En 1726, la justice royale eut à trancher un différend qui opposait les moines de Jumièges a leur abbé, le sieur de Saint-Simon. Ceux-ci s'opposaient quant au partage des bénéfices de l'abbaye. L'arrêt donne un bel aperçu de ces biens à l'époque...
Depuis 1545, un concordat définissait la part des revenus de l'abbaye revenant à l'abbé et celle qui allait à la communauté. Celle-ci, amputée du tiers de ses revenus, eut une bonne gestion au point d'acquérir de nouveaux biens fonciers pour compenser ceux passés dans la mense abbatiale. Tout alla ainsi dans le meilleur des mondes. Jusqu'au jour où mourut l'abbé François II de Harlay. Cétait en 1695. Dès lors, l'abbaye resta vingt ans sans abbé. Le roi confia sa gestion à un économe qui mit la mense abbatiale en adjudication. Durant cette période, les moines établirent des talus pour se protéger du mascaret, augmentèrent de 6 à 7 acres leurs prairies pour compenser celles que mangeait la Seine, ils plantèrent force arbres fruitiers près de l'abbaye.
Enfin, en 1716, l'autorité royale nomma un nouvel abbé. Mais, après trois années sans histoire, le jeune Claude de Saint-Simon ne songea plus qu'à s'enrichir sur le dos de l'abbaye dès qu'il reçut officiellement son titre. A cette fin, il fit casser le concordat de 1545 pour obtenir de nouveaux partages entre lui et le reste de la communauté. En 1721, un arrêt de la chambre du Clergé le reconnaît lésé par ce concordat. L'abbaye allait être obligée de diviser ses biens en trois lots sensiblement équivalents pour procéder à un nouveau partage. L'abbé choisit le troisième. Ainsi des biens passèrent de la communauté à l'abbé et inversement. Mais les procès allaient succéder aux proès...
En 1722, Saint-Simon arracha aux revenus de ses religieux 8.200 livres de rente. S'ajoutaient à cela les 30.000 livres que les religieux avaient dépensés durant les vingt ans d'économat pour les réparer les fermes de l'abbaye.
En 1723, Saint-Simon obtint du Conseil la descente du grand maître des Eaux et Forêts dans les bois de Jumièges qu'il venait d'obtenir. Il demanda le paiement de tous les délits qui y avaient été commis depuis le concordat. Un jour, dans le bourg de Jumièges, il frappa de sa canne le célerier. Il y eut procès. Bientôt, il menaça le cénobite de lettres de cachet ainsi que le prieur. Tous d'eux allèrent s'enterrer dans un autre monastère, l'un à Fécamp, l'autre à Bourgueil. C'est alors qu'intervint un nouveau jugement. Il fut en faveur de Saint-Simon...
Nous
Commissaires Généraux susdits en vertu du pouvoir
à Nous donné
par Sa Majesté, sans s'arrêter aux demandes de
dits prieur
& religieux, à fin de nouveaux partages, dont nous
les avons
déboutés
; ordonnons que le partage & choisie des lots faits en
exécution
des jugements des 27 Août 1721, & 20 Août
1722, seront
exécutés
; & faisant droit sur les réserves, protestations
&
demandes
respectives des parties...
ordonnons que les biens composant le
patrimoine de la chapelle de S. Philbert du Torp, seront
partagés,
pour un tiers d'iceux appartenir auxdits prieur & religieux,
&
les deux autres tiers audit de Saint-Simon, abbé,
à
commencer la
jouissance du jour de Saint Michel 1721, en contribuant par ledit de
Saint-Simon, suivant ses offres, pour les deux tiers au payement des
décimes imposées sur ladite chapelle,
à compter
dudit jour de S.
Michel 1721, & en remboursent auxdits prieur &
religieux les
deux tiers des sommes qu'ils ont payées pour amortissement
de la
capitation par forme de subvention ; & seront les honoraires
pour
le service, tel qu'il est fondé en ladite chapelle,
réglés par
le Sieur Archevêque de Rouen, en son officiaI, & le
montant
d'iceux pris & prélevés sur les revenus
de ladite
chapelle.
Condamnons lesdits prieur & religieux de payer dans un
an, à compter du jour de la signification du
présent
Jugement, les
droits d'indemnité, & autres droits, Suivant la
Coutume,
à
cause des acquisitions par eux faites au profit de leur petit
Convent, dans la mouvance des Fiefs de ladite abbaye, soit des lots
de l'abbé, soit de celui des religieux ; & seront
les sommes
en
provenantes employées en fonds d'héritages au
profit de
l'abbaye,
pour les deux tiers en appartenir audit de Saint-Simon,
abbé,
&
à ses successeurs, & l'autre tiers auxdits prieur
&
religieux; & pour parvenir à la liquidation desdits
droits,
ordonnons que lesdits prieur & religieux seront tenus de
représenter dans six mois audit de Saint-Simon, leurs
contrats
d'acquisitions, & autres titres, & de lui fournir une
déclaration exacte de tous les biens par eux acquis,
même
de se
purger par serment qu'ils n'en retiennent aucuns.
Ordonnons
que lesdits prieur & religieux délaisseront audit de
Saint-Simon
le terrain appellé de la Cerizaye, & une petite
place attenante
plantée de quelques ormes pour l'augmentation du jardin
abbatial,
lesquels terrain & place lesdits, religieux seront tenus faire
clore à leurs frais, dans le cours de trois mois, de huit
pieds de
haut hors terre, non compris le chaperon : comme aussi fournir audit
de Saint-Simon le passage, & faire ouvrir la porte
déjà faite
qui donne dans la chapelle de la Vierge, où est le tombeau
d'Agnès de Sorelle, pour lui servir d'entrée dans
l'église de
ladite abbaye de Jumièges, & seront lesdits passage
& porte
enfermés dans ladite clôture des terrains
ci-dessus abandonnés
pour l'accroissement du jardin abbatial ; & sur le surplus des
demandes dudit Sieur de Saint-Simon, ce concernant, hors de
Cour.
Appartiendront à l'abbé seul les droits
honorifiques de
ladite abbaye ; en conséquence avons maintenu &
gardé
ledit de
Saint-Simon, privativement auxdits religieux, dans le droit de chasse
dans les paroisses de Jumièges, d'Yainville & du
Mesnil, qui
forment le chef-lieu de ladite abbaye, encore que ces paroisses
soient dans le lot desdits religieux: Permettons néanmoins
auxdits prieur & religieux de faire chasser dans la partie de
la
Baronnie
de Jumièges qui est au delà de la riviere,
appelé
le Hameau de
Hartauville, à la charge que les Gardes qu'ils employeront
pour
garder, tant ledit Hameau que la Forêt de
Jumièges, seront
reçus par le Verdier de Jumièges, & ne
porteront de
bandolières qu'aux armes des abbés de
Jumièges.
