Le 4 février 1915 mourut à l'hôpital de Darnétal un jeune Poilu natif du Trait. Nul ne le connaissait. Mais la foule qui suivit son cerceuil en fit le symbole de tous les combattants anonymes. Un soldat inconnu avant l'heure...
 

Né au Trait en 1893, Bertrand Francis Lacoste appartenait au prestigieux 37e régiment d'infanterie commandé par le colonel Lacapelle. Blessé en Belgique à la jambe par un éclat d'obus, il fut d'abord soigné à Dunkerque. On l'évacua le 31 janvier 1915 à Darnétal où fonctionnait à Sainte-Marthe un hôpital bénévole. 
Les soins qui lui furent prodigués n'y purent rien et les obsèques de ce jeune Poilu allaient prendre un caractère inattendu. Alors médecin à l'hôpital 30 bis, le Dr Lemesle les relatera ainsi :

"Mort sans proférer une plainte"

La sympathie mutuelle qui s’était établie entre la population et les hospitalisés de Sainte-Marthe se manifesta d’une façon particulièrement touchante, au mois de février, lorsque mourut à l’hôpital un petit fantassin de la classe 14, Francis Delancold (sic).
C’était un pauvre garçon, né dans la campagne normande, aux environs de Duclair.

Dans un combat près d’Ypres, il avait été blessé grièvement, et, après un terrible voyage, il était venu mourir chez nous, à quelques kilomètres de son pays.
L'annonce de la mort de Francis Delacôte dans le Journal de Rouen daté du 5 février 1915.
Il était mort sans proférer une plainte, sans exprimer un regret, à la manière des soldats français.

"La nouvelle se répandit rapidement"



La Normande en deuil d'Alex Morion, monument de Darnétal.
La nouvelle de son trépas se répandit rapidement dans la ville, comme s’il se fit agi d’une personne connue.

L’on fit une collecte pour déposer une couronne sur son cercueil. Une seconde couronne fut offerte par les habitants de la rue Saint-Pierre, suivant l’usage qu’ils observent lorsqu’un décès survient dans leur quartier.

La bière, couverte d’un drap tricolore sur lequel s’amoncelaient des fleurs, fut suivie d’un cortège nombreux et recueilli : blessés ayant la tête bandée ou le bras en écharpe, enfants des écoles, de toutes les écoles qui marchaient gravement, impressionnés par le caractère tragique de la cérémonie, orphelines de Sainte-Marthe, le front penché et le chapelet en mains, combattants de 70 venus pour rendre hommage au jeune soldat endormi dans la gloire, représentants de la municipalité, industriels, ouvriers, personnel de l’hôpital.

      "Cette masse anonyme de défenseurs"
Toute cette foule émue sentait profondément que ces obsèques, et que ce jeune inconnu dont elle suivait la dépouille avant qu’il n’allât – plus heureux que tant d’autres qui n’eurent point de tombeau – reposer dans le cimetière de son village, faisait partie de cette masse anonyme de défenseurs qui, littéralement, nous avaient fait à tous un rempart avec leurs poitrines.


Dans le cimetière du Trait, l'inauguration du monument aux morts le 19 septembre 1920. Un Gaulois de pierre rend hommage aux victimes. Delacôte est le quatrième sur la liste.

Lorsque tour à tour, M. le doyen de Carville et M. le premier adjoint, faisant fonction de maire, l’un au nom de la Religion, l’autre au nom de la Cité, adressèrent un dernier adieu au soldat mort pour la France, on sentit bien au frisson qui parcourut l’assemblée que de tels sacrifices ne peuvent rester stériles, car non seulement ils sauvent la corps de la Patrie, mais encore ils magnifient son âme.

N.D.L.R.

C'est en juillet suivant que fut votée un loi instaurant la mention "Mort pour la France" alors que fleurissaient plaques commémoratives et livres d'or. L'idée d'honorer un soldat inconnu germa dès 1916. Le 8 novembre 1820, à Verdun le soldat Auguste Thin choisit parmi huit cercueils anonymes celui qui serait inhumé sous l'arc de Triomphe. Chaque soir, on y ravive la flamme au cours d'un dépôt de gerbe.

SOURCE

Cette histoire nous a été communiquée par Michel Moreau qui a la chance de posséder un petit livre écrit par le Dr Lemesle en 1917. Il relate la vie à l’Hopital bénévole 30 bis, à Darnétal, de 1914 à 1916. Un livre rare dont son propriétaire ne retrouve nulle mention sur Internet. Le texte reproduit ici fait l'objet d'un chapitre intitulé “Obsèques d’un soldat “.

Poilu