Par Laurent Quevilly.

C'est bien connu, Le Trait a eu sa forteresse. Mais, curieusement, on n'en sait que fort peu de choses. Tenter d'en retrouver des traces, c'est retracer l'histoire de la châtellenie du Trait...
 

C'est au IXe siècle qu'aurait été construit le château du Trait. Une forteresse destinée à résister aux incursions scandinaves sur la Seine. Elle sera détruite une première fois.
Sous la domination des moines de Jumièges, l'habitat du Trait s'est d'abord développé autour d'une chapelle, attestée au XIe siècle, sous le vocable de Saint-Martin. Elle se situait à l'emplacement de l'actuelle route départementale et fut peu à peu délaissée. Mais une autre chapelle s'élevait au Trait, celle de Saint-Nicolas qui, bien plus tard, après plusieurs restaurations, deviendra l'église paroissiale. 
Le premier château du Trait

Dès 930, une charte de Guillaume Longue-Epée fait état du "manoir du Trait d'Avilette". A l'évidence, ce document fait allusion au manoir primitif du Taillis, situé à Saint-Paul. 
La seigneurie du Trait

Plan terrier dressé sous l'ancien régime et montrant les vestiges du château. Les autres constructions sont le calvaire, le presbytère et l'église.

C'est en 1024 que les comtes d'Evreux mirent le pied au Trait. En force; Fondateur de la lignée, , fils et frère de Duc, archevêque... et marié, Robert le Danois arracha la forêt aux moines de Jumièges et une belle étendue des terres allant d'Yainville à ce que l'on appela la Croix du Comte. L'abbaye conservait le reste du territoire. Mais quand deux seigneurs se trouvent en un même lieu, les procès ne tardent pas. Ce sera le cas.

Que sait-on de la présence des comtes d'Evreux au Trait. Guillaume, avant la conquête de l'Angleterre, fit construire quatre-vingt navires avec du bois de la forêt. 

Au XIIe siècle, le château du Trait, dévasté depuis les Vikings, est reconstruit. En 1150, Simon III de Montfort, comte d'Evreux et son épouse Mathilde offrent la chapelle Saint-Martin à l'abbaye de Jumièges à condition de la faire desservir par le chapelain de Saint-Nicolas.

Amaury V de Montfort, comte d'Evreux, ouvre quant à lui la forêt du Trait aux moines en 1178 en échange de dernées alimentaires provenant de leurs baronnies de Duclair et Jumièges. Mais nous voilà bientôt à la fin du XIIe siècle. Et notre château-fort se dessine...

Une sentinelle sur la Seine

"Une forteresse dont les ruines paraissent remonter au XIIe siècle, estimera l'abbé Tougard, fut élevée pour commander le cours de la Seine." Autour d'elle s'est développé le Vieux-Trait. 

Cette châtellenie passa des comtes d'Evreux à ceux de Tancarville à qui l'on devait déjà la fondation de l'abbaye de Boscherville, paroisse dont ils étaient originaires. Le Trait ne sera pour eux que l'un des quelque 90 fiefs possédés par la famille en Normandie. Une famille où l'on est chambellan du Duc de père en fils.

Deux siècles plus tard, Jeanne de Tancarville, dernière héritière du nom apporte, par mariage en 1316, ses terres et titres au vicomte Jehan de Melun. Un des premiers soucis du couple fut de s'accaparer la chapelle Saint-Nicolas dont les moines de Jumièges étaient patrons. Au vu de leurs titres datés de 1027 et signés du Duc de Normandie, Melun et son épouse renoncèrent très vite à leurs prétentions. 

Comme les comtes d'Evreux, les Tancarville ont-ils jamais résidé au Trait ? Il est permis d'en douter tant leur rang les appelaient ailleurs: près du Duc, du Roi de France, sur les champs de batailles. Quand ils n'étaient pas en prison. Alors qui donc, au  fil du temps, habitait le château du Trait ? Nul n'a jamais su répondre à cette question.

