L'émeute de 1847

Janvier 1847, des ordonnances portant sur l'exportation des pommes de terre sèment le trouble. A La Mailleraye, elles suscitent une émeute...

Vendredi dernier, vers le milieu du jour, une troupe d'une centaine d'individus, paraissant descendre de la forêt de Brothonne ou des villages voisins, marchant dans un certain ordre, armée de serpes, de haches, de couteaux, et proférant des menaces inqualifiables, pénétra dans le bourg de La Mailleraie, au grand ébahissement des habitants, et se dirigea vers un local qui sert de magasin de pommes de terres achetées dans la contrée par un agent d'approvisionnement pour l'exportation. Une sorte de députation se présenta chez les personnes auxquelles la surveillance de ce magasin est confiée, et demanda à acheter des pommes de terre à un prix modéré ; On répondit que les pommes de terre emmagasinées appartenaient au capitaine d'un navire anglais mouillé non loin de là.
Assitôt la troupe, qui se trouvait considérablement grossie, se porta vers l'endroit où le sloop en chargement était mouillé, et voulut faire débarquer les 5 à 6,000 rasières qu'il contenait déjà. L'équipage refusa d'obtempérer à cette réquisition, et se mit en devoir de repousser la force par la force en s'armant à cet effet. Déjà plus de 80 des agresseurs tentaient d'attirer à terre le navire, dont heureusement l'ancre ne dérapa point. « Il faut monter à l'abordage ! » s'écrièrent-ils, et aussitôt ils se disposèrent à démarrer quelques barques qui se trouvaient à leur portée. 

Alors un conseiller municipal, en l'absence du maire et de son adjoint, assumant la tâche de l'autorité, entreprit de haranguer la troupe rebelle pour la ramener au sentiment du juste. Son œuvre de pacification fut secondée par un agent qu'on croit être anglais, et qui offrit gracieusement 60 rasières de pommes de terre en pur don. Cette offre fut acceptée par l'attroupement, qui se replia ensuite avec assez d'ordre vers l'intérieur de la campagne.

Sur ces entrefaites, l'éveil avait été donné, à Caudebec, chef-lieu du canton, et M le juge-de-paix, assisté de la gendarmerie de cette, ville, s'était mis immédiatement en route pour La Mailleraye, mais lorsqu'ils y arrivèrent, ce bourg était rendu à son calme habituel. 

Le lendemain samedi, Caudebec même devait être le théâtre d'une effervescence du même gonre, sinon de la même gravité. C'était jour de marché, et il y eut tentative de trouble dans la liberté des transactions, mais cette émeute, qui n'avait pour instigateurs que quelques mauvais garnemetse étrangers à localité, s'est bientôt dispersée devant la force publique.

A ce triste sujet, nous rappellerons à l'autorité préfectorale qu'il n'y a eu ce moment  à Caudebec ni maire, ni adjoint en exercice, que les fonctions administratives sont provisoirement entre les mains du commandant de la garde nationale, M. Lestorey, le  premier inscrit dans l'ordre du tableau des conseillers municipaux. Et bien qu'il soit de nos amis, que nous lui sachions assez de dévouement patriotique pour être ;à la hauteur des plus laborieuses comme des plus périlleuses missions, nous ne pouvons nous dispenser de remettre en mémoire  à l'autorité ce qu'il y a d'incompatibilité légale dans la double situation qui est forcément faite à cet honorable citoyen par les retards apportés à la reconstitution de la municipalité de Caudebec.

SOURCE

Le Constitutionnel