C'était le plus redoutable traîne-sabre de son temps. Le 22 avril 1592, opposé à Henri IV, Alexandre Farnèse cantonna dans notre région. Voici comment se répartit son armée dans nos villages. Avant la prise de Caudebec...

Considéré comme le plus grand capitaine de son temps, il avait passé sa vie sur tous les champs de bataille. Vers la fin de ses jours, Alexandre Farnese, duc de Parme et de Plaisance, gouverneur de Flandre au nom du roi d'Espagne, est poussé par son monarque à prendre part aux guerres de religion qui s'éternisent en France. Là-bas, face à lui, Henry IV, roi de France et de Navarre, doit faire à une ligue catholique. Et les Espagnols sont leurs alliés. Cette ligue, elle ne veut pas d'un protestant, d'un roi hérétique. Longtemps, elle soutenu l'abbé de Jumièges, Charles de Bourbon, pour le porter au trône sous le nom de Charles X. Seulement, il est mort voici peu.

En décembre 1591, Henry IV met le siège devant la ville de Rouen. Quelques semaines plus tard, Farnese vole au secours de la capitale normande avec quelque 20 0000 hommes. Le 4 avril 1592, conseillé par sa maîtresse, Gabrielle d'Estrées, voilà qu'Henry IV déclare son intention d'épouser la foi catholique. En attendant sa reconversion, le 20 avril, ses troupes sont contraintes de déguerpir à Port-Saint-Ouen. Farnese fait une entrée triomphale Rouen et il est d'avis d'en découdre aussitôt avec le Navarrais qui attend des renforts. Tel n'est pas l'avais de son conseil de guerre qui propose une autre option : libérer tous les ports de Seine jusqu'au Havre. Et reprendre au passage Caudebec encore tenue par les partisans d'Henry IV.

Le 21 avril, Farnese se met donc en route et passe la nuit à Isneauville. Le reste des troupes se répartit entre Maromme, Canteleu et autres lieux.Le lendemain, un texte ancien nous précise les cantonnements de l'armée espagnole dans notre région :


JOURNÉE DU 22 AVRIL 1592

(CANTONNEMENTS)



« Son Altesse et sa court et les deux companyes de la garde à Ducler (
Duclair)
« Les dix companyes des Pays-Bas à Traitte (Le Trait).
« L'artillerye à Varaigueville (Varengeville).
« Les vivres à Villers (Villers-Ecalles) et Tailly (Le château du Taillis, Saint-Paul).
« Les hommes d'armes à Candos (hameau de Varengeville).
« Les hommes d'armes à Sainte-Marguerite.
« Le commissaire général à Saint-Georges (Boscherville) et Quevillon.
« Les reytres à La Fonteyne (La Fontaine).
« L'esquadron de don Antonio à Saint-Pays (Saint-Paër que le peuple, paraît-il, prononçait Saint-Païs).
« L'esquadron de don Alonsio à Saint-Thomas (La Chaussée).
« Les Suysses à Saint-Jean-du-Cardonnay.
« Mgr duc de Mayne à Vierre (
Peut-être Villers, déjà nommé; ou par suite d'une mauvaise lecture : Vieux, Les Vieux, ancienne paroisse réunie à Saint-Paër. )
« Mgr d'Aumale à Croiset. (Croisset, hameau de Canteleu).
« Mgr de Vitry à La Romayne (
Ne serait-ce pas Le Vaumain, hameau de la Vaupalière. Quelques cartes indiquent aussi dans le voisinage à la jonction de Maromme, Bondeville et la Vaupalière, un lieu dit La Maine. )
« Bone, Tavanes, Bazile à Ocade (
Probablement mauvaise lecture pour Oraile; L'Ouraille, hameau de la Vaupalière. )

Blessé au bras



On doit à Romeyn de Hooghe une gravure réalisée près d'un siècle plus tard.

Voilà Farnese devant Caudebec. Nous sommes le 23 avril. Au nom d'Henry IV, la ville est alors tenue par le gouverneur La Garde, entouré des troupes italiennes de Bracciaduros. Une flotte hollandaise attachée à Henry IV tente de protéger la ville en canonnant les Espagnols. Farnese disposait des batteries sur la rive pour répliquer lorsqu'il reçut d'une guérite des murailles un coup de mousquet au coude. La balle lui remonta l'avant-bras jusqu'à la main. Mais il ne laissa rien paraître, sinon du sang en abondance, et continua de diriger les opérations.
Une canonnade ayant percé les remparts, Caudebec finit par tomber et Farnese y fit son entrée le 26 avril. Apprenant cela, Henry IV fonce sur Yvetot pour couper toute retraite à Farnese, acculé dans Caudebec. Miné par la fièvre, le voilà pris en étau par les troupes royales. Farnese établit son campement au hameau du Vieux-Louvetot, à la sortie de Caudebec. Longtemps le lieu gardera le nom de camp des Espagnols.
Henry IV, quant à lui, s'établira solidement à Valliquerville. Durant seize jours, des combats incessants vont opposer les deux armées sur le plateau cauchois et embraser la région jusqu'au portes de l'abaye de Saint-Wandrille.
Henri IV livra bataille contre les troupes de la Ligue en un lieu encore appelé la Butte Henri IV. Il y eut une centaine de morts, et tout le bagage ennemi tomba aux mains du roi, et même le dîner préparé pour le duc de Mayenne fut servi à Henri et à ses officiers. C'est à la suite de ce combat, et au pied d'un vieux moulin où il avait couché la veille que, s'adressant aux seigneurs de sa suite, le Béarnais aurait dit, avec sa bonne humeur habituelle : « Si par malheur je perds le royaume de France, je suis au moins assuré d'avoir celui d'Yvetot ».