Tournée d'inspection

Un document conservé aux archives nationales nous apprend qu'en mars 1369, une trève avec les Anglais ayant expiré, Guillaume Auxeau, bailli de Rouen et de Gisors accompagné de Baudrain de La Heuse, entreprit une tournée d'inspection "des fortifications de Jumièges, de Saint-Wandrille, de Vatteville et du Trait". Voilà qui confirme la présence d'une construction défensive dans cette dernière paroisse. Mais on ne nous parle pas de château. On sait que l'abbaye de Jumièges était entourée de ramparts. Ceux du Trait, avance Jacques Derouard, encerclaient un vaste périmètre ovoïde ayant pour point central la chapelle Saint-Nicolas. 

Ci-dessus : l'église du Trait dessinée par Lesage en 1827. Ce n'est qu'en 1863 que fut élevé le clocher-porche.

Les Traitons à l'ombre du château

Les Traitons, on la vu, étaient tiraillés entre deux seigneurs : un comte et un abbé. Dans la forêt du premier, surveillée par des gardes, les habitants avaient droit d'usage. Ils pouvaient y mener leurs bêtes mais aussi enlever toutes les branches à ldur portée, montés sur la roue de leur charrette, avec des haches dont le manche ne devait pas excéder trois pieds et demi de long.

Mais les gardes forestiers ne surveillaient pas que les manants. En 1330, on les voit intervenir contre les moines de Jumièges qui... s'adonnaient à la chasse.

Coutume locale

Les héritages qui sont assis és paroisses  du Traict, Sainte Marguerite surDucler & dane le bourg & vallée de Villequier sont partables  entre frère & sœurs  ou autres cohéritiers mais  toutes les sœurs ensemble ne peuvent prétendre que le tiers de la succession.


A quoi ressemblait le village du Trait. Des maisons en bois. Celle de Colin Cavelier brûle en 1344. Le Vicomte de Pont-Audemer lui fait fournir du bois de Brotonne pour la réparer. 

En 1381, le comte de Maulévrier, châtelain du Trait, autorise ses habitants et ceux de Sainte-Marguerite, à envoyer paître leurs bêtes dans les marais du Trait et de prélever le petit bois qui sert aux clôtures. Un droit qui sera confirmé par l'administration royale des Eaux et Forêts.

Le Trait avait son port et, de tout temps, assure l'archiviste Beaurepaire, il y eut là un capitaine et un archer disposant d'un flambard pour accoster les bateaux passant sur le fleuve et vérifier si leur cargaison ne contenait point de sel interdit. Le château du Trait était-il leur tour de guet ? Du sel, on en trouvait aussi à terre. En mars 1388, Colin Melot fut condamné pour en cacher un minot en son hostel. Soit une cinquantaine de kilos. Le trafic de "faux-sel" durera des siècles pour échapper à la gabelle...

Les moines entretenaient un bac non loin du château. Et voilà que les Traitons se mirent en tête de l'exploiter. Ils effectuèrent quelques passages avant de ranger leurs rames, le 11 février 1389, sur injonction de l'abbé. Dès lors, ce seront des fermiers de l'abbaye qui assureront les passages.

En 1390, Guillaume du Quesnay et autres pêcheurs du Trait furent condamnés pour jeter leurs filets dans les eaux des Religieux. Mais le comte de Tancarville avait lui aussi ses pêcheries depuis des temps immémoriaux. Ici comme ailleurs, il faut payer pour pêcher.

Ajoutez à cela que la châtellenie du Trait relevait du comté de Maulévrier. Ce qui donnait lieu aussi à des conflits entre ces deux entités. Ce fut le cas sur le droit de guet au Trait. Un conflit entre les comtes de Maulévrier et de Tancarville tournera au profit de ce dernier en 1451 (ADSM 116 J 51).

La destruction du château

Attestée en 1413, une simple pierre, appelée borne Marigault, marquait la limite entre la baronnie de Jumièges et la seigneurie du Trait. Au pied du château, quelques maisons constituaient alors le village : celle de Jean Hébert, dit L'archevesque, de Collin Leblond, dit Loyment... 

Capitaine de Rouen et de Cherbourg, Guillaume de Melun, comte de Tancarville et châtelain du Trait trouva la mort en 1415 à Azincourt. Deux ans plus tard, Marguerite, son unique héritière, trouve pour mari Jacques de Harcourt qui, du coup, reprend les titres de sa belle-famille, dont celui de seigneur du Trait et de Sainte-Marguerite.