En ce qui concerne la Pêche, ordonnons qu'elle appartiendra auxdits prieur & religieux, conformément audit partage du 20 Août 1712. Pourront toutefois ledit de Saint-Simon, abbé & ses successeurs y faire pêcher par eux-mêmes, ou par quelqu'un chargé de leur ordre, une fois la semaine pendant le séjour audit Jumièges ; & pour leur provision seulement.
La justiceOrdonnons que les Hautes-Justices de Jumièges, Yainville & de Ducler, appartiendront audit de Saint-Simon, abbé, en remboursant par lui dans six mois, à compter de la signification du présent Jugement, auxdits prieur & religieux ce qu'ils ont payé, tant en principal qu'accessoires pour l'acquisition des Hautes-Justices, & à la charge de supportes par ledit abbé les frais des Procès criminels ; en conséquence auront ledit de Saint-Simon, & ses successeurs, le droit d'instituer & de destituer les Officiers desdites Hautes-Justices.
Appartiendra audit de Saint-Simon, & à ses successeurs, le droit d'instituer & de destituer les Officiers de la Moyenne & Basse Justice des pareilles qui composent le chef-lieu de ladite abbaye.
Comme aussi ceux de la Grurie & Verderie, sans préjudice des amendes & autres profits, à cause de ladite Grurie & Verderie, qui appartiendront auxdits Re1igieux pour un tiers seulement.
Pourront néanmoins lesdits prieur & religieux, du consentement dudit de Saint-Simon, nommer un Sénéchal & un Greffier à l'effet seulement de tenir leurs Gages-pléges, & pour la perception & conservation de leurs droits seigneuriaux ; & nommeront aussi ledits Officiers de Justice qui sont dans leur lot, à l'exception de ceux des Hautes-Justices qui pourroient s'y trouver.
Ordonnons que l'Auditoire de ladite abbaye de Jumièges appartiendra audit de Saint- Simon, abbé, & ses successeurs permis toutefois auxdits religieux de s'en servir pour leurs Gages-pléges aux jours qu'ils ont accoutumé de les tenir , & sera ledit Auditoire entretenu aux frais de l'abbé, après qu'il lui aura été donné en bonnes réparations par lesdits religieux.
Ordonnons que lesdits religieux souffriront pour Prison de l'abbaye, celle désignée par le premier chiffre d'un plan ancien produit en la présente Instance.
Les droits de nomination
Maintenons ledit de Saint-Simon, abbé, & ses successeurs, dans le droit de nommer seuls à tous les Bénéfices, soit prieurés simples soit Cures dépendantes de ladite abbaye de Jumièges ; même du lot desdits religieux, & de celles dont le Patronage prétendu réel & attaché à la Glèbe, sauf la chapelle de S. Nicolas de Longueville, dont la nomination & présentation appartiendra au prieur Claustral de.ladite abbaye de Jumièges, conformément au titre de fondation de cette chapelle.
Le clos de la VigneAvons déclaré et déclarons le clos appelé le Clos de la Vigne, partable ; & néanmoins permettons audits prieur & religieux d'en conserver la possession en entier, en indemnisant à dire d'Experts, qui seront choisis par les Parties, sinon pris & nommés d'office par le Lieutenant Général de Rouen, ledit de Saint-Simon, abbé, en autres fonds de même valeur, contigus au logis abbatial, & à sa bienséance, avec restitution de fruits depuis la Saint Michel 1721 ; & où lesdits prieur & religieux préféreroient d'abandonner audit de Saint-Simon les deux tiers dudit clos en nature ; en ce cas les condamnons de rétablir à leurs frais le mur de séparation de ce clos avec les lieux réguliers, sauf à contribuer par ledit Sieur abbé, pour l'avenir, à l'entretien & réparations des murs dudit clos, lorsqu'ils auront été mis en bon état par lesdits religieux , & serons ledits religieux tenus de faire ladite option dans trois mois du jour de la signification du prêsent Jugement, sinon déchus.
Les prieurés
Ordonnons
que lesdits prieur & religieux communiqueront audit de
Saint-Simon, dans trois mois, à compter de la signification
de
notre Jugement, les titres d'union du prieuré de Longueville
&
ceux concernant la propriété des biens &
héritages, tant dudit prieuré de Longueville, que
de ceux
du Bue & de Crouptes, &
déclareront dans le même délai la
quantité
& quotité des
redevances dues à ladite abbaye par les prieurés
en
dépendant,
soit que lesdits prieurés soient
possédés en
Commende, ou par des religieux de la Congrégation ;
ou
qu'ils soient unis à ladite
abbaye.
En ce qui concerne les biens aliénés pour cause
de
subvention, & depuis retirés par lesdits prieur
& religieux,
ordonnons que lesdits biens seront partagés pour un tiers
d'iceux
appartenir auxdits prieur & religieux, & les deux
autres
tiers audit de Saint-Simon, en remboursant par ledit de Saint-Simon
les deux tiers des sommes par eux déboursées,
tant en principal
qu'accessoire, & qu'ils prouveront avoir bien &
légitimement
payées, pour parvenir audits retraits.
Ordonnons que les
biens échus auxdits prieur & religieux, à
droit de
confiscation
avant la choisie des lots, conformément à la
Coutume de
Normandie,
entreront en partage, en indemnisant par ledit de Saint-Simon lesdits
prieur & religieux, des sommes qu'ils justifieront avoir
déboursées, pour faire ordonner lesdites
confiscations.
Et
quant aux Biens & Héritages acquis par lesdits
prieur &
religieux à titre de Retrait féodal, Ordonnons
qu'ils
vuideront
leurs mains desdits biens dans un an, à compter du jour de
la
signification du présent Jugement.
Ordonnons que les 2100
liv. reçues par lesdits prieur & religieux, pour
dédommagement
d'un Terrain qui a été pris à ladite
abbaye de Jumièges, pour
agrandir le Jardin des Premiers Présidents du Parlement de
Normandie,
entreront en partage, tant pour la portion desdits deux mille cent
livres, qui a déjà été
employée en fonds, que pour celle qui
reste ès mains desd. religieux, dont il sera pareillement
fait
emploi ; & tiendront lesdits prieur & religieux, compte
audit
de Saint-Simon, du jour de S. Michel 1721, tant du revenu desdits
fonds acquis, que de l'intérêt de ladite somme
quiest demeurée
entre leurs mains, pour les deux tiers à lui
appartenant.