Une autre tradition veut que, logeant toujours dans un moulin, le roi Henri, s'adressant au meunier qui portait le nom de Gaillard, aurait réclamé la présence de la meunière; mais celle-ci, par précaution, avait été envoyée aux environs. Le meunier avait, paraît-il, réputation d'esprit. Le roi s'étant assis à sa table pour dîner, et lui ayant demandé : « Quelle différence fais-tu entre Paillard et Gaillard ? », se serait attiré cette réponse : « Il n'y a entre Paillard et Gaillard que la distance de la table qui nous sépare ».

Ces combats finirent par avoir raison de la Ligue catholique. Réduite de moitié, son armée ne compte plus que des hommes affamés, malades, dont le seul salut ne réside plus que dans la fuite. Un pont de bateaux venus de Rouen et un système de bacs furent établis entre Caudebec et Bliquetuit pour permettre la traversée des troupes. Spectaculaire, l'opération plusieurs jours puis l'arrière-garde commandée par le fils de Farnese mit le feu au dispositif. Ce qui faillit lui coûter la vie. On conserve de 
cet épisode une anecdote :

Victime du mascaret



Peu s'en fallut que l'illustre Farnèse, n'eût par la barre à pleurer la perte de son fils. Le duc de Parme était passé de la rive droite de la Seine à sa rive gauche, avec la plupart de ses troupes, cernées par le roi Henri IV. Le jeune prince Ranuce avait, durant tout le temps du passage, tenu bon dans un fort construit non loin de Caudebec, sur la côte de la Justice, puis, avec son arrière-garde et ses quatre derniers canons, il s'était embarqué lui-même sur un fragile radeau.
A peine celui-ci a-t-il quitté le bord, que la barre accourt furieuse, livre un assaut terrible à la frêle machine qui porte l'espérance du duc, et l'entraîne dans son tourbillon presque jusqu'à La Mailleraye. Heureusement, des cavaliers, qui se trouvaient dans la prairie aux environs de Bliquetuit, virent le danger du jeune prince, et, en pressant leurs montures, arrivèrent assez à temps pour lui jeter quelques amarres, qui permirent à lui et aux siens de s'attacher solidement au rivage.

D'autre versions de cette affaire nous disent que des navires hollandais venus de Villequier prirent en chasse Ranuce et le canonnèrent. Mais le prince de Parme, voyant cela, réunit ses forces sur la rive gauche pour forcer les galères à regagner le large.

La retraite en Flandre


Malgré la pression des troupes d’Henri IV qui tentèrent de lui couper la route en traversant la Seine à Pont-de-l'Arche, Alexandre Farnese permit à son armée d'en réchapper.
Si l'on admire le général victorieux, on tresse aussi des lauriers au vaincu qui, dans la déroute, sait protéger ses troupes. Henry IV n'aura plus jamais d'ennemi aussi dangereux que Farnese. Le 13 mai, le duc de Parme cantonnait à Blinqui (Bliquetuit), l'infanterie et les Suisses à La Bouille, la cavalerie, elle, passait par Rouen.
Le même jour, tle roi de France et de Navarre entrait en libérateur dans Caudebec la protestante. Il en visita les manufactures, fit sa prière à genoux sous le portail de l'église, ce qui en étonna plus d'un, logea dans une hôtellerie qui, sur la place d'Armes, allais désormais porter son nom. Henry faira de Caudebec le grand baillage de Caux.
Le 14, le duc de Parme passait Routot, 
Pont-Authou, La Neuville-du-Bosc, Le Neubourg... Une longue route qui allait le ramener en Flandre. Là, semble-t-il rétabli, il se déclare prêt à reprendre les opérations en France. Seulement, à la cour de Madrid où il est jalousé, on l’accuse de manquer de loyauté envers le roi d'Espagne qui finit par lui retirer sa charge de gouverneur. 

Avant même de connaître cette décision, la santé de Farnese, mise à mal depuis sa blessure, s’aggrave subitement et dans la nuit du 2 au 3 décembre 1592, Il décède à l'abbaye Saint-Vaast d'Arras. Sa dépouille est revêtue d'une bure de capucin et transférée à Parme pour être inhumée dans l’église de cet ordre religieux aux côtés de sa femme. La mort lui aura épargné la nouvelle de la perte de sa charge et Alexandre Farnèse emporte dans la tombe l'estime de son adversaire : Henri IV. Henri IV six mois plus tard devient catholique.




SOURCES

Campagnes de Alexandre Farnèse, duc de Parme et de Plaisance, 1591-1592. Aumale, Cailly, Caudebec , par M. le capitaine de Terrier-Santans, 1888.Wikipédia.
La Normandie monumentale et pittoresque, Emile Travers.