En 1418, le château du Trait est disputé par les Armagnacs et les Bourguignons. L'année suivante, lors de la prise de Rouen, il est enlevé par les troupes anglaises d'Henri V. Elles l'occupaient encore lors de leur capitulation en 1449. Charles VII allait alors achever sa reconquête de la Noormandie. Le démantèlement du château s'est manifestement opéré à cette époque. D'importants travaux sont signalés pour y récupérer des pierres destinées au Palais royal de Rouen. Un document des archives nationales en parle. Le consulter nous en dirait plus. Mais Paris, c'est loin... (Cote : ms. fr. 26061, n° 2940) Le château du Trait s'est donc dressé dans le paysage durant six siècles.

Châtellenie sans château

Dès lors, le château du Trait n'est donc plus que ruines mais la seigneurie du Trait demeure avec ses juteux revenus fédodaux.
A l'autre bout du Trait, les occupants du château du Taillis lui font régulièrement allégeance. Ce sont des procureurs qui représentent sur place le comte de Tancarville et les plaids de la seigneurie du Traict et de Sainct-Marguerite se tiennent "audit lieu du Traict" mais l'endroit exact de ces entrevues ne nous est pas connu. 
Tour du propriétaire

La seigneurie du Trait et de Sainte-Marguerite comportait deux ensembles.  L’un, situé dans la vicomté de Caudebec autour du Trait et comprenant le fief du Taillis ainsi que de nombreux petits fiefs (Vaurouy, Dampont et Torchy, Livet, Récusson, Val-Bouville...). Elle mordait sur les paroisses de Betteville, Carville, Duclair, Epinay, Maulévrier, Ste-Gertrude, Le Trait, Ste-Marguerite, et St-Wandrille. Le domaine incluait donc un château en ruines mais aussi  un moulin banal à farine dit moulin de Tancarville ou moulin Vassal situé sur la rivière du Creux, paroisse des Vieux, des droits honorifiques de patronage, droits de pêche, des droits d’usage sur la forêt du Trait et de prairies du Trait et de Gauville..
L’autre ensemble, situé dans la vicomté de Pont-Audemer, comportait les fiefs de Houcquemare et de Tancarville.

En 1472, Robin Anquetil fait ainsi aveu au comte de Tancarville du manoir qu'il tient au Taillis. Son successeur dans la maison, Robert d'Estin, en fera de même en 1483 et 1484. Cette année-là, nous apprenons que, secondé par un lieutenant, Nicolas d'Esquetot est le "seneschal du Traict pour haut et puissant seigneur, Monseigneur le Comte de Tancarville, seigneur dudit lieu du Traict".

Le 8 mars 1486, Guillaume d'Harcourt, comte de Tancarville, accorde un droit de bac au seigneur de la Mailleraye. Cette transaction donnera naissance à un nouveau passage d'eau pour acheminer les denrées vers foires et marchés. Le comte de Tancarville obtenait la gratuité pour lui, ses héritiers et ses sujets. En revanche, le seigneur de la Mailleraye devait lui offrir chaque année une paire d'éperons dorés durant douze ans. Par la suite, cette redevance originale se fit sous forme de rente. Ce fut là le dernier acte notoire signé du comte de Tancarville en sa qualité de seigneur du Trait. Guillaume d'Harcourt trépassa quelques mois après, laissant un héritage difficile...

Jeanne, la fille du comte de Tancarville, répudiée par son mari, mourut nous dit-on de chagrin en 1488 et légua tous ses biens à son cousin, le comte de Dunois, duc de Longueville. Mais en 1490, on voit que les comptes de la seigneurie du Trait et de Sainte-Marguerite sont tenus au nom, certes, du comte de Dunois, mais aussi du comte de Laval. Manifestement, les deux hommes se disputent les droits de propriété de la seigneurie.

Dunois trépassa en 1491 et la seigneurie fut placée sous séquestre. On nomma alors un régisseur, Pierre Le Cordier. L'année suivante, Pierre de Conihout "et ses complices" furent assignés en justice pour avoir empêché la tenue des enchères de l'afferme des pêcheries du Trait. En 1499, le prévôt de la châtellenie menace de saisie les tenanciers qui ne font ni aveu ni dénombrement. 