Déboutons ledit de Saint-Simon de ses demandes à fin de partage des granges, greniers, écuries, plomberie & autres bâtiments étant dans la basse-cour dudit convent de Jumièges, à l'exception du pressoir & du four à plâtre, dont lui & ses successeurs auront l'usage pour eux seulement.
La terre de Norville
Ordonnons, que
ledits prieur & religieux seront tenus de rapporter dans un an
à
compter du jour de la signification du présent Jugement,
la somme de vingt-deux mille livres par eux touchée du sieur
Marquis
de Saint Luc, pour le désistement du Retrait de la Terre de
Norville, sauf à déduire &
prélever sur icelle somme de
vingt-deux mille livres, celles que lesdits prieur & religieux
justifieront leur être dues pour frais bien &
légitimement
faits & avancés, pour la suite du Retrait de ladite
Terre de
Norville seulement ; desquels frais ils seront tenus de justifier
dans six mois , à compter pareillement de la signification
du
présent Jugement, sinon déchus ; & sera
la somme provenante
dudit Retrait de Norville, employée en acquisitions
d'Héritages, en
présence & du consentement dudit lieur de
Saint-Simon, abbé &
de la Partie publique, pour être lesdits Héritages
partagés entre
ledit sieur abbé & lesdits religieux en la
manière accoutumée,
desquels Héritages lesdits prieur & religieux seront
tenus
de payer en entier à leurs frais & sans
répétition, les droits
d'amortissement & d'indemnité.
Condamnons lesdits prieur
& religieux aux intérêts de la somme dont
ils se trouveront
débiteurs ;
déduction faite des frais, du jour de la demande
dudit de Saint-Simon, jusqu'à l'emploi actuel desdits
deniers.
Et avant faire droit sur le Retrait prétendu du Fief de la vieille Mare, dont les religieux se sont chargés par la transaction passée entr'eux & le feu sieur de Harlay, Archevêque de Paris, le 2 Janvier 1649, ou sur le bénéfice en provenant : Ordonnons que dans six mois, à compter de la signification du prêtent Jugement, lesdits prieur & religieux justifieront de l'événement de cette action en retrait.
Le boisAvons maintenu & maintenons ledit Saint-Simon abbé, d'ans le droit de prendre tous les ans quatre-vingt cordes de Bois, faisant les deux tiers de cent vingt cordes que l'abbaye de Jumièges est en possession de percevoir dans la Forêt de Bretonne ; en conséquence, condamnons lesdits prieur & religieux de rendre & restituer audit sieur abbé ce qu'ils ont perçu dudit Bois à son préjudice, au-delà des quarante cordes à eux appartenantes par chacune année, sinon la valeur desdites cordes de Bois à due estimation, & ce, depuis la S. Michel 1721.
Le vin
Avons pareillement maintenu ledit de Saint-Simon, abbé, dans
le droit de faire passer par la Ville de Rouen les deux tiers de cent
muids de Vin que l'abbaye est en possession d'y faire passer, exempts
du grand droit, & lesd. religieux dans le pareil droit pour
l'autre tiers : En conséquence, pourront lesd.
abbé &
religieux
passer jusqu'à concurrence desdits cent muids avec exemption
desdites grandes entrées, sauf à celle des
Parties qui
aura excédé
ses deux tiers où son tiers, d'affranchir l'autre partie
jusqu'à
concurrence de ce qui lui en appartient au total ; & quant
à
la
restitution prétendue par ledit de Saint-Simon pour non
jouissance
du passé, attendu la Consommation dudit droit en entier, ou
pour
la
plus grande partie par lesdits religieux ; Ordonnons que lesdits
religieux indemniseront ledit sieur abbé sur sa simple
déclaration,
des Vins qu'il a fait venir, & pour lesquels on lui a fait
payer
le grand Droit.
Ordonnons qu'en exécution du Jugement du
vingt Août 1722, les Parties viendront respectivement
à compte
dans trois mois de la signification du présent Jugement,
devant le
Lieutenant Général de Rouen, que Nous avons
commis à cet effet,
des jouissances qu'elles ont eu depuis la Saint Michel 1721,
jusqu'au jour qu'elles font entrées en possession
réelle des fonds
qui ont changé de main au moyen du nouveau partage.
Avons
débouté & déboutons ledit de
Saint-Simon de
ses demandes à
fin de nouvelle visite de son Logis Abbatial, & de construction
d'un petit Bâtiment attenant, lequel est commencé
; &
de celle
à fin de partage du Clos de l'Aumônerie,
à la
charge par lesdits religieux de délaisser audit de
Saint-Simon,
chacune année, depuis
le premier Décembre jusqu'au seize dudit mois inclusivement
le
grand
Four dans lequel ils avoient coutume de cuire le pain
destiné
pour
l'aumône du Duc Guillaume.
Ordonnons que ledit sieur de
Saint-Simon continuera de jouir de la Grange de Ducler, comme elle
étoit nommément exprimée dans ses
lots.
Et ayant
aucunement égard à sa demande au sujet du cellier
de Longueville,
Ordonnons que lesdits religieux lui fourniront, soit dans le grand
cellier, soit dans les deux petits celliers étant dans la
Ferme
dudit Longueville de quoi loger les Vins provenant de ses Dixmes.
Ordonnons que les réparations faites par ledit sieur
abbé,
en exécution du Procès-verbal du 22 Septembre
1722 & jours
suivants, seront vues, visitées & reçues,
( Parties présentes
ou dûement appelées) par le
Lieutenant-Général de Trun que Nous
avons commis à cet effet, & ce dans un mois,
à compter de la
signification de notre présent Jugement.
Condamnons lesdits prieur & religieux de faire faire dans six
mois celles qui sont à
leur charge, suivant les Procès-verbaux des deux Septembre
1721, 22
Mars & 13 Juillet 1723 , & de les faire recevoir en la
manière accoutumée, sinon & ledit temps
passé, permettons
audit de Saint-Simon de les faire faire à leurs frais
& dépens.
Ordonnons que lesdits prieur & religieux communiqueront
dans trois mois audit de Saint-Simon les Lettres-Patentes qui ont
autorisé leur introduction dans ladite abbaye, pour
après ladite
communication, être fait droit ainsi qu'il appartiendra ;
&
qu'ils représenteront dans le même
délai les Inventaires des
Titres de l'abbaye qui ont du être faits lors de leur
introduction,
sinon qu'ils se purgeront par Serment, qu'il n'ont point connoissance
qu'il y en ait eu aucuns.
