Le curé
de Guerbaville raconte ses
mésaventures.
mésaventures.
Par Jean Barassin
Après avoir narré dans « ses
Mémoires » comment il faillit
être pendu à la croix du
Calvaire par quelques révolutionnaires exaltés,
le curé de
Guerbaville raconte quelques épisodes de
l’Histoire de France qui
se sont déroulés à Paris : * « Le roi arrêté à la porte de son palais »
* « le roi arrêté à Varennes » 22 juin 1791. * Vingt-deux juillet 1792, le roi coiffé du bonnet rouge. * Massacre des prêtres (2 – 5 septembre 1792 * Mort du roi (guillotiné le 21 janvier 1793. |
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L’abbé
Louis Dumesnil termine ce long préambule de ses
« Mémoires »
en rapportant l’entretien qu’il eut avec le
chanoine Papillaut
qui administrait clandestinement le diocèse de Rouen en
l’absence
du cardinal de La Rochefoucauld. « Il me donna,
écrit-il, des
pouvoirs pour exercer le saint ministère dans toutes les
paroisses
du Roumois qui n’auraient pas de vrais pasteurs, de
réconcilier à
l’Église les prêtres, religieux et
religieuses en leur donnant
l’absolution des censures qu’ils auraient pu
encourir pendant le
trouble de la révolution. Ce fut,
d’après cette reconnaissance,
que je pris dans ma paroisse les fonctions de mon ministère
et que
je les ai continuées tant que je n’en ai pas
été
empêché ».
C’est alors que commence le règne de la Terreur à Guerbaville [Guerbaville prit le nom de La Mailleraye sur Seine en 1910] par l’Établissement de la Société Populaire ; « Au milieu des troubles et des malheurs que la Révolution trainait après elle, écrit le curé, la commune de Guerbaville en 1793, jouissait de la tranquillité et de la paix. En cette année Viollet (sic) homme aussi violent qu’ardent révolutionnaire fit un voyage à Paris. Il puisa dans cette cité orageuse l’esprit des enfants cruels de l’infâme Robespierre et, vint à Guerbaville fonder cette association dont rougirent bientôt les vrais citoyens désabusés dès qu’ils y virent tenir école de barbarie et d’horreur et, y dresser des tables de proscription et de mort. Dans leur caverne impure, ces hommes, ou plutôt ces monstres, ourdirent la trame de diverses accusations également absurdes et criminelles contre Madame de Nagu et Madame de Mortemart, contre leurs gens, contre moi, contre plus de quarante citoyens qu’ils tourmentèrent et emprisonnèrent sur les plus vains et les plus ridicules prétextes ». Ces malheureux étaient tout simplement destinés à la guillotine.
Bientôt le pauvre abbé reçut de la société Populaire une « lettre insolente » où on le mettait en demeure de cesser de prier, de cesser de faire prier ses ouailles. Il eut l’imprudence, la faiblesse, de rédiger une réponse à cette injonction déplacée. Ce devait être pour lui la source de « beaucoup d’embarras, beaucoup de peines et de tourments ». « Lorsque ma lettre, écrit-il, fut lue à la tribune de cette société jacobine, transportés de colère, les plus méchants jetèrent des grands cris et dirent que j’étais le plus grand et le plus à craindre de tous les fanatiques ; qu’il fallait penser à me faire arrêter. Pour y parvenir plus sûrement on envoya une copie de cette lettre à la Société Populaire de Caudebec, à celle d’Yvetot, de Montivilliers, de Rouen … Dans ces sociétés on vomit contre moi mille imprécations et, celle de Rouen, fit passer cette lettre au représentant du peuple, Guimbertot qui, lui-même, l’adressa au Comité de Sûreté Générale à Paris. J’étais perdu, si la divine Providence n’eût veillé à ma conservation »… En effet, quinze jours après, l’agent national (Le Nud) vint à Guerbaville répandre la mauvaise doctrine (…) commander les choses les plus impies telles que s’emparer et de souiller la chapelle du château de la Mailleraye, en arracher le crucifix, en briser les images, y installer l’assemblée populaire, enfin enfermer madame de Nagu, sa famille, ses domestiques et donner les ordres de me faire apostasier et de fermer l’église».
Madame de Nagu, sa famille et ses gens, restèrent prisonniers au château pendant plusieurs mois, après quoi on se résolut à les transférer dans les prisons d’Yvetot. Une réaction de la population très attachée à ses châtelaines était à craindre. « Il sembla dans ce moment qu’il était question de prendre d’assaut un ennemi puissant et redoutable. Plus de deux cents hommes de Caudebec et d’ailleurs paraissent sous les armes. Ils investissent le château ». Et, c’est escortées de deux cents hommes armés que ces quelques femmes furent emmenées captives à Yvetot. Elles devaient y demeurer plus d’un an.
Huit jours après ce départ on s’en prit au curé de Guerbaville : on voulait le faire apostasier, renoncer à ses fonctions de prêtre et l’obliger « étant libre, à faire le choix d’une épouse ». L’abbé résista avec intrépidité à toutes ces suggestions saugrenues mais il fut contraint de livrer la clef de l’église. « Cependant, écrit-il, l’Agent National de la Commune (un nommé Bourdon) qui avait été longtemps domestique de mon prédécesseur (l’abbé Jean-Jacques Bazille du Vey) lequel, lui avait en mourant laissé une assez forte somme d’argent et l’avait, de tout temps, nourri lui et sa famille » s’empara de la clé de l’église. Immédiatement « il commença à tout culbuter. Le sanctuaire fut le premier objet contre lequel se déchaina sa fureur sacrilège. De très beaux-reliefs furent hachés, des figures du Sauveur et de la Vierge furent plâtrées, des anges adorateurs renversés, les vases encore profanés, le tabernacle brisé …l’ancien maitre-autel qui était posé dans la chapelle du Saint Sauveur fut mis en mille morceaux et foulé aux pieds. Tous les autres furent vendus ainsi que les bancs. Enfin, il ne resta pour ainsi dire rien dans la pauvre église. Elle fut dévastée en un moment. Tous les linges, ornements, vases sacrés, meubles furent portés à Yvetot et, afin que le convoi fût plus remarquable et plus solennel on revêtit les chevaux de nos chapes et l’agent national paraissait le roi de la fête, revêtu de la chasuble la plus précieuse. Il chantait les chansons les plus impies et les plus abominables … ». Dénoncé au Comité de Surveillance pour sa courageuse résistance, l’abbé Louis Dumesnil, menacé d’arrestation décida de s’enfuir et de se cacher dans les bois.
L’abbé Louis Dumesnil était né à Saint Jouin le mardi 23 septembre 1743. Il décida d’aller voir les lieux de son enfance. « Le lendemain, raconte-t-il, je partis, j’avançai du côté de la mer et, me trouvant alors au milieu de ma famille, dans ce pays qui est celui de ma naissance, j’allais de maison en maison, jusqu’à ce que me prit l’idée d’aller au Havre voir quelques amis. Je dirige mes pas de ce côté mais lorsque j’eus dépassé Sanvic, étant prêt à descendre sur la côte par un petit sentier je trouvais deux femmes âgées qui me dirent : « Monsieur où allez-vous ? N’entrez pas dans la ville. Si vous avancez jusqu’au coin de cette maison – me la montrant du bras- vous allez certainement être arrêté. Siblot (un redoutable Jacobin) est arrivé hier. Il fait mettre tous les prêtres en prison. On voit bien qui vous êtes, vous ne lui échapperez pas. N’entrez pas, n’allez pas plus loin, venez avec nous ».
Je suivis ces bonnes femmes. C’était Dieu, je crois, qui les inspirait car tous les prêtres du Havre et des environs furent, en effet, arrêtés et incarcérés dans le château du Bec. J’entrai avec elles dans une chaumière où elles m’offrirent quelques rafraichissements que j’acceptai. Je m’entretins avec elles du malheur des nations quand elles abandonnent Dieu et qu’elles négligent les devoirs de la Religion pour se livrer à la vanité et aux désordres. Par leur conseil, je fus invité d’aller dans une maison voisine baptiser un enfant nouveau-né. Je m’y rendis et j’administrai le Sacrement de la Régénération. J’adressai quelques paroles de consolation à la mère et aux assistants et, me retirai dans les bois de la Latte qui est proche de là ». Il s’agit sans doute du bois des Halattes, à l’orée de la forêt » de Montgeon. »Je me rendis ensuite, continue le prêtre, au commencement de la nuit à Fontenay ou plutôt à Marfauville, ferme située à l’extrémité de cette paroisse. J’y passai deux jours enfermé parce que le maître de la maison, qui était maire, avait, en cette qualité, plus à craindre qu’un autre en logeant un prêtre qui n’avait aucun passeport et qui, de plus était fugitif ».
