la cour du château. Ouvrier fileur, Jean-Gabriel Lasnon, natif de Rouen, avait 43 ans.

Début XXe: Mustad fait construire des logements pour ses ouvriers à Saint-Paul. Le sable vient des carrières du Trait.

1908 Ernest Gruley, journalier de 47 ans à Duclair, élague un charme de quelque 17 m au château du Taillis pour le compte de Lenepveu. Mais à peine avait-il pratiqué une entaille que le poids de son corps provoqua la rupture de la branche sur laquelle il se trouvait. Fracture du crâne. Mort instantanée. Constat du Dr Châtel. Qui doit ranimer l'épouse de Gruley tombée inanimée près du cadavre de son mari. Il laisse une orpheline de 3 ans.


1927 NÉCROLOGIE DUCLAIR. Le samedi 26 novembre ont eu lieu, dans l'église de Duclair, les obsèques de M. Albert LENEPVEU, décédé en son château du Taillis, dans sa 86e année. Une foule très grande assistait au service funèbre célébré par M. le Doyen de Duclair et présidé par M. l'archiprêtre Lesergeant. Celui-ci a rendu au vénéré défunt un hommage délicat. C'est déjà faire l'éloge d'un homme, a-t-il affirmé, quand, on peut dire de. lui que contrairement à tant d'autres de sa génération, il à aimé la terre natale et lui est demeuré fidèle, Cet attachement au sol ancestral ne suppose-t-il pas une simplicité de goûts, une austérité de vie, un amour du recueillement devenus rares de nos jours, M. Albert Lenepveu avait gardé en outre, un profond sentiment de la famille et une fidélité complète à l'éducation religieuse que lui inculqua une mère admirable. Sa mort fut des plus édifiantes. Nous adressons nos meilleures condoléances à Mme Albert Lenepveu, à M. G. Borde et à Madame, née Lenepveu, à leurs enfants et aux autres membres de la famille.

1936: Léon Hermier, de Saint-Paul, est distingué pour avoir eu 11 enfants dont 10 sont vivants.

1949: érection du calvaire. Héritière des Caron et  Le Nepveu, Madame Borde en avait fait le vœu durant la guerre au cas où le château ne serait pas bombardé. Le château avait été placé sous la protection du Sacré-Cœur dont l'effigie était placardée sur la porte des cuisines. (Photo : Alain Guyomard).

Depuis... Le château a été successivement la propriété de M. et Mme Norbert Laurent, Maître Arnaud Séguinet, M. et Mme Navarro, puis leur fils Nicolas qui, entouré de sa famille et d'amis a accompli un travail titanesque pour faire vivre le Taillis...


Notes


A la fin du XIIe siècle, Robert de Meulan donna à l'abbaye de Jumièges une rente annuelle de 10 sols pour entretenir de jour comme de nuit la lampe de la chapelle de Saint-Paul à prendre la première semaine de carème sur  la terre de Hauville, dans la forêt de Brotonne.

Sources

Le château du Taillis, Patrick Sorel, Bruno Penna, 2004.
Bulletin de la commission des Antiquités de la Seine-Inférieure, 1889.
Musée des Antiquités de Rouen.
Journal de Rouen

Vos réactions



Claude D. 19 mai 2011 : Auriez vous des informations sur la maison de mes parents qui se situe au 112 rue saint Laurent j ai souvenir dans ma jeunesse qu il y avait celle au mur des anneaux a chevaux et enendu dire qu il s agissait d un ancien relais a chevaux et auberge
merci par avance