Et sur la demande dudit lieur de
Saint-Simon à fin de construction d'un Logement pour son
Jardinier
aux frais desdits religieux, & autres demandes ce concernant,
hors de Cour.
Avons pareillement mis hors de Cour, quant à
présent, sur la demande dud. de Saint-Simon à ce
que
lesdits religieux soient tenus d'être toujours au nombre de
quarante en
ladite abbaye de Jumièges, conformément au
Concordat de
1545.
Et
sur la demande du sieur de Saint-Simon, à ce que les
religieux
soient condamnés à payer les sommes auxquelles se
trouvent imposés
les Domaines de l'abbaye dans les paroisses de Ducler , Launay
&
Èpinai, pour les réparations des
églises &
presbytères de ces paroisses, attendu que ces
réparations
étoient à faire avant les
nouveaux partages, Ordonnons que les Parties contesteront plus
amplement dans trois mois.
Et faisant droit sur les demandes
desdits prieur & religieux, condamnons ledit de Saint-Simon
abbé,
& ses Successeurs, de leur payer la somme de 800 livres par
chacun an, à compter de la Saint Michel 1721, moyennant
laquelle
somme lesdits religieux demeureront chargés de l'entretien
des
lieux
réguliers, l'église & clôture
de ladite abbaye,
à l'exception
toutefois du Logis Abbatial; & ne pourront obliger ledit sieur
abbé de contribuer auxdites réparations, sous
prétexte d'ouragans,
mais seulement dans le cas de l'Incendie, feu du Ciel &
incursion
des Ennemis.
Seront pareillement tenus ledit de Saint-Simon abbé
& ses
Successeurs de payer auxdits religieux annuellement,
à compter du jour de Saint Michel 1721, la somme de sept
cens
livres
pour l'entretien de la Sacristie, du Chœur & du
dedans de
l'église, & au moyen de ladite somme, seront lesdits
prieur
& religieux chargés d'acquitter l'aumône
ordinaire du
Jeudi Saint, &
de continuer la distribution extraordinaire en pain & vin qui
se
fait tous les ans à Pâques dans les paroisses de
l'abbaye
où
elle est due.
Ordonnons que ledit sieur de Saint-Simon abbé & ses Successeurs acquitteront tous les ans l'aumône générale en pain du 16 Décembre, connue sous le nom du Duc Guillaume dont la distribution se fera en présence du Procureur de l'abbaye de Jumièges, ou d'un autre religieux préposé à cet effet :
Condamnons ledit de Saint-Simon de rendre & restituer auxdits prieur et religieux la quantité de cent boisseaux de bled méteil mesure de Ducler, depuis la Saint Michel 1721, & ce suivant l'appréciation qui en sera faite sur les Registres des gros fruits, sauf la dernière année qui sera payée en nature ; & quant aux autres aumônes non fondées & de pure charité, l'abbé en sera tenu dans ses lots, en son honneur & conscience.
L'hospitalité
Ayant
aucunement égard à la demande desdits prieur
&
religieux
concernant l'Hospitalité : Ordonnons que ledit sieur de
Saint-Simon abbé & ses Successeurs payeront par
chacun an la
somme de trois
cents livres, moyennant laquelle somme, seront tenus ledits religieux
de s'acquitter dudit Droit d'Hospitalité, & feront
les
arrérages
desdits trois cens livres payés par ledit de Saint-Simon
depuis
la
Saint Michel 1721.
Sur les demandes desdits prieur & religieux, concernant
l'Infirmerie, la Bibliothéque & le premier
Portier, avons mis hors de Cour.
Déboutons aussi lesdits prieur & religieux de leur
demande à fin de restitution par
ledit de Saint-Simon des sommes par eux payées pour
Décimes
ordinaires & extraordinaires, dons gratuits & autres
impositions du Clergé, sur la Manse Conventuelle ; ce
faisant ,
ordonnons que, conformément aux Edits &
Déclarations du Roi,
ils seront seuls tenus d'acquitter les importions qui se font en
particulier sur ladite Manse Conventuelle.
Ordonnons que
ledit de Saint Simon, abbé, & ses successeurs
acquitteront à
leurs frais les Services fondés en ladite abbaye pour le Roi
Charles
VII. & les soixante-deux suppliques faisant partie desdits
Services ; sauf aux prieur & religieux à se retirer
devant le
Sieur Archevêque de Rouen ou son Official , à
l'effet de régler
les honoraires pour l'acquit desdits Services.
Et à l'égard de l'Annuel dont lesdits religieux prétendent que ladite abbaye est chargée, comme ayant été fondée en 1207 par un nommé Pierre de Riparia : Ordonnons avant faire droit, qu'ils justifieront des Titres en bonne forme de cette prétendue Fondation, & les déboutons du surplus de leurs demandes, pour les autres Services & Fondations par eux prétendues.
La Poterne
Ayant aucunement égard aux
demandes desdits prieur & religieux, tant à fin
d'indemnité à
cause
d'augmentations & améliorations par eux
prétendues
pour constructions de maisons dans la rue de la Poterne a Rouen,
qu'afin de distraction de deux des trois maisons par eux
fieffées de
l'Hôpital Général, moyennant une
redevance de cent livres, &
d'indemnité pour celle qui a été
rasée à l'effet d'ouvrir ladite
rue, Ordonnons que lesdits religieux garderont par préciput
la
moitié desdites maisons qu'ils avoient retenus audit Titre
d'indemnité, ensemble le quart desdites maisons
fieffées de
l'Hôpital Général ; &
qu'à l'égard de l'autre moitié
desdites maisons provenantes de l'ancien Domaine de l'abbaye &
des trois autres quarts de celles fieffées de
l'Hôpital Général,
elles entreront en partage à commencer de la Saint Michel
1721, à
raison d"un tiers pour lesdits religieux,, & des deux tiers
pour l'abbé, en payant par lui les deux tiers des trois
quarts, de
ladite redevance de cent livres ; Et conservera ledit Sieur
abbé la
portion desdites maisons à lui échue par ledit
partage du 25 Août
1722 , telle qu'elle a été par lui choisie en
conséquence du
Jugement du quinze Mars 1723. Et sur le surplus des demandes desdits
prieur & religieux, ce concernant, hors de Cour.