Le curé de Guerbaville commençait à s’ennuyer de sa paroisse. « Après avoir passé trois semaines dans ce canton, je pensai à retourner chez moi, croyant qu’après deux mois d’absence l’humeur de mes persécuteurs serait peut-être apaisée … Je prends donc le chemin de Guerbaville … J’arrivai tard dans les maisons où je devais loger et, j’en partais de grand matin. Ces maisons de repos étant à peu de distance l’une de l’autre, je marchais çà et là dans les campagnes par des chemins peu fréquentés. Je m’arrêtais peu parce que les jours étaient encore très froids et la terre humide ce qui m’empêchait de m’asseoir ».
« J’arrivais enfin à Grandcamp de très grand matin ; ma route était naturellement par Caudebec mais cette commune était pour moi un lieu à craindre .Ma fameuse lettre avait été lue à la tribune de la Société Populaire, j’y étais inscrit en lettres rouges. J’y avais toutefois quelques amis mais les Larrès, les Agueniers et mille autres jacobins de première force y donnaient la Loi et y régnaient en despotes. Je devais ainsi éviter cette commune. Au lieu de suivre le chemin qui y conduit, je descendis par Saint Gilles de Crétot et m’enfonçai dans les bois de Sainte Gertrude au milieu desquels je passai presque le jour entier. »
« Marchant continuellement à travers bois, je me rendis, vers le coucher du soleil à Rétival où je passai la rivière (la Seine). Sitôt que je fus dans les bois du Maur, je me lançais dans la forêt de Brotonne où je restais assez avant dans la nuit. J’entendais autour de moi ou des renards japper ou des loups hurler mais, toutes ces bêtes, toutes cruelles qu’elles sont, me paraissaient moins à redouter que les jacobins. Quoique la nuit fut très sombre, je me rendis facilement au Bourg-l’Abbé et, côtoyant le broche de Madame de Nagu j’arrivai chez moi à dix heures du soir sans être aperçu de qui que soit … Je m’introduisis donc dans la cour (du presbytère) et frappe à la porte. Qui est-ce ?Ah c’est vous ! J’embrasse ma mère, mes domestiques pleurent de joie ; on me fait du feu, on reprend haleine. D’où venez-vous ? me dit ma mère. Où avez-vous été durant ces deux mois ? Je me suis promené lui dis-je. J’ai vu nos amis, nos parents. J’ai toujours ou presque toujours marché. Je me suis ennuyé de cette manière de vivre alors, je suis revenu et, je vois, avec plaisir, que vous jouissez d’une bonne santé ».
Très vite, l’abbé Dumesnil constata les dégâts causés dans son église. « Pendant mon absence, écrit-il dans ses mémoires, l’église fut profanée non seulement par le ravage et la destruction qu’y avait porté l’impie Bourdon mais encore par les abominations qu’y commit, dans son extravagance, la horde des jacobins qui inondaient le malheureux pays. On effaça le saint Nom de Dieu qui était gravé en grosses lettres au centre de la gloire que j’avais fait construire au haut du sanctuaire ; des mains sacrilèges tirèrent de nouveau les vases sacrés du saint tabernacle ; le crucifix fut arraché, la croix renversée, les images (statues) descendues et brisées, les autels dépouillés, un arbre vert planté sur l’autel principal et, on plaça sur le portail, en très gros caractères, cette inscription : Le temple de la raison. Ils firent l’inauguration de ce nouveau temple par des discours abominables, des blasphèmes horribles, des chansons obscènes, des danses lascives, des actions impudiques … Nombre de personnes qui avaient, jusqu’alors, paru attachées à la religion de leurs pères, se prêtèrent soit par crainte, soit par esprit de vertige à tous ces désordres et se livrèrent à tous ces excès. Il n’y avait plus, pour un très grand nombre, ni dimanches, ni fêtes, ni jours réservés …C’était être fanatique, c’était un crime de paraitre en habit propre le jour du Seigneur. C’était une maxime reçue parmi les Jacobins qu’il ne fallait plus de culte … »
Le curé de Guerbaville n’eut pas le loisir de méditer longuement sur les méfaits de l’impiété dans sa paroisse. Le lendemain de son retour, il fut mis en état d’arrestation (9 Floréal an II / 28 avril 1794)). « Il n’y avait que vingt-quatre heures, dit-il, que j’avais, après deux mois d’absence, le plaisir de revoir ma mère et de me trouver au milieu de mon troupeau que, je vois arriver le maire accompagné de deux fameux jacobins, membres du Comité de Surveillance ». Après échange d’amabilité, « je les introduis, continue le prêtre, dans mes appartements et, ces honnêtes gens qui étaient bien fâchés de l’objet de leur mission, posèrent les scellés partout, ne me laissant libres que mon lit et ma cuisine et, de peur que leur proie leur échappât, ils me donnèrent dix gardes, qu’il me fallait payer et nourrir. Ils me suivaient partout même aux moments de la nécessité de satisfaire aux besoins de la nature ». Cependant l’abbé obtint un délai de huit jours avant d’être transféré à Yvetot, afin de mettre ordre à ses affaires. C’était compter sans le chagrin que ressentait cet homme de cinquante ans devant l’affliction de sa mère qui le voyait déjà comme prochainement exécuté. « Ma mère était inconsolable, dit-il, tout ce que je pouvais lui dire était inutile et incapable de calmer sa douleur ». Vaincu par ce douloureux spectacle, l’abbé résolut de partir immédiatement. « Je me livrai à la Providence divine, écrit-il, et je dis à mes gardes : Partons. Je pars dans l’instant sans mot dire car je voulais me dérober à ma mère. Je sentais que la vue de mon départ devait être pour elle un coup de foudre. Je me fais conduire un cheval au passage (d’eau). C’était le cheval du bon et respectable Jean Durand qui, pour m’obliger, ne craignit pas de s’exposer au ressentiment des jacobins. Je fis mettre quelques habits sur le cheval (…) Je pars donc accompagné de deux gardes bien armés (…) Nous arrivons au bateau. Mon domestique, qui avait conduit en ce lieu le cheval que je devais monter, me quitte en fondant en larmes ».
« Arrivé à l’autre bord de la rivière (la Seine), je monte mon cheval et me mets en chemin, toujours accompagné de mes gardes. Quoique mes conducteurs affectassent de paraître n’être pas de ma compagnie, personne néanmoins n’y était trompé. J’avais trop l’air, sinon d’un criminel, d’un homme du moins qui, comme beaucoup d’autres, allait être enfermé dans une maison d’arrêt. J’entendais souvent sur le chemin, et principalement à Caudebec, ces paroles dites avec un ton et un air de douleur : Ah voilà encore un pauvre prêtre qu’on conduit en prison ». J’arrive à Yvetot. Mes conducteurs, qui avaient pour moi assez de complaisance, me permirent d’aller et m’accompagnèrent chez quelques personnes de ma connaissance qui eurent la charité de m’envoyer un matelas, des draps et une couverture car on ne donnait pas même de la paille aux malheureux prisonniers dont j’allais grossir les rangs.
Le récit que fait l’abbé Dumesnil de sa comparaison devant le Tribunal du district mériterait, tant par son style que par les faits qu’il dénonce, de figurer dans une anthologie de la pratique judiciaire sous la Terreur. « Je quittai ces amis, écrit-il, pour me rendre au district car mes gardes voulaient retourner à Guerbaville quoique l’après-midi fût déjà avancé. Je monte et parai devant Lenud, agent national qui était en ce pays le plénipotentiaire de Robespierre et l’homme des jacobins de Paris. Morel, cet insolent administrateur qui m’avait déjà assez maltraité (…), Morel, le fameux Morel, l’ami intime de Lenud était précisément là lorsque les gardes me présentèrent à ce proconsul.