Après quoi, comme châtelain du Trait, on voit apparaître le comte de Laval en 1503.  Dix ans plus tard, des fonts baptismaux sont installés enfin dans l'église Saint-Nicolas. Laval renonce à tout droit de présentation dans cette église. Sur le plan du spirituel, Le Trait allait devenir une paroisse à part entière en se détachant de l'église d'Yainville. 

En 1524, Laval engage une procédure contre Guillaume Bazin pour refus d'aveu et dénombrement. En 1544, le nouveau seigneur du Trait est le gendre de Laval, Loys de Silly, époux d'Anne de Laval, première dame d'honneur de Marie de Médicis. 

La seigneurie du Trait passa par la suite entre les mains du duc de Longueville. Il est attesté dans ce titre en 1573. Il l'est encore dans l'aveu rendu le 22 mai 1585 par Jean de Mouy, seigneur de la Mailleraye : "Item sy ay droict, par accord et consentement des feux seigneurs prédécesseurs de Monsieur le duc de Longueville, seigneur de la terre et seigneurie du Traict, d'avoir bacz et basteaux pour passer les travers de la ryviere a venir et retourner de mondict marché [de la Mailleraye], et y prendre les prouffictz qui y appartiennent, mesmes faire chemin ou chaulsées sur les terres de ladicte seigneurie du Traict. "(Arch. de la Seine-Inférieure, B. 197, n° 55)

En 1595, Marie de Bourbon, duchesse de Longueville, vend la seigneurie à Martin d'Espinay, seigneur de Boisguéroult, qui en prend effectivement possession mais ne ratifie pas cette adjudication. Du coup, le duchesse se retourne aussitôt vers la mère du seigneur du Taillis. Qui accepte pour 2.200 écus. Et se désiste. En 1603, Catherine d'Orléans de Longueville vent la seigneurie à Georges Delaporte, premier président du Parlement de Rouen. Trois ans plus tard, il la revend à Jean du Fay, seigneur du Taillis. Une patate chaude !

La seigneurie se recentre

En 1603, la famille du Fay, résidant au château du Taillis, porte enfin le titre de "chastelain du Traict et de Saincte-Marguerite". Un titre qui lui monte à la tête.
Comme jadis, les comtes d'Evreux, Jean du Fay voulut s'approprier l'église Saint-Nicolas en y imposant ses armoiries.
Les plaids de la Seigneurie du Trait se tiennent désormais au château du Taillis.  En 1609, le sénéchal en est Anthoine Le Preux, en 1617, c'est Marin Capelle.

Les moines de Jumièges obtinrent gain de cause en 1662 après douze années de procès. Mais la même année, les châtelains du Trait contestaient aussi à l'abbaye ses droits de pêche au regard du Trait. Pour les du Fay, l'Eau-Dieu s'arrêtait au Nouveau-Monde, autrement dit aux carrières de Claquevent, à Yainville...

Entre temps, en 1656, Jehan du Fay obtient la moitié des vasières du Trait, près du passage de La Mailleraye, l'autre moitié restant en commune pâture pour les habitants. En 1658, du Fay vend une partie de la châtellenie du Trait : les fiefs du Vaurouy, de Dampont et du Torchi. Henri Boivin, conseiller au Parlement de Paris réunit ces trois entités et s'empressa d'y bâtir une église paroissiale.

Reste que l'ascension sociale de du Fay se poursuit au point qu'il devient comte de Maulvévrier en rachetant les terres de Charles-Robert de la Mark.


A la fin du XVIIe siècle, les seigneurs de La Mailleraye aménagent le passage d'eau qui lui fait face  par la construction d'un quai. Sa femme, Angélique Fabert, le prolonge d'une chaussée en 1693 pour rejoindre la route de Caudebec à Duclair. Des travaux qui vont prendre 80 ans.

Et si les siècles passent, la seigneurie demeure. De 1717 à 1720, le receveur de la châtellenie du Trait, Nicolas Babois, s'oppose à Nicolas Cauvin au sujet d'une prairie.

