Par Laurent Quevilly
Décédé plus que centenaire à Heurteauville, Albert Cantais fut le dernier poilu de notre région. Mais on a bien failli l'oublier. Son parcours du combattant... |
Albert André Louis Cantais est
né le 6 janvier 1895 à Lillebonne de Henri
Cantais et Henriette Lanquette. C'était un homme aux yeux
bleus et aux cheveux châtains. Bref, un Normand typique. En
1914, alors qu'il est mécanicien à Rouen, Albert
est réformé pour une ostéite chronique
au sternum. On appellera cela une pleurésie. Mais le 29
avril 1916, il pousse la porte de l'Hôtel-de-Ville et se
porte volontaire. Albert aurait pu rester planqué.
Il veut se battre...
Après avoir suivi six mois les cours de mécanique
de l'école d'aviation de Lyon, le sapeur de 2e classe
embarque, en octobre 1916, sur la Cattharina II, bâtiment de
la marine Russe, avec lequel il rallie Arkhangelsk, port de la Dcvina
sur les bords de la Mer Blanche, au nord de la Russie. De
là, il part à Iashi, en Roumanie,
région de Moldavie,. Il est de l'escadrille n° 10
puis n° 23 sous les ordres du général
français Berthelot. Alberte est alors mitrailleur dans
l'aviation de chasse, ce qui lui vaut la Croix de Saint-Georges des
autorités roumaines.
Quand, en mars 1918, la Roumanie est envahie par les Allemands, Albert
est pris comme otage pour servir à un échange de
prisonniers. En mai, il est libéré par les
Ukrainiens et dirigé sur Kiev. Entre temps, son
unité aura reçu une citation collective
à l'ordre de l'armée par Paul
Painlevé, ministre de la Guerre.
Albert embarque ensuite à Mourmansk sur un navire anglais en
direction du Havre. Mais le 12 novembre 1818, lendemain de l'Armistice,
notre Normand repart de Brest pour Vladivostock à bord du
navire américain Grant au sein de l'escadrille 530. Sa
mission : former une base à Omsk, en Sibérie
occidentale. Là, il est décoré de la
médaille de Saint-Georges par le gouvernement Kaltchck. En
novembre 1919, Albert est enfin rapatrié en Normandie.
Le caporal Cantais sera
démobilisé définitivement le 26
janvier 1920. Il se retire à Rouen, rue Forfait puis rue de
la Seine mais reste disponible dans la réserve comme ouvrier
de l'aéronautique. En mars 1940, Albert est d'ailleurs
rappelé dans l'armée de l'air repliée
à Rennes et Redon. On le libère en août
alors qu'il se trouve à Blagnac.
Et puis les années passent. Etabli à
Heurteauville après avoir été chef
comptable puis directeur de société, Albert
Cantais semble oublié des autorités. Ce n'est que
le 8 mai 1994, soixante-quinze ans après le conflit, que lui
est enfin délivrée sa carte du combattant
assortie de la Croix. Et ce, grâce à
André Bocq, président des Anciens combattants et
Prisonniers de guerre, en charge de la section d'Heurteauville. La
cérémonie se déroule dans une salle
comble. Il y a là les écoliers qui s'en
souviennent sans doute...
Quand, en 1995, la France décide de décerner la
Légion d'Honneur à tous les anciens Poilus encore
en vie, Albert est encore ignoré. Il faudra
qu'André Bocq fasse le siège des instances de
l'Etat français pour que justice lui soit rendue.
Il était temps ! Car Albert Cantais
a... 101 ans lorsque, le 13 avril 1995, M. Bocq vient lui accrocher sa
médaille dans la salle des fêtes d'Heurteauville.
Il y a là les maires, les porte-drapeaux du canton, foule
d'Heuteauvillais, MM. Bayer, commandeur de la Légion
d'Honneur, Dumarché, officier, Roux, chevalier.
Président des médaillés militaires de
Rouen, mon cousin, Bernard Lajeunesse, est également
présent. "Enfin le grand jour est arrivé,
s'exclame André Bocq, car ce fut un parcours du combattant
pour avoir cette distinction et la reconnaissance des états
de service de M. Cantais !"
La veille de ses 102 ans, le dimanche 5 janvier 1996, Albert Bloch
revint à Heurteauville souhaiter l'anniversaire du
vétéran et doyen de la commune en compagnie du
maire, Server Saussay. Il reçut une fleur. Puis leva sa
coupe de champagne.
Albert Cantais alla finir ses jours dans une
maison de retraite près de Rouen. Il y est
décédé dans sa 103e année
le vendredi 21 mars 1997. Albert vivait depuis plus de vingt ans
à Heurteauville et le maire lui vouait toute son affection.
"Très attaché à votre commune, dira
Sever Saussay en direction du cercueil, vous avez toujours
participé, malgré le poids des ans, aux diverses
manifestations." Puis à l'adresse de l'assistance:
"J'éprouvais pour Albert Cantais une profonde estime et,
comme tous ceux qui l'ont approché, j'appréciais
sa gentillesse, sa culture et son humour..." La messe fut
célébrée par l'abbé Bernard
Locquierre et tous les porte-drapeaux du canton étaient
encore là. Parmi les personnalités : Henri Malou,
le vice-président du Conseil général.
Albert Cantais repose aujourd'hui dans le cimetière
d'Heurteauville.
Sources
Courrier Cauchois, 1995, 1996.
Fiche matricule Cantais, AD76