« Lenud, cet homme d’une taille moins que médiocre, ayant une tête grosse, le visage blanc, le nez épaté et plein de tabac, la bouche grande, les yeux gris, les cheveux noirs et plats rabattus sur les yeux, était enveloppé d’une houppelande et coiffé d’une peau de renard qui ombrageait ses yeux menaçants et dont la grosse queue noire, descendant le long de l’oreille, venait reposer sous son menton sans barbe et lui donnait la forme d’un nouvel Attila. Pour ne rien perdre de sa petite taille il était debout quand mes gardes lui présentèrent l’ordre qu’ils avaient de me conduire devant son Tribunal (…)
Sans lire la lettre qu’on lui présente, jetant sur moi un œil de fureur, il m’apostrophe et me dit : « Te voilà bougre de fanatique ! Te voilà bougre de scélérat ! »
C’est alors que commence le règne de la Terreur à Guerbaville [Guerbaville prit le nom de La Mailleraye sur Seine en 1910] par l’Établissement de la Société Populaire ; « Au milieu des troubles et des malheurs que la Révolution trainait après elle, écrit le curé, la commune de Guerbaville en 1793, jouissait de la tranquillité et de la paix. En cette année Viollet (sic) homme aussi violent qu’ardent révolutionnaire fit un voyage à Paris. Il puisa dans cette cité orageuse l’esprit des enfants cruels de l’infâme Robespierre et, vint à Guerbaville fonder cette association dont rougirent bientôt les vrais citoyens désabusés dès qu’ils y virent tenir école de barbarie et d’horreur et, y dresser des tables de proscription et de mort. Dans leur caverne impure, ces hommes, ou plutôt ces monstres, ourdirent la trame de diverses accusations également absurdes et criminelles contre Madame de Nagu et Madame de Mortemart, contre leurs gens, contre moi, contre plus de quarante citoyens qu’ils tourmentèrent et emprisonnèrent sur les plus vains et les plus ridicules prétextes ». Ces malheureux étaient tout simplement destinés à la guillotine.
Bientôt le pauvre abbé reçut de la société Populaire une « lettre insolente » où on le mettait en demeure de cesser de prier, de cesser de faire prier ses ouailles. Il eut l’imprudence, la faiblesse, de rédiger une réponse à cette injonction déplacée. Ce devait être pour lui la source de « beaucoup d’embarras, beaucoup de peines et de tourments ». « Lorsque ma lettre, écrit-il, fut lue à la tribune de cette société jacobine, transportés de colère, les plus méchants jetèrent des grands cris et dirent que j’étais le plus grand et le plus à craindre de tous les fanatiques ; qu’il fallait penser à me faire arrêter. Pour y parvenir plus sûrement on envoya une copie de cette lettre à la Société Populaire de Caudebec, à celle d’Yvetot, de Montivilliers, de Rouen … Dans ces sociétés on vomit contre moi mille imprécations et, celle de Rouen, fit passer cette lettre au représentant du peuple, Guimbertot qui, lui-même, l’adressa au Comité de Sûreté Générale à Paris. J’étais perdu, si la divine Providence n’eût veillé à ma conservation »… En effet, quinze jours après, l’agent national (Le Nud) vint à Guerbaville répandre la mauvaise doctrine (…) commander les choses les plus impies telles que s’emparer et de souiller la chapelle du château de la Mailleraye, en arracher le crucifix, en briser les images, y installer l’assemblée populaire, enfin enfermer madame de Nagu, sa famille, ses domestiques et donner les ordres de me faire apostasier et de fermer l’église».
Madame de Nagu, sa famille et ses gens, restèrent prisonniers au château pendant plusieurs mois, après quoi on se résolut à les transférer dans les prisons d’Yvetot. Une réaction de la population très attachée à ses châtelaines était à craindre. « Il sembla dans ce moment qu’il était question de prendre d’assaut un ennemi puissant et redoutable. Plus de deux cents hommes de Caudebec et d’ailleurs paraissent sous les armes. Ils investissent le château ». Et, c’est escortées de deux cents hommes armés que ces quelques femmes furent emmenées captives à Yvetot. Elles devaient y demeurer plus d’un an.
Huit jours après ce départ on s’en prit au curé de Guerbaville : on voulait le faire apostasier, renoncer à ses fonctions de prêtre et l’obliger « étant libre, à faire le choix d’une épouse ». L’abbé résista avec intrépidité à toutes ces suggestions saugrenues mais il fut contraint de livrer la clef de l’église. « Cependant, écrit-il, l’Agent National de la Commune (un nommé Bourdon) qui avait été longtemps domestique de mon prédécesseur (l’abbé Jean-Jacques Bazille du Vey) lequel, lui avait en mourant laissé une assez forte somme d’argent et l’avait, de tout temps, nourri lui et sa famille » s’empara de la clé de l’église. Immédiatement « il commença à tout culbuter. Le sanctuaire fut le premier objet contre lequel se déchaina sa fureur sacrilège. De très beaux-reliefs furent hachés, des figures du Sauveur et de la Vierge furent plâtrées, des anges adorateurs renversés, les vases encore profanés, le tabernacle brisé …l’ancien maitre-autel qui était posé dans la chapelle du Saint Sauveur fut mis en mille morceaux et foulé aux pieds. Tous les autres furent vendus ainsi que les bancs. Enfin, il ne resta pour ainsi dire rien dans la pauvre église. Elle fut dévastée en un moment. Tous les linges, ornements, vases sacrés, meubles furent portés à Yvetot et, afin que le convoi fût plus remarquable et plus solennel on revêtit les chevaux de nos chapes et l’agent national paraissait le roi de la fête, revêtu de la chasuble la plus précieuse. Il chantait les chansons les plus impies et les plus abominables … ». Dénoncé au Comité de Surveillance pour sa courageuse résistance, l’abbé Louis Dumesnil, menacé d’arrestation décida de s’enfuir et de se cacher dans les bois.
« Je fus informé
du projet des Jacobins, membres de la municipalité et du
comité de
Surveillance et, je pensai me soustraire à leurs poursuites.
Je pris
le parti de m’éloigner mais, où
aller ? Je n’avais pas de
passeport et, personne ne se souciait de recevoir les prêtres
qui
étaient tous suspects et qui rendaient suspectes les
personnes chez
lesquelles ils se retiraient. Pour éviter cet
inconvénient, je pris
la résolution de me retirer dans les
bois ». Il partit le 28
février 1794 et « j’allai faire
ma résidence, ma demeure
dans les bois de Mauny, de Canteleu, de Saint jean (du Cardonnay). Je
rentrai à la nuit dans quelques maisons, chez le bon
curé d’Yville
par exemple, vieillard de près de cent ans et
qu’on ne soupçonnait
pas. Je repartis de grand matin avec un morceau de pain à ma
poche.
Après avoir été quelques jours
d’un côté de la rivière (la
Seine) je passai de l’autre et me promenai
( ?) tout le
long des jours avant de me retirer chez un cultivateur qui
m’a
rendu de grands services.
« J’entrai un
jour dans Rouen où je me trouvai embarrassé.
J’y avais des amis
mais, pas un ne voulut me recevoir. Je ne pouvais, sans être
arrêté,
entrer dans aucune auberge. J’allais comme un chien errant,
j’étais
fatigué au point de m’asseoir sur les bornes, si
je l’eusse osé.
Enfin, quand il fit nuit, et qu’à la faveur de ses
ombres, il me
fut possible de me retirer, j’allais à Bonsecours
chez un ancien
camarade de classe que je savais y être et bien penser .Il me
reçut
très bien et me congédia le lendemain matin avec
un morceau de pain
et un fruit. J’allai de là, dans les bois de
Maromme et, retournai
le soir chez mon cultivateur. Enfin, après avoir
passé un mois à
rôder dans les bois de Mauny, de Saint Georges je pensai me
retirer
plus avant dans le Pays de Caux. De Canteleu je pris mon chemin par
les bois de Saint Jean. J’allais par les sentiers. Je
trouvais
quelques fois des bonnes gens que je reconnaissais facilement
être
tel, à la voix et à la contenance et qui, sans me
connaitre,
voyaient bien qui j’étais. Ils
s’approchaient de moi d’un air
triste et, au milieu de la campagne, me disaient tout bas en
m’abordant « Eh bien !
Monsieur quelles nouvelles ?
Ah quel temps ! ». Quelques-uns
me demandaient de
baptiser leurs nouveau-nés. »
« Enfin, je me
rendis à Touffreville la Corbeline chez un parent
où je passai un
jour et deux nuits. J’y arrivai, suivant mon usage, sur les
neuf
heures d’un soir du mois de Mars. Je courus d’assez
grands
risques en arrivant. Il y avait dans cette ferme deux ou trois fameux
chiens-de-chaine. Quand je fus proche de la barrière, je
toussai
pour m’assurer si les chiens étaient
déchainés. Ils l’étaient
malheureusement. Ils ne m’eurent pas plutôt entendu
qu’ils
viennent vers moi avec la fureur des lions ! Je
n’avais pas
assez de jambes … je courrai de toutes mes forces. Les
chiens me
serraient de près. Je les écartais en faisant
mouvoir mon bâton
derrière moi. Ils me quittèrent enfin.
J’errai quelques temps, ne
sachant devenir pendant la nuit qui était très
froide. Comme je
connaissais très bien le local (les lieux)
je pensai entrer
par un petit bois qui donnait sur le jardin attenant à la
maison.