Ordonnons
que ledit de Saint Simon, abbé, sera tenu de son
consentement de
rendre à ses frais les foi & hommages, aveux ou
déclarations
dont ladite abbaye est tenue envers le Roi, en lui fournissant
néanmoins par ledits religieux, à leurs frais,
les déclarations
des biens dont leur lot est composé, en bonne forme,
& en état
d'être insérés dans l'aveu ou
déclaration générale ; &
seront lesdits actes de foi & hommages, aveux ou
déclarations,
intitulés au nom des abbé, religieux, prieur
& Convent de
l'abbaye de Jumièges ; & ne pourront être
présentés par ledit
de Saint Simon & ses Successeurs, qu'après avoir
été donnés
en communication auxdits religieux pendant quinze jours, de la main
à
la main seulement.
Avons débouté lesdits prieur & religieux
de leur demande contre ledit de Saint Simon à fin de
remboursement de la somme de huit cent cinquante livres, pour
construction du Talut, ou Quay de Ducler.
Et avant faire
droit sur l'indemnité demandée par lesdits prieur
& religieux
pour construction d'un Pressoir en la Ferme de Valbouet.
Ordonnons
que ledit Pressoir sera vû & visité par
Experts & Gens à
ce connoissant, dont les Parties conviendront sinon nommés
d'office
par ledit Lieutenant Général de Rouen lesquels
Experts estimeront
la valeur dudit Pressoir, & donneront leur avis sur
l'augmentation du produit qu'il peut procurer à la Ferme,
pour le
tout fait & rapporté, être
ordonné ce qu'il appartiendra ; Et
sur les autres augmentations, tant de ladite Ferme du Valbouet que
dans celle de Monthyard, hors de Cour.
Avons pareillement mis
hors de Cour sur les demandes desdits prieur & religieux,
concernant les augmentations & améliorations par eux
prétendues
faites sur les autres Fermes & Héritages de ladite
abbaye.
Q
uant
aux Pépinières plantées par lesdits
religieux sur
les Fermes qui ont passé de leurs mains en celles dudit
Sieur de
Saint Simon, abbé, ordonnons que la part & portion
qui
appartient aux Fermiers, suivant la convention faite avec eux,
prélevé, le surplus sera partagé en
trois parts, dont une restera
audit de Saint Simon, abbé, lans remboursement ni frais,
& les
deux autres auxdits prieur & religieux, aussi sans
remboursement
ni frais.
En ce qui touche les acquisitions faites par
lesdits religieux, incorporées &
enclavées dans leur ancienne
Manse, qui ont passé audit de Saint Simon en vertu des
nouveaux
partages ; permettons audit de Saint Simon de conserver lesdites
acquisitions, en les remboursant auxdits prieur & religieux,
avec
la jouissance depuis la Saint Michel 1721, ce qu'il sera tenu d'opter
dans trois mois ; le tout suivant l'estimation qui en sera faite par
Experts dont les Parties conviendront sinon pris &
nommés
d'office par ledit Lieutenant Général de Rouen.
Et
néanmoins à l'égard du Pré
de la Viguaye, pour ce qui en a été
acquis par lesdits prieur & religieux depuis la Commande,
pourront lesdits prieur & religieux en jouir par
eux-mèmes ,
sans qu'ils puissent être forcés d'accepter aucune
indemnité de la
part de leur abbé ; & attendu que par les partages
il n'est
entré que trois acres de Pré audit lieu de la
Viguaye.
Ordonnons
que si par l'arpentage qui en sera fait il s'en trouve une plus
grande quantité indépendamment des acquisitions
dont
lesdits religieux justifieront, le surplus entrera de nouveau en
partage, à
la charge de parfournir par les religieux, s'il s'en trouve moins
desdits trois acres.
Déboutons lesdits prieur & religieux de leur demande
à fin de restitution des fruits provenant
des arbres fruitiers qui sont sur la Voirie qui conduit de l'abbaye
à
la Riviere de Seine, le long du Clos du Courtil & des terres de
l'abbé : Ordonnons que lesdits fruits appartiendront audit
de Saint
Simon, tant pour le passé qu'à l'avenir.
Déboutons
pareillement lesdits prieur & religieux de leur demande,
à fin
de restitution des frais par eux prétendus faits au sujet du
Retrait
qu'ils avoient intenté contre le Sieur de la Blandiniere.
En ce qui concerne le Chartrier commun, ordonnons que lesdits prieur & religieux seront tenus d'en délivrer une clef audit de Saint Simon, abbé, & que chacune des Parties respectivement remettra audit Chartrier les Titres, Papiers & Enseignemens qui en ont été tirés, & se purgera par serment qu'elle n'en retient aucuns, & se soumettra d'y rapporter ceux qu'elle pourra découvrir. Ordonnons en outre qu'à l'avenir il y aura un Registre dans ledit Chartrier, sur lequel les abbé & religieux seront obligés de se charger des pièces originales qu'ils en voudront tirer ; Et sur le surplus des demandes, ce concernant, hors de Cour.
Ordonnons
que les biens & héritages
dont la visite a été obmise lors des
Procès-verbaux des 2
Septembre 1722 , 22 Mars & 13 Juillet 1723, même le
cours de la
rivière de Sainte Austreberte, seront vûs
& visités par
Experts dont les Parties conviendront par devant le plus prochain
Juge Royal des lieux, sinon par lui pris & nommés
d'office.
Et
sur les demandes desdits religieux à fin de reconstruction
des
Granges de Vieuxfumée & du vieux Manoir, &
des prétendues
dégradations faites par les précédents
abbés, hors de Cour.
A
l'égard du Pont de Vimontier, attendu que les
réparations en sont
employées dans les Etats du Roi, avons mis aussi hors de
Cour.
Avons en outre débouté lesdits prieur &
religieux de
leur demande à fin de communication de deux
Requêtes des 18 &
19 Mars 1719, du Procès-verbal du cinq Décembre
1716 & du
Traité fait entre ledit de Saint Simon & les
économes, comme
aussi de leur demande à fin d'être
reçus opposants aux Arrêts du
Conseil du 10 Mars 1700, & au Jugement des Commissaires du 18
Avril 1719. Sera néanmoins tenu ledit de Saint Simon de
fournir ( si
fait n'a été ) les Ornements
nécessaires aux paroisses qui ont
passé de la Manse Abbatiale en la Conventuelle au moyen des
nouveaux
partages, à quoi lesdits prieur & religieux
satisferont
aussi de leur part.