Les jardins du château

En 1723 la jouissance du jardin du château fut concédée à vie au curé du Trait, messire Jean-Baptiste Cauvin, dont le presbytère, en piètre état, se trouvait non loin de là.  Voici le texte de cette transaction (ADSM - cote 116 J 70-73).  "Billet du Sr Cauvin, curé du Trait, par lequel il reconnoit que je luy laisse la place du vieil château sa vie durante, ce mercredy 7e juillet 1723.

Je consents que monsr Cauvin, curé de ma parroisse du Trait jouisse gratuitement comme par le passé sa vie durante seulement pour sa commondité et utilité du jardin enclos dans mon vieil château du Trait parce qu'il pourra en façon quelconque ny le céder ny affermer à personne & qu'il le culrivera comme il a cy devant fait, 

double au Taillys ce mercredy septième jour de juillet gbÿ vingt trois. f. du fay du Taillys – J Cauvin.

On voit donc que l'ancien castel présentait encore de beaux restes et son terrain était toujours géré par la châtellenie. Le Seigneur du Trait était alors François du Fay, époux de Anne-Marguerite Lucas de Boucout. Il régna sur ses terres de 1705 à 1743 et réintégra dans sa branche le comté de Maulévrier.

Sur ce plan du Trait dressé en 1740, nous avons fait apparaître en vert les possessions du Comte du Taillis. Le domaine propre du Seigneur du Trait se résume donc à six pièces de terre, dont la plus importante, ici à droite, porte le nom des Trois Cornets. Il n'est fait aucune mention d'un "vieil château". L'abbé Maurice le situait sur un tertre accidenté à l'arrière du calvaire.

En 1728, les frères Durand, de Guerbaville, obtinrent du seigneur du Trait l'exploitation de ses pêcheries pour neuf ans. Les habitants du Trait voulurent les imposer de la Taille. Procès. Appel. Les Traitons obtinrent gain de cause.

La seigneurie du Trait vivait ses dernières années, coincée entre la Seine et la forêt. Le Traiton est donc laboureur, pêcheur et bûcheron. Son épouse file le lin. Les habitants disposent ici d'une commune pâture.

Mort de la châtellenie

Débuté en 1024, le règne de la seigneurie du Trait prit fin avec la Révolution. Elle rapportait alors 300 livres de revenus. Le dernier seigneur fut Charles-Ferdinand Lecomte du Taillis, "cy-devant comte de Maulévrier, seigneur châtelain du Taillis et du Trait-Sainte Marguerite, demeurant en son château du Taillis, paroisse du Trait, disctict de Caudebec." Il possédait toujours des maisons tenues par Jacques Lefée, Laurent Fleury et Pierre Courtil. En 1791, le châtelain exigeait encore ses droits sur le bois de chauffage en forêt du Trait. En novembre 1793, Lecomte du Taillis remit aux autorités tous ses anciens titres concernant la baronnie de Bourg-Achard et de Tanquerville. Mais il signala que d'autres titres et plans concernant le comté de Maulévrier et les châtellenies du Trait et de Sainte-Marguerite restaient au chartrier de Bourg-Achard, les municipalités concernées les ayant refusés tant que le décret ne leur était pas parvenu.

Oui, les siècles ont passé et la cartographie s'est entre temps développée. Mais les plans dressés par Cassini, Fleury, Delavigne, arpenteur à Jumièges, ne font apparaître aucune trace d'enceinte fortifiée ou de ruines au Trait. A l'exception du plan produit en tête de cet article. En 1740 fut réalisé un plan partiel du Trait. On y voit un chemin et une place du marché avec d'anciennes halles. Les archives conservent en effet les lettres  patentes  de  Louis  XIII permettant  la  création  d’une  foire  et  d’un  marché  dans  la châtellenie, l'enquête de commodité et d’incommodité, l'arrêt du parlement de Rouen autorisant la foire et marché à charge de construire halles, bancs et étaux (116 J 60 1623-1625). Le comte du Taillis possède six parcelles dans le bourg. Mais on ne fait aucune allusion aux ruines et à la sente du château. Il ne nous reste donc plus qu'à attendre le premier cadastre...