J’étais certain que, si par hasard, la porte du
jardin était
ouverte, je pourrais éviter la poursuite des chiens.
J’avance dans
le bois et, heureusement trouve la porte du jardin ouverte. Portes,
contrevents, tout était fermé. Je parle et frappe
en même temps.
L’on eut (à
l’intérieur) une frayeur mortelle,
surtout
les enfants, car on parlait que d’arrestations et de
guillotine…
J’appelle, je crie : « C’est
moi, ne craignez
point ! Qui
est-ce ? C’est
moi, votre ami, ne craignez point ! »
On ouvre, on me voit, on m’embrasse, on pleure de joie
… » Le bon curé
d’expliquer pourquoi il arrivait par ce chemin
détourné.
« D’où venez-vous ?
lui dit-on. Hélas
j’aurais bien de la peine à vous le dire. Il y a
longtemps que je
suis en voyage. Je marche sans fin et je n’arrive nulle part.
Me
voilà heureusement avec vous et je vous quitterai
bientôt pour
aller chercher un autre gîte. Je suis trop près du
lion pour y être
en sûreté ».
« J’eus quelques
petites épreuves dans cette famille qui m’aimait
pourtant bien. Le
maitre de maison, qui était mon parent et mon ami, ne
pensait
néanmoins pas comme moi sur les affaires du temps. Il
regardait
comme un entêtement cette résolution ferme de
refuser de se plier
aux circonstances. C’est un parti pris, disait-il, on ne veut
plus
de religion. Il vaut mieux dissimuler, se faire ami de ces
gens-là.
Il faut dire comme eux. Dieu connait bien nos intentions
… »
Le parent et ami eut droit à une cordiale remise en place
… »
« Le voisinage d’Yvetot me donnait quelque inquiétude ainsi qu’aux personnes honnêtes chez lesquelles j’étais. La crainte de les compromettre et d’être pris dans cette maison respectable, me fit partir le lendemain. Mon hôte me conduisit à quelque distance de son habitation. Muni de quelques petites provisions, j’errai tout le jour dans la campagne et me rendit le soir à Bernières.
« Le voisinage d’Yvetot me donnait quelque inquiétude ainsi qu’aux personnes honnêtes chez lesquelles j’étais. La crainte de les compromettre et d’être pris dans cette maison respectable, me fit partir le lendemain. Mon hôte me conduisit à quelque distance de son habitation. Muni de quelques petites provisions, j’errai tout le jour dans la campagne et me rendit le soir à Bernières.
« Hélas,
écrit-il, non sans peine car le jour fut si pluvieux que je
fus
obligé d’aller de buisson en buisson où
je ne trouvais souvent
d’autre abri que celui d’un parapluie dont
j’étais
heureusement pourvu » …
« Enfin j’arrivai avec bien
de la peine au lieu où j’espérais
trouver un gîte. Je fus reçu
avec joie. L’on vit avec pitié mon triste
état. J’étais
crotté, mouillé, fatigué. On
s’empresse de me rendre tous les
petits services convenables en pareille occasion. Nous nous
entretînmes toute la soirée du malheur des temps.
Je restai deux
jours dans cette maison et, le troisième de mon
arrivée je sortis
de très grand matin avec, selon mon usage, quelques petites
provisions pour le jour que je devais passer en marchant au milieu
des campagnes. J’arrivai à Houquetot et logeai
dans une sainte
maison après avoir passé presque le jour entier
dans les bois de
Mirville.
L’abbé Louis Dumesnil était né à Saint Jouin le mardi 23 septembre 1743. Il décida d’aller voir les lieux de son enfance. « Le lendemain, raconte-t-il, je partis, j’avançai du côté de la mer et, me trouvant alors au milieu de ma famille, dans ce pays qui est celui de ma naissance, j’allais de maison en maison, jusqu’à ce que me prit l’idée d’aller au Havre voir quelques amis. Je dirige mes pas de ce côté mais lorsque j’eus dépassé Sanvic, étant prêt à descendre sur la côte par un petit sentier je trouvais deux femmes âgées qui me dirent : « Monsieur où allez-vous ? N’entrez pas dans la ville. Si vous avancez jusqu’au coin de cette maison – me la montrant du bras- vous allez certainement être arrêté. Siblot (un redoutable Jacobin) est arrivé hier. Il fait mettre tous les prêtres en prison. On voit bien qui vous êtes, vous ne lui échapperez pas. N’entrez pas, n’allez pas plus loin, venez avec nous ».
Je suivis ces bonnes femmes. C’était Dieu, je crois, qui les inspirait car tous les prêtres du Havre et des environs furent, en effet, arrêtés et incarcérés dans le château du Bec. J’entrai avec elles dans une chaumière où elles m’offrirent quelques rafraichissements que j’acceptai. Je m’entretins avec elles du malheur des nations quand elles abandonnent Dieu et qu’elles négligent les devoirs de la Religion pour se livrer à la vanité et aux désordres. Par leur conseil, je fus invité d’aller dans une maison voisine baptiser un enfant nouveau-né. Je m’y rendis et j’administrai le Sacrement de la Régénération. J’adressai quelques paroles de consolation à la mère et aux assistants et, me retirai dans les bois de la Latte qui est proche de là ». Il s’agit sans doute du bois des Halattes, à l’orée de la forêt » de Montgeon. »Je me rendis ensuite, continue le prêtre, au commencement de la nuit à Fontenay ou plutôt à Marfauville, ferme située à l’extrémité de cette paroisse. J’y passai deux jours enfermé parce que le maître de la maison, qui était maire, avait, en cette qualité, plus à craindre qu’un autre en logeant un prêtre qui n’avait aucun passeport et qui, de plus était fugitif ».
Le curé de Guerbaville commençait à s’ennuyer de sa paroisse. « Après avoir passé trois semaines dans ce canton, je pensai à retourner chez moi, croyant qu’après deux mois d’absence l’humeur de mes persécuteurs serait peut-être apaisée … Je prends donc le chemin de Guerbaville … J’arrivai tard dans les maisons où je devais loger et, j’en partais de grand matin. Ces maisons de repos étant à peu de distance l’une de l’autre, je marchais çà et là dans les campagnes par des chemins peu fréquentés. Je m’arrêtais peu parce que les jours étaient encore très froids et la terre humide ce qui m’empêchait de m’asseoir ».
« J’arrivais enfin à Grandcamp de très grand matin ; ma route était naturellement par Caudebec mais cette commune était pour moi un lieu à craindre .Ma fameuse lettre avait été lue à la tribune de la Société Populaire, j’y étais inscrit en lettres rouges. J’y avais toutefois quelques amis mais les Larrès, les Agueniers et mille autres jacobins de première force y donnaient la Loi et y régnaient en despotes. Je devais ainsi éviter cette commune. Au lieu de suivre le chemin qui y conduit, je descendis par Saint Gilles de Crétot et m’enfonçai dans les bois de Sainte Gertrude au milieu desquels je passai presque le jour entier. »
« Marchant continuellement à travers bois, je me rendis, vers le coucher du soleil à Rétival où je passai la rivière (la Seine). Sitôt que je fus dans les bois du Maur, je me lançais dans la forêt de Brotonne où je restais assez avant dans la nuit. J’entendais autour de moi ou des renards japper ou des loups hurler mais, toutes ces bêtes, toutes cruelles qu’elles sont, me paraissaient moins à redouter que les jacobins. Quoique la nuit fut très sombre, je me rendis facilement au Bourg-l’Abbé et, côtoyant le broche de Madame de Nagu j’arrivai chez moi à dix heures du soir sans être aperçu de qui que soit … Je m’introduisis donc dans la cour (du presbytère) et frappe à la porte. Qui est-ce ?Ah c’est vous ! J’embrasse ma mère, mes domestiques pleurent de joie ; on me fait du feu, on reprend haleine. D’où venez-vous ? me dit ma mère. Où avez-vous été durant ces deux mois ? Je me suis promené lui dis-je. J’ai vu nos amis, nos parents. J’ai toujours ou presque toujours marché. Je me suis ennuyé de cette manière de vivre alors, je suis revenu et, je vois, avec plaisir, que vous jouissez d’une bonne santé ».