Ordonnons que ledit de Saint Simon, abbé,
indemnisera, suivant ses offres, lesdits prieur & religieux,
tant
du fond que des jouissances du terrain qui a été
par eux donné au
nommé Chéron en échange de celui qu'il
avoit fourni pour planter
l'avenue qui est devant l'Abbatiale, au moyen de quoi ledit terrain
restera & appartiendra audit abbé &
à ses successeurs.
Permettons audit de Saint Simon, abbé, d'intenter &
poursuivre la réunion des biens devaux,
aliénés
par lesdits religieux au profit des religieux de Saint Nicaise de
Meulan, &
ce aux frais desdits religieux sans répétition,
pour
après ladite
réunion faite lesdits biens entrer en partage, sauf
à
prélever au
profit de l'abbé sur le produit d'iceux les deux cens
vingt-cinq
livres de rente qui font partie du second lot, comme provenants .de
ladite aliénation & le surplus, s'il y en a,
être
partagé
entre l'abbé & les religieux en la
manière
accoutumée.
Et
sur la demande desdits religieux à fin de nouvelle visite de
la
couverture du Cancel Doisy hors de Cour.
Sur celle à fin de
visite des Rivières Doisy & du Vimontier, hors de
Cour quant à
présent.
Ordonnons que les traits de Dixme du Hameau des
Isles des Bonnetieux, de la Cousture, du Cruchet & ceux de la
grande & petite Pierre, de la Vallure, de Lespinette ,
d'Estonaille, du Bout du Conihout, du Hameau du Conihout & de
l'Echasse, appartiendront auxdits prieurs & religieux.
Et
sur les demandes des religieux au sujet des biens prétendus
obmis
dans les Lots de la Manse Abbatiale, contenus dans leurs
Requêtes
des 16 Avril 1723, 25 Février & 30 Octobre 1725,
avons mis hors
de Cour.
Avons
pareillement mis hors de Cour, quant à
présent, sur la demande desdits prieur & religieux,
à ce qu'à
l'expiration du Bail amphitéotique de la Seigneurie
d'Anneville, le
produit de ladite Seigneurie au-delà de six cens livres
entrées en
partage dans les Lots de la Manse Abbatiale, soit partagé.
Déboutons lesdits prieur & religieux de leur demande
à
fin de partage des biens & héritages
usurpés sur la Baronnie de
Trouville-la-Haulle, réunis au Domaine de la Baronnie
& des
Bruyeres de Joui, fieffées anciennement au feu Sieur
Evêque de
Boulogne, & depuis réunies au Domaine de Joui.
Les
déboutons pareillement de leur demande, à ce que
les anciennes
rentes Seigneuriales qui peuvent être dues par les biens
qu'ils
possèdent à titre de Retrait féodal,
& dont ils sont condamnés
de vuider leurs mains, ensemble les profits de Fiefs qui auront lieu
après que lesdits biens seront rentrés dans le
commerce, soient
partagé, & sur celle à fin d'exemption
des droit de lods &
vente, à cause de la vente qu'ils sont obligés
d'en faire,
ordonnons que les Parties contesteront plus amplement dans trois
mois.
Et sur le surplus des demandes & requêtes, fins
&
conclusions des Parties, avons mis & mettons icelles Parties
hors
de Cour & de Procès.
Condamnons lesdits prieur & religieux en la moitié
des dépens de la présente Instance envers
ledit de Saint Simon, un quart desdits dépens
compensés, l'autre
quart réservé.
Et en ce qui concerne les dépens faits
devant les premiers Commissaires, condamnons lesdits religieux aux
deux tiers desdits dépens, l'autre tiers
compensé.
Messieurs
les Commissaires, Le
Pelletier des Forts, de S. Contest, de Lamoignon
de Courson, Ferrand, de Machault, Conseillers d'Etat.
Messieurs
les Commissaires, Maupeou
d'Ablege, de Baussan, Augran Bertin de
Blagni, Lellemand de Levignan, Camus de Pontcarré, de
Varrolles
Maîtres des Requêtes.
Choppin d'Arnouville, Rapporteur.
Après ce jugement, le prieur estima à 20.093 livres le revenu passé dans la part de l'abbé, et à 7.869 livres celui rentré dans la part conventuelle. Celle-ci avait perdu 12.224 livres, compte non tenu de la perte des deux tiers des rfevenus des biens qu'elle avait achetés depuis 1545, compte non tenu encore de 6.000 livres qu'elle devait dépenser pour enclôre les terrains qu'on lui prenait afin d'agrandir le jardin de l'abbé, enfin compte non tenu des 20.000 livres nécessaires à la réparation des biens de l'ancienne part abbatiale passée entre leurs mains. Ce jugement plomba donc les finances de l'abbaye jusqu'à la Révolution.
"J'avais présenté à M. le duc d'Orléans, dit Saint-Simon (1), la triste situation de la branche aînéede ma maison, et je l'avais supplié de donner au jeune abbé de Saint-Simon, qui avait une vingtaine d'années, une abbaye dont il pût aider ses frères, parce que je n'aime pas la pluralité des bénéfices." Comment refuser cette demande ?
(1) Mémoires de Saint-Simon, édition Chéruel, t. XIII, p. 185.
Messire Claude de Saint-Simon
(né le 20
septembre 1695) était clerc tonsuré du
diocèse de
Paris; il fut nommé par le Régent (janvier 17l6)
abbé commendataire de Jumiéges (1).
Obligé d'attendre assez longtemps les bulles du Pape, il
suivit
son oncle dans la fameuse ambassade d'Espagne, et ne prit possession de
son abbaye que le 30 avril 1720. Mais alors, hautain, processif et
âpre à la curée, il arracha tout ce
qu'il put
à ses religieux (2). Au lieu du tiers du revenu qui,
d'après le concordat de François Ier et
Léon X,
appartenait à l'abbé, il s'en adjugea les deux
tiers,
environ 50.000 fr. par an, non compris les constructions et autres
dépenses qu'il imposa aux moines.
Jumiéges était donc une riche abbaye. Ses ruines
même, que l'on admire sur les bords de la Seine, attestent la
beauté de ses édifices et sa grandeur (3).
(1) Saint-Simon aimait son neveu:
il lui légua en mourant
ses lettres et manuscrits. — Cf. Le duc de Saint-Simon, son
cabinû,ttc., par Armand Baschet, p. 14, 46-52, 70-78, 85-92.
etC.
(2) Histoire de l'abbaye de Juimeges, par un
bénédictin
de Saint-Maur, publiée par l'abbé Julien Loth,
pour la
Société des Antiquaires de Normandie. Rouen,
1883-1886, 3
vol.in-8.