Le voilà, le cadastre de mars 1826. Il nous montre une vaste section appelée Le Vieils Château, ici à gauche de la sente du Château et qui s'étend jusqu'à la rue des Flaquières. Elle est bordée en haut par l'ancienne route de Caudebec à Rouen, en bas par la Seine. Tout en haut à droite de ce plan, on voit encore l'église dans sa forme ancienne, sans son clocher-porche

Curieusement, dans les différents cadastres qui seront établis à partir de 1963, une section appelée le Vieux-Château apparaît toujours mais cette fois très à droite de la sente du Château et même de la rue du bac. Pourquoi ce glissement de terrain !...


Les derniers vestiges

Dans sa séance du 20 décembre 1860, la Commission des Antiquités de la Seine-Inférieure nous apprend que l'infatigable archéologue "M. Cochet a visité les ruines du vieux château du Trait qui défendait autrefois le passage de la Seine. Ce château, qui est peu connu, était très fort et très important." 

L'abbé Cochet reviendra manifestement effectuer des fouilles car, sous le mandat du maire Jean-Baptiste Doucet, voici ce qu'écrit Cochet : "En face de l'église du Trait, au delà de la route départementale et au bord de l'ancienne rive de la Seine, on voit les ruines d'un vieux château qui fut construit sur un tertre et dont les murs ont encore de trois à quatre mètres de hauteur. On y a trouvé récemment une cave voûtée en petit appareil qui paraît fort ancienne." Mais le Guide des environs de Caudebec rédigé par Rondel, met en garde les curieux quant à la modestie de ces ruines : "elles sont si peu apparentes que vous pouvez vous dispenser d'aller les voir." En 1913, la Commission des Antiquités constate leur complète disparition. 


Sur le cadastre de 1826, la sente du château descendant du calvaire vers la Seine nous montre une surface arrondie ici à sa gauche et sans numérotation. A droite, d'autres formes rectangulaires portent la lettre "a". Une lecture de la matrice nous en dirait peut être plus. Ou si le calvaire pouvait parler...

A défaut de gravures, a-t-on seulement pris une seule photo de ces vestiges. Non ? Reste donc l'imagination. Dans les aventures d'Arsène Lupin gentleman cambrioleur, Maurice Leblanc fera un clin d'œil à la forteresse du Trait : "Il n'est pas de touriste digne de ce nom qui ne connaisse les bords de la Seine, et qui n'ait remarqué, en allant des ruines de Jumièges aux ruines de Saint-Wandrille, l'étrange petit château féodal du Malaquis..." Edifice imaginaire. Mais lieu-dit bien réel au Trait.

En 1906, L'Atlas pittoresque de la France, de Reclus, signale encore les ruines du château du Trait.

La toponymie locale a gardé le souvenir du bastion avec une sente du Château qui descend du calvaire vers la Seine. De vieux pans de mur y étaient encore observés. dans les années 80. Le cadastre du XIXe siècle nous montre aussi une rue et une plaine Saint-Martin, derniers échos des cloches de la chapelle du même nom disparue au moyen-âge. Là, lors de travaux effectués en 1918 pour édifier une cité ouvrière, deux sarcophages en pierre de l'époque franque furent mis au jour, contenant chacun les restes de plusieurs sujets. Sujets riches, assurément, pour bénéficier d'un tel linceuil.

Quand en 2012 on détruisit un pâté de maisons situé près de l'église, on découvrit de belles pierres d'appareil. Provenaient-elles de l'ancien château ? La question fut posée. Une de plus.


Sources


Jacques Derouard, Simples notes sur l'histoire du Trait, groupe archéologique du Val de Seine, 1979.
La Seine-Inférieure historique et archéologique, abbé Cochet, Paris, Derache, 1866.
Procès verbaux de la Commission départementale des Antiquités.
Géographie de la Seine-Inférieure, Tougard et Bunel.
Jumièges, Congrès du XIIIe centenaire, CNRS.
Épisodes de l'invasion anglaise : la guerre de partisans dans la Haute-Normandie (1424-1429),  Germain Lefèvre-Pontalis
Pierre-Yves Corbel et Isabelle Lechartier, répertoire  du chartrier de Maulévrier.
Patrick Sorel, Bruno Penna, Le château du Taillis, 2004.
Au fil des patrimoines, Le Trait-Yainville, PNR, 2018.