Très vite, l’abbé Dumesnil constata les dégâts causés dans son église. « Pendant mon absence, écrit-il dans ses mémoires, l’église fut profanée non seulement par le ravage et la destruction qu’y avait porté l’impie Bourdon mais encore par les abominations qu’y commit, dans son extravagance, la horde des jacobins qui inondaient le malheureux pays. On effaça le saint Nom de Dieu qui était gravé en grosses lettres au centre de la gloire que j’avais fait construire au haut du sanctuaire ; des mains sacrilèges tirèrent de nouveau les vases sacrés du saint tabernacle ; le crucifix fut arraché, la croix renversée, les images (statues) descendues et brisées, les autels dépouillés, un arbre vert planté sur l’autel principal et, on plaça sur le portail, en très gros caractères, cette inscription : Le temple de la raison. Ils firent l’inauguration de ce nouveau temple par des discours abominables, des blasphèmes horribles, des chansons obscènes, des danses lascives, des actions impudiques … Nombre de personnes qui avaient, jusqu’alors, paru attachées à la religion de leurs pères, se prêtèrent soit par crainte, soit par esprit de vertige à tous ces désordres et se livrèrent à tous ces excès. Il n’y avait plus, pour un très grand nombre, ni dimanches, ni fêtes, ni jours réservés …C’était être fanatique, c’était un crime de paraitre en habit propre le jour du Seigneur. C’était une maxime reçue parmi les Jacobins qu’il ne fallait plus de culte … »
Le curé de Guerbaville n’eut pas le loisir de méditer longuement sur les méfaits de l’impiété dans sa paroisse. Le lendemain de son retour, il fut mis en état d’arrestation (9 Floréal an II / 28 avril 1794)). « Il n’y avait que vingt-quatre heures, dit-il, que j’avais, après deux mois d’absence, le plaisir de revoir ma mère et de me trouver au milieu de mon troupeau que, je vois arriver le maire accompagné de deux fameux jacobins, membres du Comité de Surveillance ». Après échange d’amabilité, « je les introduis, continue le prêtre, dans mes appartements et, ces honnêtes gens qui étaient bien fâchés de l’objet de leur mission, posèrent les scellés partout, ne me laissant libres que mon lit et ma cuisine et, de peur que leur proie leur échappât, ils me donnèrent dix gardes, qu’il me fallait payer et nourrir. Ils me suivaient partout même aux moments de la nécessité de satisfaire aux besoins de la nature ». Cependant l’abbé obtint un délai de huit jours avant d’être transféré à Yvetot, afin de mettre ordre à ses affaires. C’était compter sans le chagrin que ressentait cet homme de cinquante ans devant l’affliction de sa mère qui le voyait déjà comme prochainement exécuté. « Ma mère était inconsolable, dit-il, tout ce que je pouvais lui dire était inutile et incapable de calmer sa douleur ». Vaincu par ce douloureux spectacle, l’abbé résolut de partir immédiatement. « Je me livrai à la Providence divine, écrit-il, et je dis à mes gardes : Partons. Je pars dans l’instant sans mot dire car je voulais me dérober à ma mère. Je sentais que la vue de mon départ devait être pour elle un coup de foudre. Je me fais conduire un cheval au passage (d’eau). C’était le cheval du bon et respectable Jean Durand qui, pour m’obliger, ne craignit pas de s’exposer au ressentiment des jacobins. Je fis mettre quelques habits sur le cheval (…) Je pars donc accompagné de deux gardes bien armés (…) Nous arrivons au bateau. Mon domestique, qui avait conduit en ce lieu le cheval que je devais monter, me quitte en fondant en larmes ».
« Arrivé à l’autre bord de la rivière (la Seine), je monte mon cheval et me mets en chemin, toujours accompagné de mes gardes. Quoique mes conducteurs affectassent de paraître n’être pas de ma compagnie, personne néanmoins n’y était trompé. J’avais trop l’air, sinon d’un criminel, d’un homme du moins qui, comme beaucoup d’autres, allait être enfermé dans une maison d’arrêt. J’entendais souvent sur le chemin, et principalement à Caudebec, ces paroles dites avec un ton et un air de douleur : Ah voilà encore un pauvre prêtre qu’on conduit en prison ». J’arrive à Yvetot. Mes conducteurs, qui avaient pour moi assez de complaisance, me permirent d’aller et m’accompagnèrent chez quelques personnes de ma connaissance qui eurent la charité de m’envoyer un matelas, des draps et une couverture car on ne donnait pas même de la paille aux malheureux prisonniers dont j’allais grossir les rangs.
Le récit que fait l’abbé Dumesnil de sa comparaison devant le Tribunal du district mériterait, tant par son style que par les faits qu’il dénonce, de figurer dans une anthologie de la pratique judiciaire sous la Terreur. « Je quittai ces amis, écrit-il, pour me rendre au district car mes gardes voulaient retourner à Guerbaville quoique l’après-midi fût déjà avancé. Je monte et parai devant Lenud, agent national qui était en ce pays le plénipotentiaire de Robespierre et l’homme des jacobins de Paris. Morel, cet insolent administrateur qui m’avait déjà assez maltraité (…), Morel, le fameux Morel, l’ami intime de Lenud était précisément là lorsque les gardes me présentèrent à ce proconsul.
« Lenud, cet homme d’une taille moins que médiocre, ayant une tête grosse, le visage blanc, le nez épaté et plein de tabac, la bouche grande, les yeux gris, les cheveux noirs et plats rabattus sur les yeux, était enveloppé d’une houppelande et coiffé d’une peau de renard qui ombrageait ses yeux menaçants et dont la grosse queue noire, descendant le long de l’oreille, venait reposer sous son menton sans barbe et lui donnait la forme d’un nouvel Attila. Pour ne rien perdre de sa petite taille il était debout quand mes gardes lui présentèrent l’ordre qu’ils avaient de me conduire devant son Tribunal (…)
Sans lire la lettre qu’on lui présente, jetant sur moi un œil de fureur, il m’apostrophe et me dit : « Te voilà bougre de fanatique ! Te voilà bougre de scélérat ! »
— Si je m’appelle
ainsi, lui dis-je, oui me voilà.
— Il y a longtemps que nous courrions après toi !
— Eh bien me voilà entre vos mains, vos désirs sont accomplis.
— Il faut que tu ailles en prison !
— Je suis en votre puissance, vous pouvez disposer de moi.
— Alors Morel, à son tour, m’adressant la parole s’exprima ainsi :
— Il y a longtemps que nous courrions après toi !
— Eh bien me voilà entre vos mains, vos désirs sont accomplis.
— Il faut que tu ailles en prison !
— Je suis en votre puissance, vous pouvez disposer de moi.
— Alors Morel, à son tour, m’adressant la parole s’exprima ainsi :
— Bougre
de fanatique, on en guillotine qui ne le méritent pas autant
que toi ! Que voulais-tu faire de ton calice, de ta chasuble
bougre de gueux !
— Je voulais, lui dis-je, m’en servir pour prier Dieu.
— Pour dire la messe ?
— Oui pour dire la messe
— Vous l’entendez ? Il ne faut pas de témoins !
— Eh bien sans doute, je voulais dire la messe ; où est donc le mal ? Ne m’est-il pas permis dans ma chambre de faire ce que je veux ? S’il vous fait plaisir n’adressez-vous pas votre hommage à votre déesse Raison, debout, assis, de la manière enfin qu’il vous plait ? N’ai-je donc pas la même liberté ? Puis-je donc être coupable parce que je prie Dieu ?
— Tu es un scélérat de prêtre ! Tu voulais acquitter des messes pour lesquelles tu as reçu de l’argent !
— Si j’étais un scélérat, comme vous dites, je me mettrai un peu en peine d’acquitter les messes pour lesquelles j’aurais reçu de l’argent (…)
— Tu es un bougre de scélérat, de fanatique ! s’écria Lenud. Tu viendrais avec un poignard d’une main et un crucifix de l’autre pour nous égorger ! ».
« Je me tourne vers lui en disant : Ces sentiments n’ont jamais été dans mon cœur et la religion pour laquelle je parais ici aujourd’hui m’apprend à pardonner à ceux qui me persécutent ». Alors, plein de colère il crie de toutes ses forces : « A la Vendée, ce bougre-là ! A la Vendée. (C’est-à-dire : A mort, A mort !). Des hommes, des hommes, douze fusiliers ! ». Pendant ce temps Morel me montrait le poing et disait : « Va gueux ! Nous t’avons voulu sauver, tu n’as pas voulu nous écouter. Nous allons … » Un officier parait, un sabre nu à la main à la tête de douze hommes ayant la baïonnette au bout du fusil. Je crus un instant que c’était le dernier jour de ma vie. « Mène à Comble ce bougre-là. » dit Lenud. » Mène-le en prison ».