(3) Cf. Manuscrit de dom de Courdemanche, t. II, p. 399.
« Oui, répondait le procureur de
Jumiéges, la
mai-son est riche pour l'abbé commendataire, et non pour les
religieux, qui ont été
considérablement
lésés par les partages. D'ailleurs, ses charges
sont
grandes. Le noviciat de tout temps a été
attaché
à cette maison. Il est ordinairement nombreux et les places
sont
gratuites. » Non seulement les moines de Jumiéges
prodiguaient, par de nombreuses largesses, avec une sympathie
infatigable, à tous ceux qui en avaient besoin, cette
nourriture
de l'âme qu'on appelle la Science et la Foi; mais encore ils
distribuaient le pain et la nourriture du corps à tous les
pauvres qui se présentaient à eux en
réclamant les
secours de leur charité. Souvent le nombre des indigents
était considérable : en 1740, année de
famine, il
s'éleva jusqu'à six ou sept cents par jour
(1).
(1) Histoire de l'abbaye de Jumièges, par Deshayes. Rouen, 1819, 1 vol. in-8, p. 51, 118, 143, 162.
En temps ordinaire, tous les
matins vers 10 heures,
la grande porte du monastère était ouverte
à plus
de cent pauvres, qui recevaient de la soupe, du linge et des habits.
Chaque dimanche, M. le
Prieur distribuait douze sols à chaque pauvre. Les malades
qui
demeuraient aux environs de l'abbaye étaient
visités et
soignés à domicile. Les voyageurs
étaient
reçus avec tous les égards de
l'hospitalité
chrétienne : pendant trois nuits, ils avaient le lit, le feu
et
la lumière ; et la nourriture pendant trois jours. Il en fut
ainsi à Jumiéges l'aumônier
jusqu'à la fin
du XVIIIe siècle, malgré la rapacité
de
l'abbé de Saint-Simon (1).
(1) Les derniers moines de l'abbaye de Jumièges,
par C. Savalle. Rouen, i vol. in-8.
Pour subvenir aux besoins les plus pressants avec des ressources diminuées de moitié, il fallut faire de sévères économies. On réduisit à vingt le nombre des moines ; mais comment réduire toute cette colonie de frères lais, de jardiniers, de menuisiers, de serruriers, de tailleurs et autres ouvriers attachés à cette maison ? Aucune réforme ne pouvait satisfaire l'Abbé. Le Cellerier voulut lui démontrer qu'il n'était plus possible de pourvoir à la nourriture du couvent. L'Abbé lui commanda de baiser la terre ; le moine s'inclina, l'Abbé lui asséna un coup de canne sur la tête (2).
(2) Hist. de l'abbaye de Jumxègcs, par un bénédictin de Saint-Maur.
devant le lieutenant criminel du
bailliage de
Rouen.Ce procédé n'était point
conforme à
la règle de S. Benoit. Le Prieur intenta un
procès
à l'Abbé. L'Abbé menaça dom
Prieur et le
Cellerier de lettres de cachet. Ils allaient être mis en
prison,
comme Je mauvais sujets en révolte contre
l'autorité,
lorsqu'ils s'enfuirent et se cachèrent l'un à
Fécamp, l'autre à Bourgueil. Alors M.
l'Abbé se
vantait hautement de ruiner son abbaye de Jumièges : l'on
savait
par expérience qu'il était capable
d'exécuter ces
menaces.
Du reste, cela ne pouvait suffire longtemps à son ambition.
Évêque de Noyon en 1731,
évêque
de Metz en 1732, pair de France en 1733, il pressura de la
même
façon deux monastères de Lorraine, et il eut de
vifs
démêlés avec le Parlement de Metz (1).
Il aspirait
à devenir aumônier du Roi et crut un moment avoir
obtenu
cette place si enviée, lorsqu'il fut envoyé en
disgrâce dans son diocèse (2). Il y mourut en
1760, sans
avoir cessé de tourmenter les religieux de
Jumiéges
(3).
(1) Mémoires du duc de Luynes, t. I, p.
285, 306, 315, 31.6, et t. IV, p. 100.
(2) Journal de l'avocat Barbier, 15 décembre 1756.
(3) Hist. de Jumièges, t. III, p. 201
« Passons
légèrement sur cet
article, dit le moine historien de cette abbaye, pour ne pas condamner
un mort dont la fin nous apprend que Dieu a juge les justices
mêmes. »
M. de Metz eut pour successeur, comme abbé de
Jumiéges,
Francois-Camille de Lorraine, prêtre du diocèse de
Paris
et grand prévôt du chapitre de Strasbourg. Ce
prince
maintint ses droits d'abbé, et toucha
régulièrement le beau revenu de son abbaye ; mais
il
laissa ses moines tranquilles et leur permit de conserver en paix ce
qui leur restait. N'avaient-ils pas déjà bien
assez de
peine à se défendre contre leurs ennemis ?
De tous cotés on entendait retentir le sinistre cri de
guerre :
Écrasez l'infâme. Le fameux procès, la
condamnation
et l'abolition de la Société de Jésus
avaient
révélé dans les Parlements des
exécuteurs
de la haute justice de la philosophie (1). La mollesse des
mœurs
et la hardiesse téméraire des idées
qui
régnaient dans le monde
pénétrèrent jusque
dans les monastères, et ruinèrent la discipline
des
Bénédictins (2).
(1) Lettre de d'Alembert à Voltaire, 4
mai 1762.
(2) Archives des missions scientifiques et
littéraires, t.
VI, p. 394 et 396. Procès de Saint-Germer, les moines contre
l'abbé.
Dans de telles circonstances, il
était
difficile à MM. les Religieux de l'abbaye de
Jumiéges de
protéger contre les empiétements de la convoitise
leurs
droits féodaux et leurs biens de mainmorte,
contestés ou
frappés de l'improbation générale (1).
L'un des
procès qui leur causèrent de grandes
dépenses et
de longs ennuis fut l'affaire de la seigneurie d'Authis.
A qui appartenait la seigneurie des paroisses de Saint-Pierre d'Authis,
ou Longueville (2), et de Saint-Étienne-sous- Bailleul
proche
Vernon, avec des extensions dans les paroisses de Saint-Just,
Saint-Marcel, la Chapelle-Genevray, et jusque dans Bisy
même?
(1) Inconvénients des droits
féodaux, 1776, par M. de Boncert, commis du ministre Turgot.
