D'abord charpentier de navire, Louis Eugène Bunel fut le héros de La Mailleraye, même si les exploits de l'enfant du pays s'accomplirent ailleurs. Les douze travaux de Bunel...
Louis Eugène Bunel est né le 5 septembre 1831 au bourg de La Mailleraye, à 10h du soir. Ses parents, Louis Pierre Bunel et Marie Madeleine Bizet s'étaient mariés le 20 mai 1830 à Notre-Dame-de-Bliquetuit. Lui, veuf avait déjà 58 ans quand sa femme en avait 25. Originaire de Martainville, dans l'Eure, il était venu travailler aux chantiers de construction navale Pouchain et ses patrons furent présents à la noce. C'est du reste François Pouchin qui alla déclarer la naissance en mairie de ce premier enfant, flanqué d'un douarnier, Jean-Baptiste Villefroy.
Charpentier de navire, c'est le métier qu'exercera à son tour Louis Eugène. Le 28 octobre 1855, il épouse à Guerbaville Clotilde Rosalie Léveillard, badestamière de deux ans son aînée. Parmi les témoins : Louis Eugène Bizet, oncle de l'époux, charpentier de navire à Rouen, sans doute chez Le Mire. Il réside en tout cas au n° 1 de la place Saint-Eloi. Il y a aussi Jean Léveillard, oncle de l'épouse, qui, lui, exerce la profession de cordier.
Bien des années plus tard, à l'Académie de Rouen, le 15 décembre 1892, le pasteur Roberty remet le prix Dumanoir à Bunel, alors garde-champêtre à Amfreville-la-Mivoie. L'essentiel de son discours :
Deux fois sauvé des eaux !
Un jour, c'était en 1854, au mois d'août, a trois heures de l'après-midi, sur le bord de la Seine, un excellent homme aussi celui-là, Auguste Amourette, faisant un brin de toilette, voit un matelot, qui se baignait, tout à coup disparaître. Sans calculer ses forces et le péril, il se jette à son secours, mais il est saisi par lui de cette étreinte terrible de l'homme qui se noie. Il lutte en vain ; ses forces s'épuisent, il s'enfonce, il reparaît pour s'enfoncer encore. Ah ! l'atroce moment, et quel cri, « au secours ! » non formulé peut-être, monte jusqu'à sa gorge où l'eau l'étouffe. Tous les deux vont mourir, lorsque tout à coup une main solide les retient, les enlève, les remet à l'air, à la lumière du ciel et à la vie. C'est Bunel ! Il était là paisiblement péchant à la ligne, et ne se doutant guère, quelques minutes auparavant, qu'il allait retirer de l'eau une si belle et si précieuse proie.
Chose curieuse : le même Auguste Amourette, en août 1857, travaillant près du même chantier de M. Le Mire, sur un radeau, est brusquement précipité à l'eau par l'arrivée du flot, autrefois très fort en cet endroit ; quoique sachant nager, accablé sous le poids de ses vêtements et l'agitation de la rivière, il va se noyer ; c'est lui-même qui le raconte. C'est encore Bunel, le même Bunel qui est là et le sauve une deuxième fois.
Les sauvetages se multiplient
Je n'en finirais pas s'il me fallait raconter tous ces sauvetages. En
mars 1870, un homme se noie dans la Seine, Bunel est là et
le
sauve. En 1871, un nommé Pétrel, il est
là et le
sauve ; eu juin 1880, un autre encore et le sauve; en 1889, une femme,
il est là et ne pense pas à la parole odieuse :
«
Ce n'est qu'une femme qui se noie », il la sauve.
Le lendemain d'un mardi-gras, à cinq heures du matin, M.
Pierre
Petit, rentrant chez lui d'une fête de famille, se dirige de
Sotteville vers Rouen par le Cours-la-Reine. La nuit est noire
et quelque brouillard l'épaissit encore. Il perd son chemin,
glisse, chancelle et le voilà dans l'eau sombre et
glacée, appelant au secours. Mais qui peut passer en cet endroit désert en un pareil
moment,
un lendemain de fête ? Bunel ! qui s'en allait à
son
travail à la gare et qui commence sa journée en
sauvant
une existence.
Entremêlez maintenant tous ces sauvetages de l'eau de
sauvetages des flammes, et comme moi vous serez poursuivis par ces deux vers du poète, appliqués,
il est
vrai, à un grand destructeur de vies : Toujours lui, lui
partout
! ou brûlante, ou glacée, son image sans cesse
occupe ma
pensée !
Ne vous semble-t-il pas que pour se jeter dans le feu il faut un
courage plus extraordinaire que pour se précipiter dans
l'eau
glacée. De ces deux genres, de mort lequel redouteriez-vous
le
plus ? Mourir brûlé, sentir mille langues de feu
lécher, pénétrer, dévorer
sa chair. Quel
indicible supplice ! Beaucoup de nobles ou humbles créatures
l'ont volontairement accepté et souffert plutôt
que de
renier leur patrie ou leur Dieu ; mais l'affronter pour en arracher
quelque pauvre et misérable existence à laquelle
ne vous
rattache d'autre lien que celui d'homme à homme, ah ! quelle
sainte et divine audace ! Bunel l'a eue.
En 1870, à Sotteville, un incendie dévore une
maison. On
en croit tous les habitants sortis et hors de péril. Mais
non !
un homme y est encore. A travers le crépitement des flammes
on
entend ses cris d'angoisse. Sans hésiter, Bunel, qui est là, entre dans la
fournaise, et,
une minute après, en ressort presque flambant
lui-même,
portant sur ses bras un corps à moitié
brûlé
et asphyxié, mais, grâce à lui,
toujours vivant.
Enfin, Messieurs, car il faut s'arrêter sans avoir tout dit,
deux
fois, en septembre 1889 et en novembre 1890, Bunel se trouve en face de
chiens enragés. Le premier s'est déjà
jeté
sur cinq personnes, dont deux moururent de cette mort plus
épouvantable encore peut-être que la mort par le
feu. Il
va en déchirer d'autres qui fuient éperdues ;
mais tout
à coup, Bunel est là, devant lui. Calme et ferme
comme un
roc, d'un coup de bâton il l'abat à ses pieds.
Ainsi du
second, affreux, monstrueux, bravement et gentiment assommé.
Oui, monsieur Bunel, vous êtes par nature, par
tempérament physique et moral le sauveteur par excellence.
Cest votre manière d'être autant que votre
manière
de faire. Quand vous fondiez, avec d'autres braves gens, cette
Société des Hospitaliers Bretons qui a
déjà
rendu tant de services, vous ne pouviez vraiment faire autrement. Cette
extraordinaire suite de sauvetages, c'est l'ordinaire et bel emploi de
votre belle vie...