« Envoyez-moi à l’échafaud, à la guillotine, je m’en moque lui dis-je en le quittant. Vous pouvez tuer mon corps mais vous n’aurez jamais aucun pouvoir sur mon âme ! »
L’officier qui conduisait la troupe me fait passer au milieu des soldats et me place à sa gauche. C’était un jour de marché ; Yvetot était rempli d’un peuple infini. Tous étaient dans la consternation, une affreuse terreur glaçait les esprits. Pas une seule personne n’applaudit à l’avanie que me firent Lenud et Morel.
— Je voulais, lui dis-je, m’en servir pour prier Dieu.
— Pour dire la messe ?
— Oui pour dire la messe
— Vous l’entendez ? Il ne faut pas de témoins !
— Eh bien sans doute, je voulais dire la messe ; où est donc le mal ? Ne m’est-il pas permis dans ma chambre de faire ce que je veux ? S’il vous fait plaisir n’adressez-vous pas votre hommage à votre déesse Raison, debout, assis, de la manière enfin qu’il vous plait ? N’ai-je donc pas la même liberté ? Puis-je donc être coupable parce que je prie Dieu ?
— Tu es un scélérat de prêtre ! Tu voulais acquitter des messes pour lesquelles tu as reçu de l’argent !
— Si j’étais un scélérat, comme vous dites, je me mettrai un peu en peine d’acquitter les messes pour lesquelles j’aurais reçu de l’argent (…)
— Tu es un bougre de scélérat, de fanatique ! s’écria Lenud. Tu viendrais avec un poignard d’une main et un crucifix de l’autre pour nous égorger ! ».
« Je me tourne vers lui en disant : Ces sentiments n’ont jamais été dans mon cœur et la religion pour laquelle je parais ici aujourd’hui m’apprend à pardonner à ceux qui me persécutent ». Alors, plein de colère il crie de toutes ses forces : « A la Vendée, ce bougre-là ! A la Vendée. (C’est-à-dire : A mort, A mort !). Des hommes, des hommes, douze fusiliers ! ». Pendant ce temps Morel me montrait le poing et disait : « Va gueux ! Nous t’avons voulu sauver, tu n’as pas voulu nous écouter. Nous allons … » Un officier parait, un sabre nu à la main à la tête de douze hommes ayant la baïonnette au bout du fusil. Je crus un instant que c’était le dernier jour de ma vie. « Mène à Comble ce bougre-là. » dit Lenud. » Mène-le en prison ».
« Envoyez-moi à l’échafaud, à la guillotine, je m’en moque lui dis-je en le quittant. Vous pouvez tuer mon corps mais vous n’aurez jamais aucun pouvoir sur mon âme ! »
L’officier qui conduisait la troupe me fait passer au milieu des soldats et me place à sa gauche. C’était un jour de marché ; Yvetot était rempli d’un peuple infini. Tous étaient dans la consternation, une affreuse terreur glaçait les esprits. Pas une seule personne n’applaudit à l’avanie que me firent Lenud et Morel.
C’est ainsi que le curé et ancien maire de Guerbaville fut conduit et interné à Comble.
La « maison de Combles » aujourd’hui Manoir du Fay à Sainte Marie des Champs, où l’abbé Dumesnil fut interné appartenait aux Isnel de Combles. Ceux-ci ayant émigré, leur demeure devint une prison sous la Terreur. Cette habitation, nous dit le curé de Guerbaville « est vaste au milieu d’un grand enclos, plantée tout autour de chênes et de sapins d’une grande beauté ; un petit bois bien percé donne sur une grande plaine. Des avenues qui l’entourent ont dû en faire un séjour charmant pour ses maitres … ».
Après les formalités d’écrou, le prêtre fut introduit dans cette maison dont la porte était gardée par des hommes armés. « J’y trouvai, dit-il, un lyonnais, vingt-quatre habitants de Bolbec, plusieurs réquisitionnaires et dix prêtres. Le pauvre Mauger, prêtre religieux bénédictin qui avait quelque temps fait, à Saint Wandrille, les fonctions de curé y avait aussi été enfermé et était sorti, il y avait huit jours, pour aller à Paris entendre prononcer l’arrêt de sa mort au tribunal révolutionnaire. Il était déjà guillotiné. On venait de recevoir la triste nouvelle ». Effrayé, l’abbé Dumesnil décida sur-le-champ de s’évader si l’occasion s’en présentait, lorsqu’on viendrait pour l’enlever et conduire à Paris pour lui faire subir le même sort que dom Mauger. Par les gardes qui l’avaient amené de Guerbaville il fit parvenir à sa mère « une lettre de consolation » puis il se mit en devoir de s’installer : « mes amis d’Yvetot m’envoyèrent un lit, dit-il. Les prisonniers s’empressèrent de me fournir les nourritures et les rafraichissements dont j’avais besoin. Je fis apporter de l’eau qui est ma boisson ordinaire. Je soupai tranquillement en attendant la grâce, le moment de ma délivrance ou ma mort. »
Le lendemain le curé de Guerbaville se fit un devoir de visiter chacun de ses compagnons de captivité. « Pas un seul, dit-il, n’était coupable de l’ombre d’un crime. Ils étaient, comme moi, des victimes qui attendaient le moment du sacrifice. Les jacobins les avaient incarcérés parce qu’ils étaient trop honnêtes pour approuver les désordres du temps. A la liberté près et la crainte d’être assailli … on pouvait agréablement s’amuser de cette prison qui n’était pas rigoureusement fermée. Car, quoiqu’on ne dut pas sortir on allait néanmoins dans la cour … Le jardin était libre et l’on pouvait s’y promener … » C’est là que l’abbé repéra une échelle qui, éventuellement, lui permettrait d’échapper à la mort. Le bruit courait, en effet, que « la canaille d’Yvetot » s’apprêtait à venir massacrer tous les prisonniers comme on l’avait fait à Paris en septembre 1792.
Les jours suivants Louis Dumesnil s’efforça d’aménager sa détention. Afin d’éviter la promiscuité car les prisonniers devaient coucher à « huit dans la même chambre » il découvrit un petit cabinet où il installa son lit. Cependant, pour les repas, il s’unit à huit autres prêtres.
« Nous faisions la cuisine
alternativement,
écrit-il. Les étrangers qui nous visitaient
étaient étonnés de
nous voir enveloppés d’un tablier,
éplucher des herbes, balayer,
laver la vaisselle. Notre ordinaire était frugal. Un peu de
viande à
midi, des légumes le soir …Chacun faisait
apporter de chez soi ce
qu’il avait et le tout était mis en
commun ».
Les prêtres par crainte de représailles avaient cessé de réciter le bréviaire. Le curé de Guerbaville les convainquit que cette crainte était vaine ; il leur donna l’exemple et tous se remirent à la prière. En outre, il aimait à se retirer seul dans son petit « réduit » pour penser, réfléchir et même composer des sonnets, des pièces de poésie. Il se fit aussi professeur de latin. « Il y avait parmi nous, écrit-il, un vieux garçon de Bolbec, il se nommait Dranguet. Il était tôlier de son métier. Cet homme avait de l’esprit. On l’appelait le « curé des jardins ».
On l’appelait ainsi parce qu’il habitait à Bolbec un jardin sur la porte duquel il avait mis une affiche où l’on lisait en gros caractères : « Ici on prie Dieu ». De l’instant il fut déclaré suspect, fanatique, et, en conséquence constitué prisonnier (car) il recevait dans ce jardin les catholiques qui ne croyaient pas devoir « assister aux offices du prêtre assermenté qui occupait indument la cure de Bolbec. Dans son jardin Dranguet faisait la prière, récitait l’office divin, lisait l’Evangile, l’expliquait de son mieux jusqu’à ce qu’il soit arrêté.
« Cet homme était
fort sensé et instruit mais il n’entendait pas le
latin » En
prison, il manifesta son désir d’apprendre la
langue de l’Eglise
et s’en ouvrit à l’abbé
Dumesnil. Celui-ci, n’ayant pas de
livre, se mit à l’œuvre et, de
mémoire, composa, à sa façon,
une grammaire française et latine.
« C’était en marchant
que je lui expliquais les leçons »
écrit le bon curé.
Dranguet était intelligent. « En
très peu de temps,
c’est-à-dire quelques jours, il vint à
bout de décliner les
noms, de distinguer entre elles les déclinaisons et de
conjuguer les
verbes. Nous passâmes bientôt à la
concordance. Il commençait à
faire des versions du français en latin, du latin en
français quand
arriva ma délivrance ».
En effet le temps approchait où Robespierre avant de disparaitre de la scène politique instituerait la fête et le culte de l’Etre suprême (8 juin 1794) et « voulant paraitre s’apitoyer sur le sort des prêtres » donnerait l’ordre « de les faire sortir de prison et de les renvoyer dans leurs communes respectives » Après deux mois de détention à Combles (28 avril – 28 juin 1794) l’abbé Dumesnil devait bénéficier, non sans quelques tribulations supplémentaires, de cette sorte d’amnistie… provisoire.