(2)
Il ne faut pas confondre ce Longueville, petit hameau de Saint-Pierre
d'Authis, dans le département de l'Eure, avec Longueville,
près de
Dieppe, dans le département de la
Seine-Inférieure.
Tel était l'objet de la contestation. L'abbaye de Jumiéges, au droit de sa fondation, jouissait de cette seigneurie depuis plus de sept siècles. Les titres originaires étaient d'accord avec la possession sur ce point. Cette vérité échappa aux yeux du maréchal de Belle-Isle : devenu propriétaire de la vicomte de Vernon en qualité d'échangiste, il prétendit que les Religieux de Jumiéges ne possédaient dans Authis que des terres et des rentes roturières qui ne formaient pas de fiefs. Il ne voyait dans les chartes de donation, présentées par les religieux, nul caractère de féodalité, et dans leur possession qu'une usurpation et un abus. Les domaines de Gisors, Andely et Lyons-la-Forêt étaient entre les mains de ce seigneur en même temps que la vicomté de Vernon et le marquisat de Bisy ; il fit réunir le tout, d'abord en comté de Gisors, puis en duché, et enfin en duché-pairie. L'époque de cette dernière opération fut l'année 1748. Alors, le petit-fils du surintendant Fouquet, au comble de la faveur (1), semblait pouvoir tout désirer et tout oser.
(1) Dans ses Mémoires, le
président Hénault
(par de Vigan, Paris, 1855), p. 259-270, l'appelle Incredibilium
cupitor.
Les Religieux de
Jumiéges, voyant que
leur fief de Saint-Pierre d'Authis était compris dans le
nombre
de ceux qui devaient composer le nouveau duché-pairie,
firent
opposition à l'enregistrement des lettres patentes qui
proclamaient son érection. Les parties
procédèrent
d'abord au Parlement de Normandie, puis par évocation au
Conseil
du roi, enfin par attribution à la troisième
Chambre des
enquêtes du Parlement de Paris. Ce dernier tribunal rendit
deux
arrêts provisoires, en 1756 et en 1758, favorables aux
religieux.
Le Maréchal craignait un arrêt
définitif qui
pouvait le déclarer vassal des moines, lorsqu'il fut tout
à coup accablé par un plus grand malheur.
Son fils unique, le comte de Gisors (1), qui devait posséder
le
nouveau duché, fut grièvement blessé
à la
bataille de Crevelt et mourut trois jours après. L'ennemi
vainqueur l'honora de ses larmes.
(1 ) Le comte de Gisors, étude
historique par C. Rousset.
Un concert de louanges
éclata en France et
consacra la mémoire du jeune héros,
chéri de la
Cour, respecté de l'armée et regretté
jusque dans
le peuple.
Mais qui l'aima et le pleura plus que son père? Le
maréchal ne tenait plus à rien en ce monde : en
1759, il
vendit au roi son duché de Gisors, et ne s'en
réserva que
l'usufruit pendant le reste de ses jours. Pour se délivrer
du
souci que pouvait encore lui donner la seigneurie d'Authis, il obtint,
en 1760, un arrêt du Conseil du roi, qui, sans
préjudicier
aux droits des parties quant au fond, ordonna qu'il serait sursis
à toutes demandes, procédures et poursuites, avec
défense aux Religieux de Jumiéges d'innover ni
rien
attenter, notamment de chasser ni faire chasser dans
l'étendue
de la paroisse d'Authis, etc., jusqu'à ce que, par Sa
Majesté, il en fût autrement
décidé. Il
semble que l'intérêt de la chasse fût le
seul qui
animât encore le Maréchal dans la contestation.
Cependant,
il avait usé de son crédit pour obtenir de
l'autorité ce qu'il n'avait pu obtenir de la justice. Mais
il ne
survécut guère à son fils : il mourut
en 1762.
Le superbe domaine de Gisors, Vernon, etc., avec le château
de
Bisy et les embellissements considérables qu'y avait faits
le
maréchal de Belle-Isle, ne pouvait plus convenir
qu'à un
prince. Le comte d'Eu, dernier fils du feu duc du Maine,
céda au
Roi sa principauté des Dombes pour avoir en
échange
Gisors, Vernon et ses dépendances (1). Jaloux de jouir en
pleine
sécurité de tous les avantages de sa nouvelle
acquisition, ce prince fit confirmer l'arrêt de
surséance
de 1660 par un second arrêt du Conseil, et les choses
demeurèrent dans le même état
à Authis et
à Saint-Étienne-sous-Bailleul ; mais le comte
d'Eu n'en
tira pas grand profit (2).
(1) Mémoires du président
Hénault, p. 286.
(2) Manuscrits de dom de Courdemanche.
« Si, d'une part, les
vassaux des Religieux de
Jumiéges se dispensaient de rendre leurs devoirs
à leurs
seigneurs, sous prétexte qu'ils étaient dans la
mouvance
du rince ; d'autre part, quand les officiers du Prince demandaient des
devoirs à ses vassaux propres, ces derniers
prétendaient
être dans la mouvance de MM. les Religieux. Dès
lors,
toute poursuite étant défendue aux seigneurs
respectifs,
la commise des vassaux de part et d'autre demeurait impunie ; ce qui
maintint les vassaux dans une indépendance totale jusqu'en
1774.
Mais alors, sur la demande du comte d'Eu et de MM. les Religieux, le
Conseil du Roi rendit un troisième arrêt qui
annula les
deux premiers, et permit au Prince et aux Religieux de oursuivre leurs
droits. »
Voilà donc les Religieux de Jumiéges remis dans
le
même état où ils étaient
immédiatement après les arrêts du
Parlement de 1756
et 1758 : ils ont le libre exercice provisoire de leur seigneurie
d'Authis et dépendances. C'est dans cet état que
les
trouva, en juin 1776, le duc de Penthièvre,
héritier du
comte d'Eu, et qu'il les fit assigner en reprise d'instance.
SOURCES
ARREST NOTABLE Portant règlement entre Messieurs les abbés & prieurs commendataires,, & les communautés religieuses établies dans les abbayes, prieurés, & autres bénéfices en commende. Recueil des principaux édits, déclarations, ordonnances, arrêts, sentences et réglemens, concernant la justice, police et finances, depuis le 29 septembre 1722 jusqu'au 4 juin 1726, Bibliothèque nationale de France. Notice n° : FRBNF33833566
Les difficultés financières de l'abbaye de Jumièges à la fin de l'ancien régime, André Dubuc, congrès du XIIIe centenaire.