Le 28 Juin 1794 l’abbé Dumesnil quitta, non sans quelques craintes et tergiversations sa première prison pour réintégrer sa chère paroisse. Il ne put reprendre ses fonctions sacerdotales que le « 25 de mars 1795 » comme il l’écrit dans le registre paroissial qu’il s’empressa d’ouvrir.
En cette période où le curé n’avait pas accès à son église, fut organisée à Guerbaville, comme en bien d’autres endroits, une cérémonie funèbre en l’honneur de Marat que, dans ses mémoires notre curé raconte en ces termes :
« Peu
de temps après mon retour, il se fit ici une fête
en l’honneur de
Marat. On porta la ville son buste (qui était habituellement
dans la
chapelle du château) sur l’autel de notre
église, sous le grand
arbre vert qu’on avait élevé
à la nature. Un lampion était à
côté, comme veilleuse. Le lendemain, les membres
de la municipalité
en grand costume firent rendre hommage à la nouvelle
divinité.
Quatre des membres du Comité de Surveillance, qui
était pour lors
supprimé mais qui s’étaient
distingués par leur zèle, vêtus
superbement, posèrent l’image du dieu Marat sur
une civière
couverte d’un beau doublier orné de rubans. Chacun
prend un manche
de cet instrument. Ils marchèrent
précédés des municipaux et
suivis des meilleurs jacobins en habit de parade. On va vers la
chapelle du château … mais au cours de la
procession on s’arrêta
au milieu du bourg. Il y avait là un beau
reposoir ; on y
chanta et dansa beaucoup, on but. On resta en ce lieu presque le jour
entier ; par respect, chacun avait le chapeau bas. Le maire,
comme souverain pontife, ordonnait et présidait la
fête. On
l’entendit répéter très
sincèrement : « Marat !
Mon cher Marat, non je n’ai pas d’autre dieu que
toi ! »
Il força dans le délire, nombre
d’habitants qui passaient et
avaient horreur de ces sottises, à tirer leur chapeau,
à fléchir
le genou, à baiser le dieu Marat.
L’ivresse
ou la folie était à un tel point qu’une
femme de bourg, femme
d’ailleurs d’esprit, qui avait toujours bien
pensé, disait :
« Mon
dieu Marat tu es mort pour
nous ! »
Le maitre d’école,
homme passablement instruit, qui avait été toute
sa vie mon clerc,
mais homme auquel la révolution a fait, je crois perdre la
tête,
faisait faire à ses élèves le signe de
la croix en disant :
« Marat, Le Pelletier
amen ! ». Ma peine était
extrême. Ne voulant ni voir, ni entendre toutes ces
abominations, je
sortis et allai dans le fond du parc, promener mon
chagrin. »
Quelques mois après les vents ont tourné et le peuple se rebelle contre ses tyrans. Ce renouveau, hélas passager, donne lieu à des scènes parfois comiques que le bon curé rapporte :
« Peu
à peu, le crédit, ou plutôt
l’empire tyrannique des jacobins
s’anéantit, la terreur disparait, le peuple sorti
comme d’un
long et pénible assouplissement où une douleur
profonde l’avait
jeté, lève la tête attaque de front son
ennemi, chasse les
misérables jacobins de leurs antres et les oblige
à se cacher
honteusement. Ici, on les poursuit à coups de pierres,
là on tond
ceux qu’on attrape. Partout on voudrait les mettre
à mort pour
apaiser les mânes de tant de victimes innocentes et effacer
tant de
sang injustement répandu. A La Mailleraye, le peuple plus
modéré
se contenta de chasser ces malheureux de la chapelle du
château,
qu’ils avaient souillée par leur
présence et leurs blasphèmes,
où leur barbarie avait été
jusqu’au fond des tombeaux insulter
aux cendres des anciens seigneurs et enlever leurs cercueils. A
l’aspect du peuple en tumulte plutôt
qu’en furie, le greffier
s’enfuit avec le registre de peur, sans doute,
qu’on ne s’en
saisit et qu’on y trouvât
l’infâme liste des soixante-dix
habitants que les cannibales avaient voués à
l’impitoyable
guillotine. Le président ne reçut, sur son corps
grêlé, que
quelques pierres que lui jetèrent des enfants mutins, et
alla bien
vite au milieu du bourg cacher son dépit et sa honte. Je fis
tous
mes efforts pour arrêter cette effervescence où la
plaisanterie
avait, je crois, plus de part que l’envie de faire le mal et
d’user
de représailles ».
Ainsi continue le prêtre :
« Cinq
à six femmes avaient culbuté un nomme Dubosc. Cet
homme n’est pas
méchant mais il s’est fait remarquer par son
zèle pour la société
populaire et par quelques propos inconsidérés.
Elles le tenaient
sous elles et riaient comme des folles. Elles demandaient des ciseaux
pour le tondre. Le malheureux, pâle comme la mort, criait, se
croyait perdu, ainsi qu’un nommé Tintin que
d’autres femmes
arrêtaient et qui, tout hors d’haleine,
disait : « Mon
Dieu, mon Dieu, pardonnez-moi, laissez-moi la
vie ! ».
Bon tu connais donc Dieu, lui disaient-elles en riant. Que
n’appelles-tu pas Marat ? Elles
plaisantèrent beaucoup et le
laissèrent aller sans ne lui faire aucun mal. Je me trouvais
précisément à la fin de cette
scène comique. Quoique cette
entreprise folle et indécente fût beaucoup plus
bruyante que
sérieuse, je ressentis beaucoup de peine. Je grondai
sévèrement
ces étourdies. Je leur fis des menaces. Je conduisis les
patients,
je les consolai de mon mieux et leur promis de faire tous mes efforts
afin qu’une pareille scène ne se
renouvelât pas »
Enfin la liberté du culte fut rétablie et l’abbé Dumesnil se mit en devoir de reconstituer peu à peu sa paroisse et les pratiques religieuses, d’abord dans la chapelle du château puis dans l’église paroissiale. « Cependant, écrit le prêtre, comme la religion est l’aliment de l’âme et que l’homme, surtout quand il est malheureux, se porte toujours vers la divinité, le peuple par toute la France redemande et veut son culte. Je repris alors mes fonctions et fis mon office dans la salle de mon presbytère, ensuite dans la chapelle du château après l’avoir bénie, l’avoir réconciliée et consacrée de nouveau. J’en fus ensuite chassé et banni pendant quelques jours par Alexandre Bourdon alors agent national (…). Enfin les églises sont ouvertes après dix-huit mois de profanations et de scandales. Je rentre dans celle de Guerbaville, j’en fais la bénédiction, une nouvelle dédicace et y recommence l’office divin. Le peuple y court en foule. Il est difficile de peindre l’attendrissement de ce pauvre peuple qui avait été si longtemps privé des consolations de sa religion et dont on avait forcé une partie à apostasier ». C’est le 25 mars 1795 que l’abbé Dumesnil et ses ouailles récupérèrent une première fois l’usage de leur église.
« Tranquille,
écrit-il, je m’occupai à
réparer l’église et les autels qui
avaient été renversés et
détruits. J’avais racheté ceux de
Saint Mathurin et du Saint Esprit dans la vente qui en avait
été
faite pendant le Terreur. J’avais laissé en place
le corps de ces
autels, j’avais seulement retiré les tableaux de
peur que
l’impiété ne les
déchirât ou ne les souillât. Je les fis
alors
remplacer. On détruisait alors la pauvre abbaye de
Jumièges. J’en
demandai deux autels qu’on m’accorda gratuitement.
Je les fis
placer dans les chapelles de la Sainte Vierge et de Saint Sauveur
à
la place de ceux qui avaient été
anéantis. Les fonts baptismaux
qui avaient été renversés furent
rétablis. Je me procurai des
ornements, chasubles, chapes, croix, encensoirs etc. Mes maux
paraissaient enfin réparés, l’office
divin se faisait comme
autrefois malgré la fureur, les ravages de
l’impiété et de la
philosophie. Les sacrements été
fréquentés, on était assidu
à
l’office et à la prière. Nous
étions enfin en paix quand arriva
le fameux 18 de Fructidor de l’an V. Dès le 19
Fructidor, la loi
du 3 Brumaire an IV contre les prêtres
réfractaires et les émigrés
fut rétablie et, celle du 7 Fructidor qui rappelait les
prêtres
déportés fut abrogée.
Désormais le Directoire pouvait, à
volonté, poursuivre les prêtres comme
perturbateurs de l’ordre
public et les déporter en Guyane. La seconde Terreur
commençait.
« On
voulait se défaire des prêtres, écrit
l’abbé. Il fallait des
prétextes, on ne fut pas longtemps à en trouver.
La loi du 7
Vendémiaire sur la police des cultes fut le moyen dont on se
servit
pour parvenir à ce but désiré. Cette
loi restreignait l’exercice
du culte aux seules églises. Des peines rigoureuses
étaient
infligées à ceux qui paraissaient, au dehors,
avec la moindre
marque de religion ou en habit ordinaire de ministre du culte. La
prison, les amendes, la gêne (la prison)
voilà les
bagatelles auxquelles étaient impitoyablement
condamnés ceux qui
paraissaient en public avec la moindre de ces choses. Ceux de nos
jacobins qui étaient resté fidèles au
parti et qui étaient en
place ne tardèrent pas à me trouver
coupable ».
Cette fois, l’abbé Dumesnil, sur la déclaration d’un faux témoin, fut assigné à comparaître le 26 août 1798 et, se retrouva interné à la prison d’Yvetot. Il était accusé d’avoir laissé une partie de son surplis dans le cimetière attenant à l’église au cours d’un enterrement auquel les Frères de Charité avaient participé revêtus de leurs chaperons. Le récit de ce jugement ubuesque est trop long pour être reproduit intégralement, en voici seulement la conclusion :
« Ce
juge passionné faisait si peu de cas des
considérants et des
conclusions de mon défenseur, qu’il
écrivait la sentence pendant
son discours et prononçait, en despote, le jugement avant
d’avoir
même consulté ses assesseurs. La sentence fut donc
prononcée et
elle me condamnait à huit mois de prison et à 300
livres d’amende,
ainsi qu’à l’affiche de 250 placards.
Les Frères furent
condamnés à 100 livres d’amende, un
mois de prison et au placard.
C’est ainsi que fut récompensé mon
zèle à rendre à mes
paroissiens les honneurs de la sépulture
chrétienne, ainsi que
celui de ces hommes courageux et charitables, qui veulent bien pour
l’amour de Dieu et des hommes, exposer leur vie en chargeant
sur
leurs épaules et en descendant au tombeau des cadavres
pourris
exaltant la corruption et la mort. Mais telles sont la
perversité et
l’impiété de ce malheureux temps
qu’on regarde et qu’on punit
comme criminels ceux qui osent honorer la sépulture par le
moindre
acte de religion quoique chez tous les peuples, dans tous les temps,
la sépulture des hommes ait toujours
été un acte religieux ».

Pendant ces huit mois de prison -26 Août 1798 / 16 avril 1799- où le curé de Guerbaville attendait chaque jour à être déporté en Guyane, il s’efforça de passer le temps et d’oublier le danger en se livrant à la lecture, à l’étude, à la poésie « ainsi qu’à la solution de quelques théorèmes, car, je repassai dans Saury ( ?) mon algèbre et ma géométrie que j’avais, dans ma jeunesse, étudiée avec quelques succès ».
Après bien des alarmes et huit mois de réclusion, l’abbé Dumesnil rejoignit, le 26 avril 1799, son manoir presbytéral de Guerbaville où il retrouva sa vieille maman alors âgée de 87 ans. Ses paroissiens lui firent fête mais les jacobins du pays ne désarmèrent pas. L’accès de l’église demeura interdit. Une intervention du Sous-préfet fut lettre morte. Il fallut un rappel formel du Préfet de Seine-Inférieure pour imposer la réouverture de la maison de Dieu le 26 Août 1800. « Je rentrais donc dans mon église, conclut le prêtre, deux ans précisément après que j’en aie été arraché pour être conduit en prison. Exceptés quelques jacobins, tous mes paroissiens s’y réunirent, elle était remplie au point de ne pouvoir, pour ainsi dire, s’y tourner.
Durant ses diverses pérégrinations et, spécialement pendant sa détention à la prison d’Yvetot, l’abbé Dumesnil avait commencé à rédiger ses mémoires. Il avait poursuivi cette rédaction au presbytère de Guerbaville alors que l’accès de son église lui était encore interdit. Il y mit la dernière main et transcrivit ses notes de 1800 à 1802. C’est ce qui nous vaut de posséder les deux volumes manuscrits de ses souvenirs qu’il a intitulé :
« Ma prison ou Mes Aventures pendant la Terreur de la Révolution Française aux années 1792 – 1794 » et
« Ma seconde prison pendant la terreur du Directoire aux années 1797 – 1799 ».
Le reste de la vie de ce pasteur put s’écouler ensuite sans heurts, au milieu de la vénération admirative de ses fidèles. Il vécut la restauration du culte et de la religion catholique grâce au Concordat de 1801. Il eut, entre autres, l’immense satisfaction, non dépourvue de quelques malices, de racheter de ses deniers, pour son usage et celui de tous ses successeurs, le magnifique Manoir presbytéral construit au début du XVIIe siècle. Il l’habita jusqu’à la fin de sa vie. C’est le 2 thermidor an IX (20 juillet 1801) que le presbytère, mis en vente comme « bien national » fut racheté par l’abbé Dumesnil. En août 1802 il pouvait écrire, à la fin du second volume de ses Mémoires :
« Les
maux épouvantables que nous avons essuyés,
semblent maintenant, en
quelque sorte, des songes ; tout rentre dans
l’ordre, plus de
querelle, plus de reproche. L’union paraît
parfaitement rétablie
avec le clergé de France. Sinon, je veux dire
l’Église, renait
vraiment plus belle, c’est-à-dire
purgée d’une infinité
d’individus qui la déshonoraient. On ne parle que
Religion, la
vertu est à l’ordre du jour ».
Un gros chagrin devait survenir au curé de Guerbaville : le décès de sa vieille maman. « Le 10 janvier 1805, nous apprend le registre paroissial, fut inhumée à Guerbaville, Anne Le Gallois âgée de 92 ans née à Gonneville, veuve de Robert Dumesnil ».
L’abbé n’avait que soixante-deux ans. Il continua, jusqu’à un âge avancé, d’exercer ses activités pastorales. Il eut le triste privilège de présider les cérémonies d’inhumation, le 16 Janvier 1823, de Victurnien Bonaventure Victor de Rochechouard, Marquis de Mortemart, puis, le 18 Décembre 1826, de Louise Adélaïde Duhamel, veuve de Charles Gabriel, marquis de Nagu, seigneur de La Mailleraye, du Marais Vernier et autres lieux. Avant de disparaitre à son tour, il eut l’excellente idée de se faire portraiturer, ce qui nous fait le bonheur de posséder, peint par le célèbre Bonvoisin, l’authentique image de ce qu’était l’abbé Dumesnil, curé de Guerbaville-la Mailleraye en 1828 à l’âge de 85 ans. Il était grand temps car il devait mourir l’année suivante. Au registre paroissial de 1829 on lit cet acte de sépulture :
Aujourd’hui,
seize Février 1929, par moi prêtre curé
de Caudebec, soussigné, a
été inhumé vis-à-vis la
grande porte de l’Église, le corps de
discrète personne, maître Louis Dumesnil,
curé de cette paroisse,
âgé de quatre-vingt-six ans, fils de feu Robert et
de feue Anne
Galais en présence de Monsieur Anfray, prêtre
vicaire de cette
paroisse, qui a signé avec moi le présent acte.

Quelques années plus tard, un monument fut édifié sur la tombe du cher curé. Cette tombe a été conservée, bien que, vers 1850, « l’ancien cimetière » ait été complètement désaffecté.
Aujourd’hui encore devant le portail de l’église on peut voir une colonne de marbre blanc signée « Parfait » qui porte cette épitaphe à peine lisible :
Ici
repose
Louis Dumesnil
Prêtre
Décédé en son presbytère de Guerbaville
Le 13 Février 1829, modèle du pasteur de campagne.
Pendant plus d’un demi-siècle il édifia cette paroisse
Par ses exemples et ses leçons,
L’estime et la reconnaissance ont érigé ce monument
En l’honneur de ses vertus et de ses bienfaits.
Louis Dumesnil
Prêtre
Décédé en son presbytère de Guerbaville
Le 13 Février 1829, modèle du pasteur de campagne.
Pendant plus d’un demi-siècle il édifia cette paroisse
Par ses exemples et ses leçons,
L’estime et la reconnaissance ont érigé ce monument
En l’honneur de ses vertus et de ses bienfaits.
Jean
BARASSIN [1911 –
2001]
Curé de la Mailleraye 1968 – 1996.
Curé de la Mailleraye 1968 – 1996.